Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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In Danielis Memoriam.

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mardi, décembre 18 2007

Il est des soirs ...

... où l'on se sent comme dans la vieille chanson noire chantée par tant de voix noires - et quelques blanches aussi. On se sent comme un enfant sans mère.

Mais la douleur ressentie est la même et peu importe pour cela la couleur de notre peau, n'est-ce pas ? ...

... L'as-tu jamais ressentie, toi aussi, sur la fin ? ...

Sometimes I feel like a motherless child

Sometimes I feel like a motherless child

Sometimes I feel like a motherless child

A long ways from home

A long ways from home

True believer

A long ways from home

Along ways from home

Sometimes I feel like I’m almos’ gone

Sometimes I feel like I’m almos’ gone

Sometimes I feel like I’m almos’ gone

Way up in de heab’nly land

Way up in de heab’nly land

True believer

Way up in de heab’nly land

Way up in de heab’nly land

Sometimes I feel like a motherless child

Sometimes I feel like a motherless child

Sometimes I feel like a motherless child

A long ways from home

There’s praying everywhere

(Sources : chants des Noirs américains, popularisé, entre autres, par Louis Armstrong)

samedi, juin 23 2007

Encore un cauchemar.

J'ignore si c'est parce que je suis, ces temps-ci, très fatiguée et que je n'ai pas ma dose de sommeil mais cette nuit, j'ai encore eu l'un de ces rêves très "mauvais" qu'on peut appeler cauchemars.

J'y vivais avec toi et notre mère à P*, à Brest. De notre mère, tu étais largement revenu et nous subissions ensemble sa tyrannie affective, sa monstrueuse apathie, bref, tout ce que tu connais aussi bien que moi ...

Pour des raisons dont je ne me souviens plus mais qui se rapportaient toutes au refus de se responsabiliser de RM, j'étais conduite à tuer un homme mais à la place de notre mère et bien entendu, c'était à moi qu'il incombait de nous débarrasser du cadavre. Je le découpais en morceaux plutôt petits pour un corps humain car, à la fin, cela ressemblait à s'y méprendre à des morceaux de saumon cru. Toi et moi, nous les chargions dans une camionnette et ...

... Et là, je me suis réveillée, me rappelant vaguement que nous avions dilué quelques morceaux dans un lavabo (!!!!) et que l'odeur de la chair morte nous poursuivait, toi comme moi. J'avais aussi insulté notre mère comme jamais je ne l'ai fait et je la revois encore, se dressant devant nous, énorme, déformée, horrible ...

... Je me demande même si elle n'avait pas tenté de nous convertir au cannibalisme ...

Résultat : qu'est-ce que je suis fatiguée, aujourd'hui ! ... Je vais me faire un thé, tiens ... Et même un double ou un triple ...

Je raconterai ça à David ce soir : il saura peut-être m'interpréter ce fatras déplaisant.. ;o)

mardi, juin 5 2007

L'Oiseau de Malheur.

Hier, David devait conduire Fanchette, la chatte de notre mère, chez le vétérinaire. Mais c'était tout ce que je savais : de l'heure du rendez-vous, je ne connaissais rien.

A 16 heures, coup de fil. RM effondrée au téléphone. J'en conclus que le médecin a découvert quelque chose de grave chez le petit animal - après tout, Fanchette a plus de vingt ans et cela n'aurait eu rien d'étonnant.

Réponse de RM :

- " ... Mais non : David n'est pas encore passé chez le vétérinaire : il avait rendez-vous à 16 h 30. Je pleure parce que ma maison est si vide sans elle ... Et si elle meurt, que vais-je devenir ? ... Je n'ai plus qu'elle ..."

Là, brusquement, tout ce qui m'entourait s'est trouvé aboli. Je me suis assise, j'ai pris une longue inspiration et j'ai non pas revu mais senti une bonne partie de ma vie. Plus exactement, j'ai senti mon enfance, mon adolescence et mes premières années de jeune fille qui soufflaient sur moi en tempête, à jamais contaminées par cet art où notre mère n'a jamais rencontré son égal et qui consiste à se plaindre copieusement d'un malheur qui n'existe pas encore. et qui, si ça se trouve, ne prendra jamais corps. Jadis, je lui disais que, en agissant ainsi, elle attirait le Malheur. Jadis, j'essayais de la consoler. Jadis, je croyais en elle. Mais hier, je n'ai rien dit de tout cela. Cela fait si longtemps maintenant que je crois plus en sa sincérité.

J'avais envie de lui taper desssus - avec quelques pédophiles aperçus au détour d'une enquête télévisée, notre mère est la seule personne qui me fasse cet effet-là - et de lui dire des choses horribles. Mais je me suis dominée - avoir écrit toute la matinée m'a préservée. J'ai parlé le langage de la raison - il est si froid, c'est si facile - mais le coeur, lui, s'est tu. Et elle l'a senti.

Mais dans le fond, qu'importe ? Après tout, tout au fond d'elle-même, elle sait bien qui a aidé à tuer cette enfant qui la consolait ...

lundi, mai 28 2007

Que dire à RM ?

Mon pauvre ami, je ne sais plus quoi lui dire le soir. Elle a l'air si maussade ... Tout à fait comme si David ou moi-même étions responsables de son grand âge. Mais ce n'est pas notre faute, tout de même, si elle chemine vers ses 83 ans - le 18 juin prochain, très précisément ...

Tous les soirs, comme un rituel, je lui demande comment elle va, ce qu'elle a mangé, ce qu'elle a lu et comment se porte Fanchette qui, elle, compte tenu de sa nature féline et avec ses vingt ans bien sonnés, est plus que centenaire. "Fanchette, c'est tout ce qui me reste, tu comprends," me dit ma mère en toute candeur. "Quand je la perdrai, je perdrai tout ..."

Tu me diras qu'il vaut mieux entendre ça que d'être sourd. Soit. Mais il y a des soirs où j'ai envie non pas de hurler mais de dire quelque chose qui la choque profondément. (Si ! Si ! Il y a encore des choses qui la choquent, je t'assure ...)

Tiens ! demain, je sais : je vais lui faire croire que Mme S*, sa curatrice, pense faire installer une baignoire à porte. Ca va la mettre dans tous ses états et moi, ça me fera du bien ...

Non, Daniel, ne dis rien : je te vois sourire et même, je t'entends rire aussi.

Après tout, elle n'en mourra pas ... ;o)

mercredi, mai 16 2007

Nager A Contre-Courant.

C'est ce que je fais pratiquement depuis ma naissance, à tout le moins depuis la mort de notre grand-mère, c'est-à-dire depuis octobre 1967.

Les saumons agissent ainsi pour répondre à un instinct vital : celui de la survie de leur espèce. C'est bien la même chose pour moi.

Toi, tu faisais pareil mais tu n'en avais pas conscience. Trop attaché à notre mère - à croire que le cordon ombilical n'avait jamais été rompu entre nous - tu étais paralysé dans ta remontée du fleuve. Et sur la fin, combien cela a-t-il du être pénible pour toi ... Ce poids, ce poids immense, amorphe, digne d'un monstre lovecraftien, qu'elle représente ...

Je le sens bien aujourd'hui. Sais-tu que, tous les soirs, quand elle m'appelle, elle termine en m'affirmant : "Je prie pour toi !" Mais les prières, pour RM, sont des marchés. Elle ne saurait concevoir une prière gratuite :

- "Seigneur, je vous prie ce soir pour ma fille en espérant que vous passerez l'éponge sur tout le passé, quand prier n'était pas mon souci et la protéger, encore moins."

En dépit des années qui passent, je ne parviens toujours pas à me faire à ces pseudo-croyants qui ne conçoivent la prière que comme un prêté pour un rendu.

Que répondre ? Depuis que j'ai repris l'écriture, le "Ca" et le "Moi" ont signé la paix. Ce que j'écris permet au premier de ne pas prêter attention à ce qu'entend tous les jours le second.

Parfois cependant, le "Ca" se réveille. Quand notre mère me donne des conseils comme celui-ci : "Dans un régime, il faut persévérer !" Elle qui n'a jamais, de sa vie, fait un seul effort pour maigrir d'un seul gramme !

L'autre jour d'ailleurs, il a bondi. Il faut dire qu'elle venait de me demander : "Mais pourquoi te mets-tu dans cet état parce que ton fils n'était pas sage ? ..." Du tac au tac, aiguillonnée par le "Ca", je lui airépondu : "Evidemment, toi, tu ne peux pas comprendre. Tu as toujours eu des enfants exemplaires : et pour cause, nous vivions dans la terreur ! Quant à avoir des enfants autistes, tu n'en as jamais eu : cela, tu me l'as laissé !!"

Elle a fui. Comme d'habitude. Elle m'a passé David.

Mais ça m'avait fait du bien, de lui avoir lancé cela. ;o)

samedi, avril 21 2007

Souvenirs, Souvenirs ...

Cécile et moi avons passé pas mal de temps à regarder des photographies sur lesquelles tu n'apparaissais pas - et pour cause. Du coup, me revoilà ce soir en train de songer et de me souvenir ...

Bien que nous ne fussions pas jumeaux, tu as emporté avec toi un petit bout de moi-même.Celui-ci a trembloté, pâli et puis a semblé s'évaporer dans l'atmosphère. Un peu de moi-même a rejoint l'Au-delà. Oh ! non, on ne meurt pas en un seul jour : on s'en va peu à peu, parcelle par parcelle, avec parfois un gros morceau qui se détache d'un coup, à la suite de ceux que l'on a aimés - et même, je le crois, de ceux que l'on a tellement haïs parce que, il y a très, très longtemps, on a cru en leurs sourires. Le dernier jour ne vient que pour la machine, pour cette carcasse à qui Turenne reprocha de trembler, pour cet assemblage de nerfs et de muscles, de graisse et de peau qui se refuse jusqu'au bout à lâcher sa prise.

Nous sommes en fait comme nos granits celtiques sur lesquels la mer, sans cesse, se jette et se fracasse et qui, en apparence - mais en apparence seulement - ne vacillent pas d'un pouce et qui pourtant, lentement, irrémédiablement, s'usent et se fragilisent.

Demain, j'irai donc voter en songeant à toi, persuadée que nous nous serions sans doute chamaillés, avec délices et comme des chiffonniers, par téléphone (malgré tes 53 ans et les 47 qui sont les miens) et que nous n'aurions pas voté pour le même candidat. Mais quand viendra le soir, il n'y aura pas entre nous de ces discussions passionnées qui, pour nous, rimaient avec la politique. Dieu merci ! j'ai David, qui me téléphonera sûrement et, si ce n'est lui, c'est moi qui le ferai.

Mais cela ne m'empêchera pas de penser à toi. Je t'imaginerai, allumant lentement une cigarette et me disant, de ta voix lente aux accents vaguement métalliques : "Eh ! bien ! Les jeux sont faits ! Que va-t-il en résulter ? ..." Et je t'entendrai évoquer le pire - assurément. Et comme je ne pourrai pas te répondre que tu es un incorrigible pessimiste, je sais que, demain soir, pour une fois dans ma vie, cette description quasi amoureuse du pire - tu n'étais pas né pour rien sous le signe du Scorpion - me manquera.

Post 81 bis.

Te rappelles-tu la claque tellurique qu'avait prise la Droite en 1981 ? Te rappelles-tu tous ces délires qui voulaient que, en cas d'intronisation de François Mitterrand, le sol s'ouvrirait et nous engloutirait tous ?

Elle en a mis, du temps, à s'en remettre, de ce choc, notre Droite - "la plus bête du monde", comme disait ce bon vieux "Canard enchaîné." Pour ce faire, il lui a fallu en passer par Chirac et, maintenant, par Sarko. Mais elle s'en est remise, c'est sûr. Il lui a fallu plus de vingt ans pour ce faire mais elle y est parvenue.

Or, curieusement, depuis le 21 avril 2002, on voit un phénomène similaire se passer en face : la Gauche est en déroute et vacille encore, toute "sonnée." Il est clair que les militants P.S. n'ont pas foi dans le passage en force de Ségolène au premier tour. Mais le pire, ce sont les délires du style : "Si Sarko passe, le sol va s'ouvrir sous nos pas et la terre nous engloutira tous."

C'est complètement irréaliste et il est inutile de nous voiler la face : comme jadis, nous avons eu "la Droite la plus bête du monde", nous avons désormais "la Gauche la plus bête." Ce doit être une spécialité française.

Mais vois-tu, on ne devrait pas vieillir. Avec l'âge, comme on en a trop vu - forcément - on devient cynique. Pas plus que je n'imaginais la terre s'entrouvrant pour nous enfouir en elle lors de l'élection de Mitterrand, je ne parviens pas à imaginer la fin du monde si Sarko passe.

La fin du monde, ce serait si simple ...

Certains vont même jusqu'à dire qu'ils préféreraient Le Pen à Sarkozy. Alors, là, moi, j'en reste sur le flanc, sincèrement ... Et encore, je suis polie ... ;o)

dimanche, avril 15 2007

Pourquoi ?

Pourquoi le Créateur - s'il existe - donne-t-il la possibilité aux enfants de faire des rêves dont les trois-quarts ne se réalisent pas dans leur vie d'adulte ?

Ou, plus précisment, qu'il s'amuse, avec son sadisme habituel, à détourner - et, plus exactement, à défigurer ?

C'est un dimanche sans moral. J'ai toujours détesté les dimanches et j'espère bien ne pas mourir un dimanche. ;o)

samedi, avril 14 2007

Frida.

Le temps n'est jamais venu pour nous de discuter ici-bas de Frida Kahlo et de son art. Mais toutes les fois que je vois ses toiles - et tout particulièrement "La Colonne Brisée" - je pense à notre enfance et à ce qu'elle brisa en nous à tout jamais.

mardi, mars 20 2007

Décadence, rien que décadence ...

7 janvier 2007.

Elle ne s'arrange pas, tu sais. Je croyais, en lui contant les circonstances qui forcent ma belle-mère, atteinte de la maladie d'Alzheimer, à rejoindre une résidence spécialisée où la malheureuse ne pourra d'ailleurs demeurer que pendant 18 mois - après quoi on devra lui trouver quelque chose de plus simple, compte tenu de ses ressources - qu'elle s'apercevrait de la chance qu'elle a.

Mais non, rien, rien, rien !

Les plats préparés par David pour les deux Réveillons ? Infects ! La vie ? infecte ! Sa fille ? infecte ! David, infect ! Jusqu'au "Télégramme" qui devient infect parce qu'il ne lui rapporte plus de nécrologies connues d'elle !

L'autre jour, elle a eu la chance - eh ! oui ! - d'y lire la mort de Roger Q***, le fils de l'une de ses anciennes collègues de travail. Etait-elle heureuse ! C'en était émouvant !!!!

Elle était heureuse comme un vampire est heureux devant sa proie. Elle s'est repue de cette mort comme si elle avait bu à même la gorge du malheureux.

Avec cela, une idée épouvantable m'est venue. David la plaisantait l'autre jour en lui disant qu'elle vivrait jusqu'à 120 ans et une nuit, que je restais à rêvasser avant de m'endormir, je m'en suis remise à l'arithmétique pour savoir si la chose était possible.

Mais bien sûr, qu'elle est possible !

Quand notre mère aura 120 ans, j'en aurai 84, Gilles 90, David 77, Marie 58, Cécile 48 et Flavien 46 !

Le pire, c'est qu'elle trouverait ça vraiment infect ...

Blocage.

3 janvier 2007.

... Impossible d'appeler notre mère ce soir ou même d'entendre sa voix. Ca me révulse, vois-tu.

Les Angoisses de ma mère.

Octobre 2006.

A force de nier les réalités du présent et du passé, il est arrivé à ma mère ce qu'il devait bien arriver un jour : son sommeil la fuit et si, par hasard, Morphée s'assied à son chevet, il ne lui apporte que des cauchemars hallucinatoires où, les yeux étroitement calfeutrés sous leurs paupières, elle discute à haute voix avec les morts ou s'imagine que David git, blessé, dans le couloir obscur.

Et ça dure depuis des semaines : tout septembre y est passé ! Le malheureux David en devient chèvre. D'autant que son traitement médicamenteux ne semble plus agir sur ma mère : les somnifères, par exemple, ne produisent plus aucun effet - normal, cela fait près de 35 ans qu'elle en prend et, forcément, à ce rythme, elle les a tous essayés, ou presque. Mais ce qui lui fait le plus défaut, ce sont les anxyolitiques. Elle refuse de s'en faire prescrire. Ou plutôt elle refusait puisque, aujourd'hui, étant tombée pour la seconde fois (elle est déjà tombée hier), elle m'a tout de même promis d'en réclamer à son médecin.

Maintenant, comment oublier ses dernières paroles ? Elles m'ont émue autant qu'elles m'ont écoeurée. "Prie ta grand-mère pour moi, je t'en prie !" m'a-t-elle suppliée - oui, c'était une supplique. En d'autres termes, elle s'imagine que, même si je le pouvais, je chercherais à duper ma grand-mère en lui disant que sa fille fut une mère exemplaire. Ultime tentative - enfin, j'espère qu'il s'agit de la dernière - pour tenter de se décharger de ses responsabilités à autrui.

Je n'en reviens toujours pas qu'une femme qui est loin d'être sotte et qui a été élevée selon des principes aussi pieux que rigides termine ses jours dans de telles conditions. Oh ! matériellement, tout va bien. Physiquement, elle s'est superbement remise de ses ulcères. Et elle a conservé toute sa tête, comme on dit. Mais spirituellement, c'est le désastre. Comme chacun de nous quand se profile l'heure ultime, elle se retrouve seule face à elle-même. Je comprends qu'elle ait peur mais je ne puis rien pour elle. Ses erreurs, sa lâcheté, son sado-masochisme larvé ne sont pas les miens. Certes, ils ont influé sur ma vie mais ils me restent extérieurs. Je ne les porte pas en moi ni ne les porterai jamais. Pour certains psys, c'est en effet dès ma vie intra-utérine que j'ai commencé à m'opposer à eux : mon avance est largement confortable.

Et impossible de lui faire entendre tout cela : il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, surtout si le sourd en question se double d'un fieffé orgueilleux et d'un sombre narcissique.

Adieu, RM, je t'ai aimée malgré tout mais ton ultime fardeau, je ne puis m'en charger : si quelqu'un doit t'accompagner devant l'Ankou, ce ne peut être moi. "Tes" morts, comme tu aimes à le dire d'un air important, te prendront en charge et il faudra bien que tu assumes ta vie devant eux.

Mensonges en Ratatouille.

13 août 2006.

Avec tout cela, j'ai oublié de te raconter un incident survenu l'autre jour.

Comme tu le sais, attendu que notre mère fait une vie d'Enfer à David si je ne lui dispense pas mon coup de fil quotidien, j'ai repris cette sinistre routine. A ceci près que, malgré moi, j'expédie désormais la chose très rapidement. Plus rapide que Marie quand c'est elle qui s'y colle, par affection pour moi.

Questions simples, voire simplettes : - Tu vas bien ? - Il a plu ? - Tu as soupé ? - Qu'as-tu mangé ce soir ? ... etc ...

Or donc, la semaine dernière, elle me répondit, sur un ton méprisant qui me surprit :

- "David a fait de la ratatouille.

- Oh ! Cela a dû te plaire," dis-je, en toute innocence. "Tu as toujours aimé ça."

Silence banquisal au téléphone auquel succède cette affirmation péremptoire :

- "Moi, aimer la ratatouille ? Jamais !"

Ce fut, évidemment, plus fort que moi. Disons que le "Moi" passa alors en pilotage automatique et que le "Ca", qui n'en revenait pas de pareille aubaine, répliqua, vipérin :

- "Ah ? Dans ces conditions, pourrais-tu m'expliquer pourquoi tu en mangeais avec notre père et tu laissais celui-ci nous forcer à en manger ?"

Silence de plus en plus polaire au bout du fil. Puis :

- "Moi ? Je n'ai jamais fait ça !"

Oh ! Nom de Dieu ! Là, elle dépassait les bornes ! J'ai explosé.

- "Comment peux-tu mentir avec un tel aplomb ? Je te revois dans la cuisine de la rue Baratier, en train de peler tes oignons, ton ail, et de mêler tout ça avec les aubergines, les courgettes et la purée de tomates fraîches sans oublier ces infâmes poivrons découpés que notre père adorait et qui empuantissaient tout le plat !!!! "Avec beaucoup d'huile d'olive, hein, Arthur ?" ajoutais-tu, "c'est si bon, mon trésor !" Parce que c'est comme ça que tu l'appelais, ce monstre ! ... Comment oses-tu ? ... Comment peux-tu t'imaginer un seul instant que j'ai oublié ? que j'oublierai jamais ? ..."

Je l'avoue non sans un certain plaisir, cela ne me gênait absolument pas de lui mettre les points sur les "i". Il ne restait donc à ma mère qu'à se livrer à son habituelle pirouette :

- "Je ne me rappelle rien de ce que tu me dis là. Puisque je vois que tu es de mauvaise humeur, je vais te laisser et te passer David ..."

Comme c'est commode, n'est-ce pas ? ...

Comme c'est lâche, aussi ...

La ratatouille, niçoise ou pas, cette horreur rougeâtre, je la vomis encore. Rien que l'odeur me donne la nausée et il m'arrive de trembler de dégoût quand j'en vois un plat chez des amis - je n'en fais jamais chez moi. __Et elle, notre mère, qui était là, à confectionner ce plat qu'aimait tant son époux, tout en sachant pertinemment que cela annonçait une nouvelle scène de torture pour moi à l'heure du repas puisque je devais manger tout, jusqu'à la dernière bouchée ...

Elle, qui ose me dire aujourd'hui : "Je ne me rappelle rien ..."__

... parce qu'elle n'a tout de même pas le cran de me répondre que j'invente tant elle est sûre que, arthrose ou pas, je grimperais dans le premier train pour éclaircir définitivement cette histoire de ratatouille si jamais elle avait l'audace de se foutre ainsi de moi.

N'empêche, parfois tu sais, elle doit trouver rudement pratique que tu sois mort et que, par conséquent, tu ne puisses plus témoigner ...

L'Hypocrisie des Convenances.

18 juin 2006.

Je sais, je sais, RM est née le 18 juin, 16 ans avant que le Général ne lance son Appel historique - qu'on ne commémore jamais, on peut se demander pourquoi ...

Je vais donc appeler et présenter mes voeux.

Je me déteste quand je me montre aussi hypocrite, fût-ce par convenance. ;O(

De l'Utilité des Fibromes.

Juin 2006.

Je songeais à cela cette nuit, en cherchant le sommeil : lorsqu'elle a appris qu'elle était à nouveau enceinte, ma mère a désespérément souhaité que je fusse un fibrome. Mon père, en effet, ne voulait pas de troisième enfant.

Si j'avais été un fibrome ou, mieux encore, si je n'étais pas née à terme, beaucoup de choses m'eussent été épargnées : en fait, j'aurais gagné un maximum dans l'affaire.

Du moins, je le crois.

Mais eux, mes chers, si chers parents ? ...

Qui aurait rapatrié de Perpignan l'urne funéraire de mon père ? ...

Qui, surtout, aurait veillé à ce que ma mère ne finît pas dans une maison de retraite de dernière catégorie ? ...

Le Destin s'est montré bien ironique avec eux. J'espère qu'Il continue avec mon père, qui a gagné l'Au-delà il y a six ans et j'espère surtout qu'il n'épargnera pas ma mère lorsqu'elle rejoindra enfin l'homme avec qui elle souhaita si fort que je ne fusse rien d'autre qu'un amas de fibres stériles.

Statu Quo.

Juin 2006.

Je n'y peux rien, tu sais, Daniel. Désormais, mes relations avec RM sont purement formelles. Deux ou trois mots - toujours les mêmes - et rien de plus. Et j'ai l'impression qu'elle s'en rend compte.

Curieusement, ce n'est pas là méchanceté de ma part. C'est simplement que je suis trop lasse pour agir autrement. J'ai jeté l'éponge. Je sais que, pour obtenir d'elle une parole de regrets, il faut qu'elle ait la faux de l'Ankou sur la veine jugulaire. Dès que celle-ci s'éloigne, RM redevient telle qu'elle est - telle qu'elle a toujours été : égoïste, ne pensant qu'à elle et estimant que tout lui est dû.

Ce qui me gonfle le plus, c'est qu'elle ose traiter David comme la cinquième roue de la charrette. Elle n'arrête pas. Elle, qui devrait être heureuse d'avoir cette chance que quelqu'un s'occupe d'elle chez elle, elle s'obstine à traiter cette personne comme un esclave.

A son retour chez elle, c'est vrai, elle était faible. Mais maintenant, elle abuse de cette "faiblesse" qui n'a plus rien à voir avec la fatigue qui l'accablait à sa sortie de l'hôpital. La preuve : si David va en soirée, elle trouve le moyen de se lever toute seule dans la nuit pour se faire un petit en-cas. Il y a deux ou trois jours, c'était un artichaut. Sur l'assiette, David avait déposé les queues de deux autres artichauts : il aime bien les grignoter. Du coup, RM les a jetées à la poubelle bien qu'elle sût pertinemment que David y trouve une gourmandise.

Puis, elle a laissé tomber du beurre sur le sol, uriné à droite et à gauche, piétiné dans le tout ... et elle est repartie se coucher.

Le lendemain, elle attendait l'éclat mais David n'est pas tombé dans le piège. Il s'est contenté de nettoyer en silence. Ce qui a certainement frustré notre mère car elle aime les disputes, les tensions et la violence, toi et moi sommes bien placés pour le savoir.

Ce n'est plus "Tatie Danielle" mais Tatie RM.

Franchement, je le maintiens : RM ne fut qu'un accident dans ma vie. Le plus pénible des accidents sans doute mais rien de plus.

Et j'espère bien que, là où tu es, tu es enfin parvenu à penser comme moi. ;O)

Abysses.

23 mai 2006.

Après la dernière hospitalisation de RM, après tout ce cirque auquel elle s'est livrée et l'obstination qu'elle apporte à refuser les examens et les séjours de repos nécessaires au maintien de son bien-être,

Après sa sortie contre David aujourd'hui même, lorsqu'elle m'a dit :"Mais pourquoi le prévenir ? On n'a pas à le prévenir !"

Devant cet égocentrisme si monstrueux qu'il est incapable de percevoir la valeur humaine de son prochain si cette valeur ne lui rapporte rien dans l'immédiat,

Je m'engage aujourd'hui solennellement à ne plus avoir aucun rapport direct, oral ou écrit, avec notre mère.

Dès demain, je rédige une lettre à son médecin traitant réclamant le certificat médical qui donnera le coup d'envoi à la transformation de la curatelle en tutelle. Y sera également soigneusement stipulé que David et moi-même refusons désormais toute responsabilité à venir dans la manière dont elle gèrera sa santé : régime, examens, séjours de repos, elle refuse tout car elle "est libre de son corps" (sic). Fort bien. Mais la liberté se vit jusqu'au bout ou ne se vit pas.

Bien entendu, je serai présente quand l'heure viendra mais, me défiant avec raison de mon Surmoi, je m'arrangerai pour ne pas la voir à la dernière extrêmité. Rien que son cadavre. Tant pis.

Incinération : soit. Mais si je ne puis faire ouvrir le colombarium pour des raisons financières, pas question que je me coltine l'urne cette fois-ci. Je ne veux pas de ça chez moi. Dans cette hypothèse, je demanderai une urne non scellée et je disperserai ses cendres.

Après cela, à Dieu vat !

RM aime le Mensonge.

Rentrée de cet après-midi chez elle, RM affirme que l'hôpital l'"a foutue dehors", passant donc allègrement sur les trois semaines qu'elle y a passées, les soins efficaces qui lui furent donnés là-bas et, bien entendu, sur les demandes pressantes de se rendre ensuite soit à Guilers, soit à Ti Yann.

Pour diverses raisons, je n'ai pu prendre le temps de rédiger aujourd'hui la lettre qu'il me faut adresser à son médecin-traitant mais dès demain, je prends cinq minutes entre les enfants - qui sont malades en ce mois de mai exécracle : bronchite aiguë et conjonctivite infectueuse - et je la lui adresse en L.R.A.R.

Quelle âme sèche est la sienne : elle est un véritable Himalaya d'égocentrisme ... Le pire, c'est qu'elle y a sacrifié sans remords ses enfants et ses petits-enfants.

Moloch ... et puis le Vide.

Mai 2006.

Pourquoi ce vide ?

J'ai toujours vécu avec depuis la mort de notre grand-mère - toi aussi, j'en suis sûre - mais il m'aura fallu attendre près de quarante ans de plus pour parvenir à le voir dans sa plénitude.

Disons que je l'ai découvert morceau par morceau, par petits bouts pointus et ensanglantés, autant d'éclats fichés dans mon coeur et qui ont fait de celui-ci cette chose tordue, défigurée et couturée de cicatrices qui s'obstine à battre en moi parce que le corps n'est rien qu'une machine.

Enfant, je n'osais pas le regarder. Déjà, je m'enfuyais - tu t'enfuyais toi aussi - dans la lecture : ils ne pouvaient pas nous y rejoindre, ils ont toujours été si bornés là-dessus, les imbéciles ...

Adolescente ... Mais ai-je été adolescente ? A cette époque, tu étais déjà en pleine dépression, tu t'enfermais, te rappelles-tu, dans ta chambre, rue d'A***, volets clos dans la journée, et tu fumais, tu fumais jusqu'à ce que le plafond de ta chambre en devînt tout jaune. Alors, c'était moi qui accompagnais notre mère pour demander des crédits aux commerçants des Halles et des délais à l'EDF. Jusqu'au jour où elle m'a laissée, la brave femme, m'y rendre toute seule : j'avais quinze ans et demie.

Adulte, je crois que je commençais à voir et ma première psychothérapie fut en ce sens un bienfait - elle m'a probablement sauvée. Mais alors, nous nous sommes séparés. J'avais relevé la tête, j'avais regardé le Moloch en face, je n'étais plus comme toi. Tu m'admirais de l'avoir fait mais en parallèle, tu me haïssais aussi d'avoir eu ce courage.

De mon premier mariage, tu m'en as vraiment voulu. D'ailleurs, tu as, à cette époque, tenté de quitter (enfin !) notre mère. Mais tu n'as pas pu. Je t'ai traité de faible mais je sais bien aujourd'hui que tu ne le pouvais pas : elle t'avait castré à jamais. C'est si facile de castrer un garçon, une fille, pardi, c'est diantrement plus compliqué !

Et puis, tu as fui, avec elle. Tu l'as emmenée à Marseille où vous avez végété pendant dix ans, toi te cramponnant à elle parce qu'elle ne t'avait jamais permis de grandir et elle, te vampirisant de plus en plus étroitement, s'abandonnant de plus en plus, dans sa crasse, ses excréments, son mépris absolu pour les autres, fussent-ils issus de sa chair.

Survint alors la Mort pour notre père et les inévitables formalités testamentaires. Les retrouvailles, ta voix prudente et lasse au téléphone, en cette soirée où je tapais je ne sais plus quoi dans les ateliers de Trébeuil-sur-Ploucs. Encore aujourd'hui, cela me fait sourire de savoir que tu as toujours tablé sur le fait que, aussi incorrigible que toi en la matière, je ne manquais jamais de me faire inscrire sur les listes électorales : nous étions bien frère et soeur. Malgré tout.

Ce furent nos derniers bons moments. Volés, grapillés une fois de plus mais au moins vrais, sincères de part et d'autre. On avait même recommencé à se disputer sur le plan politique : comme au bon vieux temps ...

Et puis tu es mort. A quarante-sept ans, emporté par une embolie pulmonaire mais persuadé que tu étais atteint d'un cancer, ayant mené la vie d'un prisonnier, d'un reclus, d'une victime, broyé, impitoyablement broyé par RM.

Tu me l'as laissée, évidemment : que faire d'autre ? J'étais la plus forte : on n'apprend pas impunément à survivre. Il y a des avantages à la chose mais aussi pas mal d'inconvénients.

Sans doute t'es-tu dit que, puisque j'avais vu le Moloch une fois, je tiendrais bon. Mais tu n'avais prévu (et pour cause) ni Marie, ni Flavien. Tu commençais simplement à te dire que quelque chose clochait - tu étais trop fin pour ne pas l'avoir pressenti. De là à penser qu'elle nous avait caché cela, à toi comme à moi ... On ne juge jamais les autres que sur soi-même et ce que tu n'aurais jamais fait, tu ne pouvais imaginer qu'elle n'aurait aucun scrupule à l'accomplir.

Contempler le Moloch en face, pour l'horreur qu'il vous a infligée, à vous, c'est une chose. Etre tenu de voir le Temps se craqueler sur sa face mafflue et la Pourriture lentement s'en venir pour fermer à jamais ses yeux de dément, c'est bien différent quand on sait que, dans sa malfaisance inouïe, sournois, hideux, il s'est attaqué à la chair même de vos enfants et que, malgré tout, sous cette horreur, gît la femme qui vous a porté, vous, neuf mois dans son ventre.

Il n'y a plus rien en moi de la petite fille qui croyait que sa mère l'aimait - ou si peu, perdue, là, tout au fond, c'est à peine si je l'entends, pire : je ne veux pas l'entendre. Aux griffes chauffées à blanc du Moloch, j'ai abandonné une bonne partie de moi-même et les brûlures, sans cesse, se réveillent et me mordent, me mordent jusque dans mon sommeil.

Mais au moins, quand le jour viendra, aurai-je la satisfaction de voir agoniser le Moloch. Et la Paix descendra sur moi. Je veux y croire.

Et le vide ? Crois-tu qu'il aura disparu ? Cela aussi, je veux y croire.

Avec RM, Plus ça change, Moins ça change.

22 mai 2006.

Après avoir refusé une dernière radioscopie, RM regagne ses pénates demain. Bien entendu, elle n'avait pas tenu à me dire qu'elle avait refusé l'examen et qu'elle avait de même refusé le séjour en maison de repos - une maison fort agréable, soit-dit en passant - qu'on lui avait proposé dans la foulée.

Mais je l'ai appris par la bande.

Le résultat ? Elle me dit, regonflée à bloc : "De toutes façons, cela ne te regarde pas."

Fort bien.

Quand elle retournera à l'hôpital dans quelques temps, cela ne me regardera pas plus.

Cet après-midi, j'appelle sa curatrice pour savoir si on ne peut pas la placer sous tutelle car il est clair qu'elle nuit à ses intérêts et avant tout à sa santé.

Mais je te le répète, je le fais pour toi et pour notre grand-mère. Pas pour elle. Comme je viens juste de le lui dire avant de lui raccrocher au nez : "Finalement, puisque tu veux crever, crève."

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