Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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Littérature française et francophone.

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dimanche, septembre 16 2012

Avenue des Géants - Marc Dugain

ISBN : 9782070132355

Extraits Personnages

"Avenue des Géants", tel est le nom de l'endroit où Al Kenner a l'accident de moto qui, en l'immobilisant pour quelques semaines, va lui faire perdre son travail de mécanicien et le rendre par conséquent à nouveau dépendant de sa mère. Entre Al et sa mère, c'est l'horreur et ce, depuis l'enfance, une relation où l'amour et la haine s'imbriquent de façons si complexe qu'il faudrait presque transformer ces deux mots en un mot valise, non pas dans le style "amourhaine" - ce serait trop simple :evil: - mais quelque chose comme "hamoainure." Une relation telle qu'elle ne peut s'achever que par la mort violente de l'un des protagonistes et, de fait, c'est bien ce qui attend celle qui, dans ce roman, porte le titre de mère sans le mériter.

Nul ne l'ignore : Marc Dugain s'est inspiré pour ce livre de la vie d'Edmund Kemper, le tueur en série le plus atypique et probablement le plus intelligent qu'ont jamais connu les Etats-Unis. C'est en pensant au QI de Kemper que Thomas Harris aurait, dit-on, imaginé celui d'Hannibal Lecter. Outre cette intelligence exceptionnelle, Kemper reste l'un des très rares tueurs en série de la planète à s'être volontairement livré à la police - et ceci par deux fois, la première après l'assassinat de ses grands-parents paternels, alors qu'il n'avait que quatorze ans, la seconde après le meurtre de sa mère. Enfin, loin des véritables carnages auxquels se sont livrés un Ted Bundy ou un Gary Ridgeway (alias le Tueur de la Green River), Kemper ne compte à son actif que dix assassinats et estime lui-même que la mort de sa mère constitue le point final logique de la série.

Par son enfance massacrée, entre un père trop faible et une mère qui aurait pu poser pour la mère-phallique monstrueuse si chère à certains freudiens, par la lucidité dont il ne se départissait que sous le choc d'un affrontement avec sa mère ou près d'une femme lui rappelant sa mère ou le comportement de celle-ci, par son charisme indéniable, par son refus d'évoquer ce qu'il fit au cadavre de sa mère et qui révèle chez lui la survivance d'une conscience bien réelle, malgré tous les dégâts subis et infligés, par son physique également (2, 20 m pour 160 kg), par ses choix en prison (il retranscrit des livres en braille, langage qu'il a voulu apprendre) , Edmund Kemper reste un "cas" dans le paysage on ne peut plus tourmenté des tueurs en série américains - et même mondiaux.

Mettre en scène un tel personnage, dont les actes horrifient mais qui n'en conserve pas moins, par on ne sait quelle étrangeté de la Nature, un côté attachant absolument unique, relève de la gageure. Marc Dugain n'a pas triché. Il a choisi de faire alterner des chapitres où il fait penser, parler, s'expliquer (mais jamais se justifier) Al Kenner/Edmund Kemper et d'autres où on le voit de l'extérieur, dans le parloir où il rencontre la personne qui lui apporte les livres à retranscrire. Evidemment, privilège de l'écrivain, Dugain a romancé certains aspects pour les besoins de son livre - la visiteuse d'Al par exemple n'est autre qu'une ex-étudiante qu'il avait prise en stop mais qu'il n'avait pas agressée - mais il ne tombe jamais dans la caricature ni, pour ceux qui l'en soupçonneraient, dans l'apitoiement. On le sent bien un peu hésitant quand arrive le moment d'aborder les meurtres des étudiantes et celui de Cornell Kenner mais cela se comprend : c'est là que l'empathie inconstestable développée par le lecteur envers le héros risque de se dissoudre dans le néant, et ce n'est pas le but recherché par l'auteur.

Marc Dugain cherche en fait à faire partager au lecteur le sentiment qu'il a éprouvé en assistant à la diffusion d'un documentaire consacré par Stéphane Bourgoin à quelques tueurs en série, dont Edmund Kemper. Quand on le visionne, on ne peut rester indifférent, on est forcé de réfléchir. D'autant que, si mes souvenirs sont bons, la partie qui concerne Kemper est suivie de l'interview de Gerard Schaefer, tueur froid, sans remords, débordant de fierté, antithèse parfaite de Kemper. Le contraste n'est pas seulement saisissant : il dérange. Même s'il a tué sa mère et neuf personnes, Kemper n'a rien à voir avec Schaefer.

Comme vous le voyez, "Avenue des Géants" est donc un roman spécial, sur un homme très spécial. Je vous rassure : ni gore, ni excès et beaucoup de pudeur, somme toute. Un livre à lire et je suis tentée d'écrire : surtout si vous aussi, vous avez eu une caricature de mère. Mais attention : "Avenue des Géants" est un livre lourd de chagrin.

mercredi, juin 27 2012

Riz Noir - Anna Moï

Extraits Personnages

Ecrit à la première personne, ce roman d'un peu moins de deux-cent-quarante pages, paru chez Gallimard en 2004, expose le point de vue de deux soeurs nées à Saïgon et partisanes, comme tous les membres de leur famille, du Front National pour la Libération du Sud-Viêtnam, mené par le régime communiste institué par Hô-Chi-Minh, le 20 juillet 1954, dans le nord du pays sous le nom de République Démocratique du Viêtnam.

Malheureusement pour elles, les deux jeunes filles sont arrêtées et enfermées dans les cages à tigre du sinistre bagne de Poulo Condor, créé par l'administration coloniale française en 1862 dans l'île du même nom, dans l'archipel de Côn Đảo. Là, dans la moiteur étouffante de la jungle, entourée de prisonniers et de gardiens, elles se remémorent des scènes de leur enfance et de leur adolescence ainsi que les interrogatoires qui ont suivi leur arrestation.

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, ce n'est pas un livre "engagé." Anna Moï se contente de rapporter les faits tels qu'ils furent. Si elle ne nous épargne pas les actes de torture, elle laisse entendre que, de l'autre côté, ces scènes-là avaient également cours. Son but est surtout d'expliquer la résistance des Sud-Viêtnamiens qui voyaient à l'époque dans le régime d'Hô-Chi-Minh l'Etat qui avait chassé l'occupant français. Comme elle écrit sans haine, avec le simple besoin de comprendre et d'être comprise, il est facile de se mettre à sa place et de mieux appréhender ce point-de vue.

Un petit ouvrage modeste mais très bien fait et qui touche plus sûrement peut-être que ne le ferait le plus enragé des pamphlets. ;o)

mercredi, novembre 9 2011

Sortira En Janvier ...

... aux Editions Phoebus, le nouvel opus d'Angélique Villeneuve : "Un Territoire."'

Si, tout comme nous, vous avez aimé "Grand Paradis", prenez bonne note de la date et rendez-vous en janvier 2012 ! ;o)

lundi, novembre 7 2011

Un Roi Sans Divertissement - Jean Giono

Extraits

Personnages

Ah ! Ecrire comme Giono ! Qui n'en a pas rêvé au moins une fois ? ... Simplicité, quiétude, bon sens, aisance, familiarité, naturel, tout cela recouvrant une complexité de pensée qui fascine et ouvre l'esprit à l'universel.

Paré de toutes ces qualités, "Un Roi Sans Divertissement" est l'un des grands romans de Giono, une réponse subtile et hautaine aux mesquineries et aux lâchetés de ce prétendu Comité national des écrivains qui, à la botte des communistes et de leurs proches, l'avaient interdit de publication alors qu'il ne s'était jamais compromis avec l'occupant nazi. "Ces haineux", comme les désigne Albert Paraz dans son merveilleux "Gala des Vaches", n'avaient comme raison précise de placer Giono à l'index, que la jalousie qu'ils éprouvaient envers le génie de l'écrivain. Avec son "Roi Sans Divertissement", Giono remet les pendules à l'heure et prouve à ces juges improvisés et dégoulinants de fausse vertu qu'ils ont bien tort d'imputer les horreurs du dernier conflit mondial à l'esprit prétendument maléfique de tel ou tel homme, à la lâcheté de tel ou tel peuple. A ses yeux d'anticonformiste fier de "marcher seul", à ses yeux d'humaniste, l'instinct qui a amené à commettre toutes ces monstruosités n'est pas un mais multiple car il pousse comme du chiendent dans le coeur de tout homme.

"Un Roi Sans Divertissement" traite en effet, et uniquement, de cet instinct qui sommeille, dit-on, tout au fond de notre cerveau reptilien : l'instinct de tuer, comme ça, pour le seul plaisir - une caractéristique exclusivement humaine.

Dans un paysage dont, malgré le fil des saisons qui passent, le lecteur ne retiendra que la neige - une neige épaisse, silencieuse et glacée, qui étouffe la terre et les hommes - un mystérieux inconnu, aussi insaisissable que la bise qui descend des montagnes, aligne un nombre de plus en plus grand de cadavres : hommes, femmes, enfants, tout lui est bon et rien ne l'apaise. Il faudra un hasard tout à fait inattendu, un villageois qui sort de chez lui un peu plus tôt que prévu, pour que le monstre soit identifié et finalement arrêté. Il s'agissait d'un habitant du bourg voisin. Langlois, le gendarme qui, l'hiver précédent, l'avait traqué sans relâche mais en vain, se charge de le ramener en prison. Mais, sur la route du retour, il l'abat froidement, déclarant à ses compagnons que c'était un accident et envoyant le jour-même sa démission à ses supérieurs.

Commence alors la partie la plus énigmatique mais aussi la plus subtile du roman, celle qui retrace le lent mais résolu cheminement de Langlois, cette personnalité en apparence solide et tout d'une pièce, vers cette vérité impitoyable : comme le tueur en série qu'il a abattu, lui aussi abrite en son coeur ce terrible instinct de mort. Pire : hormis tuer, rien ne l'intéresse, rien ne le calme - rien ne le réjouit. Pour échapper à ce démon intérieur qu'il est le seul à voir et à comprendre (ou pour échapper à l'ennui qu'il ressent ? ) , Langlois finit par se faire sauter la cervelle.

Giono ne donne jamais le point de vue intime de l'ancien gendarme. Il se contente de faire raconter les faits par les villageois qui, depuis sa première apparition dans leur hameau, ont appris à l'apprécier et se sont même liés avec lui. Et leur vision, simple, qui ne s'embarrasse pas d'analyses freudiennes avant la lettre mais tient compte du sens aigu qu'ils ont de l'Homme et de sa place au sein d'une Nature qui, elle aussi, est capable de tuer, constitue le prisme idéal. Attention cependant : "Un Roi Sans Divertissement" demande beaucoup à son lecteur. Celui qui s'y intéresserait seulement pour découvrir le récit, forcément captivant, de la traque d'un meurtrier multirécidiviste, celui-là risque d'être très, très, très déçu et de passer à côté de l'un des romans les plus puissants et les plus complexes de la littérature française du XXème siècle.

La Cousine Bette - Honoré de Balzac

Extraits

Personnages

Oh ! le beau mélo ! Sans rire, on se croirait chez l'incroyable et ébouriffant Ponson du Terrail. Jugez vous-même : une épouse fidèle (baronne Adeline Hulot d'Ervy) mais trompée de façon infâme par son mari, une espèce de vieux beau qui ruine sa famille et provoquera plus tard la mort de la digne épouse (baron Hulot d'Ervy) ; leur fille (Hortense), jeune personne "sage" et présentée comme bonne qui s'empresse de "voler" sans vergogne à sa cousine, la fameuse Bette du titre, l'homme dont celle-ci lui a pourtant avoué être amoureuse ; l'"Amoureux" en question (comte Wenceslas Steinbok), un noble polonais émigré et tombé dans la misère doublé d'un artiste-graveur exceptionnel ; un rival du baron dans le monde libertin (Célestin Crevel) qui, pour se venger de Hulot, lequel lui a pris une jeune maîtresse, entend se faire payer en nature tôt ou tard par la malheureuse Adeline ; une petite bourgeoise affairiste (Valérie Marneffe) qui s'empresse de tomber dans les bras du volage baron afin d'améliorer son ordinaire personnel et, au passage, celui de son maquereau de mari ; un beau baron brésilien (baron Montès) dont la jalousie, bafouée par Valérie, se retournera de façon horrible contre celle-ci et son époux ; et puis, bien sûr, la cousine Bette (Lisbeth Fisher), tour à tour admirable et monstrueuse, un cerveau rendu machiavélique par les injustices subies au nom de sa laideur et de sa pauvreté, et qui mènera presque la famille Hulot d'Ervy et surtout sa cousine, Adeline, à l'abîme avec, il est vrai, l'aide puissante de la Marneffe.

Oh ! oui ! Ponson du Terrail n'aurait pas fait mieux question mélo - et pourtant, il s'y connaissait !

Et pourtant, voyez-vous, "La Cousine Bette" est un fabuleux roman, l'un des meilleurs selon nous de Balzac. La grâce et la fougue du génie s'y révèlent sans effort, transformant ce qui est, effectivement, au départ, un horrible mélo en un drame qui vous étreint le coeur. Certes, comme d'habitude, on regrettera quelques égarements du style - mais on était dans la première moitié du XIXème siècle et le Romantisme régnait en maître - mais on n'est pas près d'oublier ni la flamboyante, subtile - et complètement détraquée - Valérie Marneffe, ni cette énigme, tour à tour émouvante et hideuse, que restera la cousine Bette. Eût-elle bénéficié d'un peu plus d'amour dans son enfance qu'elle ne serait pas morte désespérée par une vengeance qui lui échappait.

Quant à la fin réservée au baron, cet infâme vieux beau à qui l'on est en droit de préférer un Crevel - eh ! oui ! - ce vil remariage avec une servante-maîtresse après la mort, causée par le chagrin, de sa première épouse, elle est d'une justesse et d'un cynisme en tous points remarquables.

Une fois encore, on ne peut que constater l'incroyable compréhension de la nature féminine qui était celle de Balzac. Car, à y bien regarder, il arrive que le lecteur (la lectrice ?) se laisse émouvoir par Mme Marneffe et par son amie Bette. Il y a, dans ces deux femmes, si pervers que soient leurs actes, une volonté de rébellion qui n'est que la conséquence de la façon dont les hommes et la société les considèrent. C'est en cela que Balzac est précieux et unique, chez les écrivains mâles de son époque.

dimanche, novembre 6 2011

La Maison du Chat-Qui-Pelote & Autres Nouvelles - Honoré de Balzac

Extraits

Balzac, dit-on, commença sa "Comédie Humaine" par ces "Scènes de la Vie Privée", au nombre desquelles sont ici regroupés, outre "La Maison du Chat-Qui-Pelote", qui donne son titre au recueil, les trois textes suivants : "Le Bal de Sceaux - La Vendetta" et "La Bourse."

Ecartons d'ores et déjà "La Vendetta", où l'auteur sombre dans les abîmes du mélodrame le plus affreux sans jamais parvenir à passionner son lecteur. Les personnages - des Corses - y sont non pas incroyables mais si stéréotypés, si alourdis par la dignité et les traditions de leur race insulaire, qu'ils en deviennent de véritables caricatures. Qui pis est, l'action se met au diapason puisque Ginevra Piombo, la malheureuse et attachante héroïne, tombe amoureuse, au bout d'une cascade de coïncidences improbables, du fils de l'assassin de son frère (!!!). Son père, plus rigide dans son malheur et sa haine qu'un pilier en béton armé, l'anathémise évidemment de sa malédiction et, comme pour lui donner raison, le jeune couple, car Ginevra et Luigi Porta se sont mariés en tout bien tout honneur, devient très vite la proie d'une malchance acharnée. Tant et si bien que Ginevra et son bébé (oui, il y a aussi un bébé et n'allez pas prétendre que ça vous étonne ) finissent par en mourir. Alors, terrible comme l'Ange de la Mort (restons dans le ton), Luigi se précipite chez son beau-père pour lui annoncer l'épouvantable issue ...

Avec ça, "La Vendetta" constitue la nouvelle la plus longue du volume. A croire que Balzac ou bien s'est délecté à l'idée de faire pleurer Margot, ou bien avait besoin de remplir un maximum de lignes. Je préfèrerais la dernière hypothèse : elle expliquerait les longueurs et surtout l'aspect trop "léché" du récit.

En revanche, "La Maison du Chat-Qui-Pelote", réflexion intelligente - et toujours d'actualité même si on n'en parle pas - sur la nécessité d'épouser un homme ou une femme ayant les mêmes goûts intellectuels et ayant reçu une éducation similaire à la vôtre (ce que, dans la Bretagne des terres, on résume souvent par l'adage "Il faut se marier dans sa cour"), franchit très bien l'obstacle d'une lecture au XXIème siècle. Tout le malheur de la jeune Augustine Guillaume, fille de commerçants parisiens bien établis et qui se marie avec un artiste-peintre de grand talent mais aussi d'origine aristocratique, Théodore de Sommervieux, provient du mépris avec lequel elle-même et son mari ont traité le bon sens. Une fois leur première année de couple écoulée, Sommervieux se lasse et commence à courir dans les salons qu'il fréquente. Augustine, bien sûr, ne comprend pas, cherche à savoir ... et souffre plus ou moins en silence. Là aussi, la Mort rafle la mise.

Dans "Le Bal de Sceaux", Melle de Fontaine, fille d'un émigré revenu à la cour de Louis XVIII, s'est mis en tête de n'épouser qu'un pair de France déjà fait ou en passe de le devenir. Belle, instruite, pleine de charme en dépit d'un orgueil souvent trop envahissant, elle repousse sans cesse des prétendants qu'elle juge inférieurs sur tel ou tel plan. Un jour, à l'occasion d'un bal, elle remarque un jeune homme séduisant, distingué, etc ... qui semble donc posséder tout ce qu'elle recherche et qui, selon son raisonnement, s'il n'a pas encore la pairie, détient par contre tout ce qu'il faut pour l'obtenir, surtout s'il l'épouse, elle dont le père a l'oreille du Roi. Mais le jeune homme, quoique d'excellente famille, s'est vu contraint, pour soutenir financièrement les siens, de prendre un emploi de vendeur dans un magasin de nouveautés. Et Melle de Fontaine ne saurait, bien sûr, se commettre avec un vulgaire calicot ...

"La Bourse" enfin, seul texte ayant une fin heureuse, démontre que les apparences sont souvent trompeuses et les mauvaises langues, bien vipérines. Le héros, là encore, est un peintre, dénommé Hippolyte Schinner. Suite à un malaise durant lequel elles l'ont secouru, il se lie avec deux de ses voisines, Mme et Melle Leseigneur de Rouville, que la mort de leur époux et père a réduites à une misère digne, mais affligeante. Peu à peu, le doute s'installe dans la cervelle d'Hippolyte : ces dames ne tiendraient-elles pas table ouverte afin de gagner au jeu les subsides qui leur permettent de survivre ? ...

Certes, la qualité de ces trois intrigues n'empêche pas Balzac d'étaler ici et là - et avec sa largesse habituelle - son amour des clichés et des images souvent outrancières. Mais on sent bien qu'il se discipline : son génie naturel, en s'affirmant, parvient à limiter les dégâts. Et puis, l'époque n'en redemandait-il pas, de ce style et de ces émotions excessives, de ces larmes si vite apparues à l'oeil d'un tel ou d'une telle ? Au-delà, on retrouve l'une des qualités exceptionnelles de l'écrivain : l'empathie qui le liait aux femmes et à la condition qui leur était faite. Il n'est pas jusqu'à "La Vendetta" qui ne le rappelle en évoquant les "actes respectueux", cette acte passé devant notaire et qui permettait à une jeune fille (ou à un jeune homme) d'affirmer sa volonté d'aller, dès sa majorité, contre celle de son père ou tuteur.

Les femmes, l'écrivain Balzac comprend, par une sorte d'instinct protéiforme, qu'elles sont condamnées à subir. C'est leur constance, leur patience, ce courage tranquille dont elles savent faire preuve face à l'adversité, qu'il admire et vénère en elles. En fait, par-delà les siècles, Balzac demeure l'un des rares auteurs de sexe masculin capable d'exprimer avec la même impartialité les sentiments les plus intimes des hommes et des femmes. Il ne choisit jamais un camp : il observe, analyse, communie et retranscrit. C'est en cela que réside toute la puissance de sa "Comédie Humaine." :

Grand Paradis - Angélique Villeneuve

Extraits

Personnages

Court roman que l'on a l'impression de boire tant le style de l'auteur se révèle doux et fluide, "Grand Paradis" doit son titre à un coin de campagne perdue dans lequel, enfant, la petite Dominique Lenoir venait se ressourcer et offrir au soleil quelques uns de ses rares sourires. Car Dominique souriait peu : secrète, déterminée, plus grave qu'on ne l'est à cet âge, elle était déjà de ceux dont on dit qu'ils pensent trop. Son père avait quitté sa mère un jour, abandonnant dans la foulée leurs deux filles, Marie, l'aînée, et Dominique, la cadette, aussi différentes l'une de l'autre que le jour l'est de la nuit. Sur sa fuite, il ne laissait aucune indication : ni le motif, ni le lieu d'exil ou de refuge - rien que l'incertitude qui, nul ne l'ignore, est le pire que puisse connaître la personne abandonnée.

Beaucoup d'années plus tard, à l'issue d'une dispute avec Marie, devenue une espèce d'épave alcoolique, Dominique récupère livres et lettres ayant appartenu à leur mère. Dans le tas, bonne dernière, une enveloppe plus vieillie que les autres et recelant trois photographies, tout aussi vieilles puisqu'elles datent du XIXème siècle. Les trois portraits représentent la même personne à des âges différents, une certaine Léontine L. - tel est le nom noté, semble-t-il par la mère de Dominique, sur le rabat de l'enveloppe. Dominique n'hésite pas : cette Léontine L., affligée dans sa jeunesse d'un blépharospasme hystérique - un oeil était complètement clos, sans contraction apparente, tandis que l'autre restait ouvert - c'est son arrière-grand-mère.

Emue par l'affection tragique dont souffrait son aïeule, Dominique entreprend un travail de mémoire en se rendant à La SalpêtrièreCharcot, pour qui le cliché fut pris par Albert Londe, examina jadis Léontine. Elle fouille dans les archives conservées à la bibliothèque du lieu et retisse ainsi les fils de l'histoire familiale. Mais, ce faisant, des images depuis longtemps oubliées, ou plutôt mises sous le boisseau par le cerveau, vont refaire surface et lui révéler la raison pour laquelle son père partit ainsi, un jour, sans prévenir personne, sans laisser une seule lettre ...

Un roman poignant, non dépourvu d'originalité, surtout si on le compare à la littérature commerciale française actuelle. La chute étonne et ne déçoit pas. Angélique Villeneuve : un nom à retenir dans le paysage littéraire français.

samedi, novembre 5 2011

La Trilogie de la Relique : Le Vol de l'Aigle (Tome III) - Jean-Louis Marteil

Extraits

Personnages

Merci à La Louve-Editions qui, en partenariat avec notre forum Nota Bene, a gracieusement permis à quelques uns de nos membres de découvrir cet ouvrage.

Comme le savent tous ceux qui ont lu "La Relique", puis "L'Os de Frère Jean", le prieur de cette abbaye du Rouergue qui compte parmi ses moines Abdon, Bernard et Jérôme, est très friand de miracles. Or voilà que frère Anselme, l'herboriste du couvent, s'en vient lui conter celui dont ils auraient été témoins. En effet, sous leurs yeux ébahis, les trois moines-pèlerins s'en allant à Compostelle, frère Jean, frère Aycart et frère Eléazar, se seraient transfomés en aigles et se seraient envolés vers d'autres cieux, après avoir fait en sorte que l'os miraculeux de Saint Vincent regagnât sa crypte.

L'aigle ! Le symbole de Jean l'Evangéliste, surnommé "l'Aigle de Patmos" ! Et l'un des pèlerins s'appelait "frère Jean" ! ... Saisissez-vous toute l'astuce de la chose et réalisez-vous la fascination qu'elle peut exercer sur notre abbé ? Un miracle, un vrai, à l'abbaye ! Et un miracle dont trois de ses frères auraient eu le privilège insigne !

Justement. Les moines. C'est là que le bât blesse notre abbé - et avec quelle cruauté ... Pourquoi, mais pourquoi le Seigneur, dans Sa bonté infinie, a-t-Il eu l'idée pour le moins farfelue de choisir ces trois-là et non quelque autre frère ? Il est vrai que Son fils est censé avoir dit : "Bienheureux les pauvres d'esprit, etc ..." mais le prieur ne semble pas s'en souvenir. Ayant coincé Abdon, Bernard et Jérôme lors du chapitre des coulpes, ces quelques heures durant lesquelles, chaque semaine, tout le monastère se confesse en public,b l'abbé, toujours sadique, les convainc de "dissimulation de miracle" (!!!) et, en pénitence, les expédie une fois de plus sur les routes, afin de ramener les trois aigles-pèlerins.__

Sans compter que, une fois de plus, ce départ permettra à ceux qui restent de savourer la paix d'un monastère que ne troubleront plus les gaffes, erreurs et maladresses diverses du trio ... La découverte de cet avantage assombrira d'ailleurs Abdon, désormais persuadé qu'ils n'ont jamais été utiles à la communauté et que celle-ci les laisserait bien à la rue si la chose lui était permise.

Pour pimenter le quotidien de ses voyageurs, l'abbé, sur la suggestion avisée de frère Thomas, l'intendant, leur adjoint l'âne Morel, connu pour son entêtement prodigieux à ne supporter aucune charge et à ne tolérer aucune forme de travaiL

Ce troisième et dernier volume, bien que conservant ses qualités de comique et de finesse, est aussi le plus grave. La scène d'adieux entre Jehan, le Trouvère normand qui sait parler aux ânes (et aux hommes), et les moines, m'a sincèrement attristée. La Vie, c'est vrai, n'est faite que d'arrivées et de séparations après un cheminement commun plus ou moins long, plus ou moins agréable. Mais dans la fiction - surtout quand elle est réussie - on se surprend à espérer que ... Néanmoins, cette scène, pleine de pudeur et et de sensibilité, a ici toute sa place puisque, pour notre trio de moines translateurs malgré eux et le lecteur qui a suivi leurs aventures, apprenant au fil des pages à les connaître et à les apprécier, l'heure est venue aussi de la séparation.

Séparation toute symbolique car, au pays des Livres, il reste toujours la possibilité de revenir sur ses pas et de tout recommencer, depuis le premier chapitre. Ce que je ferai certainement, un jour ou l'autre. Et dès à présent, à celles et ceux qui hésiteraient encore, après m'avoir lue, à suivre nos moines - et notre âne ! - dans leurs aventures, je ne saurais trop recommander de prendre la route sans plus attendre. Vous en reviendrez un peu plus riches - de joie, de fantaisie, de connaissances aussi - et bizarrement un peu plus sereins.

La Trilogie de la Relique : L'Os de Frère Jean (Tome II) - Jean-Louis Marteil

Extraits

Personnages

Merci à La Louve-Editions qui, en partenariat avec notre forum Nota Bene, a gracieusement permis à quelques uns de nos membres de découvrir cet ouvrage.

Second tome de la trilogie médiévale de Jean-Louis Marteil, "L'Os de Frère Jean" tient les promesses de "La Relique." L'humour est toujours là, avec une bonhomie et un à-propos qui évoquent certains fabliaux du Moyen-Age, truculents mais jamais trop paillards. Il arrive bien que notre trio de moines songe à la chair - on apprend que frère Jérôme a connu jadis le grand amour mais que cela s'est mal terminé - mais cela passe vite.

Il faut dire qu'ils ont, le plus souvent, bien d'autres chats à fouetter. Au début pourtant, tout est (relativement) calme. Cela fait maintenant dix ans que la fameuse Relique miracule à plein temps, exposée dans la crypte au coeur d'un reliquaire précieux, lui-même enchâssé derrière une solide grille de fer, le tout confié à la garde de frère Gabriel, le borgne du monastère, lequel, à vrai dire, n'en peut plus. Songez donc : il ne remonte de la crypte qu'à l'heure des repas et aussi à l'heure des prières ! Et dix ans, dame ! c'est long !

Toujours aussi obtus et sadique avant la lettre, l'abbé du lieu fait la sourde oreille aux réclamations du malheureux. Du moment que l'abbaye croule sous les donations reconnaissantes des pèlerins guéris ou en voie de guérison, qu'importe l'abrutissement de l'existence menée par Gabriel ? Il faut bien que quelqu'un le garde, ce fameux os de Saint-Vincent (ou prétendu tel mais cela, l'abbé ne le sait pas ...) Supposez en effet que l'idée vienne à un monastère rival de s'emparer de l'objet miraculeux ? Adieu alors ex-votos dorés, beaux écus d'or et d'argent, magnifiques offrandes faites au saint ... et richesses de l'abbaye. Adieu et bonjour à nouveau la misère et la frugalité ...

Or - et c'est ainsi que débute le livre - le projet d'une "translation" nouvelle de l'os de Saint Vincent (cette fois en direction de l'Auvergne) vient bel et bien de germer dans la cervelle d'un prieur pour l'instant abonné à compter sur les doigts d'une seule main les richesses de l'abbaye dont il a la charge. Pour atteindre son but, le prieur délègue frère Déodat en Rouergue, avec ordre de ramener la relique, coûte que coûte.

Dans "L'Os de Frère Jean", ce ne sont ni les voyages, ni les moines voyageurs qui manquent : Déodat s'en vient en Rouergue, ; son larcin accompli (grâce à une complicité que nous ne vous dévoilerons pas), il s'enfuit droit sur son Auvergne natale ; là-dessus, Bernard se précipite à sa recherche ; puis c'est au tour d'Abdon et de Jérôme de courir derrière leur camarade en priant le Ciel que rien de fâcheux ne lui soit arrivé et, pour couronner le tout, ces divers périples croisent la route de trois moines se rendant à St Jacques de Compostelle, frère Je-sais (en vérité le frère Jean du titre), frère Aicart et frère Eléazar. Ajoutez à cela que le trio de "La Relique" est bien obligé de revenir à son monastère où, pour une raison que je vous laisse découvrir, Jean, Aicart et Eléazar viennent de faire halte.

Comme dans l'ouvrage précédent, l'auteur nous convie à une promenade au coeur du XIIème siècle, peaufinant les caractères de ses personnages et surtout de ses moines, nous les rendant encore plus attachants et nous invitant - discrètement - à nous interroger sur nous-mêmes. Les multiples voyages de ses héros, bons et mauvais, amènent tout naturellement celui que Bernard, le moine à l'intelligence d'un enfant de six ans mènera, avec les moyens intellectuels qu'on lui a concédé et grâce au soutien de frère Jean, aux confins de sa propre quête intérieure. Il nous est ainsi rappelé que les gens dits "normaux" n'ont pas, ne leur en déplaise, le monopole des besoins spirituels.

A lire. Pour l'émotion, pour l'humour, pour la joie et l'optimisme de l'ensemble. De toutes façons, si vous avez lu "La Relique", vous ne pourrez pas faire autrement.

La Trilogie de la Relique : La Relique (Tome I) - Jean-Louis Marteil

Extraits

Personnages

Merci à La Louve-Editions qui, en partenariat avec notre forum, a gracieusement permis à quelques uns de nos membres de découvrir cet ouvrage.

Cette "Relique" (en définitive si peu catholique ) fut pour moi une excellente surprise. Mélange de chronique médiévale et de roman picaresque, elle déroule, en un style allègre ponctué de quelques notes de gravité, les aventures de trois moines bénédictins engagés, sur les routes du XIIème siècle, en une quête drolatique mais non exempte de périls.

Après deux premiers chapitres qui, tout en présentant au lecteur le personnage central du livre, Abdon, lui rappellent aussi que le Bas Moyen-Age, surtout au sortir de l'an Mil, représentait une assez rude époque, l'histoire prend son rythme. Abdon, recueilli dans une abbaye alors qu'il n'était qu'un adolescent sans famille, est devenu moine. Probablement le moine le plus maladroit de tout le monastère - encore qu'il trouve un impressionnant rival en la personne de frère Bernard, un jeune et bon géant d'esprit très simple. En surpoids comme on dirait aujourd'hui, gourmand et attiré par d'autres plaisirs que, au fond de lui, il se sait incapable de goûter, Abdon n'en reste pas moins un homme bon et finalement bien plus malin que ne le fait apparaître un examen superficiel.

Exaspéré par les gaffes conjuguées d'Abdon et de Bernard, le prieur décide de les envoyer à la recherche d'une relique, laquelle pourrait, rapportée au monastère, assurer la fortune de celui-ci - et de ses membres. Tel est le prétexte officiel de leur départ, puisqu'il en faut bien un pour éloigner temporairement les deux moines et permettre à leurs frères de savourer ainsi quelques semaines, voire quelques mois de tranquillité. Pour plus de sûreté, l'homme de Dieu adjoint au duo frère Jérôme, un moine intelligent et responsable, et aussi maigre et osseux que les deux autres sont gras et forts. Puis il accorde sa bénédiction aux trois sacrifiés, leur assurant que, s'ils "translatent" l'os de Saint-Vincent du lointain couvent catalan qu'il leur a désigné au profit de la chapelle de leur propre monastère - à l'époque, les vols de reliques d'un monastère à l'autre étaient chose assez courante mais les moines-cambrioleurs étaient censés avoir reçu, par la prière, l'accord préablable du saint avant que ne s'effectuât ce que l'on nommait, par pudeur, la "translation" de ses restes - Dieu, bien loin de les punir pour ce larcin sacrilège, leur assurera le Paradis.

Voilà donc nos trois moines s'acheminant sur les routes du sud de la France, droit vers l'Hispanie, et y accumulant les rencontres - surprenantes, inquiétantes, douteuses, bénéfiques. Aucun d'eux ne se doute que, dans leur dos, le prieur, qui tient tout de même à obtenir sa relique, vient de déléguer, dans le même but, deux autres de leurs frères, réputés pour leur part comme intelligents et particulièrement habiles ...

Je ne vous dirai pas comment tout cela se finit. Sachez seulement que, sur cette route parsemée de bien des chausse-trappes (je vous recommande la curieuse scène fantastique, dans le château aux choucas), Abdon, Jérôme et Bernard se lieront d'une amitié indéfectible et que leur créateur, Jean-Louis Marteil, nous invite à les retrouver dans les deux tomes complémentaires de sa trilogie médiévale, dès "L'Os de Frère Jean" que je m'en vais entamer de ce pas (ou presque) en espérant y trouver autant de joie et de malice que dans "La Relique."

vendredi, juin 25 2010

Saisons Sauvages - Kettly Mars

Nous remercions les éditions Mercure de France qui, dans le cadre de l'opération "Masse Critique" de Babélio, nous ont permis de découvrir à titre gracieux le dernier roman de Kettly Mars : "Saisons Sauvages."

Le 22 septembre 1957, le Dr François Duvalier, qui s'était lancé dans la politique dès la fin des années trente, est très légalement élu à Haïti lors d'un scrutin qui lui rapporte plus de soixante-pour-cent des voix exprimées. Son programme, qui se veut "pro-négritude", exprime l'idée que les Noirs doivent occuper les postes-clefs au détriment des mulâtres, contaminés à jamais par le sang blanc qui, dans différentes proportions, coule dans leurs veines. C'est évidemment une politique raciste, sous-tendue par l'idée que la lutte des classes ne peut s'affirmer que par celle établie entre les Noirs et les mulâtres.

Il ne lui faudra que trois ans pour réécrire la Constitution haïtienne et s'auto-proclamer président à vie du pays. Il a chassé ou fait assassiner les militaires qui auraient pu s'opposer à lui et formé, dès juillet 1959, à la suite d'un attentat, la "Milice des Volontaires de la Sécurité nationale", dont les membres, qui lui sont tout acquis, sont mieux connus sous le surnom de "Tontons macoutes", terme équivalent en Haïti à notre croquemitaine. Les Macoutes ne perçoivent aucun salaire et se paient sur le peuple qu'ils sont censés protéger : viols, crimes, exactions de toutes sortes, tel est leur credo quotidien.

Lorsque débute le roman de Kittly Mars, cela fait déjà un an que l'île est aux mains des macoutes. Daniel Leroy, officiellement journaliste de l'opposition modérée mais en réalité militant communiste influent, vient d'être enlevé par la police politique. Il faut préciser que, bien que Duvalier ait, à l'origine, flirté avec le communisme, cette idéologie n'est désormais plus à la mode et que cette décision a permis au dictateur d'obtenir le soutien des Etats-Unis, alors en pleine Guerre froide.

Leroy est un personnage qu'on ne verra jamais. Le lecteur apprendra à le connaître par les extraits de son journal, extraits qui constituent l'une des voix du roman, les deux autres étant celles de Nirvah et de son amant. C'est le militant classique, sincère mais borné et d'une incroyable naïveté, incapable de comprendre que, dans son propre parti, certains sont prêts à le vendre. Pour moi, je l'avoue, il m'a fait l'effet d'un intellectuel sympa mais bien falot.

Il a épousé Nirvah, une belle mulâtresse issue d'un milieu social plus aisé, dont il a eu deux enfants, Nicolas et Marie. Elle ne travaille pas et, lorsque son mari s'évanouit dans la nature, ne laissant derrière lui que sa voiture, sur une route désolée, la jeune femme se résout à demander une entrevue auprès du Secrétaire d'Etat à la Sécurité publique, Raoul Vincent. C'est évidemment se jeter dans la gueule du loup, elle le sait mais n'a pas d'alternative.

A partir de là, nous avons le schéma classique : le Macoute qui se prend d'un désir fou pour la Mulâtresse et qui lui révèle même des plaisirs insoupçonnés, les voisins qui jasent et méprisent, et toujours le flou complet quant à l'avenir de Daniel Leroy.

Puis nous tombons dans l'outrance, non que les faits ne soient pas envisageables mais parce que le lecteur ne parvient pas un seul instant à y croire tels qu'ils nous sont présentés : Raoul Vincent séduit également Nicolas (quinze ans) et Marie (à peu près le même âge). Petit couplet sur les amours grecques dans le premier cas (Vincent n'est pas un ignare) et la traditionnelle relation compliquée entre une mère trop belle et sa fille adolescente dans le second. Finalement, Vincent, dont la situation est de plus en plus menacée au gouvernement, donne de l'argent à Marie pour qu'elle avorte (car elle est tombée enceinte de ses oeuvres, bien entendu), et de l'argent à Nirvah pour qu'elle quitte le pays que lui -même s'apprête à fuir avec sa famille légitime. Vous l'aurez deviné : personne n'y réussira ...

Ce qu'il manque à ce roman, c'est la mise en place du contexte historique - lequel, quoi qu'on en dise, n'est pas évident pour un lecteur extérieur à Haïti - mais surtout, la puissance d'évocation. Le style, correct, est celui de n'importe quel écrivain de base, sans plus. Les personnages, outre leur comportement outrancier, que la situation complexe dans laquelle ils se trouvent ne parvient jamais à justifier ou, à tout le moins, à expliquer, sont à la fois stéréotypés et superficiels. L'intrigue relève non du drame mais du (mauvais) mélo. Quant à la passion, il ne suffit pas de s'échauffer en décrivant les scènes de sexe pour réussir à l'atteindre.

Bref, une déception.* Mais ce n'est, bien sûr, que mon avis personnel. ;o)

dimanche, janvier 18 2009

La Marquise des Ombres - Catherine Hermary-Vieille

La Marquise des Ombres

La biographie romancée est un exercice périlleux. Avec celle de Marie-Madeleine d'Aubray, marquise de Brinvilliers, Catherine Hermary-Vieille assure avec élégance mais aussi avec une froideur de glace qui surprend le lecteur avant de s'affirmer comme une méthode pas si bête que ça pour dresser le portrait d'une psychopathe. Dommage que cette méthode se révèle si frustrante à l'arrivée.

Dans le cultissime "Silence des Agneaux", Thomas Harris a magnifiquement dépeint le défaut de conscience, la maîtrise absolue et au-delà de la normale qui caractérisent le Dr Lecter, personnage inspiré, dit-on, par plusieurs tueurs en série parmi les plus intelligents. Par la suite, il ira plus loin en tentant de trouver, dans l'enfance de Lecter, la faille par laquelle s'infiltre le déséquilibre.

C'est cette éternelle question : "Le psychopathe est-il né ainsi et, sinon, quand a-t-il sombré ?" que l'on continue à poser dans le cas de serial killers comme Ted Bundy ou Ed Kemper - c'est-à-dire deux hommes qui ont usé de préméditation et, dans le cas de Kemper en tous cas, n'en ont jamais fait mystère.

Toutes proportions gardées, c'est un peu ce qu'a tenté de faire ici Catherine Hermary-Vieille pour celle dont le procès préfigura, dans notre pays, au XVIIème siècle, cette "Affaire des Poisons" qui allait menacer jusqu'à la cour de Louis XIV.

La romancière règle le problème dès les premiers chapitres : l'abus sexuel perpétré contre la toute jeune Marie-Madeleine par un professeur de dessin anonyme, fasciné par sa beauté de petite poupée docile, puis la certitude que cette beauté et le sexe sont les seuls moyens pour obtenir et retenir l'attention des autres et principalement des hommes. Comme chez la majeure partie des tueurs en série, le manque d'amour parental dont souffrit la future marquise de Brinvilliers est patent. Comme presque toujours également, on observe chez elle un repli permanent sur elle-même afin de dissimuler ses émotions les plus intimes et les plus vraies.

Pour autant, Catherine Hermary-Vieille ne se livre pas à une analyse des motivations les plus profondes de Marie-Madeleine. Elle n'évoque même pas la folie qui, lentement s'installe : elle nous laisse l'observer. Elle prend grand soin de se maintenir à distance du personnage et elle le fait si bien que le lecteur en pâtit. Lui non plus n'ira pas plus loin que la froideur pathologique, les apparences lisses et logiques. Mme de Brinvilliers tue essentiellement pour l'argent et rien ne sera dit des motifs inconscients qui la poussèrent à passer à l'acte.

Bien sûr, le XVIIème siècle ne connaissait pas encore Freud mais le lecteur du XXIème, lui, ne peut l'ignorer. Aussi, bien qu'il reste sensible à l'intérêt de cette présentation glacée de l'héroïne, en voit-il très vite les limites et reste-t-il sur sa faim : quand il referme ce livre, les ombres qui accompagnent Mme de Brinvilliers se sont encore épaissies et quelque chose d'essentiel dans cette personnalité ambiguë nous reste étranger. ;o)

samedi, janvier 17 2009

L'Enfer à Domicile - Florence Juliard

L'Enfer à Domicile

C'est écrit à la va-comme-je-te-pousse, et parfois très mal - l'auteur l'aurait rédigé en trois semaines. Seulement, ce texte plutôt court - 156 pages en format poche - exsude folie, douleur et sincérité à chaque lettre et ça fait toute la différence. Pour moi en tous cas. L'éditeur, lui, parle d'autofiction mais comme le terme a été annexé par les Angot et consorts, mieux vaut s'en détourner : le récit de Juliard n'a rien à voir avec les happy few ultra-narcissiques de l'édition parisienne.

Pour raconter l'horreur vécue au quotidien, Juliard a choisi un récit non linéaire qui brise la chronologie en multiples fragments au mieux déconcertants, au pire régugnants. Avec elle, le lecteur trébuche, clopine, boîtille, s'effondre et rampe, rampe malgré tout vers la Lumière - que la narratrice ne trouvera semble-t-il que dans le suicide. Et souvent, il faut s'accrocher.

Nous sommes loin des milieux habituellement décrits dans les ouvrages consacrés à l'enfance en danger. Si la pauvreté et la crasse règnent en maîtresses dans ce roman au même titre que la folie, c'est dans un appartement du XVIème arrondissement parisien et dans un milieu mi-aristocratique, mi-grand bourgeois qu'elles se prélassent.

Le père, fils d'un officier d'origine kabyle et d'une Française, est psychiatre. La mère n'a jamais travaillé parce que, dans son milieu, les femmes n'ont pas besoin de le faire et que, de fait, la fortune familiale lui permettait l'oisiveté. Tous deux ont eu des enfants avec une constance de gallinacées à cette différence près qu'il n'ont jamais possédé la vocation de parents-poules. Surtout pas envers leurs filles parmi lesquelles une pauvre petite handicapée mentale qui ne sera jamais soignée. Les garçons ont un peu - un tout petit peu - plus de chance mais, à l'arrivée de la course, ça ne fera pas une bien grande différence.

Scènes de violence, repli pathologique sur soi, mauvais traitements ou négligences de toutes sortes, abandon moral et, dans une certaine mesure, physique des enfants, tout cela naît de la pathologie monstrueuse des parents assortie, chez la mère, d'une espèce de syndrome de Diogène doublé d'une sordide avarice.

Un livre effarant pour les uns, cruellement authentique pour les autres. Finalement, si l'on n'en sait pas plus sur l'auteur et si elle n'a rien produit depuis lors, c'est peut-être parce qu'elle a connu la même fin que son héroïne. En refermant "L'Enfer à Domicile", le lecteur ne peut s'empêcher de se poser la question ... :o(

vendredi, janvier 16 2009

La Mort Aux Yeux De Porcelaine - Gudule

La Mort aux Yeux de Porcelaine

Glauque, retors et pervers, tels sont les trois mots les plus aptes à caractériser ce roman ambigu. J'en suis sortie décontenancée, perplexe, me demandant pourquoi j'éprouvais un tel malaise.

Etait-ce en raison de certains passages explicites sur la pédophilie ? Non, on peut en lire autant - et bien pire - ailleurs.

Etait-ce en raison de la fin, pour le moins grinçante - et même abominable ? Mais les contes de fées de l'enfance ne sont guère mieux lorsqu'ils accablent les enfants désobéissants ou les adultes égoïstes et méchants. Or, ces textes-là, lus pourtant dès l'enfance, ne m'ont jamais occasionné de cauchemars et j'aime à les relire : dans le fond, c'est très moral.

Etait-ce alors en raison du style ou de la construction du roman ? J'avoue que cet emploi systématique du présent de l'indicatif me paraît surfait et des plus communs. Mais c'est le seul reproche qu'on puisse faire au style. Quand à l'intrigue elle-même, elle est très bien mise en place : ça frôle la perfection.

Mais peut-être ce rejet vient-il des personnages ou de l'histoire ? Ma foi, pour celle-ci, je savais parfaitement ce que j'achetais et les personnages sont dans l'ensemble bien campés. Le narrateur est particulièrement attachant ...

Eh ! oui, peut-être ai-je mis le doigt dessus : un héros attachant, surtout s'il s'agit d'un enfant (ce qui est le cas ici), doit toujours s'en sortir. On pardonne éventuellement à C. L. Stine les fins des ses "Chair de Poule" parce que son fond de commerce officiel, c'est le fantastique et que ses jeunes protagonistes ne sont pas toujours des anges. Tandis qu'ici, le petit Jonathan, douze ans, n'est vraiment pas un méchant gamin et il ne méritait pas ... ce qui lui arrive - et qui n'est d'ailleurs que suggéré.

L'auteur en effet n'est pas allée jusqu'au bout de son fantasme en le représentant. Mais elle nous laisse bien entendre qu'il n'y a aucun espoir et que ce qui doit arriver va arriver. Si moralité il y a, on pourrait à la limite inventer celle-ci : "Il y a toujours pire qu'un pédophile meurtrier ..." Morale à laquelle je ne saurais souscrire.

L'ensemble est troussé avec une grande roublardise qui doit entraîner certains lecteurs dans le délire imaginé par l'auteur. Les autres, dont je suis (probablement avec toi, Carla), referment "La Mort aux Yeux de Porcelaine" avec l'impression d'avoir été contraints d'avaler un plat absolument répugnant parce qu'un chef-cuisinier, particulièrement doué mais à l'imagination malade, leur avait présenté comme un délice de Lucullus.

Pire encore, on évoque le festin offert par Atrée à son frère Thyeste. Et, bien sûr, il ne reste plus qu'à aller se faire vomir ...

Donc, vous l'avez compris, je n'ai pas du tout apprécié. ;o)

dimanche, septembre 28 2008

Histoire Contemporaine : L'Orme du Mail - Anatole France

Pour beaucoup, se plonger dans Anatole France en commençant par "L'Orme du Mail", premier volume de la tétralogie "Histoire Contemporaine", c'est risquer la déception. Mais j'ai un faible pour cette série dont l'un des héros est un certain M. Bergeret, l'un de ces érudits tranquilles et aimables dont l'auteur avait le secret et comme la nostalgie et qui fut incarné à la télévision française par ce comédien de génie qu'était Claude Piéplu.

Certes, dans "L'Orme du Mail", M. Bergeret apparaît peu. Il est pourtant l'un des auditeurs favoris - sinon le préféré - de l'abbé Lantaigne, supérieur du grand séminaire de la petite ville provinciale où France situe l'action de son livre. Tous deux se rencontrent tout d'abord à la librairie Paillot, l'une de ces librairies à l'ancienne où les clients s'assemblent autant pour discuter des derniers rebondissements de la vie locale que des parutions les plus récentes. Mais ce qu'ils affectionnent, c'est de se retrouver en tête à tête, sur le mail, à l'ombre du fameux orme. M. Bergeret, époux et père méprisé, et l'abbé Lantaigne, célibataire opiniâtrement voué à la chasteté, y dialoguent avec délices sur Dieu, son être, son non-être, la foi qu'il inspire ou n'inspire pas et, bien entendu, sur les mille et une petites actions, veuleries ou héroïsmes, que l'homme affirme accomplir en son nom.

En notre époque où certains galvaudent l'idée de laïcité en la positivant, chose si facile après que d'autres, avant eux, aient tout fait pour déprécier sa valeur et non seulement la ridiculiser mais aussi, ce qui est bien plus grave, la taxer d'intentions xénophobes qui n'ont jamais été les siennes - en un mot, la calomnier - le lecteur qui ne possède que de très faibles notions d'Histoire et qui n'a pas eu la chance de naître dans un milieu où le principe de la laïcité était la référence par excellence, ce lecteur-là aura bien du mal à saisir la richesse de ce roman.

D'autant que Anatole France, qui prévoyait trois autres volumes, utilise "L'Orme du Mail" comme roman d'exposition. Une exposition lente, détaillée, très "Troisième République", plus proche de la finesse matoise d'un Voltaire que de l'exaltation puissante d'un Zola. D'ailleurs, si Claude Piéplu fut un Bergeret idéal, c'est parce qu'il goûtait un plaisir de gourmet à distiller les répliques pince-sans-rire que France prête si souvent à son personnage.

Courtoisie, subtilité, ironie, trois mots susceptibles de masquer à la première lecture la cruauté et l'absence absolue d'indulgence que manifeste Anatole France envers ses personnages - à l'exception peut-être de M. Bergeret, son "double" en quelque sorte, à qui il ne pardonne cependant pas sa lâcheté domestique. L'intrigue est elle aussi sans complaisance aucune.

M. Worms-Clavelin, préfet israélite et franc-maçon du département, songe à faire donner l'évêché de Tourcoing à l'abbé Guitrel, professeur d'éloquence sacrée au grand séminaire de la ville de X***. Onctueux et diplomate, M. l'abbé Guitrel a su en effet se faire bien voir non seulement du préfet et de son épouse (il déniche pour celle-ci de vieilles chasubles et divers objets du culte que Mme Wörms-Clavelin range dans les vitrines de son salon en tant qu'objets d'art) mais aussi du cardinal-archevêque, de nombre de ses collègues au séminaire, des parents de ses élèves, etc, etc ...

Seul ou presque tout seul à se dresser contre lui, l'abbé Lantaigne, qui oppose à ce prêtre cauteleux et mondain l'austérité exacerbée de l'ascète. Ainsi qu'un caractère anguleux et maussade et une propension extraordinaire à rabrouer tout le monde et à mettre les pieds dans le plat.

Pourtant, certains imagineraient bien M. l'abbé Lantaigne évêque de Tourcoing ...

"L'Orme du Mail" voit les deux camps installer leurs troupes en prévision des futures grandes manoeuvres. On y va doucement, à petits pas, presque sans avoir l'air d'y toucher et, pour les plus habiles, carrément sous le manteau. Anatole France en profite pour croquer quelques portraits de notables du cru et restitue en même temps les luttes du temps entre la IIIème République et l'Eglise. Tout le monde parle d'apaisement, tout le monde le réclame mais chacun des deux camps entend bien conserver le pouvoir politique.

Un vrai petit régal pour les amateurs. Les autres, c'est sûr, trouveront l'oeuvre bien vieillie et n'y prendront aucun plaisir. Ils passeront aussi, et c'est bien dommage pour eux, à côté d'un petit bijou d'intelligence et de malice. ;o)

jeudi, août 21 2008

Un Beau Ténébreux - Julien Gracq

Peut-être vais-je me faire huer mais tant pis : il faut avoir le courage de ses opinions et on ne peut pas tout aimer. Peut-être aussi ai-je trop de goût pour les morceaux de bravoure et les fresques en tous genres pour être à même de savourer comme il se doit ce genre d'intrigues plus que ténues.

Car je suis désolée : l'intrigue d'"Un Beau Ténébreux" est si ténue qu'on peine à l'apercevoir. Ca se passe en Bretagne, dans un très beau coin qui s'appelle "La Torche", dans le Finistère - et que je vous recommande chaudement d'aller visiter si vous en avez l'occasion. Le premier narrateur, Gérard, y est descendu à l'Hôtel des Vagues. Comme c'est l'été, il y a là beaucoup de vacanciers, des jeunes essentiellement, la bande "straight".

Gérard noue connaissance avec Christel - une Romantique revue à la sauce moderne car nous sommes dans l'immédiate après-guerre. Celle-ci se veut un personnage à l'Emily Brontë, entière, pleine de mépris pour qui ne l'est pas, etc, etc ... Ils vont se promener au clair de lune et c'est là d'ailleurs que Gracq commence à comparer les plages bretonnes aux blancheurs sahariennes ! (Au début, ça m'a estomaquée. Mais comme il continue tout au long du roman, ça a vraiment fini par m'énerver ! ...)

Puis arrive un couple, Allan Murchison et sa maîtresse, Dolorès. Déjà, quand ils pénètrent pour la première fois dans le restaurant, le ton est donné : les gens s'arrêtent de bavarder tant ils sont beaux. Avec ça, Allan a déposé un million de francs - en liquide - dans le coffre de l'hôtel : c'est vous dire le statut et que ce soit le dernier million d'Allan ne change rien à l'affaire.

Non seulement Allan est beau mais en plus, il est Romantique - avec la majuscule, c'est-à-dire que déjà, enfant, il n'y avait qu'une seule chose qui l'attirait : la Mort. A lire les descriptions de son séjour en pension, on évoque le Steerforth de Dickens - mais "Un beau ténébreux" n'est pas "David Copperfield", hélas !

Donc, on comprend très, très vite que - pour des raisons que je n'ai pas saisies car enfin, se compliquer autant l'existence que le fait cet Allan, franchement, on ne peut le faire que si on n'a pas d'autres soucis - le "Beau Ténébreux" a choisi l'Hôtel des Vagues pour marquer son mépris absolu de tous et de tout en se suicidant. (Il choisit, pour se trucider, un mode assez peu viril à mon sens mais très Romantique : il s'empoisonne.)

Il y a de superbes descriptions de paysages (hormis les visions sahariennes, je n'ai rien contre) et beaucoup d'intériorisation avec des passages sur le christianisme et Jésus. Le style est remarquable même si Gracq donne parfois l'impression - un peu comme Huysmans - de trop rechercher l'adjectif non pas rare mais inattendu pour obtenir un effet de décalage forcé avec le substantif.

Seulement, le problème, avec un style pareil, c'est qu'il faut lui donner des personnages et une histoire à sa mesure, toute en recherche de la perfection classique. Or, tel n'est pas le cas dans "Un Beau Ténébreux" dont les personnages et la trame s'oublient aussitôt qu'on a refermé les pages de l'ouvrage.

Ce roman m'a évoqué l'univers de Delly, celui de Sagan et, également, celui de Mauriac ou de Julien Green. Avec cette différence, pour moi flagrante, que tous ces auteurs, chacun dans un genre différent, parviennent à des dialogues naturels. A l'opposé, les personnages de Gracq souffrent d'un manque total de naturel et cela n'est jamais aussi apparent que dans les dialogues. A haute voix, c'est encore pire : on dirait que le romancier s'écoute écrire !

Vraiment, je suis déçue par ce roman qui m'a paru superficiel et rien que cela, mais je le suis tout autant par ma propre réaction. Difficile à comprendre mais c'est ainsi ...:o(

dimanche, février 17 2008

Le Moulin de la Sourdine - Marcel Aymé

"Le Moulin de la Sourdine" débute à la sortie de l'école, par un défi que se lancent les membres d'un groupe d'enfants. Très vite, émerge du lot le petit Antoine Rigaud qui noue ici amitié avec le jeune Buquanant, gamin issu d'un milieu plus populaire et, partant, jouissant de plus de liberté après l'école et, bien sûr, le samedi.

D'ailleurs, dès le lendemain, Buquanant a pour projet d'emmener sa petite amie, Marie-Louise, tout en haut du clocher du village. Il propose à Antoine de les accompagner et Antoine, non sans peine car son père est très strict quant à ses fréquentations, parvient à s'échapper.

Et voilà que, tandis qu'il s'écarte discrètement pour laisser Buquanant et Marie-Louise marivauder en paix, son regard tombe sur la fenêtre de la mansarde, dans la maison faisant face à l'église. Une femme qui se débat, un homme qui se penche, une calvitie aisément reconnaissable ...

... Antoine vient d'assister au meurtre de la servante du notaire et l'assassin n'est autre que M° Marguet en personne.

Le secret écrase l'enfant mais le pire est encore à venir : les soupçons se portent tout de suite sur Troussequin, le SDF du village, qui effectuait ce jour-là un petit travail dans la maison du notaire. Le malheureux a beau protester de son innocence, rien n'y fait : tout semble l'accuser ...

Sans avoir l'air d'y toucher, "Le Moulin de la Sourdine" dénonce l'impact désastreux de la religion sur la sexualité d'un homme qui, pourtant, est loin d'être une brute et nous est même bien souvent sympathique. En parallèle, Marcel Aymé pointe d'un doigt vengeur la façon exemplaire dont les notabilités d'une petite ville peuvent s'unir pour tenter de taire la vérité lorsque celle-ci risque de leur nuire. Même si la fin voit la libération de Troussequin, le rire ici résonne cruel et implacable. ;o)

La Vouivre - Marcel Aymé

Roman à mon avis mineur dans l'oeuvre de Marcel Aymé, "La Vouivre" tient son nom d'une divinité des eaux qui court les forêts comtoises en commandant aux serpents et en déposant de temps à autre sur l'herbe, afin de goûter aux plaisirs du bain, sa tiare où étincelle un rubis légendaire. Malheur à quiconque tente dérober le joyau : les vipères convergent alors vers lui et il meurt dans d'atroces souffrances, étouffé par les mille piqûres du venin.

Un jour, Arsène Muselier, qui a repris la ferme après la mort de son père, surprend la Vouivre. Mais ce garçon réfléchi résiste à l'envie de s'emparer du rubis et préfère engager la conversation avec l'étrange fille-fleur. Or, depuis cinquante ans, ainsi qu'elle le lui dit sans ambages, aucun homme ne l'a jamais regardée avec les yeux du désir : tous n'ont eu de regard que pour le rubis. L'attitude hors-norme d'Arsène interpelle la dryade et elle semble vouloir s'attacher à lui.

Ce qui ne l'empêche pas de poursuivre ses baignades dans la forêt. Bientôt, tout le village - ou presque - l'a vue. Y compris le maire et le curé qui, ici, reprennent un thème cher à Marcel Aymé : l'opposition entre la raison rationaliste et la foi chrétienne, hantée par le démon.

Arsène finit par se retrouver pris entre la Vouivre, Belette, la jeune servante et ses projets personnels de mariage avec une héritière locale. Et l'issue du conflit sera dramatique ...

Un roman mélancolique et tendre où Marcel Aymé met en sourdine son ironie et sa férocité habituelles, ce qui explique en partie pourquoi "La Vouivre" peut déconcerter. ;o)

jeudi, décembre 20 2007

La Jument Verte - Marcel Aymé

"La Jument Verte", qui consolida définitivement la réputation de Marcel Aymé lorsqu'elle sortit, en 1933, doit son titre à un tableau, fait d'après nature par le grand peintre Murdoire, de la jument à la robe verte née, au milieu du XIXème siècle, à la ferme Haudoin.

De génération en génération, le tableau a abouti chez Ferdinand Haudoin, le second fils de Jules Haudoin, lequel le lui a légué pour équilibrer la part d'héritage qu'il lui laissait. Vétérinaire et petit-bourgeois, Ferdinand n'est pourtant pas à plaindre. Econome de ses pulsions sexuelles comme de son argent, il est, et de loin, le plus riche des trois frères Haudoin. Il a même racheté à son frère, Honoré, la ferme que lui avait laissée leur père.

Comme il en a laissé la jouissance à Honoré et à sa famille, Ferdinand s'y rend régulièrement le dimanche, avec sa femme et ses trois enfants. Il faut dire que jamais il ne s'est désintéressé de son petit village natal de Claquebue où, en ce début de la IIIème République, les affrontements en cléricaux et anti-cléricaux battent leur plein.

En principe, Ferdinand est républicain et anti-clérical. Mais pour complaire au député Valtier, dont il espère des merveilles pour la réussite de son aîné, Frédéric, il se met en tête de convaincre Honoré - authentique et farouche anti-clérical, celui-là - de favoriser l'élection à la mairie de Claquebue de leur veil ennemi familial : Zèphe Maloret, anti-républicain et clérical notoire.

Hors de lui, Honoré se décide alors à expliquer à son cadet les raisons qui l'ont poussé à exacerber plus encore les antiques rancoeurs familiales - des raisons qui ne touchent pas moins qu'à l'honneur de leur propre mère, contrainte de céder à un soldat prussien du fait d'une dénonciation faite, au temps de la guerre de 1870, par Zèphe Maloret en personne.

Ferdinand rentre chez lui, rongeant son frein et, après un vague débat intérieur, éprouve le besoin d'écrire à son aîné pour tenter une fois de plus, de le convaincre. Pour mieux appuyer sa thèse, ne voilà-t-il pas qu'il a l'idée d'évoquer dans sa lettre la tragique infortune de Mme Haudoin Mère ...

... et ne voilà-t-il pas que, suite à une distraction passagère du brave facteur Déodat, la lettre du vétérinaire disparaît mystérieusement ...

Qui a bien pu s'en emparer ? Et dans quel but ? ... ;o)

L'un des meilleurs textes de Marcel Aymé, fin, matois et supérieurement construit, à peine saupoudré çà et là d'une verve typiquement gauloise qui, à l'époque de la parution, dut en émoustiller plus d'un. Un roman chaleureux et bon enfant, où défilent des personnages truculents en diable et où s'affirme, une fois de plus, la confiance inébranlable - quoique parfois cynique - de l'écrivain en la nature humaine. ;o)

dimanche, novembre 18 2007

Les Orchidées Rouges de Shanghaï - Juliette Morillot

Les Orchidées Rouges de Shanghaï

Après avoir acheté ce livre, j'ai cru que je m'étais fait avoir, qu'il ne s'agissait que d'une banale histoire romancée, une de plus, sur l'Asie. Et puis, dans un période de "vaches maigres" livresques, je me suis vraiment penchée sur lui, j'ai commencé à le lire ... et je n'ai plus lâché.

Le style en est simple, sans apprêts. On ne peut dire de lui qu'il soit exclusivement littéraire ou journalistique. Il ressemble à un mélange réussi des deux.

L'intrigue se base sur le destin de Mun halmoni, une vieille Coréenne que Juliette Morillot rencontra à Séoul en 1995 et qui lui raconta sa triste histoire de "femme de réconfort" pour les troupes japonaises pendant la Seconde guerre mondiale. Bien entendu, pour les besoins de la cause, Morillot a un peu arrangé les rebondissements, par-ci, par-là mais le fond demeure authentique et l'on ne peut qu'être épouvanté par ce qu'on découvre là.

En 1937, la jeune Sangmi (nom japonais : Kawamoto Naomi), quatorze ans, est sujette d'Hiro-Hito puisque son pays, la Corée, a été conquis il y a déjà quelque temps par l'Empire du Soleil Levant. C'est une brillante élève dont l'intelligence comble de joie et de fierté son instituteur japonais, l'honorable M. Nagata. Et quand l'administration militaire japonaise commence ses opérations de recrutement pour l'effort de guerre, elle a beaucoup de peine à décliner une invitation à rejoindre le service du Japon.

Mais alors qu'elle revient chez elle après sa journée de classe, elle est enlevée par les militaires, dirigée par un homme qui, tout au long du roman, sera son mauvais génie, à la fois éperdument amoureux d'elle et la haïssant en même temps pour la puissance du sentiment qu'elle lui inspire et la fierté qu'elle refuse d'abandonner : Fujiwara.

Après une soirée donnée en l'honneur d'officiers japonais et pendant lesquelles les jeunes filles enlevées en même temps que Sangmi servent à l'"amusement" de leurs hôtes, après avoir été elle-même violée par un Fujiwara qui ne veut plus la lâcher, Sangmi commence sa triste vie de chosen pi (traduction littérale : "vagin coréen"), nom donné à toutes les femmes coréennes qui furent contraintes de se prostituer pour "détendre" les troupes d'occupation japonaise pendant la Seconde guerre mondiale.

Mais le pire n'est peut-être pas là - aussi brutales, aussi horribles que puissent être ces "passes" qui tiennent de l'abattage. Poursuivie par la haine de Fujiwara, Sangmi sera même déportée dans un camp de concentration japonais et soumise à des expériences médicales qui auraient réjoui le sinistre Dr Mangele.

Et pourtant, Sangmi survivra. Elle parviendra même, après la fin du conflit, à recouvrer un semblant de vie "normale" même si, vous vous en doutez, il lui sera désormais impossible de faire l'amour avec un homme, celui-ci fût-il - comme son mari, juif allemand - le plus tendre possible.

Sous ses dehors romancés, "Les Orchidées rouges de Shanghaï" soulèvent deux grands débats :

1) la tolérance inouïe, le "pardon" accordé par les vainqueurs aux autorités japonaises alors que celles-ci avaient agi envers leurs prisonniers de guerre avec autant de cruauté que les Nazis l'avaient fait envers les leurs. Ce qui explique en partie pourquoi, aujourd'hui, au Japon, le silence est toujours maintenu sur cette page atroce de l'Histoire du pays. De vagues excuses, c'est ce qui a été accordé aux survivantes - et encore, prononcées du bout des lèvres.

La chose est d'autant plus révoltante que ces femmes, désormais "souillées", ont été rejetées, dans la majeure partie des cas, par leurs propres familles.

2) et bien entendu le statut de la Femme lorsque la Guerre survient.

Ce livre a en outre le mérite d'inciter à en savoir un peu plus sur l'occupation japonaise dans les pays asiatiques. Car je ne sais si vous l'avez remarqué, ;o) , si les librairies regorgent d'ouvrages sur les exactions des Nazis en Europe, les livres traitant des méfaits des militaires nippons sont beaucoup, beaucoup plus rares.

Une lacune à combler d'urgence. J'espère que "Les Orchidées rouges de Shanghaï" pourra commencer à vous y aider. ;o)

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