Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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Littérature indienne

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samedi, septembre 18 2010

Les Derniers Flamants de Bombay - Siddarth Dhanvant Shanghvi

The Lost Flamingoes of Bombay Traduction : Bernard Turle

Extraits Personnages

Merci aux Editions des Deux-Terres qui, en partenariat avec Blog-O-Book, nous ont gracieusement permis de découvrir ce roman.

La traduction française du titre de ce roman ne rend pas justice à la notion d'errance et de désespoir contenue dans l'original. En effet, aussi perdus et aussi abandonnés à eux-mêmes que les flamants roses ayant élu pour domicile les vasières de Sewri, à la périphérie de Bombay, les principaux protagonistes de cette histoire - Karan, le photographe qui renoncera à son génie, Samar, le pianiste virtuose rattrapé par le Sida, Zaira, la star bollywoodienne assassinée et Rhéa, qui sacrifiera son art à une vie de couple vouée à la tragédie - ne sauront ni vivre, ni mourir en dehors de la capitale du Maharashtra, dont le nom originel signifie "la Déesse-Mère." Mais entretemps, ils se seront trouvés eux-mêmes.

Point de départ et point de retour de leur destinée commune, Bombay hante les pages du livre même lorsque les personnages s'exilent pour un temps à Londres ou à San Francisco. Gigantesque, protéiforme, tour à tour sale et éclatante, prestigieuse et pourtant débordée par les bidonvilles, lourde des vapeurs d'encens aussi bien que des pestilences des usines, grouillante de très riches et de très pauvres, elle est le prisme par lequel le lecteur voit palpiter l'Inde moderne. Une Inde dont les instances, corrompues jusqu'à la moëlle, n'ont pas, dit-on, réservé un accueil des plus joyeux au dernier bébé de Siddarht Dhanvant Shanghvi.

Il faut dire que, par-delà les destins entremêlés des quatre protagonistes cités plus haut, ce sont la corruption et le malaise de l'Inde actuelle que vise droit au coeur le jeune auteur. Avec une ironie qui rappelle parfois Salman Rushdie, Shanghvi raille la lâcheté avec laquelle les gouvernants et bien-pensants indiens, toutes tendances politiques confondues, se réfugient derrière le passé colonisé de leur pays pour expliquer et justifier leurs propres défaillances. Ce qui ne les empêche pas de faire appel quand il le faut - entendez lorsque cela sert leurs intérêts et leur confort moral - à tel ou tel vestige de la colonisation anglaise, laquelle, alors, n'est plus considérée comme une plaie mais comme un bienfait.__

La récupération de l'article 377 du Code pénal indien instauré par les Britanniques au temps de leur puissance et toujours en vigueur de nos jours, constitue exemple, aussi parfait que répugnant, du procédé. Cet article, qui punit gravement la pratique de l'homosexualité, servira à l'avocat véreux d'un assassin à démolir le témoignage de Samar et transformer ce dernier, de témoin-clef, en véritable accusé. A cela, il faut ajouter que le juge n'aurait peut-être pas pris fait et cause pour ledit avocat si l'assassin en question n'avait pas été le fils d'un ministre aussi puissant que corrompu et membre du Parti hindou.

Le tragique destin de Zaïra, tuée en public, d'une balle dans la tête, par Malik, fils bon-à-rien de Chander Presad, politicien nouveau riche qui n'a pu commencer à s'élever dans la société qu'à partir du moment où lui-même a accepté de corrompre et de faire tuer, va révéler à ses amis non pas les traits ambigus d'une Inde qui, bien qu'indépendante et en plein développement économique, ne fait pas mieux que ses anciens colonisateurs - cela, ils le savent plus ou moins dès le départ - mais leur implication personnelle dans le combat qui doit mettre fin à tout ce royal gâchis. Aucun n'en ressortira intact. Mais s'ils n'ont pas remporté la victoire, au moins auront-ils tous compris, à la fin du roman, la véritable nature des sentiments qu'ils éprouvaient les uns envers les autres.

Dans une culture pour qui la chaîne des réincarnations est le palier obligé avant le bienfaisant nirvâna, tout le courage, tout l'amour dont ils auront su faire preuve durant la crise la plus importante de leur existence, prennent une ampleur que l'Occidental aura peut-être quelque difficulté à saisir. Parce qu'ils auront modifié ceux en qui ils se seront révélés, ils modifient également, de façon très subtile, la sensation de défaite qui plane sur la fin de l'histoire : certes, aucun de ces personnages que nous avons appris à aimer et à estimer n'est parvenu à changer le monde - leur monde - mais ils se sont changés, eux, et puisque ce changement a été possible, tôt ou tard, les autres changements suivront.

Pour ceux qui redouteraient une avalanche de bons sentiments bien dégoulinants, je précise que Shanghvi renvoie dos-à-dos les extrémistes religieux qui sévissent dans son pays, qu'il fait de même avec les partis politiques et enfin que son héros, Karan Seth, n'apprécie guère tout ce qui a trait à la spiritualité. Ils peuvent donc lire en confiance ce roman à la construction un peu inégale - la romance agitée entre Rhéa et Karan prend, à mon sens, trop de place - mais au dessein humaniste et généreux.;o)

mercredi, août 18 2010

Un Océan de Pavots - Amitav Ghosh (Inde)

Sea of Poppies Traduction : Christiane Besse

Extraits Personnages

Un grand remerciement aux Editions Robert Laffont qui nous ont gracieusement offert ce livre, dans le cadre du partenariat avec Blog-O-Book.

Quiconque s'intéresse un tant soit peu à la littérature indienne sait combien nombre de ses auteurs sont attachés aux livres-fresques : Vikram Seth avec son "Garçon Convenable", Vikram Chandra avec son "Seigneur de Bombay" ou même V. S. NaipaulV. S. Naipaul|fr] avec des ouvrages comme "Jusqu'au bout de la Foi" ou "L'Inde : Un Million de Révoltes." Avec la "Trilogie de l'Ibis", Amitav Ghosh ne fait pas exception à ce courant littéraire puisque "Un Océan de Pavot", premier tome de l'ensemble, assume dès le départ le ton et la construction des romans-fleuves.

Bien que l'auteur consacre près des deux tiers de ce livre à mettre en place les personnages principaux, encore en proie aux affres de leur "première" vie, celle à laquelle les événements, bons ou mauvais, les forceront à renoncer dans le dernier tiers, le miracle du conteur s'accomplit dès les premières pages. Dès l'entrée en scène de Deeti, la jeune paysanne indienne qui, jouant avec sa fille dans le Gange, "voit" brusquement se dresser devant elle non seulement "L'Ibis" mais aussi cette mer qu'elle n'a jamais approchée, s'éveille dans le coeur du lecteur le désir, vorace, absolu, d'aller plus loin et de savoir où cette flamboyance de mots, ces descriptions rêveuses des champs de pavots à l'aube de la récolte, ce souffle d'émotions violentes qui se lève à l'horizon des pages va les conduire, lui et les personnages du romancier.

"L'Ibis", ancien navire négrier reconverti en transporteur de coolies et d'opium - nous sommes en 1838 et les Britanniques exploitent à fond toutes les richesses du pavot, imposant sa culture aux paysans du Bengale à seule fin d'expédier en Chine la drogue qu'il produit - compte lui aussi parmi les principaux protagonistes. Du début jusqu'à la fin, Amitav Ghosh fait de lui un être vivant, qui craque, frémit, tangue, lutte et vainc au même titre que ceux qu'il héberge. Il est à la fois le moyen de transport qui va permettre aux héros de quitter l'Inde pour tenter de refaire leur vie en Chine, et celui qui rend également possible ce changement spirituel qui fera d'eux des femmes et des hommes nouveaux. De l'humble paysanne devenue veuve (Deeti) et qui a fui les flammes de la sâti jusqu'au rajah déchu (Neel), en passant par Paulette, la jeune orpheline française fuyant un mariage non désiré et Zachary, le capitaine en second au teint si blanc qu'on ne croirait jamais qu'il a pour mère une quarteronne, tous sont contraints à rejeter leur identité passée et à endosser une nouvelle personnalité mais, pour y arriver, la souffrance ne suffit pas : il faut aussi vouloir survivre.

Un roman extrêmement attachant qui embarque son lecteur sans que celui-ci s'en aperçoive - ou presque. A lire en attendant la parution des deux autres tomes. (Petit bémol : on aurait aimé un glossaire des très nombreux mots indiens, pidgin et autres couramment utilisés au fil des pages.) ;o)

vendredi, août 1 2008

Les Enfants de Minuit - Salman Rushdie (Inde)

Midnight's children Traduction : Jean Guiloineau

Voici un roman fabuleux dont l'auteur parvient à tenir en haleine son lecteur avec le même brio que Shéhérazade dans "Les Mille et une Nuits." Pourtant, ce n'est pas cela qui est ici le plus remarquable : ce qui séduit et émeut avant tout, c'est la certitude, très vite acquise, du drame vécu par Rushdie, profondément et viscéralement Indien avant que d'être musulman.

"Les Enfants de Minuit" est un hymne somptueux à l'Inde, une Inde au passé multi-ethnique et multi-religieux mais dans laquelle la sagesse millénaire de la civilisation indo-européenne s'impose comme référence primordiale. Comme l'indo-européen, ancêtre des langues parlées sur notre planète par à ce jour trois milliards d'individus, a uni l'Occident à une partie de l'Orient, Rushdie tente de sceller dans ce livre l'union de l'Inde hindoue et de l'Inde musulmane.

Déiste plus qu'athée véritable, conteur-né dont la sensibilité au merveilleux permet de faire admettre naturellement le basculement de l'intrigue, à certains moments, dans une forme de fantastique, poète incontestable bercé aussi bien par les mythes flamboyant de couleur de la culture hindoue que par les récits tout aussi colorés venus d'Arabie par le biais de l'islam, Rushdie brosse ici une fresque grouillante et pleine de lumière où seules les dérives et les interdits religieux sont traités sans tendresse.

Résumer l'intrigue est chose impossible - sous peine, entre autres, d'en dévoiler un peu trop les fils. En gros, il s'agit de la vie d'une famille indienne de religion musulmane, les Sinai-Aziz, depuis la perte de la foi par le grand-père maternel, Aadam Aziz, jusqu'à la rupture avec le Pakistan et le retour dans le giron de la Grande Mère Inde de son petit-fils, Saleem, qui est aussi le narrateur du récit.

En toile de fond, les tribulations de l'Inde, de l'immédiate Indépendance jusqu'au règne d'Indira Gandhi (magnifiquement identifiée à la déesse Kali par Rushdie) en passant par la partition du Pakistan - "pays de la pureté" (!!!) - et, bien entendu, la guerre qui opposa le Pakistan à la République indienne dans les années soixante.

Le style est chatoyant, on dirait une foule de soieries, plus luxueuses les unes que les autres, qui se déplient une à une, affolant et ravissant l'oeil tout à la fois et dont l'éblouissant assemblage sert à masquer autant qu'à mettre en valeur le ton pince-sans-rire, attendri, cruel aussi, avec lequel Rushdie évoque sa nation et son peuple.

Un livre fascinant et une bouffée d'espoir pour tous ceux qui pensent qu'un jour, l'islam connaîtra sa révolution des Lumières. Mais un livre qui conforte aussi dans la certitude que ces Lumières-là ne pourront venir que d'un peuple non-arabe. ;o)

samedi, septembre 22 2007

Un Père Obéissant - Akhil Sharma (Inde).

An Obedient Father Traduction : Diane Ménard

Voici un roman dérangeant à plus d'un titre. Son héros, ou plutôt son anti-héros, est proche de l'abjection absolue. Outre le fait que ce petit fonctionnaire au département de l'Education de New Dehli recueille les pots-de-vin pour le compte du riche M. Gupta - qu'il trahira sans vergogne à la fin du roman - il faut ajouter à ces vilaine pratiques qu'il a violé sa fille aînée, Anita, alors que celle-ci n'avait que onze ans et qu'il est tenté d'user de même envers la fille d'Anita.

Mais ce qui dérange, c'est que l'essentiel de l'action nous est décrit par la voix même de Ram Karam - à l'exception de deux chapitres où la parole est donnée à Anita elle-même.

Or, bien que le lecteur soit pris d'horreur devant certains actes du personnage, il est aussi bien obligé de constater que Ram Karam, s'il est faible et lâche, n'a pour autant rien d'un psychopathe. Il s'analyse lui-même sans aucune complaisance, avec beaucoup de masochisme d'ailleurs et, à la fin du roman, c'est sans sourciller qu'il accepte sa propre mort. Il faut dire que, à ce moment-là, l'auteur semble retourner la situation puisque c'est Anita qui devient, en quelque sorte, le bourreau de son père.

Ce roman, qu'on m'avait beaucoup vanté, m'a laissée très perplexe, je l'avoue. Il ne trouve d'explication véritable que si le lecteur admet un parallèle étroit - et plutôt inquiétant - entre la personne de Ram Karam et l'Inde elle-même. Ce qui revient évidemment à dire que l'Inde, fût-elle débarrassée des colonisateurs, demeure un grand corps malade et même gangrené, qu'on plaint et qui horrifie tour à tour.

Dans ce pays si vaste, tous les politiques, sans exception, sont (et ont toujours été) corrompus. Cette corruption rejaillit sur leur clientèle et, de celle-ci, sur les plus démunis. La corruption financière se double d'une corruption spirituelle qui est peut-être encore plus tragique que la première. Mais il y a pire : on dirait que, dans l'esprit du romancier, l'Inde ne peut exister sans corruption.

Je suis donc sortie très partagée de ce roman : je ne saurai pas même dire si je l'ai apprécié ou si je l'ai détesté - ce qui est une première pour moi et ne constitue pas une expérience plaisante.

En tous cas, que vous l'ayez déjà lu ou comptiez le faire, n'hésitez pas à venir me donner votre avis ! ;o)

samedi, août 25 2007

L'Emeute - Shashi Tharoor.

Riot Traduction : Claude Demanuelli

Une jeune Américaine, Priscilla Hart, qui avait passé une bonne partie de sa jeunesse en Inde où son père occupait un poste important chez Coca-Cola avant que cette société ne fût déclarée pratiquement hors-la-loi par le gouvernement indien, est assassinée de seize coups de couteau au cours de la nuit d'émeute qui a secoué la petite ville de Zalilgarh.

Priscilla travaillait alors pour une association caritative, Help Us, ayant pour but d'initier les femmes indiennes, hindoues, musulmanes et sikhs, à la contraception. Quelques jours auparavant, elle avait aidé une indienne musulmane, enceinte de son huitième enfant, à prendre rendez-vous pour se faire avorter. Le mari avait proféré des menaces de mort contre tous les membres de l'association - et surtout contre les femmes.

Mais, ainsi que le lecteur va le découvrir au fur et à mesure qu'il avance dans ce passionnant roman de 400 pages aux éditions Points, cet époux arriéré n'était pas la seule personne susceptible de souhaiter la mort de la jeune femme ...

Sashi Tharoor met à profit son intrigue pour nous brosser un certain portrait de l'Inde, celui des tensions de plus en plus aiguës entre les communautés religieuses, principalement entre les hindous et les musulmans.

L'émeute tourne évidemment autour de ces rivalités : les hindous estiment - à tort ou à raison - que la mosquée du lieu est construite sur un ancien temple dédié à Rama. Pire : pour certains allumés d'entre eux, ce lieu ne serait autre que le berceau de Rama. Aussi ont-ils décidé d'y rebâtir un temple à leur dieu, au grand scandale des musulmans qui, dans le clan opposé, voient en cette volonté un sacrilège. Comme toujours, et dans les deux camps, il se trouve des déjantés pour appeler à la violence. Et tout dégénère ...

Randy Diggs, journaliste venue enquêter sur la mort de Priscilla Hart, recueille les points de vue des chefs des deux groupes : Ram Charan Gupta pour les indous nationalistes et le professeur Mohammed Sarwar pour les musulmans.

... Et c'est là que le lecteur commence à se poser des questions ...

Comment Sashi Tharoor, qui semble bénéficier d'un talent de conteur non négligeable, a-t-il pu agir avec si peu de subtilité ? Lui, qui prétend à l'impartialité absolue quant aux querelles religieuses de son pays, lui qui prétend du même coup vouloir renvoyer dos à dos hindous, musulmans et sikhs, lui qui prétend défendre la vraie laïcité (ce n'est jamais écrit comme ça mais il faudrait être idiot pour ne pas comprendre) nous montre un Ram Charam Gupta plein de haine et de violence et un Mohammed Sarwar doux, bénin, vertueux, modéré.

De plus, par une pirouette que je n'hésiterai pas à qualifier de venimeuse, il laisse entendre (car il n'a pas le courage d'affirmer) à la fin que ce n'est pas le mari (musulman) de la femme qui voulait avorter qui a tué Priscilla, mais bel et bien, vous vous en doutez, une véritable conspiration d'hindous.

Bref, si vous vérifiez sur le Net, vous verrez que Shashi Tharoor est né dans une famille indienne de religion musulmane. Mon propos ici n'est pas d'attaquer sa religion et je me doute bien que, côté hindou, il doit exister également des écrivains et des artistes qui usent de leur art pour faire de la propagande, officielle ou pas.

Mais ce qui m'a vraiment écoeurée, c'est qu'un homme doué d'un tel talent, d'un tel sens narratif - lisez ce livre et vous verrez que je n'invente rien - puisse ainsi prostituer son Art à une religion, quelle qu'elle soit. En agissant ainsi, Shashi Tharoor donne un coup de poignard supplémentaire à son héroïne. Et franchement, c'est indiqne, à la fois pour l'homme et pour le romancier. <:o<

samedi, juin 23 2007

Le Dieu des Petits Riens - Arundhati Roy.

C'est un roman assez court mais qui foisonne, c'est vrai. De personnages mais surtout d'impressions, de couleurs, de mille images sur l'Inde. Le premier roman que j'ai lu sur ce pays était "La Mousson" de l'Américain Louis Bromfield et j'en étais sortie (j'étais pourtant très jeune à l'époque) avec la certitude qu'on ne pouvait faire pays plus coloré, plus chaud que l'Inde. Bromfield, qui n'y était jamais allé, dépeignait cette contrée avec un amour que je n'ai pas trouvé par exemple dans E.M. Forster. Avec Arundhati Roy, qui est Indienne, cette passion, qui se combine souvent à une exaspération latente envers le système de castes par exemple, est bien au rendez-vous.

Mais c'est un drame qui se vit ici, dans cette atmosphère lourde et paresseuse, où le passé et le présent entremêlent leurs lents tissages d'araignées. Dès le départ, on sait que ce drame tourne autour de la mort de Sophie, la fille de Chacko et de son épouse anglaise, Margaret. La petite fille, "Sophie Mol" comme on l'appelle lorsqu'elle arrive en Inde pour y retrouver son père biologique, est morte noyée une quinzaine d'années plus tôt, dans un accident qui fut maquillé en kidnapping et en meurtre par la grand-tante des héros, Baby Kochama.

Avec leur mère, Ammu, elle aussi disparue et morte dans la déchéance, les jumeaux Rahel (la fille) et Estha (le fils) sont les personnages-clefs du livre. Deux enfants nés de l'union d'un père fonctionnaire qui s'adonnait trop à la bouteille pour que son épouse, un jour, ne finisse pas demander le divorce.

En ces années 60 qui s'achèvent (le drame se place en 1969), Ammu a en effet osé divorcer pour revenir chez elle, auprès de sa mère, Mammachi et de sa tante, Baby. Pour ces femmes qui ont connu l'époque où les Intouchables se devaient de s'éloigner à reculons en balayant jusqu'à leurs propres traces sur le sol, Ammu n'a pas de "statut légal" - ce que les jumeaux, voletant entre l'Hindi et l'Anglais, déforment en "Statue L'Egale." Certes, elles la tolèrent mais elles n'en pensent pas moins : Ammu a en elle quelque chose d'incontrôlable et de masculin.

Aussi la grand-mère et la grand-tante ne ressentent-elles pas un amour extraordinaire pour les jumeaux. Baby surtout semble vraiment les détester. Il est vrai que Baby est une aigrie ...

Quand Margaret, qui a jadis divorcé elle aussi de Chacko pour se remarier avec un Anglais, devient veuve de celui-ci, son premier mari lui propose de venir passer la Noël dans sa famille, à Ayanemen. Il espère ainsi revoir la seule femme qu'il ait jamais aimée et, bien entendu, la fille qu'elle lui avait donnée, la petite Sophie.

Et, en dépit des espoirs de Baby Kochama, Sophie sympathise très vite avec ses jumeaux de cousins.

A partir de là, tout est en place et la pièce peut se jouer avec, en toile de fond, l'amour que Velutha, l'Intouchable, ressent pour Ammu. Amour partagé mais amour voué à la Mort, on s'en doute.

Le drame final entraînera la désagrégation de la famille Kochama. Chacko s'exilera au Canada. Margaret ne se pardonnera jamais d'avoir amené sa petite fille avec elle pour ce fameux Noël. Ammu sera chassée de la maison de ses ancêtres. Velutha ... Velutha, vous verrez bien, hélas ! Quant à Rahel et à Estha, ils seront séparés. La première restera auprès de sa grand-mère, le second sera, selon l'expression de Baby Kochama, "renvoyé à l'expéditeur", c'est-à-dire à son père divorcé.

A 31 ans, Estha reviendra à la demeure familiale. Mais il sera devenu muet, comme si la mort de Sophie, la liaison d'Ammu et surtout la disparition de celle-ci l'avaient figé quelque part, entre le Passé et le Présent. Il faudra tout l'amour de Rahel, revenant elle des USA où elle avait émigré à sa majorité, pour le ramener - un peu, un tout petit peu et d'une façon très particulière - à la réalité, une réalité où Baby Kochama, maintenant âgée de 83 ans, fait plus que jamais figure de parasite borné et haineux, dans la droite ligne de ces fondamentalistes de tout poil qui, au nom de Dieu, ne savent qu'infliger malheur et torture à leurs semblables.

Un beau livre dont il ne faut guère s'étonner qu'il ait connu un tel succès. Oui, il y a des méandres mais l'Inde, dans toute ses beautés et dans toutes ses hideurs, n'est-elle pas, justement, que méandres - nos méandres originels peut-être ?