Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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Tag - Graham Masterton

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mercredi, février 22 2012

Sang Impur - Graham Masterton

Flesh & Blood Traduction : Patrick Duvic

Extraits Personnages

Voici l'un des romans les plus ambitieux de Masterton. Il s'articule sur trois thèmes :

1) les excès (calculateurs) de l'Homme dans son désir d'asservir la Nature ;

2) les excès (calculateurs) de l'Homme dans sa volonté d'asservir sa propre espèce ;

3) les excès (calculateurs) de la Politique et des politiciens.

De leçon de morale, il n'y en a pas : au lecteur de se faire son opinion personnelle. Cynique, la chute finale nous rappelle simplement que, une fois mises en branle certaines mécaniques, il devient très difficile, voire impossible, de les arrêter.

L'ample et ténébreux manteau du genre épouvante recouvre tout cela et nous permet de lire en parallèle une histoire fantastique puisée cette fois aux sources du folklore rural des pays de l'Est et tout particulièrement de ce qui était encore, à l'époque de la parution du livre, la Tchécoslovaquie. Janek-le-Vert, entité maléfique à l'oeuvre dans "Sang Impur", sort-il vraiment du folklore tchèque ou n'est-il qu'une invention de l'auteur, on ne le saura jamais très bien, à moins que Masterton ne vienne nous le dire en personne. Mais ce personnage descend sans équivoque possible de l'Homme vert dont on retrouve la trace, dans l'art et dans les textes, jusqu'en Inde.

Entité masculine qui garantissait les récoltes abondantes, l'Homme vert exigeait qu'on lui sacrifiât un ou plusieurs humains en échange de ses bienfaits. Thomas Tryon en a donné sa vision personnelle dans "La Fête du Maïs", une vision elle aussi assez gore. Masterton pour sa part lui invente un rejeton, Terence Pearson, qui, au lieu d'attendre sa visite - dont il sait qu'elle sera mortelle aussi bien pour lui que pour ses propres enfants - entre en rébellion et cherche ouvertement à priver son étrange géniteur des sacrifices qui le maintiendraient en vie. Le résultat est, ma foi, tout aussi sanglant mais, pour peu qu'on s'intéresse à Freud, on comprend l'enrichissement du thème.''

Face à Janek-le-Vert, ancien humain à part entière, jadis sacrifié à la Nature afin que celle-ci bénisse les récoltes de ses voisins, Captain Black. Captain Black est un porc, propriété d'un laboratoire spécialisé dans des expériences visant - bien entendu - à améliorer notre santé à tous. Leur dernière idée ? Transplanter une infime partie d'un cerveau humain encore vierge - celui d'un jeune enfant - dans le crâne du malheureux porc et greffer cette parcelle sur le cerveau du malheureux porc. On le rendrait ainsi plus "humain" (sic).

Entre les deux, une bande de politicards assoiffés de pouvoir, qui prônent par pur arrivisme l'interdiction de la viande et l'instauration de menus végétariens pour tous. Pour compliquer encore les choses, il faut ajouter à tout cela une petite bande de militants résolus, prêts à tout pour délivrer les animaux enfermés dans les locaux du laboratoire - y compris et surtout Captain Black.

Scènes gore (accrochez-vous, ça démarre très fort), variation remarquable sur un mythe rural aussi vieux que l'Humanité, personnages principaux plus complexes que la moyenne, récit travaillé, rythme enlevé malgré quelques petites longueurs, et enfin des questions qui ne peuvent que nous interpeller, voilà ce que recèle en ses pages "Sang Impur", un roman un peu différent de ce que nous offre d'habitude Masterton mais qui n'en demeure pas moins l'un de ses meilleurs. ;o)

mardi, février 21 2012

Hel - Graham Masterton

Sleepless Traduction : Patrice Duvic

Extraits Personnages

Lorsqu'il choisit de travailler sur les phénomènes de hantise, Graham Masterton fait très souvent preuve d'un brio magistral. Dans "Hel" (dont le titre original, "Sans Repos", parlera plus au lecteur), la hantise ne concerne pas tant les lieux que les personnes, deux soeurs, Elizabeth et Laura, encore fillettes lorsque débute l'histoire, en 1940. Leur père, éditeur new-yorkais au profil un peu atypique (il n'édite pas toujours ce qui rapporte le plus, simplement ce qu'il aime ou ce en quoi il croit), a choisi de quitter la Grosse Pomme pour s'établir dans une grande demeure un peu vieillotte, au fond de la campagne américaine. Sa femme, Margaret, perdue dans ses souvenirs d'une gloire cinématographique plus qu'éphémère, l'y a suivi sans grand enthousiasme. Heureusement, pour la dérider, elle a Peggy, sa petite dernière, sa préférée.

On comprend le choc éprouvée par la malheureuse quand sa petite Peggy, dont le conte favori était "La Reine des Neiges", d'Andersen, meurt stupidement, un jour d'hiver, après avoir tenté de marcher sur la glace qui recouvrait la piscine ...

A partir de là, le drame s'installe, lent, insidieux, superbement mis en scène par un Masterton au sommet. Margaret sombre dans une dépression grave, son mari essaie de ne pas couler mais c'est difficile car il se reproche de n'avoir pas vidé la piscine cet automne-là, comme sa femme le lui avait demandé. Quant à Elizabeth et Laura, elles ont parfois l'impression que Peggy n'est pas morte. Et au fur et à mesure qu'elles grandissent, elles vont en acquérir les preuves sanglantes ...

Peggy n'est pas un spectre hostile. Dans la dimension où elle semble bloquée, elle a gardé pour héroïne la petite Gerda du conte danois et, en conséquence, n'agit que pour protéger ses soeurs. Toute insulte, tout acte malveillant à leur égard est immédiatement puni, soit par une correction sévère (ce sera le cas pour Margo Rossi, supérieure hiérarchique d'Elizabeth, et pour Tante Beverley, amie de la famille chargée de veiller sur Laura, partie à Hollywood), soit par la mort (Dick Bracewaite et beaucoup d'autres).

Avec les années, Peggy devient, semble-t-il, de plus en plus puissante, et, derrière elle, se profile de plus en plus nettement une silhouette noire et gigantesque, Hel, la fille de Loki, le dieu du Mal de la mythologie scandinave.

Rythme efficace, atmosphère d'abord intrigante - on n'y croit pas tout de suite, on se dit que Peggy est morte, qu'une toute petite fille ne va pas revenir hanter les siens - puis de plus en plus lourde et glauque, personnages fouillés, absence totale de clichés, "Hel" est l'un des meilleurs romans de Masterton. Et la certitude demeure au fil des relectures. Comme dans "Walhalla", l'Ecossais a pris une idée aussi vieille que le monde pour en décliner sa vision personnelle : une vision originale et d'une exceptionnelle qualité technique - ce qui ne gâte rien.

Les Puits de l'Enfer - Graham Masterton

The Wells of Hell Traduction : François Truchaud

Extraits Personnages

L'un des thèmes préférés du grand Lovecraft, qu'il a traité sous diverses formes et, de manière à notre avis magnifique et exemplaire dans "La Couleur Tombée du Ciel", était la contamination des humains par une entité venue des étoiles. Dans "Les Puits de l'Enfer", Masterton reprend l'idée mais l'adapte à sa propre nature d'écrivain - et aussi à notre siècle. Lovecraft, en effet, évoque rarement la science dans ses nouvelles. Une certaine forme de mathématiques, oui, dans "Par delà le Mur du Sommeil" ou "Les Rêves dans la Maison de la Sorcière", et la biologie et la chimie dans des nouvelles assez "classiques" comme "Herbert West, le Réanimateur", voire dans "L'Affaire Charles-Dexter Ward." Le Solitaire de Providence était avant tout un poète et un rêveur qui adorait les cauchemars : l'aspect réaliste des sciences ne le séduisait pas.

Masterton, lui, sans être un fanatique des expériences menées par des savants brillants mais complètement fous, vit plus avec son temps. Il n'y a qu'à songer, par exemple, à la base de "Sang Impur" pour le constater. Dans "Les Puits de l'Enfer", il imagine une contamination extra-terrestre par infiltration dans l'eau des puits d'une communauté. Au risque de décevoir les fans de John Carpenter qui, devant ces lignes, pourraient imaginer (avec délices) un village entier de zombis contaminés , je rassure tout de suite les âmes sensibles : seules trois personnes le seront effectivement. Une quatrième mourra avant de l'être complètement.

En outre, Masterton laisse planer un doute sur la nature de la créature responsable de la contamination : animal dont l'espèce aurait disparu il y a des millions et des millions d'années et dont un spécimen serait parvenu à survivre, endormi dans les roches ? animal d'origine terrestre, même s'il était largement antérieur aux dinosaures ? ou animal-entité extra-terrestre qui aurait engendré certaines légendes - dont le mythe de Chtulhu si cher à Lovecraft ? ... Bon, c'est vrai, vu ce que cet être est capable de provoquer, fût-ce à distance, on penche plutôt vers l'entité extra-terrestre malveillante. Mais que voulez-vous, c'est la loi du genre.

Comme souvent chez l'auteur, le récit est à la première personne. Le narrateur, Mason Perkins, plombier de son état, se promène toujours avec son chat roux, Shelley. (Non, il n'arrive rien au chat.) Les personnages sont, dans l'ensemble, depuis la laborantine dont est amoureux Perkins jusqu'aux fermiers contaminés, assez peu conventionnels et cela ajoute au charme de ce roman qu'on lit sans déplaisir mais aussi, peut-être, sans passion. Un bon moment de lecture mais pas un grand.

lundi, février 20 2012

Le Démon des Morts - Graham Masterton

The Pariah Traduction : François Truchaud

Extraits Personnages

On retrouve ici un Masterton en très, très grande forme. Comme toile de fond, un petit village américain de la Côte est, Granitehead, non loin de Salem. Comme personnages, le vent, la pluie, le brouillard et tout une flopée de gens qui ont perdu des êtres chers. Parmi eux, le narrateur, John Trenton, qui ne s'est pas encore tout-à-fait remis du décès de sa femme, morte, avec le bébé qu'elle attendait, dans un terrible accident de voiture. La preuve : de plus en plus souvent la nuit, dans la maison qu'il trouve désormais trop grande et bien solitaire, John croit entendre crisser les chaînes de la balançoire alors que, comme il le vérifie, il n'y a personne dans le jardin ...

Jusqu'au jour où, bien évidemment, il aperçoit sa femme, entourée d'une lueur bleue, se balançant mollement sous la pluie et le vent ...

Tel est le début d'une intrigue envoûtante à laquelle on pardonnera facilement ses quelques maladresses et redites./b Au centre, bun dieu aztèque, Mictantecutli, le "Démon des Morts", qui, selon un codex d'époque, dominait tous les autres dieux. Il était toujours représenté avec un hibou, un cadavre et un plateau contenant des coeurs humains. Quand il s'incarnait, il prenait la forme d'un squelette gigantesque dont les os étaient faits d'autant de petits squelettes grimaçants. Mictantecutli était craint et redouté de tous, y compris dans le Panthéon aztèque, ce qui, si l'on pense au caractère plutôt agressif des entités mixas en général, est plutôt de très mauvais augure ...

Mais comment le dieu, très redouté, d'une civilisation disparue au début du XVIème siècle, se retrouve-t-il à hanter les cadavres de paisibles Américains sans histoires, à la toute fin du XXème siècle ? C'est là que Masterton donne le meilleur de son talent - qui est grand, très grand, et touche parfois au génie. Son histoire tient la route et si les personnages paraissent peut-être un peu stéréotypés - la belle-mère trop mondaine qui déteste son gendre, l'érudit héritier d'une antique famille vivant en hermite dans sa propriété et s'y livrant à des expériences étranges, deux ou trois réincarnations de sorcières de Salem par exemple - le roman dégage l'une de ces atmosphères pesantes et magiques qui sont la marque des bons livres d'épouvante.

Est-ce pour autant une oeuvre majeure dans la carrière de Masterton ? Non Mais il lui manque très peu pour accéder à la catégorie de "Hel" ou du "Portrait du Mal." Mais assez de bavardages : courez lire "Le Démon des Morts" et revenez donc nous donner votre avis.

La Vengeance de Manitou - Graham Masterton

Revenge of the Manitou Traduction : François Truchaud

Extraits Personnages

Autant j'avais aimé le premier tome de la série "Manitou", qui apporta d'ailleurs le succès à son auteur, autant j'ai beaucoup moins apprécié ce second opus. On y sent trop l'écrivain pressé par son éditeur et qui, pour boucler à temps, mélange quelques bonnes idées à des clichés indignes de lui.

Le Manitou (de son vrai nom Misquamacus) qui avait déjà tenté de s'incarner pour se venger - et venger toute la nation indienne, qui ne lui demandait pourtant rien - de l'oppression des Blancs, revient ici dans une armoire achetée pour trois fois rien par Neil Fenner. L'armoire meuble la chambre du petit garçon de Neil, Toby, une dizaine d'années à peu près. Et, au bout de quelque temps, il commence à se passer des choses, dans cette armoire : une voix désincarnée supplie un certain "Allen" d'aller chercher du renfort ... Pour parachever le tout, bientôt, le jeune Neil semble possédé par l'esprit de Misquamacus, qui s'exprime par sa bouche.

Mais le pire, c'est que, dans la classe de Toby, placée sous la férule de Mme Novato (la malheureuse connaîtra une fin atroce), tous les enfants font des cauchemars similaires mettant en scène des Indiens et des Blancs dans une embuscade particulièrement sanglante. Neil, qui n'en peut plus de voir son fils dans cet état et que tout le monde, y compris sa propre épouse, prend pour un père qui a des hallucinations, décide de mener sa propre enquête.

De fil en aiguille, il apprend qu'il serait le descendant direct du fameux Allen que suppliait la voix spectrale, dans l'armoire. Masterton suggère - très légèrement - que Allen aurait eu une part de sang indien. Par contre, ce qui est sûr, c'est que cet homme a toujours joué double jeu, changeant de camp en fonction de son profit personnel. Le responsable de l'embuscade vue en rêve par les enfants, c'est lui : il avait trahi une trentaine de colons, leurs femmes et leurs enfants, pour les mener droit dans un traquenard où ils furent massacrés par les Indiens ...

L'ensemble est non pas incohérent mais très brouillon. Cà et là, des passages étranges et même choquants dans lesquels Masterton, Celte bon teint - cet Ecossais vit depuis de longues années en Irlande - par la voix de Neil et du vieil ennemi de Misquamacus, Harry Erskine, trompette à tous vents la supériorité des Blancs sur les Indiens : si ceux-ci ont été vaincus par l'envahisseur blanc, c'est parce qu'ils étaient moins volontaires, moins braves (!!!), moins intelligents, etc ... Dans une petite phrase, toute perdue au milieu de ce pathos pseudo-américanouillard, il s'arrange tout de même pour préciser que l'avidité des Blancs dépassait, et de très loin, celle des Indiens. Mais enfin, cela, je le répète, ne concerne qu'une seule phrase et risque de passer inaperçu pour le lecteur moyen, surtout désireux de parvenir à la fin de l'intrigue fantastique.__

Masterton reprend le thème lovecraftien des Anciens dieux, que Misquamacus souhaite appeler des étoiles afin qu'ils massacrent tout ce qui n'est pas indien. Mais il le fait plus gauchement qu'à l'habitude : ce n'est pas un hommage, tout juste une tentative d'adaptation. Je le répète, "Revenge of the Manitou" laisse une impression décevante : l'auteur n'est visiblement pas inspiré et l'on peut voir ici un ouvrage de commande - une oeuvre mineure qu'on gagnera à oublier.