Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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Epouvante, Terreur & Insolite.

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mercredi, février 22 2012

Sang Impur - Graham Masterton

Flesh & Blood Traduction : Patrick Duvic

Extraits Personnages

Voici l'un des romans les plus ambitieux de Masterton. Il s'articule sur trois thèmes :

1) les excès (calculateurs) de l'Homme dans son désir d'asservir la Nature ;

2) les excès (calculateurs) de l'Homme dans sa volonté d'asservir sa propre espèce ;

3) les excès (calculateurs) de la Politique et des politiciens.

De leçon de morale, il n'y en a pas : au lecteur de se faire son opinion personnelle. Cynique, la chute finale nous rappelle simplement que, une fois mises en branle certaines mécaniques, il devient très difficile, voire impossible, de les arrêter.

L'ample et ténébreux manteau du genre épouvante recouvre tout cela et nous permet de lire en parallèle une histoire fantastique puisée cette fois aux sources du folklore rural des pays de l'Est et tout particulièrement de ce qui était encore, à l'époque de la parution du livre, la Tchécoslovaquie. Janek-le-Vert, entité maléfique à l'oeuvre dans "Sang Impur", sort-il vraiment du folklore tchèque ou n'est-il qu'une invention de l'auteur, on ne le saura jamais très bien, à moins que Masterton ne vienne nous le dire en personne. Mais ce personnage descend sans équivoque possible de l'Homme vert dont on retrouve la trace, dans l'art et dans les textes, jusqu'en Inde.

Entité masculine qui garantissait les récoltes abondantes, l'Homme vert exigeait qu'on lui sacrifiât un ou plusieurs humains en échange de ses bienfaits. Thomas Tryon en a donné sa vision personnelle dans "La Fête du Maïs", une vision elle aussi assez gore. Masterton pour sa part lui invente un rejeton, Terence Pearson, qui, au lieu d'attendre sa visite - dont il sait qu'elle sera mortelle aussi bien pour lui que pour ses propres enfants - entre en rébellion et cherche ouvertement à priver son étrange géniteur des sacrifices qui le maintiendraient en vie. Le résultat est, ma foi, tout aussi sanglant mais, pour peu qu'on s'intéresse à Freud, on comprend l'enrichissement du thème.''

Face à Janek-le-Vert, ancien humain à part entière, jadis sacrifié à la Nature afin que celle-ci bénisse les récoltes de ses voisins, Captain Black. Captain Black est un porc, propriété d'un laboratoire spécialisé dans des expériences visant - bien entendu - à améliorer notre santé à tous. Leur dernière idée ? Transplanter une infime partie d'un cerveau humain encore vierge - celui d'un jeune enfant - dans le crâne du malheureux porc et greffer cette parcelle sur le cerveau du malheureux porc. On le rendrait ainsi plus "humain" (sic).

Entre les deux, une bande de politicards assoiffés de pouvoir, qui prônent par pur arrivisme l'interdiction de la viande et l'instauration de menus végétariens pour tous. Pour compliquer encore les choses, il faut ajouter à tout cela une petite bande de militants résolus, prêts à tout pour délivrer les animaux enfermés dans les locaux du laboratoire - y compris et surtout Captain Black.

Scènes gore (accrochez-vous, ça démarre très fort), variation remarquable sur un mythe rural aussi vieux que l'Humanité, personnages principaux plus complexes que la moyenne, récit travaillé, rythme enlevé malgré quelques petites longueurs, et enfin des questions qui ne peuvent que nous interpeller, voilà ce que recèle en ses pages "Sang Impur", un roman un peu différent de ce que nous offre d'habitude Masterton mais qui n'en demeure pas moins l'un de ses meilleurs. ;o)

mardi, février 21 2012

Hel - Graham Masterton

Sleepless Traduction : Patrice Duvic

Extraits Personnages

Lorsqu'il choisit de travailler sur les phénomènes de hantise, Graham Masterton fait très souvent preuve d'un brio magistral. Dans "Hel" (dont le titre original, "Sans Repos", parlera plus au lecteur), la hantise ne concerne pas tant les lieux que les personnes, deux soeurs, Elizabeth et Laura, encore fillettes lorsque débute l'histoire, en 1940. Leur père, éditeur new-yorkais au profil un peu atypique (il n'édite pas toujours ce qui rapporte le plus, simplement ce qu'il aime ou ce en quoi il croit), a choisi de quitter la Grosse Pomme pour s'établir dans une grande demeure un peu vieillotte, au fond de la campagne américaine. Sa femme, Margaret, perdue dans ses souvenirs d'une gloire cinématographique plus qu'éphémère, l'y a suivi sans grand enthousiasme. Heureusement, pour la dérider, elle a Peggy, sa petite dernière, sa préférée.

On comprend le choc éprouvée par la malheureuse quand sa petite Peggy, dont le conte favori était "La Reine des Neiges", d'Andersen, meurt stupidement, un jour d'hiver, après avoir tenté de marcher sur la glace qui recouvrait la piscine ...

A partir de là, le drame s'installe, lent, insidieux, superbement mis en scène par un Masterton au sommet. Margaret sombre dans une dépression grave, son mari essaie de ne pas couler mais c'est difficile car il se reproche de n'avoir pas vidé la piscine cet automne-là, comme sa femme le lui avait demandé. Quant à Elizabeth et Laura, elles ont parfois l'impression que Peggy n'est pas morte. Et au fur et à mesure qu'elles grandissent, elles vont en acquérir les preuves sanglantes ...

Peggy n'est pas un spectre hostile. Dans la dimension où elle semble bloquée, elle a gardé pour héroïne la petite Gerda du conte danois et, en conséquence, n'agit que pour protéger ses soeurs. Toute insulte, tout acte malveillant à leur égard est immédiatement puni, soit par une correction sévère (ce sera le cas pour Margo Rossi, supérieure hiérarchique d'Elizabeth, et pour Tante Beverley, amie de la famille chargée de veiller sur Laura, partie à Hollywood), soit par la mort (Dick Bracewaite et beaucoup d'autres).

Avec les années, Peggy devient, semble-t-il, de plus en plus puissante, et, derrière elle, se profile de plus en plus nettement une silhouette noire et gigantesque, Hel, la fille de Loki, le dieu du Mal de la mythologie scandinave.

Rythme efficace, atmosphère d'abord intrigante - on n'y croit pas tout de suite, on se dit que Peggy est morte, qu'une toute petite fille ne va pas revenir hanter les siens - puis de plus en plus lourde et glauque, personnages fouillés, absence totale de clichés, "Hel" est l'un des meilleurs romans de Masterton. Et la certitude demeure au fil des relectures. Comme dans "Walhalla", l'Ecossais a pris une idée aussi vieille que le monde pour en décliner sa vision personnelle : une vision originale et d'une exceptionnelle qualité technique - ce qui ne gâte rien.

Les Puits de l'Enfer - Graham Masterton

The Wells of Hell Traduction : François Truchaud

Extraits Personnages

L'un des thèmes préférés du grand Lovecraft, qu'il a traité sous diverses formes et, de manière à notre avis magnifique et exemplaire dans "La Couleur Tombée du Ciel", était la contamination des humains par une entité venue des étoiles. Dans "Les Puits de l'Enfer", Masterton reprend l'idée mais l'adapte à sa propre nature d'écrivain - et aussi à notre siècle. Lovecraft, en effet, évoque rarement la science dans ses nouvelles. Une certaine forme de mathématiques, oui, dans "Par delà le Mur du Sommeil" ou "Les Rêves dans la Maison de la Sorcière", et la biologie et la chimie dans des nouvelles assez "classiques" comme "Herbert West, le Réanimateur", voire dans "L'Affaire Charles-Dexter Ward." Le Solitaire de Providence était avant tout un poète et un rêveur qui adorait les cauchemars : l'aspect réaliste des sciences ne le séduisait pas.

Masterton, lui, sans être un fanatique des expériences menées par des savants brillants mais complètement fous, vit plus avec son temps. Il n'y a qu'à songer, par exemple, à la base de "Sang Impur" pour le constater. Dans "Les Puits de l'Enfer", il imagine une contamination extra-terrestre par infiltration dans l'eau des puits d'une communauté. Au risque de décevoir les fans de John Carpenter qui, devant ces lignes, pourraient imaginer (avec délices) un village entier de zombis contaminés , je rassure tout de suite les âmes sensibles : seules trois personnes le seront effectivement. Une quatrième mourra avant de l'être complètement.

En outre, Masterton laisse planer un doute sur la nature de la créature responsable de la contamination : animal dont l'espèce aurait disparu il y a des millions et des millions d'années et dont un spécimen serait parvenu à survivre, endormi dans les roches ? animal d'origine terrestre, même s'il était largement antérieur aux dinosaures ? ou animal-entité extra-terrestre qui aurait engendré certaines légendes - dont le mythe de Chtulhu si cher à Lovecraft ? ... Bon, c'est vrai, vu ce que cet être est capable de provoquer, fût-ce à distance, on penche plutôt vers l'entité extra-terrestre malveillante. Mais que voulez-vous, c'est la loi du genre.

Comme souvent chez l'auteur, le récit est à la première personne. Le narrateur, Mason Perkins, plombier de son état, se promène toujours avec son chat roux, Shelley. (Non, il n'arrive rien au chat.) Les personnages sont, dans l'ensemble, depuis la laborantine dont est amoureux Perkins jusqu'aux fermiers contaminés, assez peu conventionnels et cela ajoute au charme de ce roman qu'on lit sans déplaisir mais aussi, peut-être, sans passion. Un bon moment de lecture mais pas un grand.

lundi, février 20 2012

Le Démon des Morts - Graham Masterton

The Pariah Traduction : François Truchaud

Extraits Personnages

On retrouve ici un Masterton en très, très grande forme. Comme toile de fond, un petit village américain de la Côte est, Granitehead, non loin de Salem. Comme personnages, le vent, la pluie, le brouillard et tout une flopée de gens qui ont perdu des êtres chers. Parmi eux, le narrateur, John Trenton, qui ne s'est pas encore tout-à-fait remis du décès de sa femme, morte, avec le bébé qu'elle attendait, dans un terrible accident de voiture. La preuve : de plus en plus souvent la nuit, dans la maison qu'il trouve désormais trop grande et bien solitaire, John croit entendre crisser les chaînes de la balançoire alors que, comme il le vérifie, il n'y a personne dans le jardin ...

Jusqu'au jour où, bien évidemment, il aperçoit sa femme, entourée d'une lueur bleue, se balançant mollement sous la pluie et le vent ...

Tel est le début d'une intrigue envoûtante à laquelle on pardonnera facilement ses quelques maladresses et redites./b Au centre, bun dieu aztèque, Mictantecutli, le "Démon des Morts", qui, selon un codex d'époque, dominait tous les autres dieux. Il était toujours représenté avec un hibou, un cadavre et un plateau contenant des coeurs humains. Quand il s'incarnait, il prenait la forme d'un squelette gigantesque dont les os étaient faits d'autant de petits squelettes grimaçants. Mictantecutli était craint et redouté de tous, y compris dans le Panthéon aztèque, ce qui, si l'on pense au caractère plutôt agressif des entités mixas en général, est plutôt de très mauvais augure ...

Mais comment le dieu, très redouté, d'une civilisation disparue au début du XVIème siècle, se retrouve-t-il à hanter les cadavres de paisibles Américains sans histoires, à la toute fin du XXème siècle ? C'est là que Masterton donne le meilleur de son talent - qui est grand, très grand, et touche parfois au génie. Son histoire tient la route et si les personnages paraissent peut-être un peu stéréotypés - la belle-mère trop mondaine qui déteste son gendre, l'érudit héritier d'une antique famille vivant en hermite dans sa propriété et s'y livrant à des expériences étranges, deux ou trois réincarnations de sorcières de Salem par exemple - le roman dégage l'une de ces atmosphères pesantes et magiques qui sont la marque des bons livres d'épouvante.

Est-ce pour autant une oeuvre majeure dans la carrière de Masterton ? Non Mais il lui manque très peu pour accéder à la catégorie de "Hel" ou du "Portrait du Mal." Mais assez de bavardages : courez lire "Le Démon des Morts" et revenez donc nous donner votre avis.

La Vengeance de Manitou - Graham Masterton

Revenge of the Manitou Traduction : François Truchaud

Extraits Personnages

Autant j'avais aimé le premier tome de la série "Manitou", qui apporta d'ailleurs le succès à son auteur, autant j'ai beaucoup moins apprécié ce second opus. On y sent trop l'écrivain pressé par son éditeur et qui, pour boucler à temps, mélange quelques bonnes idées à des clichés indignes de lui.

Le Manitou (de son vrai nom Misquamacus) qui avait déjà tenté de s'incarner pour se venger - et venger toute la nation indienne, qui ne lui demandait pourtant rien - de l'oppression des Blancs, revient ici dans une armoire achetée pour trois fois rien par Neil Fenner. L'armoire meuble la chambre du petit garçon de Neil, Toby, une dizaine d'années à peu près. Et, au bout de quelque temps, il commence à se passer des choses, dans cette armoire : une voix désincarnée supplie un certain "Allen" d'aller chercher du renfort ... Pour parachever le tout, bientôt, le jeune Neil semble possédé par l'esprit de Misquamacus, qui s'exprime par sa bouche.

Mais le pire, c'est que, dans la classe de Toby, placée sous la férule de Mme Novato (la malheureuse connaîtra une fin atroce), tous les enfants font des cauchemars similaires mettant en scène des Indiens et des Blancs dans une embuscade particulièrement sanglante. Neil, qui n'en peut plus de voir son fils dans cet état et que tout le monde, y compris sa propre épouse, prend pour un père qui a des hallucinations, décide de mener sa propre enquête.

De fil en aiguille, il apprend qu'il serait le descendant direct du fameux Allen que suppliait la voix spectrale, dans l'armoire. Masterton suggère - très légèrement - que Allen aurait eu une part de sang indien. Par contre, ce qui est sûr, c'est que cet homme a toujours joué double jeu, changeant de camp en fonction de son profit personnel. Le responsable de l'embuscade vue en rêve par les enfants, c'est lui : il avait trahi une trentaine de colons, leurs femmes et leurs enfants, pour les mener droit dans un traquenard où ils furent massacrés par les Indiens ...

L'ensemble est non pas incohérent mais très brouillon. Cà et là, des passages étranges et même choquants dans lesquels Masterton, Celte bon teint - cet Ecossais vit depuis de longues années en Irlande - par la voix de Neil et du vieil ennemi de Misquamacus, Harry Erskine, trompette à tous vents la supériorité des Blancs sur les Indiens : si ceux-ci ont été vaincus par l'envahisseur blanc, c'est parce qu'ils étaient moins volontaires, moins braves (!!!), moins intelligents, etc ... Dans une petite phrase, toute perdue au milieu de ce pathos pseudo-américanouillard, il s'arrange tout de même pour préciser que l'avidité des Blancs dépassait, et de très loin, celle des Indiens. Mais enfin, cela, je le répète, ne concerne qu'une seule phrase et risque de passer inaperçu pour le lecteur moyen, surtout désireux de parvenir à la fin de l'intrigue fantastique.__

Masterton reprend le thème lovecraftien des Anciens dieux, que Misquamacus souhaite appeler des étoiles afin qu'ils massacrent tout ce qui n'est pas indien. Mais il le fait plus gauchement qu'à l'habitude : ce n'est pas un hommage, tout juste une tentative d'adaptation. Je le répète, "Revenge of the Manitou" laisse une impression décevante : l'auteur n'est visiblement pas inspiré et l'on peut voir ici un ouvrage de commande - une oeuvre mineure qu'on gagnera à oublier.

dimanche, février 19 2012

Terreur - Dan Simmons

The Terror Traduction : Jean-Daniel Brèque

Extraits Personnages

Soyons francs et restons lucides en ce glacialissime début de décembre : "Terreur" n'est pas un roman à lire en pareille saison. Tout d'abord parce que, d'un bout à l'autre, et en dépit de quelques longueurs, le récit vous tient si bien en haleine que vous restez scotché à votre exemplaire, n'utilisant que les muscles des doigts de votre main pour tourner les pages et, partant, exposant ainsi tout le reste de votre corps à un refroidissement progressif, sournois et très désagréable. Ensuite parce que le théâtre de l'intrigue n'est autre que la banquise, une banquise aveuglante qui refuse de dégeler ses habituels chenaux d'"eaux libres" quand arrive ce qui, sur le continent arctique, passe pour l'été, une banquise magistralement dépeinte, dans son horreur blanche et figée, par Dan Simmons.

De celui-ci, j'avais à peine entamé "L'Echiquier du Mal" que je bâillais, dégoûtée comme d'habitude par ces pseudo-nazis qui surgissent d'un passé horrifiant pour façonner un présent et un futur tout aussi épouvantables. Fuyant la prise de tête et toutes formes de clichés politiquement corrects, je laissai donc tomber - et sans regrets - ce qui, pourtant jusqu'à ce jour, est considéré comme le chef-d'oeuvre de son auteur.

Mais "Terreur" et son contexte historique - l'expédition polaire menée par Sir John Franklin, qui quitta les rives verdoyantes de l'Angleterre le 19 mai 1845 - m'intéressaient et même me passionnaient. Allez savoir pourquoi, moi que la vue de deux centimètres de neige sur le trottoir d'en face incite à prendre ma plus belle plume pour rédiger mon testament ... j'adore tous les récits, fictionnels ou non, qui tournent autour des expéditions polaires.

Le roman de Simmons offrait en outre l'avantage d'une pointe fantastique : la présence, en vedette américaine, sur l'horrifique banquise, d'une créature non identifiée (mais blanche, elle aussi, cela tombe sous le sens), plus grande qu'un homme, se déplaçant soit à quatre pattes, soit comme un parfait bipède, et traquant impitoyablement jusque sur les ponts des navires de l'expédition tout marin susceptible de lui fournir un bon repas.

La sauce prendrait-elle ? Ou - le propos est de circonstance - se figerait-elle bêtement, formant des gruaux indigestes ?

Eh ! bien, ce fut un régal. Découpage solide, personnages fermement dessinés et qui s'enrichissent au fur et à mesure que progresse le récit, ambiance étouffante et claustrophobe, réflexions suggérées sur la Mort et la survie, fin relativement heureuse pour au moins l'un des membres de l'expédition Franklin, le tout artistiquement rehaussé çà et là par quelques pointes inexpliquées de fantastique et d'horreur - mais non de gore - "Terreur" tient toutes ses promesses.

Bref, un conseil : mettez votre exemplaire au congélateur jusqu'au printemps, réchauffez-le un peu, assaisonnez avec le confort d'un bon fauteuil et le réconfort d'un paquet de gâteaux ou d'une boîte de chocolats, et puis consommez, sans modération. Vous aurez si froid pendant toute votre lecture que, de toutes façons, vous ne prendrez pas un seul gramme.

Relic - Douglas Preston & Lincoln Child

Relic Jean Colonna

Extraits Personnages

'']Par exception, j'ai commis deux fiches sur le sujet - tant il m'a plu. En voici la première :++

Un film de série B, tout dégoulinant d'hémoglobine ketchupisée, où retentissent moult cris d'horreur sur fond d'apparitions éclair d'une créature à laquelle on ne croit pas une minute, a été tiré par Hollywood de ce petit roman qui méritait pourtant un autre traitement.

Est-ce à la formation scientifique de Douglas Preston que "Relic" doit la crédibilité qui sourd de ses pages ? Ou alors à la sobriété des descriptions qui nous sont données çà et là de la Créature ?

Quoi qu'il en soit, "Relic" est en son genre un petit bijou qui revisite avec bonheur le thème classique de "la-Créature-qui-vient-du-fond-des-âges-pour-mieux-te-manger-mon-enfant."

En apparence cependant, le lecteur pressé pourrait ne voir là-dedans qu'une énième resucée de lb'exploration amazonienne qui ramène dans un grand musée (ici new-yorkais) des caisses recelant une mystérieuse et épouvantable (on s'en doutait) créature pré-historique dont le but ultime (et à bien y regarder le seul) dans l'existence est de dévorer tous les êtres humains qui lui tombent sous la griffe - le tout en répandant un maximum de sang, de cervelle et d'entrailles sour l'intégralité des murs dudit musée.

Mais il aurait bien tort de passer son chemin sans approfondir. Car :

1) les auteurs ont décidé d'éviter le gore à tout prix ;

2) leur scénario est aussi solide que leur Créature - lisez bien l'introduction, surtout ;

3) et la "chute" est amenée de façon insidieuse et démoniaque - si bien même qu'à l'instant où l'on croit avoir tout saisi, on découvre qu'en fait, on n'avait pas bien réalisé l'identité réelle de la Créature.

Un roman qui n'est pas un chef-d'oeuvre mais qui change un peu, par la qualité de sa construction et de ses idées, du tout-venant habituel. Il fallait le signaler. Voilà qui est fait. Maintenant, si ça vous intéresse, lisez-le.

Et voilà la deuxième :

En dépit de quelques longueurs s'accumulant dans le dernier tiers du roman, lors de la traque dans les sous-sols du musée, puis dans les égouts, "Relic", où entre en scène l'agent Aloysius Pendergast, du FBI de Louisiane, reste l'un des très grands romans d'épouvante de la fin du XXème siècle. Un sommet dont les opus suivants du tandem Preston & Child auront bien du mal à égaler la retorse efficacité.

Il faut dire que, dans ce livre, Pendergast, même si ses "pères" lui ont donné un physique de semi-albinos à la Andy Warhol, n'a pas encore pris ces tics accablants qui, par la suite, vont contribuer à le transformer en une sorte d'hybride littéraire, à mi-chemin entre Sherlock Holmes et Rouletabille. Bien sûr, il a toujours une bonne longueur d'avance - si ce n'est deux - sur les enquêteurs des autres polices mais on ne chipotera pas : après tout, n'est-il pas le héros ?

Et puis, reconnaissons-le, la chute, tout bonnement géniale, est de celles que tout amateur d'épouvante se remémore toujours avec émotion. Décomposée en deux temps, sa puissance est imparable dans le premier mouvement. Le second, avec le scientifique corrompu, est beaucoup plus classique - et donc prévisible. Mais la perfection de ce premier mouvement est telle que, là aussi, ergoter serait faire preuve d'une écoeurante mauvaise foi.

En apparence, "Relic" reprend le thème ultra-éculé de la malédiction attachée à un objet cultuel - en l'occurrence une statuette découverte aux tréfonds de l'Amérique du Sud - ramené à grands frais par des ethnologues, anthropologues et autres logues jusque dans les caves du Muséum d'Histoire naturelle de New-York. Tant qu'on n'y touche pas, le problème n'est pas très grave. Mais à partir du moment où une cohorte de scientifiques en veine de reconnaissance mondaine et de gloire locale se met en tête d'exposer ladite statuette, l'atmosphère s'alourdit considérablement ... et les meurtres (évidemment horribles, épouvante oblige) commencent.

On n'en dira pas plus pour ne pas gâcher le plaisir du néophyte qui n'aurait pas encore lu ce livre. Sauf peut-être que, par le traitement infligée au thème central, "Relic" ne se borne pas aux apparences mais va beaucoup plus loin, d'où son intérêt et sa qualité.

Ici, il n'y a pas de tour de passe-passe comme on pourrait en reprocher aux auteurs dans, par exemple, "La Chambre des Curiosités." Il n'y a pas non plus d'invraisemblance majeure : tout est pensé, calibré, projeté, logique, implacable. Les personnages sont vivants et, à l'exception du policier new-yorkais, ne tombent pas dans le stéréotype. La clef de l'énigme est, nous l'avons déjà dit, remarquable par son intelligence même si son épilogue fait un peu plaqué, dans l'intention vraisemblable d'annoncer une "suite." Bref, il n'y a guère que le style, correct mais banal, dépourvu hélas ! de cette poésie cultivée par Machen ou Lovecraft, qui fasse tiquer le puriste.

On notera qu'un film éponyme a été tiré de ce roman. Ce n'est pas un chef-d'oeuvre, il est beaucoup plus simpliste et on ne croit pas un instant à la créature qui s'y débat, mais il se laisse regarder.

Un conseil cependant : lisez "Relic" avant de visionner sa version filmée.

mardi, février 14 2012

Le Grand Dieu Pan - Arthur Machen

Great God Pan Traduction : Paul-Jean Toulet

Extraits Personnages

Vous qui n'avez jamais lu "Le Grand Dieu Pan", vous ignorez encore ce qu'est la Peur. Vous aurez beau vous targuer d'avoir dévoré l'intégralité de Clive Barker, cela n'y changera rien : "Le Grand Dieu Pan" dominera toujours le plus gore des romans modernes.

Ambrose Bierce pensait que, pour lire une histoire de fantômes ou un conte d'épouvante, il fallait avant tout se placer dans des conditions idéales, à savoir le faire la nuit, à la lueur chancelante d'une bougie, dans une vieille maison au plancher qui craque, et dans la plus parfaite solitude, cela va de soi. Son point de vue se défend mais, pour un ouvrage tel que "Le Grand Dieu Pan", peu importent l'heure, le lieu, les conditions : la Peur, une Peur impériale, celle que Jean Ray, autre fabuleux magicien de l'Angoisse, a su dépeindre, drapée dans les brumes de ses Flandres natales, est toujours au rendez-vous.

Oui, vous aurez beau connaître par coeur les ambitieux projets du Dr Raymond et le témoignage du Dr Clarke, vous aurez beau réciter sur le bout des doigts les noms de tous ceux qui, dans ce court mais fulgurant roman, "ont vu le Grand Pan", au même passage, au même instant, toujours - toujours - l'angoisse vous étreindra le coeur. Pis : le livre refermé, et même s'il fait soleil, vous aussi vous aurez l'impression non pas d'avoir "vu" l'indicible et sinistre majesté du Grand Dieu Pan mais d'avoir perçu au plus profond de vous-même l'un des sombres reflets de son aura.

D'une habileté technique qui laisse pantois et d'une intensité dramatique qui ne faiblit pas un seul instant, "Le Grand Dieu Pan" est un de ces récits qu'on n'oublie jamais. Ouvrez-le et laissez-vous marquer au fer rouge par la Peur qui y dort : tant que vous ne l'aurez pas fait, vous ne pourrez vous prétendre un véritable sectateur de ce genre divin et secret qu'est la littérature d'épouvante ... ;o)

La Couleur Tombée du Ciel - Howard Philip Lovecraft

The Colour Out of Space Traduction : Jacques Papy

Extraits

Ce recueil de quatre nouvelles doit son nom à celle qui demeure l'une des plus terrifiantes jamais écrites par Lovecraft. On n'y voit pourtant pas trop les tentacules des Grands Anciens et l'écrivain use en fait de descriptions très simples pour amener son lecteur à un rare degré d'effroi. Mais c'est le propre du génie d'atteindre à de tels sommets avec si peu de moyens ou encore avec des moyens en apparence aussi faibles. Et Lovecraft était un génie.

Enfin, telle est mon opinion, confortée par les trente-sept ans qui séparent désormais ma première lecture de "La Couleur Tombée du Ciel" de la seconde et toute récente que je viens de faire. A quinze ans, on n'a pas encore vu grand chose, on est tout neuf, on s'émeut vite. Trente-sept ans plus tard, on a accumulé les films d'épouvante ("Alien", "Ring", "The Blair Witch Project" ...) et les lectures du même genre (tous les Stephen King, les Graham Masterton première époque, "Le Tour d'Ecrou" de James et autres friandises venimeuses de la littérature). Sans compter qu'on a vu se fissurer Tchernobyl, croître et s'épanouir une pollution qui redynamise les grandes maladies respiratoires, apparaître le SIDA, l'encéphalite spongieuse et toute cette sorte de choses - et que ça, malheureusement, c'est du réel, une horreur bien concrète amplifiée par les fûts de déchets nucléaires enfouis en dépit du bon sens un peu partout sur notre chère planète.

Et c'est peut-être tout ce contexte pollution-écologie qui a permis à "La Couleur Tombée du Ciel" de ne pas concéder au Temps un seul atome de sa puissance.

Certes, dans la nouvelle, la mystérieuse couleur est bien liée à un météorite probablement habité par l'une de ces entités extra-terrestres et extra-temporelles qu'affectionnait Lovecraft. Mais l'art avec lequel le romancier nous la décrit, s'infiltrant tout d'abord dans les sols, puis dans les cultures, enfin dans les humains qui vivent là, nous évoque rétrospectivement le fléau d'une pollution mystérieuse et incontrôlable. Et quand une partie de la couleur finit par rejoindre sa dimension originale, le lecteur sait bien qu'elle laisse derrière elle, tout au fond d'un puits, l'horreur en germe ...

A côté de ce texte, d'une intensité exceptionnelle, les trois autres en paraîtraient presque - presque - gais, optimistes et même anodins. "L'Abomination de Dunwich", lui aussi d'une très grande qualité, semble une adaptation lovecraftienne du "Grand Dieu Pan" d'Arthur Machen - adaptation mais non copie, attention ! ;o) "Le Cauchemar d'Innsmouth" introduit pour la première fois la ville d'Innsmouth et ses inquiétantes mutations génétiques dans l'univers du créateur de Chthulu et "Celui qui chuchotait dans les ténèbres" reprend le thème de l'invasion de la Terre par des extra-terrestres très mal intentionnés.

A mon sens, ce volume est, avec "Dagon" et "Par delà le Mur du Sommeil", le meilleur qui soit pour découvrir H. P. Lovecraft et son oeuvre. Avec d'autant plus de plaisir que ses traducteurs ont accompli un travail remarquable, qui faisait dire à Jean Cocteau, fin connaisseur, que "Lovecraft est encore mieux, si possible, en français qu'en anglais." ;o)

lundi, février 13 2012

Un Bébé Pour Rosemary - Ira Levin

Rosemary's Baby Traduction : Elisabeth Janvier

Extraits++ Personnages

Ah ! le merveilleux, l'habile petit roman ! Encore ai-je honte de qualifier de "petit" ce miracle d'horlogerie littéraire - Stephen King a bien raison - qui rappelle, en plus doucement ironique, le meilleur cru d'une Shirley Jackson. Plus sûrement, "Un Bébé pour Rosemary" est un chef-d'oeuvre de la littérature d'épouvante mais on peine à s'en apercevoir parce que, tout d'abord, nous sommes d'habitude envahis par un gore systématique qui, ici, brille par son absence, ensuite parce que l'intégralité de l'ouvrage baigne dans un humour et une causticité qui visent avant tout la foi religieuse.

Ira Levin n'était pas un sataniste, loin s'en faut et, s'il a pris comme thème la naissance de l'Antéchrist, ce n'est pas par anti-catholicisme primaire mais parce que le mythe du Christ, toujours d'actualité - plus que jamais d'actualité - après plus de deux mille ans d'existence et beaucoup de péripéties, symbolise mieux qu'un autre le besoin de se soumettre à une autorité divine supérieure qui, depuis le fond des âges et les mystères des grottes préhistoriques, caractérise l'essentiel de notre espèce.

L'histoire, en elle-même, tient du conte de fées revu à la sauce biblique. Elle relève du merveilleux, au sens magique du terme, à ceci près que le sexe est absent de la conception du bébé christique. Jusqu'à Dieu le Père/Jéhovah, aucune déité mâle, si puissante fût-elle, n'avait osé prendre le pari d'un enfant conçu de cette façon. La seule exception connue, celle de Zeus expulsant par le crâne une Athéna déjà casquée et armée, n'est même pas valable puisque cette naissance pour le moins curieuse serait due aux origines non helléniques de la déesse de la Raison, que les Grecs parvinrent à incorporer ainsi à leur théogonie. Plus loin encore dans le temps, le dieu Amon utilisait le corps de Pharaon pour procréer son futur successeur. Et n'oublions pas les zigourats mésopotamiens sur lesquels officiaient, dit-on, les prostituées sacrées d'Ishtar.

Tout changea donc avec le dieu des Hébreux - si l'on accepte l'idée que Jéhovahet le Dieu le Père de l'Evangile sont une seule et même entité, ce qui ne fait pas encore l'unanimité. Encore les pères de la nouvelle religion inventèrent-ils ce concept des plus ésotériques qui a nom le Saint-Esprit et qui, comme chacun sait, "descendit" sur Marie. Certains pères de la toute nouvelle Eglise chrétienne allèrent même encore plus loin puisqu'ils n'hésitèrent pas à affirmer que Marie donna naissance à Jésus en l'expulsant de son oreille. L'oreille, la tête, vous en conviendrez, c'est tout de même plus noble que l'utérus. ;o)

Le bébé de Rosemary, lui, choisit l'utérus, on est tenté d'écrire comme tout le monde. Cela peut étonner chez le rejeton du prince des Enfers, couramment décrit comme l'archange suprême perdu par son orgueil mais pourtant, c'est la vérité. La naissance est aussi un peu douloureuse mais guère plus que la moyenne. Bref, si l'on excepte les impressionnants yeux de félin que son géniteur lui a légué avec deux petites cornes et de toutes petites griffes, cet enfant est aussi normal que vous et moi : la chair, il connaît.

Du début jusqu'à la fin, "Un bébé pour Rosemary" baigne dans une ironie aimable qui permet à l'auteur comme au lecteur de conserver leurs distances avec la tragi-comédie qui se déroule. Deux seuls moments vraiment noirs dans tout ça : le suicide de Terry, la protégée des Castevets et, bien sûr, la mort, aussi inattendue que mystérieuse, de Hutch, le meilleur ami de Rosemary. A part cela, les deux niveaux de lecture coexistent sans difficultés :

1) ou bien on accepte l'histoire pour ce qu'elle paraît être : une conspiration satanique pour favoriser la naissance de l'Antéchrist, issu comme il se doit d'une femme non-vierge dont le prénom se réfère à la mère du Christ, et de Satan. Le père adoptif, le "Joseph" de l'histoire, est ici présenté comme un lâche et un arriviste de la plus belle eau. Quant aux sectateurs du Démon, on ne voit pas très bien ce qui les différencie des fanatiques religieux habituels.

2) ou alors on part du principe que l'héroïne, très attachée au catholicisme, tombe dans la paranoïa absolue par le fait d'une grossesse plutôt douloureuse - et aussi en raison d'un certain fond personnel de culpabilité, hérité de son éducation.

Ira Levin est si habile qu'on peut même les combiner tous les deux. L'un comme l'autre se veut de toute façons une critique aiguë, paroxystique presque, de l'instinct religieux dans tous ses états.

A vous de voir et n'oubliez pas de venir nous dire quelle solution vous aurez choisie.

Et n'oubliez pas de visionner le film éponyme de Polanski : il est aussi jubilatoire. ;o)

Compagnon de Nuit - Lisa Tuttle

The Pillow Friend Traduction : Alain Dorémieux

Extraits

Sous les voiles du fantastique et plus encore de l'insolite insidieux, "Compagnon de Nuit" traite de la relation mère-fille et tout particulièrement du cheminement qu'elles partagent lorsque la seconde grandit et s'éveille peu à peu à la sensualité et à la sexualité.

On peut aussi voir, en la figurine remise par sa "tante" à la jeune Agnes au tout début du roman et que lui subtilise sa "mère" à la fin de la première partie, le témoin d'une sorte de course magique ou d'un parcours initiatique réservé aux impétrantes dans les anciens rites exclusivement féminins que les religions monothéistes devaient par la suite recouvrir du sombre manteau de la sorcellerie.

A un moment donné, soit par peur de ce tout ce que symbolise ce témoin à double tranchant (toute connaissance suppose sa part d'ombre et de souffrance), soit par jalousie et refus de voir la fillette, puis l'adolescente accéder à un savoir similaire à celui qu'elle détient (et qui passe par la sexualité), la tante-mère pose des obstacles et suscite des retards sur la voie empruntée par la fille. Mais elle ne saurait s'opposer éternellement à l'acquisition de la Connaissance, tout d'abord parce qu'elle même vieillit et que, au-delà de ses propres intérêts, domine en elle la nécessité de passer le relais pour assurer la pérennité de cette Connaissance - et la survie de l'Univers.

Lisa Tuttle dissimule cette histoire de femmes, où les hommes, fût-ce le premier d'entre eux, l'Initiateur, n'ont droit qu'à des rôles secondaires, dans une intrigue très moderne, avec la petite ville américaine traditionnelle, les parents qui s'entre-déchirent, la mère ayant sacrifié son avenir de comédienne à la naissance de ses enfants, et une tante mystérieuse qui évoque de son côté les femmes libérées des années soixante-dix.

L'ensemble est trouble, nimbé de brumes qui s'élèvent ici et là pour mieux dissimuler quelque chose que le lecteur impatient tente en vain d'apercevoir avec clarté - et dont il ne prendra vraiment conscience qu'après avoir refermé le livre et pris un peu de recul par rapport à ce qu'il paraît raconter. C'est un art subtil, parfaitement maîtrisé, qui tient plus de la vieille magie - celle-là même qui protégeait le nourrisson Harry Potter de l'énergie meurtrière de Voldemort - que de l'histoire d'horreur ou du fantastique classique. C'est aussi et c'est surtout une histoire de femmes et peut-être parlera-t-elle beaucoup moins, voire pas du tout, à des lecteurs masculins. Mais qu'ils prennent tout de même le risque d'autant que Lisa Tuttle a tout prévu : si ça les arrange, ils peuvent aussi s'imaginer que Agnes souffre simplement du même mal que sa mère ...

... Cependant, ils n'en seront jamais sûrs ... ;o)

dimanche, février 12 2012

Les Pirates Fantômes - William Hope Hodgson

The Ghost Pirates Traduction : Jacques Parsons.

Ce qui frappe chez Hodgson (ou Machen d'ailleurs), c'est que leur oeuvre fonctionne avec une grande économie de moyens. A nous qui sommes habitués au gore et au sensationnel jusque dans les thrillers, il nous faut toujours une période d'adaptation pour discerner la sombre puissance de cette longue nouvelle que constituent "Les Pirates Fantômes" ou encore "La Maison au bord du monde."

Les apparitions, lorsqu'elles surviennent, y sont toujours plus suggérées que soigneusement décrites. Nous sommes en fait devant quelque chose d'innommable - que Lovecraft, pourtant si prolifique, aimait à qualifier d'"indicible." S'il y a du sang, il ne coule qu'à la fin du texte et encore ne le voit-on pas. Les cris d'horreur, certes, on les entend mais jusqu'au bout, l'auteur ne montre absolument rien de ces pirates spectraux qui donnent pourtant son titre au livre.

D'emblée, nous sommes projetés dans l'intrigue avec le récit à la première personne que fait au capitaine et au second du Sangier, vaisseau qui vient de le recueillir alors qu'il dérivait dans l'océan, le seul matelot survivant de l'équipage du Mortzestus. Jessop, le rescapé, a embarqué à San Francisco en dépit de la réputation étrange qui était celle du Mortzestus et, très vite, se produisent des incidents bizarres et de plus en plus étouffants (ombres se déplaçant à droite et à gauche et semblant sortir de la mer elle-même, voiles qui se déplient dès que la nuit tombe, etc ...)

Finalement, un homme, puis deux, puis trois tombent du haut des mâts. Et ...

Le texte, très sobre, est extrêmement subtil. On ne saura jamais si ces pirates fantômes sont des créatures d'une autre dimension ou, tout simplement, les esprits enchaînés à la mer d'un navire disparu. On ne saura pas non plus si les âmes des marins tués sur le Mortzestus ont rejoint par la suite ces étranges vaisseaux pirates - qui sont quatre en tout en fait. Hodgson laisse au lecteur toute latitude de faire son choix, hormis sur un seul point : la réalité des faits ne peut être contestée même si elle ne s'explique pas. ;o)

Sur le Seuil - Patrick Sénécal

Les USA ont Stephen King et Peter Straub, la Grande-Bretagne, Graham Masterson.

Au Québec, ils ont Patrick Sénécal. Assez difficile à se procurer en librairie sauf si vous le commandez.

Je vous recommande tout particulièrement "Sur le seuil" bien que le style de ce dernier m'ait un peu surprise au début, et même déstabilisée. En effet, l'auteur y utilise beaucoup le passé composé, dont nous n'avons pas tellement l'habitude à l'écrit.

L'intrigue est simple et, sauf peut-être à l'extrême-fin, ne sombre jamais dans le "gore." Un écrivain québéquois spécialisé dans le roman d'horreur, Thomas Roy, est retrouvé chez lui dans un état catatonique. Après s'être coupé les dix doigts avec un massicot, il a songé à se défenestrer mais a raté son coup.

Le revoilà transporté en urgence dans une clinique psychiatrique où il devient le patient des Dr Lacasse (le narrateur, âgé de la cinquantaine et mal dans son métier et dans son couple) et Marcoux (la trentaine,enceinte, épanouie et grande lectrice des oeuvres de Roy).

Bien entendu, la police enquête mais finit par conclure à la crise de démence ayant poussé au suicide. Un cahier dans lequel Roy collait des articles de journaux retraçant des drames horribles dont il devait s'inspirer se retrouve à la clinique afin que les psychiatres puissent y puiser et voir ce qui pourrait les aider à soigner leur patient.

Très vite, Lacasse & Marcoux en arrivent à l'étrange conclusion que, bien loin de s'inspirer de ces tristes faits divers, Roy au contraire en écrivait la trame avant qu'ils se concrétisent ...

Si vous n'avez jamais lu Sénécal, commencez par "Sur le seuil" : vous ne serez pas déçus. J'ajouterai qu'il a aussi écrit un curieux polar : "Les 7 Jours du Talion" où un tueur et agresseur d'enfant se voit appliquer la loi du Talion par le père de l'une de ses victimes. Très éprouvant mais fort bien mené et loin de tout sensationnalisme. ;o)

jeudi, février 10 2011

Carmilla & Autres Nouvelles - Joseph Sheridan Le Fanu ( II )

Après une nouvelle de la qualité et de la complexité de "Carmilla", le lecteur trouvera peut-être décevantes les trois autres enquêtes du Dr Hesselius. Toutes trois, à des degrés divers, sont des variations fantastiques sur l'idée de justice immanente, céleste ou infernale.

"Thé Vert" nous conte les malheurs du révérend Jennings, pasteur convaincu de la noblesse de sa charge et érudit pourvu d'une bibliothèque de soixante-mille livres. S'est-il justement plongé trop souvent et trop longtemps dans certains ouvrages qu'un ecclésiastique ne saurait consulter sans se renier un peu (il ne s'agit ici pas d'ouvrages sataniques mais tout simplement de livres scientifiques) ? Toujours est-il que, quand débute la nouvelle, le pasteur est sujet, depuis quelque temps, à des sortes de crises durant lesquelles il paraît voir ce que les autres ne voient pas. Le pire survient quand il célèbre l'office ...

Avec "Le Familier", il n'y a par contre aucune ambiguïté. Dès le début - ou presque - le lecteur comprend que le héros au destin tragique, le capitaine Barton, a accompli une très mauvaise action alors qu'il se trouvait encore aux colonies. Cette action - sur laquelle nous ne glanerons quelques maigres indices qu'à la dernière page du texte - explique en partie comment il se retrouve poursuivi, dans les rues de Londres, la nuit, par des pas fantômes ...

"Mr Justice Harbottle" est l'histoire classique du juge cruel et débauché qui finit par comparaître devant une espèce de tribunal de spectres, les esprits de ceux-là même qu'il a fait pendre dans un passé plus ou moins lointain. Parmi eux, l'époux de sa gouvernante-maîtresse ...

On ne peut qu'admirer l'art subtil avec lequel Sheridan Le Fanu met tout cela en scène, créant peu à peu une atmosphère étouffante, inquiétante à souhait, et réservant toujours, non sans ironie, à son lecteur sceptique, la possibilité d'une explication logique. Ainsi, dans le cas du juge Harbottle, serait-on en droit de penser que les douleurs intolérables suscitées par sa goutte l'ont finalement poussé au suicide. "Un si mauvais caractère, une si forte personnalité, se suicider pour cette raison ?" protesteront certains. "Ah ! mais la goutte, c'est épouvantable !" répondront les autres.

L'inconditionnel de Sheridan Le Fanu, lui, dira tout simplement : "Le Tribunal des Spectres l'avait condamné à mourir le dix mars et il est mort pendu, le dix mars." C'est une explication qui en vaut une autre et, après tout, bien que macabre, n'est-elle pas la plus poétique ? ... ;o)

Carmilla & Autres Nouvelles - Joseph Sheridan Le Fanu ( I )

Carmilla / Green Tea / The Familiar / Mr Justice Harbottle Traduction : Alain Dorémieux (Carmilla) & Elisabeth Gille

Extraits Personnages

Cette édition, sortie chez Denoël en 1960, reprend quatre des enquêtes du Dr Hesselius réunies en anglais sous le titre "In A Glass Darkly" et parues pour la première fois en 1872. On notera que l'éditeur français n'a pas retenu la cinquième enquête, "The Room In The Dragon Volant", probablement parce que, sous des apparences surnaturelles, elle présentait en fait une histoire tout ce qu'il y a de plus policière.

C'est à "Carmilla" que Denoël a réservé la première place dans ce recueil, non pas tant en raison de la longueur du texte mais parce que, au même titre que le "Dracula" de Stoker dans le genre purement romanesque, "Carmilla" est devenu une sorte de Bible pour tout amateur de littérature vampirique. Et puis, on l'oublie facilement, "Carmilla" est un texte profondément révélateur de la sexualité des Victoriens.__

En effet, la nouvelle traite à la fois du vampirisme et du lesbianisme, forme de différence sexuelle envers laquelle les sociétés dites patriarcales ont toujours montré plus d'indulgence qu'envers l'amour entre hommes. Comme on le sait, le vampire, qui se nourrit en principe de toutes les proies qu'il rencontre, femmes et hommes, est en général tenu pour bisexuel. On ne le clame pas sur les toits - et surtout pas les auteurs du XIXème siècle - mais enfin, c'est acquis. Dans "Dracula", la chose est élégamment implicite, Bram Stoker préférant ne pas s'appesantir sur les démêlés de Jonathan Harker avec le comte, et encore moins sur le traitement que celui-ci réserve à l'équipage exclusivement masculin du "Demeter." Dans "Carmilla", Sheridan Le Fanu, bien à l'abri derrière le bouclier d'un saphisme aristocratique mais pourtant bien présent, va plus loin que son compatriote et nous dit tout tranquillement que la vampire ne s'intéresse qu'aux femmes. Paraît-elle dans un bal, elle ne voit que les jeunes filles les plus jolies, jusqu'au moment où elle fixe son choix.

A l'époque, il fallait oser et le grand succès de "Carmilla", sur l'instant et jusqu'à nos jours - même si son "père" a connu, ce me semble, une petite période de "purgatoire" littéraire - tient à ce renforcement et du caractère sexuel du vampirisme, et de sa qualité de tabou, qualité qu'il partage ici avec l'homosexualité. Et le récit continue à nous fasciner, comme il fascinait les Victoriens, parce que, en dépit de la fin morale qui est la sienne, il prône le refus des conventions, surtout sur le plan sexuel. Le Fanu a la subtilité (la ruse ?) de nous rappeler que renoncer aux tabous, c'est immanquablement prendre des risques auxquels on peut succomber. Mais il prend bien garde de faire suivre cet édifiant rappel d'une interrogation narquoise : ceux qui ne succombent pas, ceux qui, finalement, sont "sauvés", leur sort est-il, somme toute, si agréable que cela ? Retournée à sa pureté native, la jeune narratrice n'en gardera pas moins, toujours, la nostalgie de son "amie" Carmilla ...

Pour toutes ces raisons, "Carmilla", comme tant d'autres oeuvres de l'époque ("Dracula", déjà cité mais aussi "Le Cas Etrange du Dr Jekyll et de Mr Hyde", ou encore "Le Portrait de Dorian Gray") est bien plus qu'une simple nouvelle d'épouvante, menée de main de maître par un Irlandais qui possédait un sens aigu du macabre. On peut y voir au choix un texte anarchiste, ou féministe avant la lettre, ou subtilement érotique et décadent - et les plus primaires y verront sans doute un texte salace qui promet cependant plus qu'il ne tient. Ces différents niveaux de lecture ainsi que l'art de "faiseur d'épouvantes" de Sheridan Le Fanu ont contribué à faire de "Carmilla" ce qu'il restera à jamais : un archétype, une référence, un Incontournable.

mardi, juillet 27 2010

Dracula - Bram Stoker ( III )

Des éclairs qui annoncent le XXème siècle illuminent les personnages et tout particulièrement les femmes.

Après le comte, pour beaucoup de lecteurs, le personnage principal restera Mina Murray, devenue par son mariage Mina Harker. Sous son apparence de jeune victorienne bien élevée, elle dissimule un caractère ferme et puissant. Dans le duo qu'elle forme avec Jonathan, puis dans le groupe d'hommes résolus à traquer Dracula, c'est elle, le pilier, le roc, le pivot. Pour compléter son portrait, Stoker laisse - avec discrétion - deviner en elle une sensualité réelle, attirée - et éveillée en partie - par son unique rapport avec le vampire.

Le personnage de Lucy Westenra, la malheureuse jeune fille que Dracula vampirise dès son arrivée à Londres, est peut-être moins intelligente que son amie Mina. Mais son aura sexuelle, déjà perceptible avant qu'elle devienne la victime du comte, est presque insoutenable. A tel point qu'il ne serait pas déplacé de voir en ce personnage une projection des incroyables refoulements victoriens.

Parmi les héros masculins, j'ai un faible pour Van Helsing bien sûr, excentrique, excessif, profondément intelligent et dont on a parfois l'impression qu'il est tout aussi fasciné que nous par celui qu'il veut tuer, et pour Renfield, le dément qui tente en vain de protéger Mina. Les autres, eh ! bien, ils sont là pour donner la réplique. En outre, si Renfield ne fait pas mystère de son désir d'égaler "le Maître", il n'est pas exclu que Van Elsing n'abrite pas en lui un désir similaire (Enfin, ce n'est que mon opinion. ;o) ) et qu'il tente donc de détruire aussi bien Dracula que ses propres fantasmes de surpuissance - sur tous les plans, y compris sexuel.

Bref, si j'ai un conseil à vous donner, abandonnez toutes vos idées préconçues sur Dracula, l'homme, le vampire et le roman, idées qui, pour la plupart, viennent du traitement cinématographique infligé au mythe. Et plongez-vous dans ce gros volume où vous attend l'un des enfants les plus ténébreux et les plus séduisants de la littérature d'épouvante. Oui, invitez-vous chez Dracula : vous verrez, c'est un hôte qu'on n'oublie pas ;o)

Dracula - Bram Stoker ( II )

C'est cette humanité, avec ses ombres et ses lumières, qui rend le personnage du comte Dracula, tel que Stoker nous le présente, tout à fait exceptionnel et, reconnaissons-le, si attachant. Pas un seul instant, même lorsqu'il laisse parler ses instincts vampiresques, on ne parvient à oublier l'homme qu'il fut et que, quelque part, il demeure.

Et c'est à cette double composante que le roman qui porte son nom doit sans doute d'avoir traversé les ans avec autant d'aisance.

Si l'on excepte quelques pages démodées sur la nature de "pauvre-petite- chose-à-protéger-à-tous-prix" qui, selon les victoriens, était celle de la Femme, et les radotages d'usage sur les croix et autres objets bénis seuls à même de repousser les vampires en général et le comte en particulier, le style n'a pas pris une seule ride. Stoker développe en outre ici un sens extraordinaire de la description : il n'est jamais aussi bon, aussi moderne et - allons, écrivons-le, ce mot ;o) - aussi cinématographique que lorsqu'il décrit les cimetières (abandonnés ou pas), les sauvages falaises qui assistent à l'arrivée du navire transportant le vampire, les briques décrépies de l'asile d'aliénés où se morfond Renfield ou les salles poussiéreuses du château perdu des Carpathes. L'ouverture du roman, connue aussi sous le nom de "L'Invité de Dracula" et dont Lydia vous a déjà parlé, est en ce sens un vrai chef-d'oeuvre.

Avec cela, la construction du roman, qui fait alterner extraits de journaux intimes ou de bord et articles de quotidiens, est d'une précision, d'une netteté, d'une logique auxquelles on ne peut rien reprendre. Cette efficacité sans faille entraîne le lecteur de plus en plus loin, en une boucle parfaite et hypnotique qui, partie des Carpathes, y revient inexorablement.

Dracula - Bram Stoker ( I )

Dracula Traduction : Lucienne Molitor

Extraits Personnages

Connu depuis l'Antiquité, le vampire dut attendre des siècles avant d'obtenir ses lettres de noblesse littéraire. Polidori, le secrétaire malchanceux de lord Byron, en créa le premier type connu dans la littérature occidentale en la personne de lord Ruthwen, aristocrate on ne peut plus britannique qui se sert de son physique avantageux et de la fascination pré-romantique qu'il exerce sur les hommes comme sur les femmes pour se maintenir dans son état de non-mort.

Plus tard dans le siècle, Sheridan Le Fanu féminise le thème en imaginant sa Carmilla, héroïne langoureuse et meurtrière d'une longue nouvelle aux relents gorgés de soufre et de sapphisme. Plus clairement que le texte de Polidori, celui de Le Fanu a le mérite de poser le problème de l'homosexualité dans la mythologie vampirique. Nous sommes encore à l'ère victorienne : évoquer ne fût-ce que dans un souffle glacé la notion de bisexualité - pourtant traditionnelle chez tout vampire qui tient à sa survie - est hors de question.

Survient alors un second Irlandais qui va révolutionner le genre tout en lui donnant ce qu'il est habituel de considérer depuis lors comme la Bible du genre : "Dracula."

Son auteur, Bram Stoker, qui fréquente les milieux occultistes et appartient à la "Golden Dawn" (où il croisera entre autres Arthur Machen, autre prince du Fantastique et de l'Epouvante), ne se lance pas dans l'aventure à l'aveuglette. Il écume les bibliothèques, recopie des pages et des pages de documentation, rassemble tout ce qu'il peut sur ce qui a été dit et répété sur le vampirisme. Pour conférer plus de poids à son roman en gestation, il a même un trait de génie : lier son héros tout à fait imaginaire à un personnage bien réel, le prince Vlad III de Valachie, surnommé Vlad Ţepeş, l'une des plus grandes figures de la résistance aux Ottomans en Europe de l'Ouest.

Vlad l'Empaleur - c'est ce que signifie "Ţepeş" - est tout à fait le personnage de la situation : il appartenait à la haute aristocratie et nul, fût-ce parmi ses pires ennemis, ne put jamais l'accuser de lâcheté. Aussi grand stratège que grand homme d'Etat, il fit preuve d'une volonté d'acier pour reconquérir le royaume de ses ancêtres et s'y maintenir. Grand stratège et impitoyable meneur d'hommes, il était réputé pour la cruauté dont il n'hésitait jamais à faire preuve pour frapper de terreur ceux qu'il tenait pour ses adversaires. Il faut préciser que, envoyé dès ses dix ans comme otage à la cour du sultan Murad III, il passa toute son adolescence dans une cour raffinée mais extrêmement cruelle. C'est de l'Empire ottoman qu'il ramena le supplice du pal.

Un tel homme ne pouvait, tant par ses qualités que par ses défauts, aussi démesurés les unes et les autres, que marquer ses contemporains et leurs descendants. Cependant, en cette fin du XIXème siècle, Vlad III n'est toujours qu'un personnage historique. Sans en avoir probablement conscience, Stoker, en lui imaginant un "double" de papier et d'encre, va le faire accéder au vaste univers des mythes littéraires. ;o)

lundi, mars 30 2009

Histoires de Fantômes Complètes - Montagu R. James

Collected Ghost Stories Traduction : Xavier Perret, Anne Baronian, Georgette Camille, Michel Demuth, Alain Dorémieux, Odette Ferry, Françoise Martenon & Roland Stragliati, Jacques Papy, Jos Ras

S'il est très facile de se procurer l'édition anglaise des "Histoires de Fantômes complètes" de Montagu Rhodes James, en dénicher une traduction française relève de la gageure. Grâce soit donc rendue au site BDFI qui, suite à une trouvaille que j'avais faite tout à fait par hasard sur le site Price Minister, m'a confirmé que les Editions Néo avaient bel et bien tenu ce pari difficile avec tout le soin et toute le professionnalisme dont leur nom reste synonyme. Ces exemplaires "omnibus" virent cependant le jour alors que cette maison d'édition songeait à déposer les clefs, ce qui explique leur rareté.

Pour tous les amateurs de fantastique victorien et pour tous ceux qui aiment encore écouter des histoires de fantômes le soir, autour d'un feu, dans une maison humide, au milieu de vacances détrempées par la pluie, avec le bruit de la mer dans le lointain ou, mieux encore, le sombre silence touffu d'une campagne inconnue tout autour d'eux, Montagu R. James est plus qu'un incontournable : c'est une institution.

Bien loin du gore auquel nous sommes désormais habitués, l'épouvante distillée par le vieux monsieur de Cambridge méprise les effets spéciaux et l'horreur complaisamment étalée. Certes, çà et là, un souffle venu de nulle part dévoile la sauvagerie d'un rite oublié ("Coeurs Perdus"), une porte qui n'existe pas laisse passer une main parcheminée aux longs ongles jaunis qui tente de kidnapper l'un des protagonistes ("La Chambre N° 13"), les gravures d'un tombeau révèlent une espèce de tentacule pré-lovecraftien ("Le Comte Magnus") et un trio de cadavres ambulants s'en prend à un jeune scout ("Le Puits des Lamentations") ... Mais ce sont là des excès bien rares.

Tout l'art, et l'on peut même écrire tout le génie, de Montagu R. James, est dans la suggestion, non dans l'apparition. En fait, on ne distingue jamais réellement les spectres et les monstres qu'il anime ou alors on ne retient d'eux qu'un détail. Détail si cru, si troublant et porteur d'une telle charge de peur qu'on ne peut plus rien voir d'autre - et peut-être est-ce mieux ainsi.

De même, on connaît rarement leur histoire, rien que des bribes qui ressemblent à des lambeaux de suaire ou de chair. Dans le meilleur des cas, des érudits les ont rassemblées dans d'antiques ouvrages à l'usage, très souvent, des seuls chercheurs ou passionnés. Dans le pire, dont le stressant "Mezzo-Tinto" ou encore "La Maison de Poupées hantée" constituent de parfaits exemples, le lecteur apprendra vaguement que ... et en sera réduit à supposer encore plus vaguement que ...

Car la certitude tue la Peur alors que l'Incertitude, le Rêve, l'Imagination - et la Frustration - l'entretiennent.

Avec Montagu R. James, tout commence toujours très tranquillement, le soleil brille, les petits oiseaux chantent, les universitaires s'affairent, la maison de maître est belle et rassurante, les jardins sont impeccablement anglais, les bibliothèques sont profondes et rassurantes, le style a tout d'un parfait gentleman et rien ne saurait troubler ce bel équilibre assurément voulu par Dieu.

Et puis ...

Et puis, avec Montagu R. James, les nuages commencent à se jouer du soleil, quelque chose se détraque dans le chant des oiseaux, un docte professeur a le tort de partir tout seul à l'aventure, la maison se peuple d'ombres et de soupirs, les bibliothèques révèlent des informations déroutantes, voire démoniaques, le style se confond avec le son de votre coeur qui bat de plus en plus vite sous l'angoisse qui monte, qui monte ...

... pendant que l'Epouvante vous investit tout entier.

Une épouvante qu'admirait et respectait Howard Phillips Lovecraft, ce n'est pas n'importe quelle épouvante. Vérifiez par vous-même : lisez Montagu Rhodes James. ;o)

vendredi, mars 20 2009

Epouvante & Surnaturel en Littérature - Howard Phillips Lovecraft

Supernatural Horror in Literature Traduction : Bernard Da Costa

En dépit d'une traduction qui accumule coquilles et maladresses - on dirait que le traducteur ne s'est pas relu - cet essai du Solitaire de Providence, dédié à cette raison de vivre que fut pour lui la littérature fantastique, constitue un incontournable pour tous ceux qui, comme son auteur, s'intéressent de près ou de loin au genre du fantastique et de l'épouvante. C'est aussi une mine de renseignements des plus précieuses sur les goûts personnels de Lovecraft et sur les textes qui contribuèrent à forger son imaginaire.

Lovecraft nous ayant quittés en 1937, cet ouvrage évoque surtout les "pères fondateurs" du genre fantastique. On notera au passage que l'auteur américain, en y faisant la part belle aux Européens, nous prouve une fois de plus la grande érudition qui fut la sienne.

Bien loin de mépriser le roman gothique|fr], Lovecraft rend hommage à Horace Walpole et à son "Château d'Otrante" et, bien sûr, à Ann Radcliffe. Pour lui, "Les Hauts de Hurlevent", unique roman d'Emily Brontë, représente également un moment très fort, quoique atypique, du gothique, et, comme tout lecteur de ce livre exceptionnel, il est frappé par la pensée ouverte, moderne et iconoclaste qui caractérise l'univers fantasmatique de la fille du pasteur de Haworth.

Envers Poe, il fait montre du respect et de la tendresse que tout adorateur du Fantastique se doit de porter au grand et malheureux auteur de "La Chute de la Maison Usher" mais c'est aux auteurs anglo-saxons et anglo-celtes qu'il réserve l'essentiel de son admiration.

__Deux auteurs semblent avoir marqué tout particulièrement le futur créateur de Chthulu : le Gallois Arthur Machen et le très britannique Montagu R. James.

Machen est l'auteur de l'un des plus puissants textes d'épouvante qui soit : "Le Grand Dieu Pan." Lovecraft nous en décrit l'intrigue en long et en large et il n'y a pas un seul paragraphe de cette analyse qui ne révèle la fascination qu'il éprouve devant l'imaginaire mais aussi la maîtrise technique de Machen. Idem pour Montagu R. James et son "Comte Magnus", sur lesquels se clôt cet essai trop court mais qui révèle au lecteur un détail assez curieux : Lovecraft, qui a façonné tant d'entités monstrueuses et protéiformes, qui a créé toute une cosmogonie à leur échelle, qui les a dépeintes avec une abondance d'horreurs en tous genres, Lovecraft semble avoir préféré, dans ses lectures personnelles, des auteurs au génie moins démonstratif et presque tranquille.

Pas plus qu'Arthur Machen en effet, Montagu R. James ne forçait le trait. Dans leurs nouvelles et romans, tout est simple, net, sans exagération et quasi naturel. Machen certes fait lui aussi référence à des divinités oubliées mais celles-ci nous demeurent familières en ce sens qu'elles sont presque toutes liées à nos vieux mythes gréco-romains et, dans les pires des cas, aux mythes sumériens. James, lui, se borne à imaginer des choses "très anciennes" mais sans plus de précision.

Et pourtant, la chose est criante pour tous ceux qui ont lu aussi bien Machen et M. R. James d'une part que Lovecraft d'autre part, les créatures imaginées par les deux premiers sont les ancêtres directs de celles que le troisième appellera plus tard à la vie.

Donc, si vous voulez en savoir un peu plus sur l'oeuvre des parrains de HPL, procurez-vous "Epouvante & Surnaturel en Littérature." Et conservez-le dans votre bibliothèque en le complétant par l'"Anatomie de l'Horreur" de Stephen King. Ce sont là deux Bibles que je vous recommande. ;o)

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