Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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Tag - polar

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lundi, août 13 2012

Le Chanteur - Cathi Unsworth (Grande-Bretagne)

Le Chanteur Traduction : Katherine Lalechère

ISBN : 9782743623401

Extraits Personnages

Sur son blog Actu-du-Noir, JM Laherrère en disait le plus grand bien et je n'ai pas été déçue. C'est un livre qu'on ne lâche pas tant qu'on n'a pas obtenu le fin mot de l'histoire.

Le découpage alterne deux époques : la contemporaine, qui se déroule tout de même il y a près de dix ans, et le XXème siècle finissant, la toute fin des années soixante-dix, submergée par la vague punk. Il est clair que "Le Chanteur" constitue aussi un hommage aussi vibrant que nostalgique à une époque où la musique n'était pas encore formatée et où des artistes véritablement créatifs - qu'on aime ou pas leurs créations est ici secondaire - pouvaient parvenir à se faire un nom en dehors des médias comme la radio et surtout la télévision. Cette époque est également, sans nul doute, celle de la jeunesse de l'auteur et il est humain d'avoir un faible pour les années où l'on croyait encore que la musique pouvait changer les choses.

Unsworth nous raconte donc la grandeur et la décadence du groupe "Blood Truth", tout d'abord sa formation, puis son apparition fracassante sur la scène punk, le mariage de son chanteur charismatique, Vincent Smith, avec Sylvana, chanteuse tout aussi charismatique du groupe "Mood Violet", puis la disparition brutale de Smith après le décès de son épouse, décès comme il se doit dû à une overdose d'héroïne.

La période contemporaine est illustrée par Eddie Bracknell, un journaliste qui s'est pris au jeu d'écrire la biographie du groupe aussi extraordinaire qu'éphémère que fut "Blood Truth". Comme tant d'autres, Eddie, ayant visionné avec son ami Gavin - lequel a bien connu tous les membres du groupe - une vieille vidéo retraçant l'un des concerts du groupe, est désormais fasciné. La disparition de Smith, une disparition quasi absolue, tout à fait comme s'il s'était volatilisé (ou comme si on l'avait assassiné), titille ses instincts d'enquêteur. Certes, il espère bien que la biographie aura du succès et lui permettra de faire enfin ses preuves dans le milieu mais on ne peut nier qu'il est sincère et que, bavant toute chose, il veut savoir.__

Eh ! bien, il finira par savoir ...

Le passé, lui, est transcrit à la troisième personne, une façon peut-être pour l'auteur de conserver du recul envers cette période qu'elle a tant aimée.

Quelle que soit l'époque évoquée, le style est vif, sans recherches particulières, presque masculin à certains moments. Sous les excès de l'idéologie anarcho-libertaire des punks, pointe la nostalgie infinie de la jeunesse, de ce que l'on fut et de ce que l'on n'est plus, celle aussi de tous ces espoirs déçus, qu'on n'a pas pu ou su réaliser sans doute parce que l'on pensait qu'on avait bien le temps.

Bien sûr, si vous vous évanouissez encore en tombant sur Johnny Lydon - pardon, Johnny Rotten - au détour de quelque vidéo sur YouTube ou DailyMotion, si, pour vous, les Sex Pistols n'ont jamais fait que brailler et éructer pour le seul plaisir de choquer, si vous n'avez pas eu un gros coup de blues en apprenant la mort de Joe Strummer b(ah ! The Clash ! ... ) et si vous considérez les gothiques - issus des punks - comme des fous dangereux bons à interner, mieux vaut pour vous ne pas lire ce livre.__

Mais si vous n'avez aucun a priori musical et si vous aimez les bons polars, avec des personnages bien noirs - il y en a deux qui le sont vraiment dans cette histoire et non, je ne vous dirai pas lesquels - alors, lisez "Le Chanteur" de Cathi Unsworth. Vous ne devriez pas le regretter.

mardi, juillet 31 2012

Toxic Blues - Ken Buren (République d'Irlande)

The Killing of the Tinkers Traduction : Catherine Cheval & Marie Ploux

Extraits Personnages

Pour tenter d'oublier une énième déception amoureuse, Jack Taylor, Irlandais pur-sang, a eu l'idée suicidaire de monter se noyer dans le grand bain londonien. Il n'a - évidemment - pas pu se dénicher l'appartement qu'il souhaitait à Bayswater, a dû, à la place, s'accommoder d'un studio minable et, finalement, s'est résolu à regagner son Galway natal. L'accueil est unanime - c'est la phrase traditionnelle pour les brebis qui rentrent au bercail : "Tu es revenu." Car contrairement à ce qu'affirme le grand Thomas C. Wolfe en exergue du roman ("Vous ne pouvez pas revenir."), en Irlande en tous cas, on peut.

Compte tenu de l'éclectisme pour le moins prononcé des connaissances de Jack, Bruen consacre quelques uns des premiers chapitres à nous suggérer avec malice les diverses intonations de ce "Tu es revenu !", à commencer par le classique et très catho : "Jésus ! Marie ! Joseph ! Regardez qui c'est qu'est revenu !"

Oui, Jack Taylor est revenu et reprend ses vieilles habitudes, à savoir chercher les embrouilles et écluser un maximum. Nouveauté issue de l'expérience londonienne : il aime bien désormais se faire un ou deux petits rails pour se remettre les idées en place.

Aurons-nous, cette fois-ci, une véritable intrigue policière ? Eh ! bien, contrairement à ce qu'il se passait dans "Delirium Tremens", c'est oui : le titre anglais le révèle d'ailleurs en toutes lettres. En fait, Taylor est embauché par Sweeper, un tinker, afin d'élucider une histoire de meurtres dans la communauté.Il faut savoir que les tinkers sont des nomades spécifiquement irlandais, qui se sont mis à vaguer de-ci, de-là, à l'époque de la Grande Famine du milieu du XIXème. Ils n'ont aucun lien de parenté avec les roms, gitans, manouches et autre bohémiens. Ils n'en sont pas plus aimés par la population sédentaire qui, comme partout en ce monde, voit d'un oeil suspicieux ces gens désormais incapables de s'attacher à une terre qu'on leur a jadis volée et qui se sont vus contraints de s'adapter à un monde qui les livrait sans pitié à la grande main crochue de la Faim.

Et une fois de plus, à l'instar de tant de ses confrères du polar international, Taylor va se tromper d'assassin. Ce qui vaudra au malheureux une fin atroce. A peine aura-t-il réalisé sa terrible erreur, que Taylor met un contrat sur le véritable meurtrier. Mais cela rétablit à peine l'équilibre et on peut craindre à juste titre l'état dans lequel on va le retrouver dans le troisième tome de la série, "Le Martyre des Magadalènes."

Une fois encore, Ken Bruen nous donne un polar d'ambiance : un mélange de glauque et de noir, des moments de franche hilarité qui basculent sans prévenir dans l'absence d'espoir, la souffrance conjuguée sur tous les tons (celle de Jack, qui a fait de lui, dès l'enfance, un écorché vif mais aussi celle de ses amis Jeff et Cathy qui viennent d'avoir un adorable petit bébé malheureusement atteint de trisomie 21), de la violence là encore à toutes les sauces, de la plus légère à la plus grumeleuse, des personnages corsés et dont la majorité reviennent pour le deuxième acte et des dialogues toujours aussi incroyables. Sans oublier la poésie - parfaitement, la poésie ! - et le défilé des auteurs, souvent inconnus du lecteur francophone, qui sont les favoris de Jack.

C'est sûr : ça ne plaira pas à tout le monde. Mais ce n'est pas grave : Jack Taylor détesterait l'idée que le premier venu puisse l'aimer.

Juillet de Sang - Joe R. Lansdale (USA)

Cold in July Traduction : Claro

Extraits Personnages

Que peut-il y avoir de pire que d'apprendre que son fils, cambrioleur sans envergure, s'est fait abattre d'une balle en pleine tête par le propriétaire de la maison dans laquelle il s'était introduit, de nuit et armé, pour commettre son forfait ?

Rien, pense-t-on presque tout de suite. Surtout que, ayant assisté à la scène - c'est celle qui ouvre le roman, eh ! oui, ce Lansdale-là démarre fort - le lecteur sait pertinemment que Richard Dane (celui qui a tiré) se trouvait en état de légitime défense, son cambrioleur ayant tenté de le trucider avant que lui-même ne trouve le courage de presser la détente de son .38.

Eh ! bien, si vous continuez la lecture de ce polar nerveux, où seul un humour déjanté permet de supporter une réalité plutôt crade, vous vous apercevrez que si, il y a quelque chose de pire. De bien pire.

Comme toujours chez Lansdale, qui a retenu toutes les règles des "grands" du roman noir, l'intrigue, sanglante et bien tordue, se double d'une réflexion personnelle. Sur la violence certes mais aussi sur l'hérédité, l'acquis et l'inné, et bien entendu sur les mille et un coups que le Destin passe votre vie à vous envoyer dans le foie - là où ça fait le plus mal, paraît-il. Sans oublier les interrogations sur la justice et son application dans certains cas.

Le style est simple, plus simple, plus direct, plus percutant que dans les polars classiques de l'auteur du style "Les Marécages" ou "Du Sang dans La Sciure." Le principe du narrateur unique est conservé mais ici, pas question d'évoquer l'enfance ou l'adolescence, moins encore un paradis perdu. Les personnages sont très typés - certains jugeront qu'ils font cliché - et si l'on devine en eux une certaine complexité, Lansdale ne s'y attarde pas : Richard Dane (le narrateur) est l'Américain moyen, honnête et sincère, qui respecte la Loi sauf lorsque celle-ci le prend pour un imbécile ; Freddy Russell (le père) est un vieux délinquant qui aurait certainement pu faire mieux dans sa vie s'il s'était posé dans sa jeunesse autant de questions qu'il s'en pose aujourd'hui ; quant à Jim Bob Luke, c'est une belle figure de privé atypique, à la fois tonitruant et discret, cynique et humaniste, et surtout très, très efficace.

Pour les méchants ... Je ne peux pas vous en dire grand chose : vous connaîtriez alors le noeud de l'intrigue et ce n'est pas le but recherché, n'est-ce pas ? Mais on se demande tout de même comment le principal d'entre eux, celui qui surclasse tous ces cogneurs par la noirceur de ce qui lui sert d'âme, en est arrivé là. Le fait qu'il n'ait pas eu de père pour l'élever n'explique rien. Et c'est bien d'ailleurs ce que nous laisse entendre l'auteur.

"Juillet de Sang" : un bon polar, avec un maximum d'action, des répliques qui font souvent mouche et une foule de petites questions bigrement irritantes - un polar parfait pour les vacances qui arrivent.

vendredi, juillet 20 2012

Les Liens du Sang - Thomas H. Cook (USA)

The Cloud of Unknowing Traduction : Clément Baude

Extrait Personnages

Il était une fois deux enfants très bien élevés et très intelligents dont le père, lui-même esprit particulièrement brillant, sombra dans la folie. Les médecins, qui ont une étiquette pour tout, le déclarèrent schizophrène paranoïaque mais, les Services de protection de l'Enfance n'ayant pas eu vent de la chose ou s'en désintéressant complètement (ça s'est déjà vu, vous savez, et pas qu'aux Etats-Unis ), les deux petits continuèrent à vivre avec leur père. Celui-ci s'enfonça de plus en plus dans ce qui lui apportait une certaine paix, les livres, et ses enfants suivirent le mouvement.

Hélas ! Le père, "le Vieux" comme l'appelaient ses enfants, considérait avant tout les livres comme une source de travail. Ensuite seulement venait le plaisir. Et, à vrai dire, avec le Vieux, il fallait tant travailler sur les livres qu'on finissait par oublier qu'ils étaient là aussi pour faire rêver. Comme de juste, le Vieux contraignait ses enfants, tous deux doués semble-t-il d'une mémoire photographique, à mémoriser des pages entières de Shakespeare et de bien d'autres. Et quand ils les lui avaient récitées sans rater une virgule, il les interrogeait sur la signification de telle expression, sur l'idée cachée derrière les mots, et ainsi de suite ... Dans une telle optique, on en arrive rarement à s'esclaffer de bon coeur des "Joyeuses Commères de Windsor" ...

Sa fille, Diana, eut tôt fait de comprendre que la meilleure manière d'apaiser les troubles paternels était de jouer vraiment le jeu, de réciter sans se lasser et de discuter à n'en plus finir. Ce fut ainsi que, jusqu'au bout, elle assura à son père la paix terrestre.

Le fils, David, pour des raisons non explicitées par l'auteur, était mal vu de son père qui le tenait pour un incapable et, en prime, avait même tenté de le tuer. Au lieu de se rebeller, cette andouil ... pardon, ce bon fils qu'était David se coucha et fit de son mieux pour justifier les a priori paternels : il se fit une petite vie bien pépère, dans un cabinet d'avocats médiocres, dans une petite ville qui l'était tout autant, et il n'en bougea plus.

... Jusqu'à ce que le mariage de sa soeur vole en éclat après la mort de son fils unique, Jason.

Pour la jeune femme, il ne fait pas de doute que Mark, son mari dont elle s'empresse de divorcer, est responsable de cette mort. Jason avait été diagnostiqué schizophrène et le comportement de Mark à son égard n'était pas des plus chaleureux. Il était même tout disposé à placer l'enfant dans une institution spécialisée, véritable chiffon rouge sur lequel foncera toujours l'amour maternel. Diana part donc en guerre contre son ex-mari et cherche à lui faire avouer l'infanticide qu'elle lui prête.

Exposés comme ça, ces "Liens du Sang" ont l'air assez simples à comprendre. Pourtant, la seule chose que j'ai vraiment comprise au sortir de ce livre, c'est que Mark est bien l'assassin de son fils, soit qu'il l'ait laissé s'approcher de l'étang où il devait se noyer, soit qu'il lui ait carrément enfoncé la tête sous l'eau. Le personnage dégage une telle froideur qu'il en est bien capable, croyez-moi.

Mais à part ça ... Une intrigue embrouillée, un discours "off" où David, le narrateur, se parle à lui-même avant chaque chapitre (à ce propos, David est-il, lui aussi, schizophrène ?), l'hystérie qui monte chez la fille de David comme une courbe de température et sans que, au final, on comprenne pourquoi elle a adopté un tel comportement envers son père, des personnages faussement inquiétants et dans le fond peu crédibles, qui tiennent des propos ou bateau, ou outranciers et qui agissent comme si l'auteur leur indiquait une certaine direction au début de l'histoire et, en cours de route, les redirigeait vers le point opposé, aucune trace d'humour, fût-il noir, bref rien, absolument rien de ce que, jusqu'ici, j'avais eu le plaisir de découvrir chez Thomas H. Cook.

Pour moi, "Les Liens du Sang" constitue un raté de l'auteur - ou alors, il avait la brigade polyvalente sur le dos et il lui fallait écrire n'importe quelle ânerie pour la régler.

Sur La Ligne Noire - Joe R. Lansdale (USA)

A Fine Dark Line Traduction : Bernard Blanc

Extraits Personnages

Un garçon de treize ans, ayant accompli les menues taches confiées par son père, le propriétaire du drive-in local, va distraire son ennui dans la forêt voisine. En courant avec son chien, il trébuche et tombe ...

... Perdu. Ce n'est pas un cadavre cette fois-ci mais une boîte en métal toute rouillée, dont l'un des angles se régalait à l'avance, sous son tapis de feuilles, de la belle entorse dont il serait responsable.

Nous ne sommes pas dans le Missouri mais au Texas, et Stanley Mitchell n'est ni Tom Sawyer, ni Huckleberry Finn. Et pourtant, comme ceux-ci qui s'imaginaient en voir partout ou presque, Stan suppute avec ravissement les chances qui sont les siennes de voir un trésor se matérialiser dans la boîte qu'il vient de déterrer avec le plus grand soin. Rentré chez lui, il l'ouvre non sans mal et là, grosse, énorme déception : la boîte ne contient que des paquets de lettres, qui pis est enrubannées de rose, signe incontestable (en tous cas pour un garçon de treize ans), qu'elles sont l'oeuvre d'une femme amoureuse.

De fait, en approfondissant un peu sa lecture et avec l'aide de sa soeur aînée, Callie, Stan découvre que la scriptrice, qui ne signait que de l'initiale de son prénom, "M.", avait une relation semble-t-il passionnée avec un non moins énigmatique "J." Parce que, toujours pour un enfant de treize ans et dans une petite ville tranquille de l'Amérique profonde dans les années cinquante, "J." de son côté ne peut appartenir qu'au sexe prétendu fort. D'ailleurs, çà et là, "M." parle de la nécessité de faire face à une grossesse. Si ce n'est pas une preuve, ça ...

Mais enfin, grossesse ou pas, c'est tout de même bateau comme histoire. Et puis, après tout, ces gens-là doivent être vieux, maintenant ...

Mais voilà que diverses coïncidences amènent le frère et la soeur à faire le lien entre les lettres et l'assassinat de Margret, une jeune fille dont le cadavre a été retrouvé décapité, près de trente ans plus tôt, près de la vieille voie ferrée. Margret ... "M." ... Le plus inquiétant, c'est que, la même nuit, la jeune Jewel Ellen Stilwind, fille cadette de l'homme le plus important de la ville, mourait dans dans l'incendie de la maison familiale. Les pompiers n'ont retrouvé d'elle qu'un cadavre calciné, attaché aux restes de son lit. Jewel ... "J." ... Et deux crimes en une seule nuit ... Voilà de quoi donner à réfléchir.

Avec une patience de limier et l'aide bienvenue de Buster, le projectionniste du drive-in, un vieux Noir métissé de sang indien, Stan finira par obtenir le fin mot de l'histoire. Ce faisant, il gagnera en maturité et découvrira que l'âge adulte recouvre trop souvent des secrets innommables et des actes peu glorieux. Il perdra aussi - ou plutôt croira avoir perdu - son vieil ami Richard - l'un des personnages les plus touchants du roman - et, évidemment, il s'en fera au moins deux autres.

"Sur la Ligne Noire" est l'un de ces polars qui se doublent d'un voyage initiatique et aussi d'une critique sociale. Car, contrairement à ce que peuvent en penser certains, cette critique existe mais il faut bien se dire que, dans les années cinquante, une ville comme Dewmont recelait certainement beaucoup plus de Noirs comme Rosy Mae, la nouvelle femme de ménage des Mitchell, et Buster, que des activistes du style Malcolm X. De même, tous les Blancs ne se mettaient pas en chemise de nuit pour promener la nuit des croix de flammes et lyncher des malheureux qui n'avaient pas eu la "chance" de naître blancs. Et certains, sans le percevoir bien nettement, sentaient bien que la ligne de démarcation entre les deux mondes commençait à frémir.

Les personnages ne sont donc pas héroïques, ils se contentent d'être moyens mais ils ne sont jamais médiocres. L'intrigue est correcte, bien menée et, en dépit du genre, largement assaisonnée d'humour. L'ensemble baigne dans cette atmosphère inimitable, tour à tour étouffante et glaciale, inquiétante et naïve, qui signale à l'aficionado la "patte" de Lansdale quand celui-ci est dans son trip classique. En un mot comme en cent, "Sur la Ligne Noire" n'est peut-être pas un chef-d'oeuvre mais ses personnages restent dans la mémoire et dans le coeur, ce qui, au final, prouve, s'il le fallait, qu'il s'agit là de l'un des meilleurs livres de son auteur.

mercredi, juillet 18 2012

Les Marécages - Joe R. Lansdale (USA)

The Bottoms Traduction : Bernard Blanc

Extraits Personnages

Roman amer et nostalgique, axé sur deux des thèmes favoris de l'auteur, le temps qui file et la jeunesse qui ne reviendra jamais plus, "Les Marécages" débute au ralenti, dans la maison de retraite où le narrateur de l'histoire, Harry, vit les dernières années qui le séparent de la Faucheuse. N'ayant plus que cela à faire et y puisant ses joies ultimes, le vieil homme se remémore le passé et avant tout sa jeunesse dans le Texas des années trente, où la ségrégation raciale régnait comme si la Guerre de Sécession n'avait jamais eu lieu et où la vie s'écoulait avec cette lenteur étrangement sereine dont le monde moderne a fini par avoir la peau.

En ce temps-là, les bois étaient plus touffus, les animaux plus féroces, les chasseurs plus rares et les "viandards", carrément des exceptions. En ce temps-là, l'herbe était plus verte, l'eau bien plus pure, les brumes des marécages bien plus glauques et l'Homme-Chèvre y courait depuis des lustres sans que personne n'eût réussi à l'approcher. En ce temps-là, les parents gardaient souvent leurs enfants à la ferme pour les faire travailler à leurs côtés et l'instituteur, résigné, faisait contre mauvaise fortune bon coeur. En ce temps-là, c'était un autre monde. Tout simplement.

A cette époque, Jacob, le père de Harry, gère sa petite ferme tout en exploitant l'unique salon de coiffure de la ville. Avec sa femme et leurs deux enfants - Harry et Thomasina, dite Tom - cet homme paisible, qui n'a pas eu la chance de suivre un bon parcours scolaire mais n'a pas pour autant renoncé à penser par soi-même, est aussi heureux qu'on peut l'être. Sauf lorsque ses obligations de constable - la petite ville n'a pas encore de sherif - le contraint à enquêter sur un meurtre.

Soyons franc : c'est, Dieu merci, assez rare. Tout d'abord et même si Jacob la regarde d'un sale oeil, la Tradition veut qu'on laisse la communauté noire régler seule les morts illégales qui endeuillent ses membres. Si un Blanc s'en prend à un Noir, même topo : on n'a rien vu, on n'a rien entendu, on n'a rien à dire - et d'ailleurs, on n'était même pas là, monsieur le constable. En ce qui concerne maintenant les accrochages musclés entre Blancs, comme le constable ne perd pas une seconde à se demander s'il doit intervenir, il est clair qu'ils finissent rarement par un crime de sang. Enfin, quand un Noir s'attaque à un Blanc - ou si on le soupçonne seulement de l'avoir fait - la loi de Lynch s'applique sans discuter : quand la Loi - la vraie - arrive à son tour, c'est trop tard.

Beaucoup trouvent ces règles non seulement très simples mais en outre excellentes. Pas le père de Harry et l'on comprend que, dans un tel contexte, il ne soit pas précisément satisfait lorsque ses propres enfants découvrent, dans les terres marécageuses jouxtant la forêt, le cadavre d'une femme. Quelqu'un l'a attachée avec du fil de fer barbelé et en plus, c'est manifestement une Noire.

Evidemment, Jacob peut fermer les yeux et se contenter de faire inhumer la malheureuse. Mais voilà, le bonhomme a une conscience et c'est heureux car, si tel n'était pas le cas, nous passerions à côté d'un polar qui se double d'une critique virulente du racisme primaire. Y sont également stigmatisés les excès auxquels l'habitude des Blancs de sexe masculin de faire des enfants d'abord à leurs esclaves, puis à leurs domestiques noires a amené la société sudiste dans son ensemble, une société aux racines aussi inextricablement mêlées que celles de ces arbres qui poussent non loin des marais - une société dans laquelle le drame peut naître d'une toute petite révélation, faite aujourd'hui par hasard, par haine ou par simple bêtise, au détour de plusieurs lustres d'ignorance.

Les personnages, Blancs, Noirs, métissés, ont de la profondeur à l'exception, sans doute, des père et fils Nation ou encore de Doc Stephenson. Si je vous dis que leur intellect brille par sa ressemblance avec une petite bille de crasse malsaine et que, de surcroît, leur coeur se situe encore plus bas sur l'échelle de l'humanité, vous conviendrez que l'auteur ne pouvait pas grand chose pour eux. Le pire est sans doute que de tels personnages existent - mais c'est ainsi.

L'intrigue ... Le trait de génie de Lansdale est peut-être de nous la faire découvrir par les yeux du gamin qu'était alors Harry, avec ses naïvetés, ses révoltes et son solide bon sens. D'un autre côté, ce choix d'un jeune garçon qui, vu son âge et son statut social - sans oublier les idées de son père - peut côtoyer avec plus de facilité le milieu des Noirs, est tout à fait logique.

L'intrigue, disais-je. Eh ! bien, un tueur en série. Qui s'en prend aux femmes. Aux Noires et à des prostituées pour commencer, puis à une métisse et enfin, il fallait s'y attendre, à une Blanche. Selon la règle numéro une du genre, dans la vie de tous les jours, il est comme vous ou moi - il est même sacrément sympathique, si vous voulez mon avis. En d'autres termes, l'intrigue tient le coup.

Pour beaucoup, "Les Marécages" constitue le chef-d'oeuvre de Joe Lansdale. Je dirai, pour ma part, que c'est l'un d'entre eux. Et qu'il y en a d'autres. De quoi réjouir n'importe quel lecteur.

vendredi, juillet 6 2012

La Maison Où Je Suis Mort Autrefois - Higashino Keigo (Japon)

Mukashi bokuga shinda ie Traduction : Makino Yutaka

Extraits Personnages

C'est un roman dont je n'ai pas pu m'arracher avant d'en connaître la fin. Il faut dire que, lorsque les Japonais font du roman noir, c'est un peu comme lorsque leurs cinéastes s'attaquent au film d'épouvante : on assiste à la naissance de quelque chose qui respecte les principaux codes du genre mais qui, en même temps, parvient à se forger une identité très personnelle.

Du roman noir, "La Maison Où Je Suis Mort Autrefois" possède les personnages meurtris, en quête d'un avenir qu'ils espèrent meilleur ou d'un passé qu'ils ont oublié mais qu'ils veulent retrouver car cela seul leur donnera la force de reprendre la route. Et ça s'arrête là : ni détective privé, ni femme fatale, pas même le moindre petit revolver. La pluie est omniprésente, une pluie lourde qui trempe absolument tout ce qui s'offre à elle. Mais elle cadre si bien avec le reste que le lecteur fait la grimace lorsque l'auteur lui annonce la percée incongrue d'un rayon de soleil. L'atmosphère est oppressante, énigmatique et la maison où se déroule l'action est aussi sombre, aussi vieille, aussi mystérieuse que possible.

Premier détail très original : la porte d'entrée ne s'ouvre pas, elle est reliée au chambranle par quatre gros boulons insérés sur des plaques. Pour entrer dans la maison, il faut tout d'abord en faire le tour et faire coulisser une sorte de plaquette qui recouvre le véritable sésame des lieux : une serrure qu'ouvre la fameuse clef à tête de lion que le père de l'héroïne lui a léguée en mourant.

Ensuite, c'est par le sous-sol qu'on pénètre dans la maison, une maison où l'électricité ne semble avoir jamais été installée et où il n'y a pas d'arrivée d'eau. Pourtant, il y a bien un réfrigérateur dans la cuisine, un modèle vieux de plus de vingt ans certes mais un réfrigérateur tout de même. Il n'est pas branché : il ne contient d'ailleurs que des boîtes de conserves périmées.

A l'étage, même silence, même poussière uniformément répartie, même vide qui semble attendre on ne sait qui, on ne sait quoi. Dans la plus grande chambre, un costume masculin accroché à un cintre comme un fantôme assoupi, une robe de femme dans l'armoire, une pelote de laine sur une chaise. Dans la chambre voisine, un lit pour enfant ou adolescent, des livres bien rangés et tous achetés d'occasion, à commencer par les livres de classe, et datant tous de plus de vingt ans.

Tout cela baignant dans la lumière étouffée de la lampe-torche que nos deux héros, Sayaka Kurahashi et son ex-petit ami, qu'elle a prié de l'accompagner dans cet étrange pèlerinage en terre inconnue, promène autour d'eux avec un effarement bien compréhensible.

Il leur faudra l'aide que leur fournit, par le biais de son journal, le jeune Yusuke, et aussi pas mal de réflexions et beaucoup d'assemblages et de désassemblages pour reconstituer la tragédie passée et l'histoire de la maison. Et une fois qu'ils y seront parvenus, seront-ils toujours les mêmes ? En tous cas, après cela, ils ne se reverront plus jamais.

Un roman qui envoûte et obsède, un roman noir d'une originalité indéniable - un roman que vous ne regretterez pas d'avoir lu.

Les Cafards - Jo Nesbø (Norvège)

Kakerlakkene Traduction : Alex Fouillet

Extraits Personnages

Lorsque qu'une prostituée retrouve son client potentiel assassiné, d'un coup de poignard dans le dos, sur le lit d'une chambre d'hôtel, à Bangkok, ce n'est qu'un crime de plus dans l'une des agglomérations les plus peuplées du monde. Mais si le client en question n'est autre que l'ambassadeur de Norvège et l'arme du crime, un poignard qui ne déparerait pas une collection, cela devient une affaire d'Etat Qu'on ne va évidemment pas ébruiter sur les toits. On cherche plutôt à la dénouer au plus vite, dans l'intérêt des plus hauts perchés et en maintenant sous le boisseau un maximum d'éléments qui ne gagneraient rien à se retrouver au grand jour.

Dans ce genre d'affaires, essentiel est le choix de l'enquêteur qu'on délègue dans le pays témoin du meurtre. Dans "Les Cafards", c'est à l'inspecteur Hole, retour de Sidney tout auréolé de la gloire d'y avoir démasqué un tueur en série aux motivations plus ou moins ethniques, que revient l'honneur de s'y coller. Il semblerait que les hauts fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères n'aient pas conscience de la similitude entre Hole lâché en pleine enquête délicate et un éléphant à qui on aurait confié la garde d'un magasin de porcelaines.

Hole accepte parce qu'il ne peut guère refuser mais il y met une condition : qu'on ne lui cache rien. Là, c'est lui qui semble ne pas réaliser que ne rien cacher du tout est, pour un diplomate, chose pratiquement impossible, voire intolérable. Cela donne lieu dans la suite du roman à quelques coups de gueule bien sentis, vociférés de Bangkok par un Hole survolté et qui en a marre, mais vraiment marre qu'on l'envoie au charbon avec un plan des mines complètement erroné.

Sur place, comme d'habitude, Harry flaire toutes les pistes, hésite et part dans la direction la plus probable qui, parce que nous sommes dans un polar, est évidemment la plus trompeuse. Il s'imagine tout d'abord, au vu de ce que contenait la mallette contenue dans le coffre de sa Mercedes de fonction, que l'ambassadeur était pédophile. Puis il comprend plus ou moins que, pour une raison qui trouve son origine dans ses dettes de jeu, Atle Molnes faisait plutôt chanter un pédophile. Ne reste plus qu'à découvrir l'identité de de dernier qui a, convenons-le, de bonnes chances de ne faire qu'un avec le mystérieux assassin.

Mais tout est-il vraiment aussi simple ? ...

Dans la chaleur étouffante de la capitale thaïlandaise, Harry Hole découvre, non sans surprise, une communauté norvégienne solidement implantée qui lui offre autant de coupables potentiels. Il y a la veuve de l'ambassadeur, Hilde, qui boit pour oublier une chose dont le lecteur n'aura vent qu'à la toute fin du livre, sa fille, Runa, à qui il manque un bras et qui n'a pas beaucoup à se forcer pour tomber dans ceux de Hole, Jens Brekke, un jeune courtier qui se définit lui-même comme "appartenant à la race des vautours" mais confesse en même temps un amour véritable pour Hilde la tragique, Ove Klipra, devenu, à force de magouilles et de pots-de-vin, le plus puissant magnat du bâtiment de Bangkok, Ivar Løken, agent secret qui, comme tout agent secret, en sait beaucoup plus qu'il ne dit, et quelques autres.

Au bureau, Hole travaille avec l'inspectrice principale Liz Crumley - père américain, mère thaï - qu'une pélagre particulièrement mauvaise a rendue chauve, et deux Thaïlandais qui, certes, ne tiennent que des rôles secondaires mais qu'on n'oublie pas : Nho et Rangsan.

En ce qui concerne les méchants, je vous laisse les découvrir par vous-mêmes car, si je vous en faisais la liste, je serais obligée de vous la faire complète et il n'y aurait plus de suspense. Si je suis parvenue à éveiller votre curiosité, mieux vaut donc lire vous-même ce second opus des enquêtes de Harry Hole qui, avec sa fin atroce et sans espoir, bien digne du roman noir, mérite lui aussi le détour.

mercredi, juillet 4 2012

L'Homme Chauve-Souris - Jo Nesbø (Norvège)

Flaggermusmannen Traduction : Elisabeth Tangen & Alexis Fouillet

Extraits Personnages

La série Harry Hole débute sous le soleil australien, à Sidney. Les supérieurs hiérarchiques de l'inspecteur ont en effet décidé de l'expédier aux Antipodes afin qu'il représente la police norvégienne dans l'enquête sur le meurtre d'Inger Holter, une jeune fille retrouvée étranglée et violée tout au bas d'une falaise. Inger travaillait dans un bar branché où fraternisent hétéros et homos de la vaste agglomération australienne. C'est là que Hole va rencontrer une autre Scandinave, la rousse Brigitta Enquist, femme qui, il ne le sait pas encore, comptera énormément pour lui. C'est là également qu'il croise pour la première fois la route d'Otto Rechtnagel, travesti et clown de son double état, personnage outrancier et pourtant authentique qui tient dans le livre l'un des rôles-clefs.

Au début, on a l'impression que l'auteur, ébloui par l'Australie, balade un peu son lecteur pour lui faire admirer ce qui l'a lui-même fasciné. Comme beaucoup d'auteurs, à commencer par Terry Pratchett dans son "Dernier Continent", l'une des aventures les plus désopilantes de Rincevent et de ses collègues, les Mages de l'Université de l'Invisible, Nesbø insiste sur le côté apparemment déjanté de la culture australienne et sur la façon bien à eux qu'ont les autochtones de restituer la langue de Shakespeare. Le lecteur est pris dans un tourbillon de couleurs éclatantes et sèches, où se meuvent des personnages incroyables - Otto par exemple mais il faut bien admettre qu'il fait profession de l'être - et résolument extravertis, rien à voir avec les silhouettes, lassées par un hiver de trop longues ténèbres, qui hantent habituellement les polars scandinaves.

Parmi eux, Andrew Kensington, inspecteur aborigène chargé de piloter Hole à travers les méandres de la procédure - et de la ville. Personnage auquel on s'attache de plus en plus au fil des pages, Kensington appartient à cette génération d'Aborigènes qu'on arracha à leurs mères pour les confier à des familles blanches. Il parle peu de cette expérience qui l'a placé à jamais en porte-à-faux entre deux univers qui co-habitent tout en s'opposant l'un à l'autre, mais on comprendra plus tard quelles lourdes séquelles elle lui a laissées.

Il y a aussi Toowoomba, ami d'Andrew et aborigène tout comme lui, à ceci près qu'il a eu la chance de grandir dans sa famille naturelle. Toowoomba exerce dans une troupe de boxeurs qui tourne souvent avec la troupe d'Otto.

Et n'oublions pas le clochard philosophe avec lequel il arrive à Hole de discuter toute une nuit.

Nesbø aime les fausses pistes et les enquêteurs qui n'ont pas peur de se tromper ou de comprendre trop tard. Il applique cette règle dès le premier volume de la série Harry Hole. Il faut bien convenir que cette enquête australienne est loin d'être aussi simple qu'elle y paraît et Harry crie au moins trois fois au loup avant de repérer le fauve qu'il faut vraiment abattre.

Côté noirceur, on est pas mal gâté. Il y a d'abord tout ce que l'on apprend sur le passé de Hole, en particulier que son alcoolisme récurrent pré-existait à son entrée dans les forces de l'ordre et qu'il lui a joué un très sale tour alors que, avec son équipier, il avait pris en chasse une voiture dans les rues d'Oslo. Et puis, bien sûr, la mort du tueur, une mort impressionnante dont Harry est le témoin frustré.

Les Feuilles Mortes - Thomas H. Cook (USA)

Red Leaves Traduction : Laetitia Devaux

Extraits Personnages

Les interrogations sur le passé, le passé qui vient détruire le présent et bloquer à jamais les perspectives d'avenir, la perte du petit monde stable et heureux que l'on croyait s'être bâti à jamais, tels sont les thèmes principaux de ce polar qui, à mon sens, sans être désagréable à lire, reste inférieur aux "Leçons du Mal."

Vous connaissez la chanson : un homme sympathique, en général professeur ou commerçant dans une petite ville provinciale mais de toutes façons membre de la bonne société du lieu, se voit projeté, avec sa famille, dans l'ouragan d'un meurtre dont on le suspecte, lui ou l'un de ses proches. A partir de là, l'auteur a en général deux options : ou bien les soupçons pèsent sur la bonne personne, à qui l'on donnerait pourtant le Bon Dieu sans confession, ou bien l'on se trouve en face d'une poignante erreur judiciaire. Parfois, la personne suspectée se contente d'être complice mais, que sa complicité soit le fait de mauvais instincts péniblement refoulés, ou que l'assassin l'ait contrainte à l'aider, cela suffit à la déconsidérer aux yeux de tous. L'homme sympathique ne résiste ni à la honte, ni au chagrin, sa famille implose et un exil loin de la petite ville tranquille est à prévoir en tant que fin inéluctable et programmée.

A quelques petits détails près, c'est ce qu'il se passe dans la famille Moore où je vous donne le père (Eric, qui tient un magasin de photographies d'art et d'encadrement plutôt prospère), la mère (Meredith, professeur de littérature anglaise au lycée du coin, une femme de tête), le fils unique (Keith, un ado grognon, renfermé, qui n'aurait aucun ami et encore moins d'amiEs), l'oncle (Warren, une espèce de "nounours" qu'une enfance difficile auprès d'un père qui l'humiliait sans cesse, a privé de toute confiance en lui et a rendu alcoolique) et le grand-père (le Grand Humiliateur, un sale type dont on est bien content d'apprendre qu'il n'a les moyens de s'offrir qu'une minable maison de retraite où, d'ailleurs, il doit empoisonner avec délectation la vie de tous, personnes âgées aussi bien que membres du personnel).

En ombres chinoises parce que depuis longtemps réunies au cimetière : la grand-mère (la mère d'Eric et de Warren et la malheureuse épouse de l'Abominable Retraité, qui a choisi de se suicider il y a déjà pas mal d'années parce qu'elle n'en pouvait vraiment plus) et la tante qui n'a jamais pu le devenir (Jenny, la soeur d'Eric et de Warren, décédée vers ses dix ans d'une tumeur au cerveau, la "petite fille adorable" qui reste à jamais dans le coeur de ses frères et tout spécialement dans celui de Warren).

Côté personnages secondaires, le confident de Keith (Delmot Price, fleuriste de son état, chez qui l'ado a un jour cherché à dérober la caisse), quelques collègues de Meredith au lycée, le psychologue de l'établissement (Stuart Rodenderry), l'avocat de la famille Moore (Leo) et le duo bon-flic, méchant-flic (Peak & Kraus__ ou vice versa).

Dans le rôle des parents éplorés, Vince et Kate Giordano. Dans celui de la victime, leur petite Amy - huit ans - elle aussi une "petite fille adorable."

Cook est trop bon conteur pour ne pas avoir cherché à mettre en valeur tout ce potentiel - et peut-être aurait-il fait mieux si le récit avait été plus long. Il n'y a rien à redire au suspense : la tension monte, monte ... et même si l'on sait que ça va mal se terminer, on s'intéresse tout de même à la manière dont ça va se passer. Malheureusement, côté personnages, ça pêche un peu : il y a trop d'incohérences, trop de zones floues aussi.

Par exemple, on n'acquiert jamais vraiment la preuve que Meredith trompe son mari. On la soupçonne, comme le fait Eric. Mais ce pourrait être un effet d'une sorte de "paranoïa du lecteur", devenu solidaire du personnage principal. La "réconciliation" entre Eric et son fils vient aussi de manière beaucoup trop abrupte, un peu comme si l'auteur la plaçait là uniquement pour lui permettre d'amener la solution de l'énigme - et de terminer son roman. Enfin, désagréablement plus visible à moins que j'ai loupé quelque chose au détour d'un paragraphe, que devient la fameuse voiture qui aurait accompagné Keith à la maison, la fameuse nuit durant laquelle Amy a disparu ?

Mais évidemment, un auteur ne peut écrire de chef-d'oeuvre chaque fois qu'il prend sa plume ou son clavier. (Sauf s'il s'appelle Marc Lévy, Guillaume Musso ou encore BHL. ) Thomas H. Cook se contentant, en toute humilité, d'être un sacré raconteur d'histoires noires et mélancoliques, il est donc tout excusé et on lira tout de même avec plaisir ces "Feuilles Mortes" couleur de sang.

mardi, juillet 3 2012

Gunnar Staalesen (Norvège)

Bukken Til Havresekken Traduction : Olivier Gouchet

Extraits Personnages

Attention ! Varg Veum, qui, "pour ne pas effaroucher le client", a préféré faire graver sur sa plaque professionnelle : "V. Veum" sans s'embarrasser d'un prénom pour le moins original, entre en scène. Sachez d'ores et déjà que, traduit littéralement, son nom signifie "Le loup dans le sanctuaire" et peut désigner un proscrit. Et maintenant, imaginez toutes les possibilités que cela laisse à l'auteur de la série.

Au premier abord, Veum, qui est aussi le narrateur du récit, rappelle un peu notre Nestor Burma national. Mais il n'a pas de secrétaire et le journaliste qu'il aime à envoyer fouiner à sa place n'appartient pas à la race des éponges. Ensuite, Veum ne prend jamais les cas de divorce. Il ne veut pas, comme il le dit, semer la zizanie dans les couples.

On ne s'étonnera pas si, dans ces conditions, son bureau de détective privé voie rarement des clients. Au début de ce roman qui pose les bases de la série, s'en pointe pourtant un, l'avocat William Moberg, qui a pour spécialité de défendre les toxicomanes, qu'ils dealent ou pas. Mais, manque de chance, c'est dans la perspective d'un divorce et Veum refuse fermement.

Par une coïncidence que Veum a le tort de trouver plus amusante qu'inquiétante, un autre homme veut l'engager pour à peu près la même mission : suivre la femme de Moberg. Comme ce n'est pas pour un divorce, qu'il a pas mal de factures en retard et que le client exhibe d'emblée cinq cents couronnes, notre privé accepte et se lance le jour même sur la piste de Mme Moberg.

C'est là que les ennuis vont commencer, tant pour lui que pour la femme de l'avocat ...

"Le Loup Dans La Bergerie" est un polar sans prétention qui suit sans surprise les règles du genre : le détective un peu fripé, un peu anar et mal dans sa peau, qui se réfugie à l'occasion dans l'alcool - l'aquavit, nous sommes en Norvège - et n'a pas peur de prendre des coups ; le client faux comme un jeton et qui a toujours quelque chose à cacher ; une ou plusieurs victimes qui, de leurs vivant, n'étaient pas des anges ; des officiers de police qui ne sont pas des lumières ; le malfrat pour qui les choses finissent par aller trop loin et qu'un "on" mystérieux expédie ad patres sans autre cérémonie ; et une femme dite "fatale", au look considérablement modernisé, années quatre-vingt obligent. Le tout présenté dans un écrin bien noir.

Staalesen y apporte sa vision personnelle d'une Norvège provinciale où la drogue est devenue omniprésente et où, pour se la procurer ou pour pouvoir continuer à en tirer bénéfice, tout le monde, ou presque, est prêt à tuer son prochain. Le spectre de la prostitution en maison, pourtant interdite par la loi, vient aussi faire son petit tour de scène.

Plus que l'intrigue, c'est la personnalité de Veum qui retient le lecteur. Il a beau se donner beaucoup de mal pour rester dans la ligne de ses homologues polardeux, il ne donne pas l'impression de voir - sans jeu de mots - son verre à moitié vide. Certes, il ne se fait pas beaucoup d'illusions sur la nature humaine mais cela ne l'empêche pas de penser que, malgré tout, la vie vaut la peine d'être vécue. Un personnage donc très intéressant, qui incite à lire la suite.

Le Guerrier Solitaire - Henning Mankell (Suède)

Villospår Traduction : Christofer Bjurström

Extraits Personnages

Bon, récapitulons.

Les meurtres : costauds, et même gore - l'assassin travaille à la hache et scalpe ses proies.

Les victimes : repoussantes, il n'y en a pas une pour relever l'autre, on se demande comment de tels types peuvent exister et prospérer et il ne faudrait pas nous pousser beaucoup pour qu'on débouche le champagne en les voyant terminer comme ça.

Les parents des victimes : il n'y en a pas toujours mais, quand ça arrive, ils sont rudement soulagés de savoir qu'ils ne reverront plus leur mari ou leur père autrement qu'en enfer et, quand ils ne sont pas soulagés, ça ne leur fait ni chaud ni froid d'apprendre la nouvelle - une exception apparente tente de se suicider mais, renseignements pris, c'est parce que, justement à cause de son père, celle-là n'avait plus le goût de vivre.

L'équipe policière : Björk vient de quitter son poste de directeur, c'est donc une période de transition qui s'ouvre, Ebba est fidèle au poste à son standard et Nyberg, entre deux grognements de molosse irascible qui le font d'ailleurs souvent confondre avec l'un de ces animaux, semble plus que jamais doué du don d'ubiquité.

Wallander : il s'apprête à partir en vacances avec Baiba, sa maîtresse lituanienne, et a des sueurs glacées à l'idée d'en être empêché par le tueur fou ; mais comme toujours avec Wallander, le devoir avant tout. Et puis, il y a son père que la maladie d'Alzheimer commence à secouer grave. Aux dernières nouvelles, il met le feu à ses peintures. Dieu merci, il s'accroche férocement à l'idée de passer l'automne avec son fils, en Italie. Bref, la routine et Wallander peut se livrer en paix à son occupation favorite : envisager le monde en noir et en surnoir.

L'enquête parallèle : une jeune fille de quinze ans environ s'est immolée par le feu - et sous les yeux de Wallander - dans un champ de colza. Elle semblait terrorisée. Mais par qui, par quoi, on ne le saura qu'à la fin du livre même si l'on commence à procéder bien plus tôt à certains recoupements.

Donc, comme vous le voyez, c'est du solide, et même du costaud. Et pourtant, on reste sur sa faim. Comme presque toujours avec Mankell.

N'en déplaise à certains, ce n'est pas parce que l'auteur nous révèle l'identité du tueur à la hache aux deux tiers du roman mais bien parce que les trois-quarts du final sont escamotés. Quid du lien entre la soeur du tueur et les victimes précédentes ? Pourquoi le tueur s'est-il décidé en fin de parcours à s'en prendre à Wallander et à sa fille, Linda, en vacances chez lui ? Comment la jeune fille morte par le feu était-elle parvenue à s'échapper ? Rien, on ne saura rien. Oh ! on peut supputer, imaginer, extrapoler et bien d'autres infinitifs encore ... Mais c'est lassant parce que, chaque fois, c'est pareil : une fin brutale et/ou elliptique. Tout-à-fait comme si l'auteur ne devait pas dépasser tant de pages - ce dont je doute - ou, plus sûrement, comme si on assistait à un téléfilm qui ne devrait pas excéder une certaine durée.

En outre - phénomène d'autant plus curieux que, en fin de compte, "Le Guerrier Solitaire" m'a toujours semblé l'un des meilleurs livres de son auteur - c'est avec cette relecture que j'ai vraiment ouvert les yeux sur quelque chose qui me taraudait depuis longtemps mais sur quoi je ne parvenais pas - ou n'osais peut-être pas - à poser un nom : avec ses soupirs, ses réflexions et ses apitoiements sur la société, Wallander est un sacré donneur de leçons. Et voilà sans doute la raison pour laquelle nos relations sont si chaotiques bien que, en aucune manière, je ne songe à contester le talent de son créateur.

samedi, juin 30 2012

Retour A La Grande Ombre - Håkan Nesser (Suède)

Återkomsten Traduction : Agneta Ségol & Pascale Brick-Aïda

Extraits Personnages

Disons les choses franchement : je n'ai pas franchement accroché. J'ai eu l'impression - peut-être fausse - que, comme beaucoup d'autres, Nesser était comme paralysé par Henning Mankell.

J'avoue humblement que, dès qu'il est question de polar suédois contemporain, je crois voir Mankell au détour de chaque ombre, de chaque disparition, de chaque cadavre. Le succès international de l'écrivain et de son oeuvre y est sans doute pour beaucoup car, avouons-le, qui associe aujourd'hui les mots "polar" et "Suède" finit automatiquement par lancer le nom de Mankell : et si le lecteur ne peut pas y échapper, comment un romancier, arrivant en plus dans la profession quelques années après lui, pourrait-il y parvenir ?

Depuis Mankell et malgré quelques merveilleux opus comme "Le Guerrier Solitaire", "La Muraille Invisible" ou "Les Morts de la Saint-Jean" - le polar suédois est dominé par la tristesse et le désespoir et peine à retrouver l'humour qui, pourtant, était présent chez les Grands Anciens que sont Maj Sjöwall et Per Wahlöö. Chez Mankell, l'Auteur Engagé Par Excellence, l'humour n'est pas de mise. Il faut désespérer et se désespérer à bloc et affirmer ou laisser entendre à chaque chapitre que, dans cette société bassement capitaliste (comme l'est la société suédoise et, partant, toute la société occidentale), seule nous attendent décadence et déclin. Pas question de danser un bon rigodon et encore moins un rock échevelé issu des immondes U. S. au sommet de ce volcan en ébullition. Pas question de rire de sa fin prochaine ou de porter un ou deux toasts à celle-ci avant de s'égailler dans une dernière bacchanale : désespoir, rigidité, apocalypse (largement méritée), tel est le programme de Mankell.__

Comme c'est un excellent écrivain et qu'il est très doué pour planter son décor et créer des personnages et des intrigues crédibles, la recette a connu un grand succès. Dans ses conditions, vous diront ses confrères, pourquoi ne pas la suivre ?

Parce qu'il n'y aura jamais qu'un seul Wallander (le héros récurrent et pessimiste comme c'est pas permis de Mankell.) Et que le Désespoir, les méditations pseudo-existentialistes et le dégoût généralisé de la vie sans le moindre désir de la tourner en ridicule, poussés il est vrai à un rare degré d'intensité, sont ses marques de fabrique à lui, et à lui seul. Et puis parce que Wallander, à bien y regarder, il est sympa, on l'aime bien et on compatit - oui, on compatit parce que se poser autant de questions inutiles et se les reposer sans cesse, c'est une sorte de maladie - mais enfin, ce n'est pas Dieu.__

Dommage que la majeure partie des auteurs de polars suédois aient tant de difficultés à en prendre conscience. Tétanisés soit par la perspective des droits d'auteur qui doivent être ceux de Mankell, soit par l'angoisse de se rétamer honteusement s'ils tentent une autre recette, une autre sauce, ils n'osent plus bouger d'une virgule dans un paysage polardeux voué semble-t-il à ne plus abriter que les interrogations presque métaphysiques d'un policier indécrottablement dépressif.

Håkan Nesser, lui, a essayé. C'est déjà ça. Sa volonté de situer l'action de sa première série dans une ville qui pourrait être suédoise aussi bien que hollandaise ou allemande, le marque bien. Son héros, le commissaire Van Veeteren, tente aussi de se démarquer : il a la cinquantaine - dans ce roman d'ailleurs, il approche plus de la décennie suivante - entend vaincre un cancer des intestins qu'on vient de lui découvrir et, malade ou non, se plaint absolument de tout et de tout le monde. On suppose qu'il souffre, lui aussi, de la grande plaie ouverte de tous les héros de polars et de thrillers, quelle que soit leur nationalité, et qu'il a été malmené par la vie : à cinquante-sept ans, comment pourrait-il en être autrement ? Mais cela reste de bonne guerre.

Autre point très important : Nesser n'hésite pas à utiliser l'humour, fût-il noir. C'est assez timide mais au moins, c'est agréable.

Malheureusement, le trait reste assez mal assuré, la description du microcosme villageois où est née toute l'affaire est contrainte, les personnages ne vivent pas vraiment et l'intrigue générale, avec ses flash-backs, semble un peu tirée par les cheveux. D'autant que Nesser ne donne aucune explication sur le caractère de la victime - un caractère qui lui a pourtant permis d'accepter de passer près d'un quart de siècle en prison alors qu'il était innocent. Suffit-il de préciser que, dès l'enfance, l'homme en question était particulièrement renfermé et indépendant, pour justifier cette extraordinaire performance ? Dans la réalité, peut-être. Dans la fiction, certainement pas. Quant à l'analyse de l'assassin, elle est du même tonneau et laisse, là aussi, le lecteur sur sa faim.

Pour m'assurer qu'il s'agit bien là du dessein voulu par l'auteur et non d'une erreur d'aiguillage, je lirai sans doute l'un de ses autres romans. Mais pas tout de suite.