Sleepless Traduction : Patrice Duvic

Extraits Personnages

Lorsqu'il choisit de travailler sur les phénomènes de hantise, Graham Masterton fait très souvent preuve d'un brio magistral. Dans "Hel" (dont le titre original, "Sans Repos", parlera plus au lecteur), la hantise ne concerne pas tant les lieux que les personnes, deux soeurs, Elizabeth et Laura, encore fillettes lorsque débute l'histoire, en 1940. Leur père, éditeur new-yorkais au profil un peu atypique (il n'édite pas toujours ce qui rapporte le plus, simplement ce qu'il aime ou ce en quoi il croit), a choisi de quitter la Grosse Pomme pour s'établir dans une grande demeure un peu vieillotte, au fond de la campagne américaine. Sa femme, Margaret, perdue dans ses souvenirs d'une gloire cinématographique plus qu'éphémère, l'y a suivi sans grand enthousiasme. Heureusement, pour la dérider, elle a Peggy, sa petite dernière, sa préférée.

On comprend le choc éprouvée par la malheureuse quand sa petite Peggy, dont le conte favori était "La Reine des Neiges", d'Andersen, meurt stupidement, un jour d'hiver, après avoir tenté de marcher sur la glace qui recouvrait la piscine ...

A partir de là, le drame s'installe, lent, insidieux, superbement mis en scène par un Masterton au sommet. Margaret sombre dans une dépression grave, son mari essaie de ne pas couler mais c'est difficile car il se reproche de n'avoir pas vidé la piscine cet automne-là, comme sa femme le lui avait demandé. Quant à Elizabeth et Laura, elles ont parfois l'impression que Peggy n'est pas morte. Et au fur et à mesure qu'elles grandissent, elles vont en acquérir les preuves sanglantes ...

Peggy n'est pas un spectre hostile. Dans la dimension où elle semble bloquée, elle a gardé pour héroïne la petite Gerda du conte danois et, en conséquence, n'agit que pour protéger ses soeurs. Toute insulte, tout acte malveillant à leur égard est immédiatement puni, soit par une correction sévère (ce sera le cas pour Margo Rossi, supérieure hiérarchique d'Elizabeth, et pour Tante Beverley, amie de la famille chargée de veiller sur Laura, partie à Hollywood), soit par la mort (Dick Bracewaite et beaucoup d'autres).

Avec les années, Peggy devient, semble-t-il, de plus en plus puissante, et, derrière elle, se profile de plus en plus nettement une silhouette noire et gigantesque, Hel, la fille de Loki, le dieu du Mal de la mythologie scandinave.

Rythme efficace, atmosphère d'abord intrigante - on n'y croit pas tout de suite, on se dit que Peggy est morte, qu'une toute petite fille ne va pas revenir hanter les siens - puis de plus en plus lourde et glauque, personnages fouillés, absence totale de clichés, "Hel" est l'un des meilleurs romans de Masterton. Et la certitude demeure au fil des relectures. Comme dans "Walhalla", l'Ecossais a pris une idée aussi vieille que le monde pour en décliner sa vision personnelle : une vision originale et d'une exceptionnelle qualité technique - ce qui ne gâte rien.