Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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Histoire de la littérature en France

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mercredi, décembre 26 2007

Les Premiers Textes : La Cantilène de Sainte Eulalie ( II )

Le texte original se compose de vingt-neuf vers. Pour le lire sans trop de peine, il faut surtout :

1) prendre les mots dans leur acception première (le "chef", par exemple, c'est bien entendu "la tête" par le biais du latin "caput, capitis, n.") ;

2) se rappeler que, tout comme le latin, le roman escamotait les pronoms personnels sujets ;

3) et aussi que, à cette époque lointaine, l'ordre des mots dans la phrase n'est pas encore fixé.

A partir de là et pour peu que l'on s'y connaisse un peu en latin et en provençal ou en italien, la lecture devient relativement aisée :

Buena pulcella fut Eulalia

Bel auret corps bellezour anima

Voldrent la ueintre li d(õ) inimi.

Voldrent la faire diaule seruir.

Elle nont eskoltet les mals conselliers.

Quelle d(õ) raneiet chi maent sus en ciel

Ne por or ned argent ne paramenz.

Por manatce regiel ne preiement.

Niule cose non la pouret omq(ue) pleier.

La polle sempre n(on) amast lo d(õ) menestier

E por( )o fut p(re)sentede maximiien.

Chi rex eret a cels dis soure pagiens.

Il( )li enortet dont lei nonq(ue) chielt.__

Qued elle fuiet lonom xp(ist)iien.

Ellent adunet lo suon element.

Melz sostendreiet les empedementz.

Quelle p(er)desse sa uirginitet.

Por( )os suret morte a grand honestet.

Enz enl fou la getterent com arde tost.

Elle colpes n(on) auret por( )o nos coist.

A( )czo nos uoldret concreidre lirex pagiens.

Ad une spede li roueret toilir lo chief.

La domnizelle celle kose n(on) contredist.

Volt lo seule lazsier si ruouet krist.

In figure de colomb uolat a ciel.

Tuit oram que por( )nos degnet preier

Qued auuisset de nos xr(istu)s mercit

Post la mort & a( )lui nos laist uenir.

Par souue clementia.

On notera encore que les articles (que nous avons soulignés), inconnus en latin, sont enfin apparus et que, pour la première fois, le conditionnel, mode lui aussi inconnu des Romains, montre le bout de son nez sous la forme "sostendreiet."

Les Premiers Textes : La Cantilène de Sainte Eulalie ( I )

Le prénom "Eulalie" signifie, paraît-il, "celle qui parle bien" et, par une étrange coïncidence, les premiers textes français que nous ayons conservés, et qui sont tous d'inspiration religieuse, étaient surtout récités devant la masse des fidèles réunis à la prière ou à la messe.

Pourquoi ces textes étaient-ils exclusivement religieux ? Parce que, à cette époque, les moines et les prêtres étaient les premiers et presque les seuls à avoir accès aux bibliothèques. Umberto Eco, dans son excellent roman "Le Nom de la Rose", rappelle d'ailleurs que cet accès à la Connaissance n'était exempt ni de tentations, ni de périls.

La « Séquence - ou Cantilène - de Sainte Eulalie », date vraisemblablement de 881. Redigé en roman, dans une orthographe et une phonétique proches du proto-picard, ce texte évoque le martyre de sainte Eulalie de Mérida et se clôt, bien entendu, sur une prière. Comme la plupart des textes contemporains, il reprend une source antique, un hymne du poète latin Prudence.

Il est inclus dans une espèce de compilation où l'on peut lire également un discours (en latin) de St Grégoire et quatre poèmes (trois en latin, un seul en tudesque) formant le Ludwigslied. Enfin, il faut savoir que les chercheurs ont de bonnes raisons de croire que la "Cantilène" fut écrite aux alentours de Liège et d’Aix-la-Chapelle, ce qui permet donc à certains historiens belges d’affirmer que la littérature française est née en Wallonie. ;o)

samedi, novembre 10 2007

Les Serments de Strasbourg.

En 840 de notre ère, mourait Louis le Pieux, héritier de Charlemagne. Il laissait derrière lui trois fils, Lothaire, Louis et Charles qui n'allaient pas tarder à s'entredéchirer pour obtenir le maximum de l'empire édifié par leur grand-père.

En 842, Louis et Charles s'unissent d'ailleurs contre leur aîné et prêtent mutuellement ce qui est resté dans l'Histoire sous le nom du ou des "Serment(s) de Strasbourg" :

Pro deo amur et pro christian poblo et nostro commun saluament, d'ist di en auant, in quant Deus sauir et podir me dunat, si saluarai eo cist meon fradre Karlo, et in aiudha et in cadhuna cosa, si cum om per dreit son fradra saluar dist, in o quid il mi altresi fazet, et ab Ludher nul plaid nunquam prindrai, qui meon vol cist meon fradre Karle in damno sit. (Sources : "L'orthographe" - Nina Catach) :

Nina Catach déclare avoir "modernisé la séparation des mots, les abréviations, la ponctuation, l'apostrophe, mais non les accents" et avoir "conservé l'usage latin du u pour v à l'intérieur des mots."

Traduit en français moderne, cela nous donne, selon la traduction de Ferdinand Brunot :

Pour l'amour de Dieu et pour le salut commun du peuple chrétien et le nôtre, à partir de ce jour, autant que Dieu m'en donne le savoir et le pouvoir, je soutiendrai mon frère Charles de mon aide en toute chose, comme on doit justement soutenir son frère, à condition qu'il m'en fasse autant, et je ne prendrai jamais aucun arrangement avec Lothaire qui, à ma volonté, soit au détriment de mon dit frère Charles.

Or ce texte, qui ferait hurler tout ancien Romain digne de ce nom car il constitue un mélange très net de latin vulgarisé et de mots germains francisés et vice versa, ce texte politique, qui pis est, constitue bel et bien le premier texte écrit dans ce qui peut apparaître malgré tout comme une ébauche de français. Du français très phonologique, diront certains avec raison mais du français tout de même.

La langue cependant vacille encore : elle est toute neuve. S'il n'y a pas grand chose à dire sur l'utilisation des consonnes, on constate que les voyelles représentent souvent plusieurs sons : "u" note aussi bien "ou" (amur) que "u" (commun), le "o" de "cosa" est mis ici pour la diphtongue "au" du latin "causa", etc ... ;o)

Apparition du Moyen Français.

Le "moyen français", qui apparaît à la fin du XIIIème siècle, supprime les déclinaisons préservées et, ce faisant, s'attaque à la structure de la phrase et à l'ordre des mots qui la composent. L'article, les pronoms montent en grade et l'on revient aux lexiques latins afin d'y faire de nombreux emprunts.

Ce moyen français sera parlé et écrit aussi bien par Joinville et Villon que par Ronsard et Montaigne. Mais il aura considérablement évolué lorsque, au XVIème siècle, Claude Favre, baron de Vaugelas se mettra en tête de lui imposer des règles et une discipline qui sont encore en usage de nos jours, à tout le moins chez les amoureux de la langue française. ;o)

            
             Claude Favre, seigneur de Vaugelas - 1585-1650

Emergence de l'Ancien Français.

Mais attention : très vite, la langue romane se divise elle-même en langue d'Oc - déformation du hoc latin qui signifiait "oui, si" - que l'on parle surtout dans le sud du pays et la langue d'Oil - contraction de hoc ille - qui prévaut dans le nord.

Chose curieuse, si la langue d'Oc devient très vite homogène, la langue d'Oil s'éparpille entre picard, lorrain, wallon, bourguignon, anglo-normand, francien ... Ce dernier est d'ailleurs promis à une belle et longue carrière puisque, renforcé par la centralisation du pouvoir royal, il finira par imposer ses canons au pays tout entier.

Nous sommes alors en présence de l'"Ancien français", langue féodale au vocabulaire essentiellement tourné vers le concret et surtout dotée d'une déclinaison simplifiée qui ne connaît plus que le substantif et l'accusatif.

Cet ancien français, particulièrement musical et équilibré dans ses sonorités, culmine dans les textes à la fin du XIIème siècle.

Les Grands Ancêtres : le Latin vulgaire et le Roman.

Ce n'est un secret pour personne : le français vient avant tout du latin ou plutôt des différentes formes du latin qui se répandirent sur le territoire gaulois dans le sillage des troupes romaines. A cette époque, on distinguait en effet essentiellement trois manières de parler et d'écrire la langue de Cicéron : le sermo quotidianus ou latin littéraire et officiel et une branche un peu bâtarde et beaucoup plus populaire de cette langue : celle que parlaient militaires et marchands.

Non seulement le latin allait survivre à la dislocation de l'Empire romain, survenue au Vème siècle de notre ère mais il allait aussi tenir la dragée si haute aux dialectes germaniques des Francs que ceux-ci finirent par se laisser absorber.

Pourtant, en 813, au Concile de Tours, ce n'est pas à la naissance du français que l'on assiste. Après avoir assimilé des tournures celtiques et germaniques, le latin vulgaire change tout simplement de nom et devient le "roman" ou langue romane. ;o)