Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Grandes Affaires Criminelles.

Fil des billets

samedi, novembre 17 2012

De Sang-Froid - Truman Capote

In Cool Blood Traduction : Raymond Girard

ISBN : 3280050864503

Extraits Personnages

Dans la nuit du 14 au 15 novembre 1959, à Holcomb, sorte de banlieue de la ville de Garden City, dans le Kansas, les quatre membres de la famille Clutter étaient froidement mis à mort par un ou plusieurs inconnus dont le mobile demeura longtemps inconnu ou plutôt inacceptable puisque tout le monde savait que Herbert W. Clutter, quoique fortuné, ne conservait chez lui que de très faibles sommes en espèce. (Par la suite, les assassins devaient confirmer qu'ils n'avaient retiré de l'affaire qu'entre quarante et cinquante dollars.) Le 30 décembre de la même année, à Las Vegas, Perry Smith et Dick Hickock, considérés depuis peu comme les principaux suspects, sont arrêtés par la police locale assistée de membres du K. B. I. (Kansas Bureau of Investigtion). Ceux-ci vont effectivement recueillir les aveux des deux criminels qui seront condamnés à la peine de mort au printemps suivant. D'appel en appel, leur exécution n'aura lieu que le 14 avril 1965. Entretemps, Truman Capote, qui enquête sur l'affaire depuis pratiquement son début, aura achevé le livre qui est généralement tenu pour son chef-d'oeuvre mais qui est aussi son chant du cygne - car il n'écrira plus ou très peu de valable après sa parution. Ce livre, c'est "De Sang-Froid."

Capote souhaite que son lecteur y voie une enquête minutieuse et objective sur l'affaire Clutter dans tous ses développements. On doit reconnaître qu'il n'a pas ménagé sa peine car il a passé quatre ans à recueillir propos et témoignages et à rencontrer un maximum de protagonistes dont évidemment les deux assassins. Fasciné par la personnalité torturée de Perry Smith, il dira à son sujet, de façon très explicite : "Nous avons grandi dans la même maison. Mais l'un est sorti par la grande porte et l'autre, par l'entrée de service." Le drame de Capote, conséquence inattendue du quadruple meurtre des malheureux Clutter, gît là, dans cette relation privilégiée qu'il entretiendra avec les deux tueurs et tout particulièrement avec Smith, jusque dans le couloir de la Mort.

A-t-il trahi leur confiance en écrivant "De Sang-Froid" tel que nous pouvons le lire aujourd'hui ? A-t-il d'ailleurs trahi celle d'autres intervenants ? Oui et non. Car Truman Capote est avant tout un écrivain, et pas n'importe lequel : l'un de ceux qu'on peut assurer "grands" alors même qu'ils consacrent une bonne partie de leur existence à s'auto-détruire avec conscience. Certains témoins interrogés affirmeront ainsi que Capote n'a pas retranscrit leurs dires aussi scrupuleusement qu'il l'a déclaré pour la promotion de son livre. Pour Hickock et Perry, l'horreur de leurs actes rend la chose bien plus ambiguë : sans nier le Mal qui a fini par leur empoisonner l'âme, il maintient en eux cette part d'humanité dont les criminels ne jouissent pas en général dans les ouvrages qui leur sont consacrés. Pour Smith, son favori évident - et à qui il n'est pas exclu qu'il s'identifiait d'une certaine façon - Capote va même bien plus loin : reprenant à son compte le rôle du grand oiseau jaune qui, dans les rêves de Perry enfant et adolescent, arrivait à temps pour le sauver des pires situations, il brosse de lui un portrait tel qu'il lui confère l'immortalité littéraire.

Mais quoi que l'on pense de l'attitude de Capote, le "faiseur d'argent" comme l'appelait Jack Olsen, "De Sang-Froid", son enfant bien-aimé, n'en reste pas moins un grand livre, dense comme la forêt de l'Ogre, haletant comme un thriller haut-de-gamme, profond comme les méandres de l'inconscient - et construit de main de maître. Si les premières pages peuvent paraître un tantinet paresseuses, on se rend compte tout de suite que cette chaleur et cette quiétude aussi accablantes l'une que l'autre sont là pour souligner l'horreur de la tragédie qui va s'abattre sur Holcomb. Chose rarissime - et même unique à notre connaissance - pour un ouvrage consacré à une enquête criminelle, les petits côtés agaçants, pour ne pas dire les défauts des victimes, sont alignés, sans fard, ni tentative de justification, à côté de leurs réelles qualités. De même, chez les meurtriers, qualités et vices sont représentés avec le même souci d'impartialité. Enfin, Capote a le courage d'attirer l'attention sur les conditions dans lesquelles se déroula le procès de Smith et Hickock, conditions qui, en bonne logique et dans un tout autre Etat que le Kansas, auraient sans doute frappé le verdict d'irrecevabilité.

Que le lecteur se rassure : nous ne cherchons pas ici à prétendre que les deux criminels ne méritaient pas la peine capitale. Mais cela n'empêche pas de rester intègre. Or, que le psychiatre ayant procédé à l'expertise des accusés n'ait pas eu le droit de développer sa réponse sur leur état mental - il devait se contenter de répondre par oui ou par non à la question : "Un tel était-il légalement en état de démence quand il a accompli l'acte qu'on lui reproche ?" - relève de la malhonnêteté morale et juridique la plus absolue et fait malheureusement planer sur la condamnation des senteurs pour le moins déplaisantes.

Tel quel, que son auteur ait parfois "monté un peu la sauce" comme certains l'ont assuré ou que, au contraire, il se soit astreint à une stricte objectivité, "De Sang-Froid" brille d'un éclat singulier, mêlant, en un genre où, depuis Villon, on ne les y attendait guère, poésie et humanité. C'est là la marque du "don" reçu par le poète ou l'écrivain, un don qui s'anime sans toujours consulter celui qui le possède mais qui insuffle une vie étrange, magique et un peu irréelle - un peu de poussière d'étoiles en somme - à des matériaux qui, en d'autres temps et sous une autre plume, seraient demeurés d'une lamentable platitude. Ce don, Truman Capote en était investi au plus haut degré : il suffit de lire "De Sang-Froid" pour le comprendre.

samedi, octobre 13 2012

Libéré Pour Tuer - Gera-Lind Koralik

Freed To Kill Traduction : Jean-Daniel Brèque

ISBN : 9782277070498

Extraits

Etat au réseau routier particulièrement important, les Etats-Unis ont enregistré très tôt l'apparition d'une espèce particulière de tueurs en série : le highway killer ou tueur de l'autoroute. Parmi ceux-ci, Larry Eyler occupe une place à part.

Le 30 septembre 1983, Larry Eyler est arrêté, en principe pour infraction au code de la route. Il est en compagnie d'un auto-stoppeur à qui il vient de proposer cent dollars s'il accepte de se laisser attacher et dominer pendant un rapport sexuel. C'est d'ailleurs dans cet objectif qu'Eyler a arrêté son véhicule. Peur de celui qui l'a pris en stop ou refus tout simple de se voir retenu par la police pour une affaire où il apparaîtrait comme prostitué homosexuel occasionnel, l'auto-stoppeur se garde bien de signaler quoi que ce soit de bizarre aux policiers. Ceux-ci pourtant savent que Larry Eyler arrive en bonne position sur la liste des suspects dans l'affaire du mystérieux tueur qui parsème de cadavres masculins la portion d'autoroute allant de Terre Haute à Chicago. Mieux, après avoir enfermé Eyler dans une cellule, alors qu'il n'est encore inculpé de rien, ils vont patienter jusqu'à l'arrivée de deux membres de la Brigade spéciale formée pour travailler sur l'affaire du "Tueur de l'Autoroute" ...

Cette garde-à-vue, officieuse mais bien réelle, en l'absence de tout motif juridique légal - avoir arrêté son véhicule dans un fossé ne peut être passible que d'une amende sans gravité - est l'un des multiples vices de procédure qui amèneront à la libération d'Eyler. lorsqu'il sera appelé à comparaître devant un jury.

Dans ce premier procès, Eyler finira presque par faire visage de victime. Avec d'autant plus de facilité que l'homme est loin d'être antipathique. Un peu bougon certes, très timide et mal à l'aise sur sa sexualité mais bon employé et individu attentionné et serviable. Enfant, c'était la même chose : Larry était apprécié.

Au reste, au fur et à mesure que l'auteur nous fait progresser dans la découverte de sa nature, on se rend compte que, si l'on excepte les crises de colère violente qui l'opposent à son amant, John Dobrovolskis - toujours pour des motifs de jalousie - Larry Eyler, en dépit d'une enfance chaotique, n'est pas vraiment le mauvais homme. Il a, certes, cette manie du bondage mais d'abord, il est loin d'être le seul, ensuite beaucoup de ceux avec qui il l'a pratiquée sont prêts à témoigner que tout s'y déroulait normalement.

Et pourtant, on finira par le prouver : chaque fois que Larry et John se sont disputés, un meurtre répondant à un certain mode opératoire, celui du "Tueur de l'Autoroute", a été perpétré. Eyler se fera finalement prendre après avoir déposé dans des containers des sacs poubelle contenant le corps démembré du jeune Danny Bridges, quinze ans, enfant des rues et prostitué. Il sera condamné à mort, le 9 juillet 1986 mais décèdera huit ans plus tard du Sida, après avoir confessé vingt meurtres de plus et avoir confirmé ce dont ceux-là mêmes qui l'avaient condamné se doutaient depuis longtemps : à savoir qu'il avait au moins un complice, si ce n'est deux.

A ce jour, ce ou ces complices sont toujours en liberté. Ce qui laisse à penser que, après l'arrestation d'Eyler, ils ont soit trouvé un autre partenaire dans le crime, soit décidé d'agir désormais en solitaire. L'hypothèse qu'ils aient pu s'arrêter de tuer n'est pas crédible.

L'ouvrage de Gera-Lind Kolarik, écrit à la troisième personne bien que la journaliste soit intervenue dans l'enquête, ne fera sans doute pas date dans le genre mais il a le mérite d'exposer clairement les faits et de se montrer impartial. Dans l'absolu, les motivations du juge qui permit la libération de Larry Eyler se justifient pleinement : trop de vices de formes entachaient l'enquête et emprisonner l'accusé revenait à faire fi de ses droits légaux. Il n'en reste pas moins vrai que cette libération a permis le meurtre du jeune Danny Bridges ... Koralik, pour sa part, se refuse à condamner : elle expose, c'est tout, laissant au lecteur le soin de se faire une opinion et de trancher - s'il y parvient en conscience.

Mais au-delà de toutes ces questions de procédure, une autre, bien plus terrifiante parce qu'elle n'est toujours pas résolue (et ne le sera sans doute jamais) se pose : combien de "Tueurs de l'Autoroute" y avait-il, dans les années quatre-vingt, aux Etats-Unis ?

... Et combien ont-ils fait de victimes ? ...

lundi, septembre 17 2012

Enquête Mondiale Sur Les Tueurs En Série - Stéphane Bourgoin & Isabelle Longuet

ISBN : 9782246785972

Extraits

Ce "pavé" passionnera surtout ceux qui ne possèdent pas d'autres ouvrages de Bourgoin. Les autres y trouveront peu de nouveautés et beaucoup de choses qu'ils connaissent déjà. Le titre en outre ne correspond pas vraiment à la vérité du livre, la grande majorité des tueurs en série mentionnés dans cet ouvrage étant de nationalité américaine pour un Sud-Africain et trois ou quatre allemands. Le monde est plus vaste et la France elle-même possède ses tueurs en série reconnus - cités ici très brièvement et surtout pour servir d'exemple ou de contre-exemple, le ""serial killer"" étant sans doute proche du monstre absolu mais n'en restant pas moins tributaires de la culture dans laquelle il est né.

Sinon, le schéma reste le même : définition du tueur en série par opposition à ses tristes "confrères", le meurtrier qui tue au maximum deux fois mais ne va jamais plus loin et le tueur de masse, l'habituelle distinction entre les tueurs psychotiques (et désorganisés) et les tueurs sociopathes (et organisés), une parenthèse sur le métier de profileur, pas mal de statistiques, dix-huit "portraits" de tueurs en série parmi lesquels l'ignoble Albert Fish, Edmund Kemper, Gerard Schaefer, Otis Toole, etc ... et l'avis de trois psychiatres sur le phénomène. Suivent une intéressante bibliographie et une sorte de petit dictionnaire des tueurs en série plus connus que les autres.

L'ensemble, qui reprend, par la force des choses, des pages d'autres livres de Bourgoin, en est à son troisième ou à son quatrième remaniement : c'est dire qu'il est plutôt complet mais non exhaustif. On regrettera, vu la qualité du travail présenté, que Bourgoin et ses collaborateurs éventuels comme Isabelle Longuet et Joël Vaillant, ne songent pas à un deuxième, voire à un troisième tome sur les serial killers européens, leurs homologues asiatiques, africains, etc ...

Deux points qu'on retiendra avec intérêt :

1) les efforts des autorités françaises dans la mise en place d'un fichier de délinquants sexuels (vivier d'où proviennent très souvent les tueurs en série). Ces efforts sont constamment battus en brêche par l'agitation démago-gogo des associations pour les Droits de l'Homme. Sans états d'âme, celles-ci oublient allègrement les droits bafoués des victimes tabassées, violées et assassinées. Tout comme elles s'acharnent à jeter un voile d'oubli sur ce mythe authentique que constitue le fameux "suivi médical" des violeurs remis en liberté : il s'agit là bel et bien d'un mensonge monstrueux qui apaise peut-être la conscience de nos démagogues mais ne soulage en rien des individus qui ne voient pas pourquoi on leur demanderait de soigner ce qui leur apporte tant de plaisir et constitue même leur seule raison d'exister ;

2) et le fait que, en France, le métier de profileur n'a, pour l'instant, aucune réalité juridique, vide susceptible d'engendrer des escroqueries.

En résumé : si vous n'avez jamais rien lu de Bourgoin (et si vous avez le coeur bien accroché), procurez-vous cette "Enquête ..." en gardant à l'esprit qu'elle est plus nord-américaine que mondiale. Quoi qu'il en soit, vous ne devriez pas être déçus et elle vous fera découvrir beaucoup de choses. En revanche, si vous avez chez vous la majeure partie de ses ouvrages, achetez-le uniquement à titre de curiosité et parce que vous êtes, sans doute et tout comme moi, un aficionado de l'auteur.

samedi, mars 31 2012

Un Tueur Peut En Cacher Un Autre - Corinne Hermann & Philippe Jeanne ( II )

Hermann et Jeanne démontrent donc qu'il est parfaitement irresponsable de vouloir raisonner "à l'américaine" quand on se trouve face à un tueur européen. Au mieux, cela bloquera l'enquête, au pire, cela la détournera de sa véritable voie. Ils plaident également pour une meilleure coordination entre les juges ayant en charge des dossiers de disparitions et d'assassinats, et qui, en unissant leurs efforts, auraient mis beaucoup plus rapidement hors de nuire un Francis Heaulme ou un Michel Fourniret. (L'une des rares ressemblances entre tueurs en série américains et européens - mais elle est de taille - c'est la capacité des uns comme des autres à tirer avantage d'un système judiciaire qui, ici comme à New-York mais pour des raisons différentes, enferme policiers et magistrats dans leur juridiction, les rendant sourds et aveugles à ce qui se passe dans celle d'à-côté, là où pourtant l'assassin qu'ils recherchent s'est prudemment enfui afin de poursuivre en paix son oeuvre de mort.)

Nos deux auteurs insistent aussi sur la nécessité faite à la société dans son ensemble d'étudier les tueurs en série mis sous les verrous et, ainsi, de tenter de prévenir les actes de ceux restés à l'extérieur. Technique déjà pratiquée aux Etats-Unis et qu'il faudrait bien entendu adapter à notre propre système pénitentiaire - même si les inévitables Droitdel'hommistes hurleront une fois de plus au scandale en cherchant à transformer d'immondes bourreaux en malheureuses victimes. Enfin, ils mettent en garde contre le redoutable jeu des remises de peine qui libère sans complexe des violeurs et des pédophiles récidivistes alors que, inexorablement, tôt ou tard, ceux-ci seront amenés à passer au degré supérieur du crime.

La thèse est étayée par l'étude de cas bien connus en France : l'adjudant Chenal et les Disparus de Mourmelon, Francis Heaulme qui poussait systématiquement au viol des complices choisis au hasard pourvu qu'ils eussent un mode de locomotion (le "Routard du Crime" n'avait pas permis de conduire), Thierry Paulin et son amant, Maturin, les "tueurs de Vieilles Dames" de l'Est parisien, etc, etc ... A l'exception du premier chapitre, on ne tombe jamais dans le pathos. Il n'y a pas non plus de complaisance malsaine. Rien que du solide, du grave, du sérieux - et du passionné, par deux passionnés.

A lire. Absolument.;o)

lundi, mars 19 2012

Un Tueur Peut En Cacher Un Autre - Corinne Hermann & Philippe Jeanne ( I )

Extraits

De Corinne Hermann et Philippe Jeanne, j'avais déjà lu le remarquable "Les Disparues d'Auxerre", sans doute l'ouvrage le plus complet et le plus juste sur ce que l'on appelle habituellement "l'Affaire Emile Louis" mais qui s'attarde également sur d'autres cas de jeunes filles et jeunes femmes s'étant évanouies dans la nature au coeur de l'Yonne - région qui, entre parenthèses, semble cumuler les dossiers mis au placard alors qu'ils devraient être encore sur la place publique.

"Un Tueur Peut En Cacher Un Autre" ne traite pas d'une affaire en particulier mais s'attaque à l'inquiétant problème causé par les tueurs en série maintenant que, avec les progrès de la technique et la libération des frontières, ils commencent à faire tache dans notre paysage européen. Il fut en effet une époque, guère si lointaine que cela, où les Européens - et nous autres, Français, en particulier - assurions avec superbe que le phénomène était typique de la société américaine, de sa culture de l'arme à feu et de son goût quasi inné pour la violence. Désormais, le discours a un peu changé et les tueurs en série sont admis - si l'on ose dire - à revendiquer leur place, en France comme dans le reste de l'Europe.

Ce virage à cent-quatre-vingt degrés de nos instance dirigeantes, toutes tendances politiques confondues, les a malheureusement amenées à s'emparer - une fois de plus - du modèle américain afin de le faire concorder avec les tueurs européens. Elles découvrent aussi avec enthousiasme les merveilles d'un profilage dont les méthodes font du surplace depuis maintenant plus de quarante ans mais que continuent à glorifier, pour des raisons d'audimat et de gros sous, les séries venues d'Outre-Atlantique. Ce faisant, on oublie que les bons profileurs sont rares et que, étant humains, ils restent faillibles. Et aussi, et surtout, que les méthodes qui fonctionnent aux USA ont beaucoup de mal à faire leurs preuves en Europe.

Même s'il met en danger la société dans laquelle il est né, le tueur en série, tout monstre qu'il est, n'en reste pas moins tributaire de ladite société. En lui, malgré tout, sont gravées des références (ou des contre-références) qui lui viennent de ses racines, et ce sont à elles qu'il revient, y compris quand il tue.

Michel Fourniret, Monique Olivier : Les Diaboliques Devant Leurs Juges - Alain Hamon, Fabienne Ausserre & Hervé Rourira

Michel Fourniret, Monique Olivier : Les Diaboliques Devant Leurs Juges Alain Hamon, Fabienne Ausserre & Hervé Rouvira

Extraits

L'affaire citée étant particulièrement abominable, nous ne reviendrons pas sur les faits reprochés à leurs auteurs. D'autres sites - et d'autres ouvrages - sont là pour ça. Nous précisons également que l'ouvrage évoqué ici n'est pas celui, également écrit par Hamon et Ausserre, et qui fut retiré de la vente à la demande des familles des victimes.

Le présent volume vise avant tout à restituer, autant que faire se peut, les personnalités des assassins, Michel Fourniret d'une part et Monique Olivier-Fourniret, de l'autre. Pour ce faire, les auteurs ont abondamment puisé dans une correspondance que l'un d'eux avait entamée avec Fourniret lui-même, en lui dissimulant bien entendu sa profession de journaliste. Le résultat, en dépit de certaines précisions apportées sur le déroulement des crimes, reste assez sobre : il a en outre le mérite de poser la question de la responsabilité réelle de Monique Olivier-Fourniret.

En dépit des apparences comme en dépit de la logique, la personnalité de cette dernière, qui tient ici le rôle ô combien trouble de ce que Corinne Hermann et Philippe Jeanne, dans l'excellent "Un Tueur Peut En Cacher Un Autre", définissent comme "la Femme de l'Ogre", est encore plus complexe que celle de Fourniret. (Son QI est d'ailleurs plus important que celui du tueur - et pourtant, Fourniret en possède un particulièrement élevé.)

Se présentant, au début de l'affaire, comme la malheureuse compagne d'un fou - nul ne l'oubliera, dissimulant son visage derrière une veste devant les caméras affamées, ne donnant en pâture à la meute des journalistes que deux pauvres mains toutes tremblantes - Monique Olivier est tout de même la première, après l'arrestation de son mari, à révéler les crimes de celui-ci. Mieux encore, alors que Fourniret tentera presque jusqu'au bout de la protéger et d'amoindrir sa part de responsabilité, elle n'hésite pas à le charger au maximum. Tout cela en jouant à l'épouse soumise et pas très fine, qui subit par peur des représailles plus que par amour véritable, fût-il gangrené.

Mais tout cela ne colle pas avec les lettres adressées par elle à Fourniret avant la sortie de prison du tueur, en 1987, et dans lesquelles ceux qui ne sont pas encore amants concluent un véritable pacte de sang : lui se charge de liquider l'ex-mari de Monique, elle lui fournira des proies. Et ça ne colle pas non plus avec la participation active de cette femme aux "chasses" de Fourniret, mettant les jeunes filles en confiance puis les "préparant" pour le viol. Et puis, un argument s'impose d'office, écrasant : puisque Fourniret n'a pas respecté sa part du marché - l'ex-mari de Monique Olivier est toujours en vie - pourquoi a-t-elle continué ?

... Parce qu'elle y trouvait du plaisir. Evidemment.

"Mais comment ?" dira-t-on. "N'était-elle pas mère, elle aussi ?" Si peu ... Sans doute à la manière égocentrique et dénuée de réel amour de ces femmes qui tolèrent l'inceste sur leurs enfants et même le favorisent pourvu que cela fasse le bonheur de leur cher époux ...

Et l'on referme le livre avec la certitude angoissante qu'il existe des ténèbres pires que celles qui inspirent les tueurs en série - les ténèbres de celles qui, en pleine connaissance de cause, les acceptent pour compagnons. ;o)

samedi, mars 17 2012

Ceux Qui Aiment Tuer ( IV ) - Thierry Simon & Daniel Pujol

Pour John Wayne Gacy, il semble bien que, pour nos deux auteurs, son crime le plus horrible soit d'avoir été à la tête d'une petite entreprise, rejoignant du coup, fût-ce à une modeste échelle, le patronat américain. Mais c'est quand ils en arrivent à Jeffrey Dahmer que Simon & Pujol atteignent au summum. La préférence sexuelle de ce dernier le portait vers les hommes noirs ou asiatiques. Ici, cette caractéristique est retournée comme un gant, de manière à prouver que Dahmer tuait par racisme et non, comme cela a été établi et comme il l'a toujours revendiqué, pour conserver auprès de lui "des amis à qui parler". Et le tandem de glisser incidemment dans son texte que Dahmer avait "un nom allemand." (!!!!)

Comment, avec de telles extrapolations qui ne reposent sur rien et qui vont même à l'encontre des faits établis, comment accorder un crédit valable au travail de Simon & Pujol, même quand ils pointent du doigt les conditions très souvent difficiles dans lesquelles se déroula l'enfance d'un Ricardo Ramirez ou d'un Henry Lee Lucas ? Les vérités contenues dans leur livre - car il y en a - se diluent dans leur démonstration qui veut que la société américaine, dans ce qu'elle a de plus triomphant et aussi de plus opposé aux régimes d'obédience marxiste, soit la Grande et Seule Vraie Responsable de l'existence des tueurs en série aux USA. A trop vouloir faire l'ange, c'est la bête que l'on fait : ils auraient dû y réfléchir.

Bien qu'il ait pour prétexte le phénomène des tueurs en série, ce livre parle surtout politique et idéologie. On peut donc passer son chemin sans regrets. Pour une étude des serial killers américains, prenez plutôt Bourgouin qui, lui, traite le sujet à fond et sans aucun parti pris. ;o)

Ceux Qui Aiment Tuer ( III ) - Thierry Simon & Daniel Pujol

Outre William George Heirens, l'ouvrage retrace l'essentiel des parcours d'Ed Gein (dont les meurtres inspirèrent le "Psychose" de Robert Bloch et, plus tard, le film éponyme d'Hitchcock), d'Alberto de Salvo (le violeur en série connu sous les noms de "Le Mesureur", puis "L'Homme en Vert" avant d'être reconnu coupable des meurtres de l'Etrangleur de Boston), de Charles Manson (le "gourou" qui téléguida l'assassinat de Sharon Tate et de ses visiteurs, dans la résidence hollywoodienne de l'actrice, sur Cielo Drive), d'Edmund Kemper (dit "L'Ogre de Santa-Cruz", l'un des très rares tueurs en série qui aient choisi de se rendre à la police) de John Wayne Gacy (l'entrepreneur à la vie bien établie qui montait des spectacles d'anniversaires pour les enfants de ses amis et, dans l'ombre, tuait de jeunes homosexuels), du très charismatique Ted Bundy, de Henry Lee Lucas (complice d'Otis Toole et anthropophage), de Ricardo Ramirez (parfois surnommé "Le Fils du Diable") et enfin de Jeffrey Dahmer (le "Cannibale de Milwaukee," mort en prison des suites du SIDA).

Une chose frappe dans l'attitude des auteurs : certes, ils considèrent les tueurs choisis comme des monstres - y compris Ed Gein, le seul qui fut officiellement reconnu comme atteint de folie - mais cela ne les empêche pas d'en accabler certains plus que d'autres. Or, curieusement, ce sont les plus intelligents ou ceux qui réussirent le mieux leur intégration sociale qui restent dans le collimateur de Simon & Pujol. Alors, on pourrait penser que les deux auteurs déplorent le gâchis qu'ont ainsi fait de leur existence - et de celles de tant de victimes - des hommes qui, au départ, possédaient de réelles qualités pour réussir. Mais à la lecture, on perd vite ses illusions ...

Par exemple devant l'acharnement - il n'y a pas d'autre mot - avec lequel Simon & Pujol s'entêtent à dénier à Ted Bundy le QI élevé qui fut le sien, raillant presque sa faculté à faire des études et à émerger de la classe moyenne pour atteindre le niveau supérieur. (Au passage, Ann Rule, coupable d'avoir tenté de décrire son ancien collègue de travail de manière aussi impartiale que possible dans son livre "Un Tueur Si Proche", est accusée d'avoir contribué à forger le "mythe" Bundy.) Edmund Kemper, au QI lui aussi largement supérieur à la moyenne, paraît pour sa part avoir basculé dans le crime non à cause de sa relation plus que chaotique avec sa mère mais à cause de la participation de son père aux Forces spéciales durant la Seconde guerre mondiale. Circonstance aggravante, Kemper Sr admirait John Wayne.

Qu'ils rappellent avec raison l'éclatant manque de lucidité des institutions psychiatriques où séjourna Kemper après le meurtre, commis dans son adolescence, de ses grands-parents, carence qui aboutit à son renvoi à la vie de tous les jours parce que, selon les psys, il était "guéri", ne dédouane pas pour autant nos auteurs. En effet, ils présentent alors les dysfonctionnements de ce genre d'organismes et les erreurs des psychiatres comme typiquement américains, ce qui est loin d'être le cas.

vendredi, mars 16 2012

Ceux Qui Aiment Tuer ( II ) - Thierry Simon & Daniel Pujol

Dès leur introduction, j'avais trouvé le ton des auteurs un peu orienté. Mais je m'accusai de paranoïa et d'étroitesse d'esprit et décidai de continuer. Manque de chance - pour Messieurs Simon et Pujol - ils affirmaient, dès leur premier cobaye, que celui-ci, un meurtrier compulsif nommé William George Heirens et surnommé "Le Tueur au rouge-à-lèvres" (à ce jour le plus vieux prisonnier des pénitanciers américains) était autiste. Comme ça, sans aucune sommation. Je repris le chapitre depuis le début : aucun signe d'autisme. De problème avec la mère et la sexualité, oui mais d'autisme, non. Peu après, Simon & Pujol, croyant sans doute utiliser un synonyme, taxaient leur tueur de déséquilibre mental.

Par acquis de conscience, je fouillai un peu à d'autres sources, y compris anglo-saxonnes, pour voir si, par hasard, le terme "autisme" ne se trouvait pas associé ailleurs à Heirens. Mais rien : ni en français, ni en anglais, je ne découvris rien. Simon et Pujol avaient utilisé le terme sans savoir exactement quelle genre d'affection il représente et surtout sans se demander un seul instant si l'idée du crime en série peut être associé avec raison à celui d'autisme. En d'autres termes, peu leur importait que des personnes ignorant tout de l'autisme et des autistes puissent s'imaginer, en les lisant, courir un danger en présence de quelqu'un atteint par ce trouble.

Dire que pareille désinvolture, pareil mépris de la souffrance d'innocents et pareil "réajustement" de la vérité, me blessèrent et me choquèrent, c'est trop peu dire. En tous cas, je continuai ma lecture, bien décidée à dénicher d'autres incohérences, d'autres approximations, et à les inventorier dans ce billet.

Ceux Qui Aiment Tuer ( I ) - Thierry Simon & Daniel Pujol

Ceux Qui Aiment Tuer : Tueurs en Série, Une Tragédie Américaine

Beaucoup de théories ont été échafaudées pour tenter d'expliquer le phénomène des tueurs en série. On a parlé et on parle toujours de démence, d'infirmité de la conscience, voire d'absence absolue de conscience, d'inadaptation sociale, de rejet, de traumatismes sexuels et de maltraitances diverses subis dans l'enfance, etc, etc ... Jusqu'ici, j'avais toujours vu ces motifs ou quelques uns d'entre eux évoqués au pluriel : c'est-à-dire que plusieurs d'entre eux doivent être au rendez-vous pour créer le tueur en série. Théorie qui, si elle n'explique pas tout, paraît quand même assez cohérente.

Vous jugerez donc de mon étonnement, puis de ma stupeur grandissante, au fur et à mesure que Thierry Simon et Daniel Pujol développaient la leur au fil des pages d'un ouvrage que je ne recommanderai à aucun lecteur à moins qu'il ne soit un fervent supporter d'Olivier Besancenot et consorts.

Pour Simon et son compère, une seule explication à ce qu'ils nomment "une tragédie américaine" - à croire que l'Europe n'a jamais eu et n'a toujours pas ses tueurs en série : le capitalisme galopant qui s'incarne dans une course-poursuite à la réussite et qu'aggrave la liberté de se procurer une arme dès que bon vous en chante.

Oh ! bien sûr, nos auteurs ne l'écrivent pas de façon aussi péremptoire - encore que, par moments ... Mais enfin, à l'arrivée, le résultat est le même : d'ailleurs, le livre s'achève sur une citation de Malcolm X, en appelant - déjà - à Allah.

Cependant, pour étayer leur discours outrancièrement anti-américain, Simon et Pujol sont bien obligés de s'attarder un peu sur quelques tueurs en série parmi les plus connus. Ils en ont retenu une dizaine, qu'ils présentent à l'innocent lecteur comme autant d'exemples des méfaits suscités par la société américaine.

Le problème, c'est que, tout tueur en série étant en fait le résultat d'un certain nombre de facteurs plutôt disparates, la démonstration risquait de perdre très vite son caractère politique. D'où l'obligation pour Simon & Pujol de passer en douceur sur certains détails - quand ils ne les passent pas carrément sous silence. Le néophyte ne décèlera pas la manipulation, mais il n'en sera pas de même pour celui qui a déjà lu d'autres ouvrages sur la question.

jeudi, mars 15 2012

Affaires Non Classées - John Douglas & Mark Olshaker

The Cases That Haunt Us : From Jack the Ripper to Jobenet Ramsey Traduction : Emmanuel Scavée

Extraits

Co-écrit par John Douglas, ancien agent du FBI, et le journaliste Mark Olshaker, ce volume de plus de quatre cents pages ne casse pas trois pattes à un canard. Certains lecteurs, parmi les néophytes, risquent même de s'ennuyer grave s'ils ne possèdent pas une connaissance assez étendue des affaires criminelles qui se sont déroulées de l'autre côté de la Manche et surtout de l'Atlantique.

Contrairement à ce qu'ils se proposaient de faire, Douglas et Olshaker n'apportent aucun éclairage nouveau sur les affaires qu'ils extraient de leurs cartons plus ou moins poussiéreux. En ce qui concerne Jack l'Eventreur, premier grand tueur en série officiellement répertorié et qu'admirait Joseph Vacher, notre hexagonal "tueur de Bergères", la chose ne saurait trop étonner : les noms des principaux suspects valables sont toujours là mais nous n'aurons jamais, sauf miracle authentique, la preuve décisive qui désignera le seul coupable parmi eux - en admettant d'ailleurs qu'il y soit réellement.

Même son de cloche pour l'enlèvement du tout jeune Charles Lindbergh Jr : les auteurs se contentent de démontrer que Bruno Hauptmann, qui fut exécuté en avril 1936 comme seul responsable du kidnapping et de la mort du bébé, avait sans doute des complices, lesquels ne furent évidemment jamais retrouvés.

Le meurtre atroce d'Elizabeth Short, mieux connu sous le nom d'"Affaire du Dahlia Noir", ne reçoit pas non plus d'illumination particulière : ce qu'en disent nos auteurs sonne plutôt comme un ronron reprenant à son compte les éléments de l'enquête et les réalignant les uns après les autres, mais sans plus.

Le traitement réservé à l'Etrangleur de Boston est un peu plus imaginatif puisqu'il rappelle, mais très brièvement, qu'Alberto de Salvo ne fut peut-être dans l'affaire qu'une espèce de bouc-émissaire, coupable des viols reprochés à l'Homme en Vert mais qui, par la suite, peut n'avoir reconnu que des faits qui lui auraient été rapportés par l'un de ses co-détenus de jadis. Pourquoi aurait-il agi ainsi ? Par vanité, bien sûr mais aussi dans la certitude que, de toutes façons, il serait enfermé dans un hôpital psychiatrique et non dans une prison d'Etat - ce qui ne fut pas le cas.

Deux autres "cas" sont traités de la même façon, de manière si banale, si peu digne d'intérêt, si dénuée de punch que j'ai même oublié à qui ils se rapportaient. Bref, le lecteur européen n'apprend quelques menues choses que lorsque Douglas et Olshaker s'attaquent à l'affaire Lizzie Borden et à celle de la petite JoBenet Ramsey.

Le nom de Lizzie Borden est bien connu des amateurs de fantastique puisque, pour une raison mal définie - peut-être la petite comptine très évocatrice qui courut après les meurtres, "Lizzie Borden took an axe, etc ..." n'est-elle pas étrangère au phénomène - la littérature, le cinéma et la télévision ont fait d'elle une espèce d'équivalent féminin de Jack Nicholson dans "Shining." Mais à notre connaissance, aucun ouvrage documentaire n'est paru en français sur cette affaire qui défraya la chronique dans l'Amérique du début du XXème siècle. En ce sens, l'ouvrage de Doublas et Olshaker a le mérite de nous familiariser avec ce double parricide supposé - rien ne fut prouvé.

De même, le viol et le meurtre de la petite JonBenet Ramsey, retrouvée, le 25 décembre 1996, dans la cave de la maison où elle vivait avec ses parents et son frère, sont rarement évoqués dans les médias et l'édition français. A ce jour, en dépit d'une revendication survenue dix ans plus tard mais rejetée par les autorités comme étant une affabulation de pervers désireux d'avoir son quart d'heure de célébrité, l'affaire demeure tout aussi mystérieuse que celle du Dahlia Noir.

En résumé, un livre planplan, sans aucune originalité, qui ne passionne guère mais qu'on feuillette jusqu'au bout au cas où les auteurs se réveilleraient, ce qui, malheureusement, n'arrive à aucun moment. ;o)

jeudi, décembre 16 2010

Le Cannibale de Rouen - Nicolas Deliez & Julien Mignot ( IV )

Le meurtre et le dépeçage, vraisemblablement tous deux prémédités, en dépit des dires de Cocaign, de Thierry Baudry, sont la preuve du contraire. Si Nicolas Cocaign n'a pas sa place au coeur de notre société, il ne l'a pas non plus dans le monde carcéral : dans les deux univers, les anthropophages sont des déviants, atteint d'une perversion du goût et du comportement qui les rend extrêmement dangereux pour autrui.

Seule la sphère médicale est à même d'abriter des malades de ce type qui, obéissant à un désir insatiable de domination, de pouvoir, "chosifient" l'Autre à l'extrême, au point de ne plus voir en lui qu'une source de nourriture et/ou de plaisir. Avec Nicolas Cocaign, nous sommes aussi loin du cannibalisme purement "sexuel" d'un Jeffrey Dahmer que du cannibalisme dit "de survie", comme celui que furent obligés de pratiquer sur leurs co-passagers morts les malheureuses victimes du crash de l'avion uruguayen dans la Cordillère des Andes, en 1972.

Encore l'aspect sexuel de l'acte n'est-il pas ici à négliger complètement car, que les auteurs l'aient voulu ou non, le lecteur a parfois l'impression que, pour Cocaign, Baudry présentait quelque chose de "faible" et, partant, d'efféminé. Néanmoins, le cannibalisme "d'agression", celui qui place au-dessus de tout la quête de pouvoir, l'emporte en cette affaire.

Hanté et déséquilibré par une quête identitaire qu'on ne peut pas lui reprocher, Nicolas Cocaign a avoué songer depuis longtemps à absorber de la chair humaine. Est-il excessif de voir, en ce désir, la volonté de dominer enfin une situation sur laquelle il ne parvenait pas à avoir la moindre prise ? Rejeté par sa mère, par son père et, selon lui, rejeté par ses parents adoptifs et par tous ceux qui l'entouraient, puis, évidemment, par la société dans son ensemble, le violeur passe à l'acte et devient non seulement un assassin, chose somme toute assez banale à ses yeux, mais aussi un cannibale : en ingérant ce qu'il croit être le coeur de son co-détenu - et qui n'est en fait qu'un morceau de poumon - ne serait-ce pas tout ce qui, jusque là, s'est refusé à lui et l'a rejeté qu'il s'approprie, définitivement ?

Quand il retournera à la liberté - il a été condamné à trente années de prison - Nicolas Cocaign n'aura pas réglé son grave et douloureux problème. Bien au contraire, la sensation de rejet qui a empoisonné sa personnalité se sera accrue derrière les barreaux. Et que fera alors la société - que ferons-nous ?

Rien. Nous lui rendrons une liberté qui, pour lui, est une charge et, pour ceux qui le croiseront, se révèlera un péril aussi mortel que larvé. Nous ferons comme la DDAS, ce symbole inhumain de la bien-pensance : nous nous laverons les mains de ce qui pourra se produire. Dans l'état actuel de la science, il est certain que Cocaign n'est pas récupérable. On pourrait néanmoins l'astreindre à un traitement qui freinerait ses pulsions. Mais pour ce faire, il faudrait changer bien des lois et aussi - et surtout - une certaine façon "angélique" de voir les choses et qui demeure l'apanage de notre société depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Quel est le gouvernant qui osera ? Dans quels limbes se trouvent encore les associations et organisations qui feront bouger les choses ? ...

Alors, attendons. Attendons que Cocaign sorte de prison et qu'il tue et dépèce quelqu'un d'autre. Il en reprendra pour trente ans et, au bout de trente ans, avec un peu de chance, la Faucheuse sera passée le prendre ... Ah ! oui, Ponce Pilate savait comment y faire : dormez en paix, braves gens. ;o)

Le Cannibale de Rouen - Nicolas Deliez & Julien Mignot ( III )

A sa décharge, Nicolas fait de nombreux séjours dans des hôpitaux psychiatriques et ne fait pas faute de s'y proclamer dangereux - et même très dangereux - à qui veut l'entendre, insistant bien sur la pulsion sexuelle dont le déclenchement conditionne le déchaînement de sa violence. Au reste, quand on le soigne, il a toujours un traitement de cheval qui, s'il le poursuit, le transforme en semi-légume. Mais, comme de juste, les psys ne sont pas d'accord : certains le jugent, effectivement, très dangereux ; d'autres haussent les épaules et disent qu'il n'a pratiquement rien et que, si ses parents avaient été plus fermes avec lui ... Une psy ira jusqu'à déclarer aux malheureux Cocaign qu'ils n'ont qu'à se débrouiller pour que la DDAS reprenne Nicolas sous son aile. Où la psy en question a-t-elle pris l'idée d'une DDAS veillant, telle la Vierge Marie sur son illustre bambin, sur les enfants jadis remis à sa garde et devenus majeurs, on ne le saura jamais.

Quand Nicolas, brandissant la 22 long rifle que lui avait offerte ses parents pour un anniversaire, chasse ceux-ci de leur petit pavillon et s'y installe avec sa compagne et les animaux qu'il affectionne (serpents et mygales), les voisins n'en croient pas leurs yeux. Se sentant probablement coupables - mais de quoi sinon d'avoir été, parfois, c'est exact, trop faibles avec lui - les Cocaign ne se plaignent pas à la police et vont vivre à l'hôtel et, pour que leur fils puisse s'acheter à manger, ils passent régulièrement déposer de l'argent dans leur ancienne boîte aux lettres.Les voisins, qui connaissent Nicolas depuis qu'il avait trois ou quatre ans, ne bougent pas plus, et pourtant, Dieu sait si le fils Cocaign, sous l'effet de l'alcool, de l'herbe, des médicaments et de ses problèmes personnels, fait un boucan du Diable dans tout le quartier !__

Il faut dire que la DDAS, sollicitée, fait son Ponce Pilate et que les gendarmes ne peuvent pas grand chose tant qu'il ne s'est pas produit un meurtre ou au moins une tentative en ce sens. Quant au système hospitalier, Nicolas Cocaign étant majeur et non placé sous tutelle, il est impuissant. D'ailleurs, il faudrait déjà que les différents psys ayant connaissance du cas Cocaign s'entendissent sur lui avant de songer à agir ...

Il faudra attendre que Cocaign viole une jeune marginale pour que, enfin, le lourd appareil judiciaire se mette en branle. Le résultat, Nicolas se retrouve en prison, à Rouen, où son physique imposant et ses tatouages macabres lui attirent le respect de détenus qui ignorent qu'il est tombé en tant que "pointeur."

Mais la prison - sans suivi médical - était-elle la solution adéquate ? (A suivre ...)

Le Cannibale de Rouen - Nicolas Deliez & Julien Mignot ( II )

Cette source, donc, quelle est-elle ? On est tenté d'écrire qu'il s'agit du parcours habituel : un enfant né sous X et volontairement abandonné par une mère dont l'équilibre mental semble avoir été assez fragile, le passage dans une famille d'accueil où, par exception, le petit se retrouve choyé et à laquelle la DDAS s'empresse de l'arracher pour le faire adopter par un couple de quadragénaires bien intentionnés certes mais qui commettent déjà l'erreur de remplacer le prénom de "Didier", seul "don" fait par la mère à l'enfant qu'elle s'apprêtait à abandonner, pour celui de "Nicolas." Partisans de la vérité - qui les blâmera ? - les Cocaign révèlent assez vite à celui qui est devenu leur fils l'histoire qui fut la sienne avant d'arriver chez eux. L'enfant, comme on peut s'y attendre, est choqué, peiné mais, comme il le fait remarquer à l'époque, "l'important, c'est qu'on s'aime."

Oui, Nicolas est aimé, choyé même (voire un peu trop), et ceci bien que ses parents adoptifs soient peu démonstratifs. Dès qu'il manifeste ses premiers troubles de la personnalité, immédiatement étiquetés comme comportement hyperactif, le couple Cocaign entreprend le terrible parcours du combattant que connaissent tant de parents avec des enfants qui, pour leur part, leur sont bel et bien alliés par le sang : psychologue scolaire, psychologue indépendant, réunions diverses, etc, etc ... Comme ils sont assez aisés, ils tentent à peu près tout pour "aider" Nicolas : stages dans des centres équestres pour s'occuper des chevaux - que l'enfant, puis l'adolescent, semble adorer - etc, etc ...

Mais rien n'y fait. Lentement, mais sûrement, Nicolas se fraie son chemin d'abord vers la marginalité, ensuite vers la petite délinquance. Il s'abrutit à l'herbe, évite soigneusement la coke - une drogue qui ne favorise ni les longues journées à ne rien faire, ni les interminables palabres creux - ignore l'héroïne, s'abandonne à des pulsions sexuelles qui, depuis son adolescence, relèvent visiblement de l'excès, fantasme sur le sado-masochisme, puis le met en pratique avec la mère de sa fille, se passionne pour le satanisme, veut se faire tatouer les cornes de Satan sur la tête (!!) - le tatoueur ayant refusé, il opte pour un crâne - bref, il file plein vent à la dérive. ( Asuivre ...)

Le Cannibale de Rouen - Nicolas Deliez & Julien Mignot ( I )

Extraits

Merci aux Editions François Bourin qui, dans le cadre d'un partenariat avec Blog-O-Book, nous a donné l'occasion de lire cet ouvrage.

Fort bien documenté et donnant la parole aux proches de son triste héros, ce livre co-rédigé (en un style hélas ! détestable) par deux journalistes, Nicolas Deliez et Julien Mignot, a le mérite de refuser tout sensationnalisme - ce qui est rare, de nos jours - afin de mieux mettre en évidence les dysfonctionnements non pas de notre système judiciaire ou de notre système hospitalier mais bel et bien de notre société : car c'est d'elle qui sont tous deux tributaires et accabler l'un pour épargner l'autre, ou vice versa, n'a aucun sens si, en parallèle, on mène, par rapport à notre société tout entière, dominée par la bien-pensance et le politiquement correct, la sotte politique de l'autruche.

A l'origine du livre, le meurtre de Thierry Baudry, l'un des co-détenus de Nicolas Cocaign dans leur cellule 26 du Bâtiment 2, à la Maison d'Arrêt de Rouen, le 3 janvier 2007. Après avoir roué de coups, puis poignardé à maintes reprises le malheureux Baudry, Cocaign l'achève en l'étouffant avec deux sacs plastique. Puis, avec une lame de rasoir, il lui incise le thorax, en arrache ce qu'il croit être le coeur de sa victime et part tranquillement cuisiner celui-ci, dans la petite poêle commune, avec de l'ail et des oignons. Le tout sous les yeux exorbités de son second co-détenu, David Lagrue, qui, bien qu'ayant établi une excellente relation avec Cocaign, n'a qu'une seule peur : voir ce dernier se retourner contre lui. C'est pour cette raison, expliquera-t-il le lendemain aux surveillants et à la police, qu'il n'a pas appelé le gardien.

Après avoir établi les faits, sans trop patauger dans le gore, Deliez et Mignot entreprennent de remonter à la source de tout cela. Car enfin, à moins d'avoir été élevé dans une culture qui la pratique - et encore n'en use-t-elle que pour des cérémonies rituelles et dans des cadres très précis et sévèrement hiérarchisés - l'être humain, fût-il, comme l'est Cocaign un délinquant violent et un violeur, ne pratique que très rarement l'anthropophagie. (A suivre ...)

mercredi, août 4 2010

Autopsie d'une Imposture - Gérard Bouladou ( II )

Ce qui reste comme "L'Affaire Ranucci" aura donc fait un grand nombre de victimes : Marie-Dolores/b tout d'abord, morte à huit ans d'une quinzaine de coups de couteau ; bses parents ; son jeune frère qui mènera une vie chaotique et, plus tard, tuera à son tour (son employeur) ; Ranucci dont le profil psy aurait dû être beaucoup plus fouillé ; sa mère qui s'évertua à prouver son innocence (mais peut-on l'en blâmer en conscience ?) ; les gendarmes et policiers qui menèrent l'enquête et sur lesquels Perrault et ses séides ont tout fait pour jeter un discrédit qu'ils ne méritaient pas, le premier tout d'abord dans "Le Pull-Over rouge" puis, plus récemment dans "L'Ombre du Pull-Over rouge" (dans ce dernier procès, M. Perrault a d'ailleurs été condamné pour diffamation)

Seuls "gagnants" - on ose à peine l'écrire mais c'est indubitable - de l'affaire : les partisans de l'abolition de la peine de mort et Patrick Henry. Il est vrai que ce dernier eut l'intelligence de manifester quelque remords lors de son procès, chose que Ranucci, replié sur lui-même et dans l'univers qu'il s'était créé - à l'aube de son exécution, il écrivait à sa mère en lui détaillant les dommages et intérêts que lui verserait la présidence de la République et la vie merveilleuse qui serait la leur quand ils iraient vivre en Amérique latine - n'a pas faite.

Enfant élevé par une mère qui fuyait un mari extrêmement violent, le jeune Ranucci n'avait jamais mené et ne mena jamais une vie sociale dans les normes. Cela certes ne suffit pas à faire un assassin mais démontre toujours une fêlure dans la personnalité, fêlure qui, en fonction de critères qui nous demeurent malheureusement mystérieux, est susceptible de dégénérer ou au contraire, de se stabiliser, voire de se cicatriser. Il n'est tout de même pas normal qu'un jeune homme de vingt-deux ans, pas trop mal de sa personne et pas trop sot, n'envisage comme seul avenir, après avoir échappé à la guillotine, que de s'expatrier en Amérique du Sud pour y vivre avec sa mère !

Tout cet aspect de la personnalité de Ranucci n'a malheureusement pas été suffisamment étudié, ni par les psychiatres, ni par ceux-là mêmes qui prétendaient le défendre (des avocats qui, le 26 juin 1974, bien qu'ayant été convoqués à l'audition de leur client par L.R.A.R., ne se déplacèrent même pas !)

Et cela, quand on lit "Autopsie d'une Imposture", vous laisse vraiment un goût amer dans la bouche. Même si l'on est - comme moi - partisan du rétablissement de la peine de mort dans des cas bien précis tels que l'assassinat d'enfants.

Christian Ranucci, le drame qui fut le sien et dans lequel il a entraîné tant de personnes ont été instrumentalisés aux seules fins de discréditer l'institution judiciaire et le gouvernement (de droite, à l'époque) français et de préparer le terrain pour l'abolition définitive de la peine de mort. En ce sens, Ranucci aurait pu s'appeler Paul Durand que, pour entre autres Gilles Perrault, c'eût été du pareil au même : Ranucci n'a été qu'un moyen.

Le premier livre consacré par M. Perrault à l'affaire Ranucci s'intitule, nul ne le niera, "Le Pull-Over rouge", ce qui permet d'obtenir l'excellente couverture où l'on voit le pull-over en question passer sous la lame de la Veuve. M. Perrault présente ce vêtement comme la pièce décisive ayant prouvé l'implication de Ranucci dans l'assassinat (ce qui est faux) et il s'empresse d'ajouter (ce qui est vrai) que le pull-over était trop grand pour le jeune homme.

Or, il faut savoir que la pièce décisive qui emporta la conviction du juge d'instruction, c'est le couteau, taché de sang*, retrouvé par les gendarmes, sur les indications précises de l'inculpé, enterré à la sortie de la champignonnière près de laquelle fut tuée Marie-Dolores. Le fameux pull-over rouge, lui, fut mis sous scellé tout simplement parce qu'on l'avait retrouvé dans la champignonnière et qu'il pouvait faire partie des indices. Mais il n'a jamais servi de preuve accablante.

Pourquoi prétendre le contraire ? Pourquoi également affirmer que Ranucci déclara, avant de monter à l'échafaud : "Réhabilitez-moi !" alors que, en fait, ses dernières paroles furent un "Négatif !" adressé à l'aumônier ? Et ce ne sont là que quelques unes des "erreurs" présentées comme vérités d'Evangile qui composent "Le Pull-Over Rouge."

Pareille accumulation ne peut que nuire à la thèse défendue, à savoir "Christian Ranucci était innocent et on l'a assassiné en toute légalité."

Je conseillerai donc de lire aussi "Autopsie d'une Imposture" dont le mérite indubitable est de ne pas se prononcer pour ou contre le bien-fondé de la peine de mort et qui s'attache avant tout à resituer l'affaire dans son contexte.

  • : il se trouve que Christian Ranucci et Marie-Dolores Rambla étaient du même groupe sanguin, le groupe A. Ranucci eut donc beau jeu de soutenir, quand il se rétracta, qu'il s'était blessé et que les taches découvertes sur un pantalon saisi dans sa voiture provenaient d'une blessure qu'il s'était faite. Mais le médecin qui l'examina le 6 juin ne trouva aucune trace de cette supposée blessure.

Autopsie d'une Imposture - Gérard Bouladou ( I )

Extraits

Le 3 juin 1974, à Marseille, au coeur de la cité Sainte-Agnès, la petite Marie-Dolores Rambla, âgée de 8 ans, joue au pied de son immeuble avec son petit frère, Jean, de deux ans plus jeune qu'elle. A 11 heures environ, un inconnu descend d'une voiture grise et les aborde en leur demandant de l'aider à retrouver son chien, qui s'est enfui. L'inconnu et Marie-Dolores prennent à gauche, le petit Jean s'en va à droite. Quand celui-ci revient à son point de départ, il ne retrouve ni l'inconnu, ni Marie-Dolores. Les parents préviennent la police mais il n'y a pas grand chose à faire. Le 3 juin au soir, Marie-Dolores n'a toujours pas reparu.

Ce même 3 juin 1974, à midi et quart environ, au carrefour de la Pomme, à vingt-cinq kilomètres de Marseille, un coupé Peugeot 304 de couleur grise roule à grande allure et ne respecte pas le panneau "Stop." Au même moment, la Renault 16 de M. Vincent Martinez, ayant à son bord celui-ci et sa fiancée, franchit le carrefour : M. Martinez est prioritaire.

Sous la violence du choc, le coupé Peugeot 304 effectue un tête-à-queue mais son conducteur ne s'arrête pas. Il fait demi-tour et repart, toujours à vive allure, dans la direction même d'où il venait. M. Martinez qui, lui, s'est arrêté, demande à un couple d'automobilistes qui venait derrière eux, M. et Mme Aubert, de prendre en chasse le fuyard et de tenter au moins d'avoir son numéro d'immatriculation. Les Aubert s'engagent donc sur la RN 8.

Au bout d'un kilomètre, ils repèrent le coupé Peugeot, immobilisé sur le bord de la route. Ils voient également un jeune homme en sortir, tirer un enfant à bout de bras, le plaquer contre lui et disparaître dans les broussailles. Mme Aubert dira que, pour elle, l'enfant avait entre 7 et 10 ans et portait un short blanc. Elle ajoutera qu'il ne paraissait pas effrayé.

M. Aubert descend de voiture, interpelle le fuyard et lui demande de ne pas ajouter le délit de fuite à l'infraction commise. L'inconnu, de la broussaille, lance : "D'accord ! Partez et je reviendrai !" mais il est clair qu'il n'a pas la moindre intention de faire ce qu'il dit. M. Aubert se contente donc de faire la seule chose possible : il note le numéro de la plaque d'immatriculation.

1369 SG 06.

A ce jour, les plus hardis défenseurs de Christian Ranucci n'ont toujours pas réussi à expliquer comment la voiture de leur protégé (ou plus exactement de sa mère, Mme Mathon) a été vue - et plus tard signalée à la gendarmerie - dès le 3 juin 1974.

Mais ce numéro n'est pas le seul détail choquant de l'histoire. Il y en a bien d'autres, que Gérard Bouladou met ici en évidence en soulignant en parallèle les partis pris - et les mensonges - du livre de Gilles Perrault.

Bouladou écrit certes avec maladresse et il n'a pas ce métier qui fait le style de Perrault. Mais cette "Autopsie d'une Imposture" s'en lit avec d'autant plus d'intérêt car, contrairement à ce que l'on pourrait croire, son auteur ne se pose pas en champion de la peine de mort. A ses côtés, on en arrive même à la conclusion que, si Christian Ranucci était bel et bien coupable du meurtre de la petite Marie-Dolorès - dont le corps devait être retrouvé un peu plus haut dans les broussailles, non loin de l'endroit où M. et Mme Aubert avaient interpellé l'inconnu de la Peugeot grise - jamais en revanche il n'aurait dû être reconnu responsable de ses actes, en tous cas au moment où il perpétra l'assassinat.

mardi, août 3 2010

Le Fou de Bruay - Jean Ker

Extraits

Le 6 avril 1972, à 17 heures, sur un terrain vague du petit village de Bruay-en-Artois (désormais Bruay-la-Buissière) dans le Pas-de-Calais, un groupe d'enfants jouant au foot découvre le cadavre d'une jeune fille. Celle-ci est très vite identifiée : il s'agit de Brigitte Dewèvre, âgée de quinze ans et demi, et qui, la veille, avait quitté le domicile de ses parents à 19 h 30 pour aller passer la nuit chez sa grand-mère, ainsi qu'elle le faisait souvent.

L'affaire va être instruite par le juge Henri Pascal, qui deviendra pour la presse le fameux "juge Pascal." Un homme sympathique et intègre certes mais qui, le premier d'une série de magistrats, aura le tort de s'appuyer un peu trop sur la presse pour faire passer certaines informations.

Attention ! Le juge Pascal n'a rien d'un Jean-Michel Lambert. Au contraire, il a des idées bien tranchées et ne ressemble en rien à une girouette. Pour lui, ce n'est pas le dernier qui parle qui a automatiquement raison. Mais il a le tort de se focaliser sur une seule piste et de négliger toutes les autres.

Pour certaines raisons, le juge Pascal mit toute la pression sur le notaire de l'endroit, Pierre Leroy, et sur sa compagne, Monique Mayeur. Celle-ci, il est vrai, était propriétaire de la maison qui jouxtait le terrain vague où fut retrouvée Brigitte. Il semble également que la jeune fille connaissait au moins Monique Mayeur. Or, des bruits de réunions plus que galantes se déroulant régulièrement chez Mayeur - et auxquelles participait le notaire - couraient depuis longtemps déjà. En cette époque où, si l'on ignorait encore le SIDA, on célébrait à l'envi les vertus de la liberté sexuelle, les parties de ce genre n'étaient pas rares. Pierre Leroy était également client dans deux ou trois bars de nuit du coin. Il faut l'admettre, cela faisait de nombreuses et de bien troublantes présomptions sur la tête d'un seul homme ...

Le juge Pascal, qui n'aimait guère la bourgeoisie bien-pensante, fonça donc dans le tas, écartant - Ker le reconnaît à regrets car, jusqu'au bout, il demeura l'ami du juge - pas mal d'autres pistes. Et quand on voulut les reprendre, elles étaient froides ...

Résultat des courses : Pierre Leroy ne sera pas inculpé et Jean-Pierre F., camarade de Brigitte, qui avouera le crime avant de se rétracter, bénéficiera d'un non-lieu tant ses déclarations fourmillaient de contradictions. Aujourd'hui encore, le meurtre de Brigitte Dewèvre reste imputé à celui que l'on a surnommé "le Fou de Bruay" et auquel, vaille que vaille, en bon limier, Jean Ker essaie de donner non un visage mais au moins une silhouette.

Grand reporter à Paris-Match, Jean Ker est un habitué - et même un spécialiste - des faits divers. (Quelques années plus tard, il tiendra un rôle assez ambigu dans l'affaire Villemin.) C'est un passionné qui a, en lui, du Rouletabille et du Tintin - mais un Rouletabille et un Tintin soumis à la loi du plus fort tirage. Depuis maintenant trente-cinq ans, il n'a pas renoncé à l'idée de faire toute la clarté sur l'affaire Dewèvre, laquelle n'a en effet jamais été élucidée.

En dépit d'un style un peu facile et de quelques longueurs, son livre accroche le lecteur. Sous le clinquant du journaliste de "Paris-Match", se dessine un enquêteur réfléchi quoique passionné et qui ne conclut rien sans avoir amassé des preuves suffisantes - un homme intelligent, doté d'un réel instinct "de flic", à la fois fasciné et en même temps révulsé par les horreurs auxquelles peut atteindre le Mal humain. En outre, les seules complaisances que l'on relève ici concernent l'ego de Jean Ker et jamais le crime. Pas de photos tape-à-l'oeil non plus, un réel respect de la victime morte trop jeune même si Ker refuse d'en faire un ange de perfection. Bref, un livre à lire par ceux que l'Affaire de Bruay-en-Artois intéresse. ;o)

lundi, juillet 26 2010

Zodiac - Robert Graysmith ( III )

Il serait fastidieux d'énumérer tous les procédés utilisés par Robert Graysmith pour monter sa théorie et tenter d'ériger celle-ci en vérité universelle. L'un des plus courants, aussi vieux que la propagande, est l'utilisation de phrases ou d'extraits de lettres et de rapports sortis de leur contexte et auxquels, sous cet éclairage réducteur, on fait dire tout ce que l'on veut.

Le plus lassant - celui aussi qui se décèle le plus rapidement - c'est le fait de sauter sur n'importe quel fait mineur relatif à ce que l'on savait du Zodiac et à le rapprocher immédiatement d'Arthur Leigh Allen comme s'il s'agissait d'une preuve irréfutable l'impliquant, sans aucune contestation possible, dans les meurtres du Zodiac.

Petit exemple :1) le Zodiac aimait à se servir d'une arme à feu et tout porte à croire que celles (il y eut, je crois, un fusil et un pistolet) qu'il utilisait lui appartenaient ; 2) Arthur Leigh Allen en possédait plusieurs (dont un pistolet et un fusil) et c'était un chasseur émérite (d'ailleurs il était du Sagittaire et tout le monde sait, n'est-ce pas, que les natifs du Sagittaire sont d'excellents chasseurs, Graysmith dixit (!!) ) ; Conclusion : Arthur Leigh Allen était bel et bien le Zodiac.

Quelques paragraphes plus loin, Graysmith remet le couvert avec un nouvel élément. Et ainsi, en une répétition lente et têtue, il martèle sa vérité au lecteur naïf. (Sur le lecteur occasionnel surtout, qui a acheté le livre parce que l'histoire l'interpellait et qui n'est pas vraiment un fondu des livres, l'effet doit être redoutable.)

Rien par contre - mais alors là, rien de rien - sur un détail qui crève pourtant les yeux : Arthur Leigh Allen était pédophile - il fit d'ailleurs de la prison pour attouchements sur mineurs - tandis que le Zodiac, en ne s'attaquant qu'à des adultes qui, dans la majeure partie des cas, allaient en couple, prouve que son problème sexuel, s'il était bien réel, n'avait rien à voir avec la pédophilie.

Certes, Graysmith fait une timide tentative pour imputer au Zodiac, pardon, à Arthur Leigh Allen, quatre ou cinq meurtres supplémentaires (dont certains avec viols) sur des jeunes filles mineures. Mais il convainc d'autant moins que les crimes qu'il rapporte ici n'ont jamais été, quoi qu'il en dise, prêtés au Zodiac.

Zodiac - Robert Graysmith ( II )

Sur cette affaire, j'avais déjà lu, il y a bien une quinzaine d'années, un livre paru chez "J'Ai Lu" dans la série "Crimes & Enquêtes" qui, à l'époque, produisit pas mal de bons ouvrages, dont la traduction en poche de celui consacré par Vincente Bugliosi à l'affaire Charles Manson. Mais autant j'avais gardé présent à l'esprit le nom de Bugliosi, autant celui de l'auteur qui s'était intéressé au Zodiac s'était effacé de ma mémoire. Je me rappelais seulement que, pour l'auteur en question, le principal suspect demeurait un certain "Bob Starr", identité forgée de toutes pièces parce que, à l'époque où le livre était paru, la personne mise en cause était toujours en vie.

C'est en me plongeant dans le "pavé" de Robert Graysmith que je réalisai que celui-ci ne faisait qu'un avec l'auteur du livre paru chez "J'Ai Lu." J'appris aussi que, depuis toutes ces années, Graysmith n'avait cessé d'enquêter sur le Zodiac et que "grâce à lui" (mais oui ! ) et à ses efforts, le serial killer avait été démasqué.

Démasqué mais pas arrêté. On appréciera la nuance.

Très vite, mon malaise grandit avec le nombre de pages lues. Tout d'abord, Graysmith se répétait, défaut qui, lorsque vous vous attaquez à un texte qui dépasse les cinq cents pages, se transforme en cauchemar pour l'innocent lecteur. Ensuite, il était manifestement de parti pris. Un peu comme Patricia Cornwell dans son enquête sur Walter Sickert - mais avec infiniment moins de talent - Graysmith avait choisi "Bob Starr" ou plutôt, puisque tel était son véritable nom, Arthur Leigh Allen comme assassin en puissance et, comme Graysmith ne pouvait pas se tromper (il est si intelligent, cet homme ! d'ailleurs, il n'arrête pas de le chanter sur tous les tons :angemoq: ), le doute n'était plus permis.

Dommage que, à trop vouloir faire l'ange, on fasse la bête ...

- page 1 de 2