Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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Poésie

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vendredi, octobre 26 2007

Emily Dickinson. ( II )

Pour vous faire une idée du talent, très particulier, de Dickinson :

On apprend l'eau - par la soif

La terre - par les mers qu'on passe

L'exaltation - par l'angoisse -

La paix - en comptant ses batailles -

L'amour - par une image qu'on garde

Et les oiseaux - par la neige

Soit, en anglais :

Water is taught by thirst

Land - by the ocean passed

Transport - by throe -

Peace -by it's battle told -

Love, by Memorial Mold

Birds, by the snow

Emily Dickinson. ( I )

Une poétesse trop longtemps - et encore trop souvent - ignorée bien qu'elle ait laissé une oeuvre majeure et en révolte constante avec son temps (Emily naquit tout de même en 1830 et mourut avant le début du XXème siècle).

A découvrir donc ses "Quatrains" (Gallimard) et sa correspondance (chez José Corti) et aussi ces sites qui lui sont consacrés :

1) les anglophones y trouveront la version originale de ses poèmes ;

2) l'irremplaçable Wikipédia avec quelques liens intéressants ;

3) Noxoculi

4) et celui-ci, vraiment bien fait.

Il faut noter que, avant sa mort, Emily Dickinson en était arrivée à un tel degré de repli sur soi qu'elle n'acceptait plus de parler à autrui que si la personne se trouvait non pas devant elle mais dans une pièce attenante.

          

lundi, octobre 15 2007

Xavier Grall ( II ).

                    Xavier Grall dans sa jeunesse.

Avec l'âge, les caractéristiques celtiques de ses traits, cette austérité ciselée qui fait songer à quelque lien millénaire avec les tribus indiennes, l'emportèrent :

                  

Xavier Grall ( I ).

A ce jour, l'un des plus grands poètes bretons d'expression française. Souvent excessif mais toujours sincère et passionné, Grall me fait toujours frissonner car c'est mon pays, sa fierté millénaire et sa révolte éternelle que j'entends dans ces vers, comme ici :

ALLEZ DIRE A LA VILLE

Terre dure de dunes et de pluies

c'est ici que je loge

cherchez, vous ne me trouverez pas

c'est ici, c'est ici que les lézards

réinventent les menhirs

c'est ici que je m'invente

j'ai l'âge des légendes

j'ai deux mille ans

vous ne pouvez pas me connaître

je demeure dans la voix des bardes

O rebelles, mes frères

dans les mares les méduses assassinent les algues

on ne s'invente jamais qu'au fond des querelles

Allez dire à la ville

que je ne reviendrai pas

dans mes racines je demeure

Allez dire à la ville qu'à Raguénuès et Kersidan

la mer conteste la rive

que les chardons accrochent la chair des enfants

que l'auroch bleu des marées

défonce le front des brandes

Allez dire à la ville

que c'est ici que je perdure

roulé aux temps anciens

des misaines et des haubans

Allez dire à la ville

que je ne reviendrai pas

Poètes et forbans ont même masure

les chaumes sont pleins de trésors et de rats

on ne reçoit ici que ceux qui sont en règle avec leur âme sans l'être avec la loi

les amis des grands vents

et les oiseaux perdus

Allez dire à la ville

que je ne reviendrai pas

Terre dure de dunes et de pluies

pierres levées sur l'épiphanie des maïs

chemins tordus comme des croix

Cornouaille

tous les chemins vont à la mer

entre les songes des tamaris

les paradis gisent au large

Aven

Eden

ria des passeraux

on met le cap sur la lampe des auberges

les soirs sont bleus sur les ardoises de Kerdruc

O pays du sel et du lait

Allez dire à la ville

Que c'en est fini

je ne reviendrai pas

Le Verbe s'est fait voile et varech

bruyère et chapelle

rivage des Gaëls

en toi, je demeure.

Allez dire à la ville

Je ne reviendrai pas.

XAVIER GRALL

Rivage des Gaels, en toi je demeure ... ;o)

Joachim du Bellay.

L'un des plus grands poètes français et l'un des pères fondateurs de la Pléiade :

             
                  Joachim du Bellay - 1522-1560

Pour ceux qui ne sont jamais allés plus loin que le premier vers, voici l'une de ses oeuvres les plus connues :

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un long voyage

Ou comme ceystui-là qui conquit la Toison,

Et puis est retourné, plein d'usage et raison,

Vivre entre ses parents le reste de son âge.

Quand reverrai-je, hélas ! de mon petit village

Brûler la cheminée et en quelle saison

Reverrai-je le clos de ma pauvre maison

Qui m'est une province et beaucoup davantage ?

Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux,

Que des palais romains le front audacieux ;

Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine,

Plus mon Loire Gaulois que le Tibre Latin,

Plus mon petit Liré que le mont Palatin

Et plus que l'air marin, la douceur Angevine

Ce sonnet, qui appartient, il me semble, aux recueil des "Regrets", fut composé, dit-on, alors que Joachim occupait à Rome la place de secrétaire du cardinal Jean du Bellay. Sa perfection tient non seulement dans sa forme mais surtout dans la sincérité et la douceur mélancolique des sentiments exprimés. Tous ceux qui ont, un jour ou l'autre, ressenti le mal du pays se reconnaissent instinctivement dans ce poète qui pleure son exil. ;o)

jeudi, août 30 2007

Lucie Delarue-Mardrus, poétesse saphique. (III)

Le grand amour malheureux de Renée Vivien s'appelait Nathalie Barney :

D'origine américaine, Nathalie avait une passion réelle pour la France au point qu'elle finit par fonder à Paris, au 20, rue Jacob, l'un des derniers grands salons littéraires influents de la capitale. __Y défilèrent pêle-mêle: Rodin et Colette (qui fut l'une des amantes de Barney), James Joyce et Sylvia Beach, Robert de Montesquiou, le modèle du Charlus proustien, Gertrude Stein et sa compagne, Alice B. Toklas, Jean Cocteau bien sûr, André Gide, Scott et Zelda Fitzgerald, Sinclair Lewis, Mary McCarthy, Truman Capote, Marguerite Yourcenar et beaucoup d'autres.__

Grande prêtresse du saphisme, rêvant à ses débuts à Paris de constituer un cercle de poétesses similaire à celui jadis créé par Sappho elle-même à Mytilène, Natalie Barney aimait à papillonner. Outre Colette et Renée Vivien, elle eut pour maîtresses Liane de Pougy en personne et Elisabeth de Gramont. Elle n'en fut pas moins aimé par un homme, l'écrivain et co-fondateur du "Mercure de France" Rémy de Gourmont, et entretint avec lui une correspondance par la suite publiée. C'est à Gourmont qu'on doit le surnom de "l'Amazone" qui est demeuré à Nathalie Barney.

Nathalie Barney à gauche et sa dernière compagne, le peintre Romaine Brooks à droite.

A l'inverse de Renée Vivien et même de Lucie Delarue-Mardrus, disparue en 1942, l'Amazone mourut à l'âge canonique de 96 ans, en 1972. ;o)

Lucie Delarue-Mardrus, poétesse saphique. (II)

Marie-Pauline Tarn, dite Renée Vivien, fut une admiratrice sincère et passionnée de Lucie Delarue-Mardrus et ce fut elle qui lui fit rencontrer la riche et très mondaine Nathalie Barney :

           

Destin tragique que celui de cette poétesse, probablement l'une des plus grandes - eh ! oui - du XXème siècle, dont le lesbianisme prit naissance dans la haine tout à fait justifiée qu'elle portait à sa mère, laquelle tenta de la faire iinterner dans un asile pour mieux profiter de la rente que lui avait laissée son père. Refusant l'image de la Mère, Vivien est une anorexique avant l'heure dont la santé ira en se dégradant. Qui pis est, elle boit et sans doute sacrifie-t-elle aux drogues de l'époque.

Dès 1903, sa "Vénus des Aveugles" avait été très mal accueillie par la critique qui perçut bien la révolte et la haine qu'inspirait à l'auteur le système patriarcal où elle était née ainsi que son apologie de la Mort. (L'oeuvre de Vivien n'est pas d'ailleurs sans évoquer celle de Baudelaire.) Alors se déchaînèrent les attaques contre sa vie privée, sa liaison avec Nathalie Barney et ce que l'on peut déjà appeler son militantisme pro-lesbien. La dépression achève son oeuvre chez la jeune femme et elle meurt en 1909, à l'âge de 32 ans, des suites d'une pneumonie contre laquelle son corps ne pouvait pas lutter.

La Fusée

Vertigineusement, j’allais vers les Etoiles…

Mon orgueil savourait le triomphe des dieux,

Et mon vol déchirait, nuptial et joyeux,

Les ténèbres d’été, comme de légers voiles…

Dans un fuyant baiser d’hymen, je fus l’amant

De la Nuit aux cheveux mêlés de violettes,

Et les fleurs du tabac m’ouvraient leurs cassolettes

D’ivoire, où tiédissait un souvenir dormant.

Et je voyais plus haut la divine Pléiade…

Je montais… J’atteignais le Silence Eternel…

Lorsque je me brisai, comme un fauve arc-en-ciel,

Jetant des lueurs d’or et d’onyx et de jade…

J’étais l’éclair éteint et le rêve détruit…

Ayant connu l’ardeur et l’effort de la lutte,

La victoire et l’effroi monstrueux de la chute,

J’étais l’astre tombé qui sombre dans la nuit.

Un florilège des poèmes de Renée Vivien est à découvrir ici.

Lucie Delarue-Mardrus, poétesse saphique (I).

             Lucie Delarue-Mardrus jeune femme.

Cette jeune fille d'excellente famille, que ses proches surnommaient "Princesse Amande", faillit bel et bien épouser Philippe Pétain - comme quoi celui-ci avait au moins bon goût en matière de femmes.

Mais Lucie Delarue, qui devint Lucie Delarue-Mardrus par son mariage avec un médecin extrêmement tolérant, aima bien plus les femmes que les hommes. Bien qu'elle sculptât et se fît remarquer de la bonne société parisienne également par sa prose, c'est surtout en qualité de poétesse que la mémoire littéraire a conservé son nom. Voici l'un de ses poèmes les plus célèbres :

SI TU VIENS

Si tu viens, je prendrai tes lèvres dès la porte,

Nous irons sans parler dans l'ombre et les coussins,

Je t'y ferai tomber, longue comme une morte,

Et, passionnément, je chercherai tes seins.

A travers ton bouquet de corsage, ma bouche

Prendra leur pointe nue et rose entre deux fleurs,

Et t'écoutant gémir du baiser qui les touche,

Je te désirerai, jusqu'aux pleurs, jusqu'aux pleurs !

- Or, les lèvres au sein, je veux que ma main droite

Fasse vibrer ton corps - instrument sans défaut -

Que tout l'art de l'Amour inspiré de Sapho

Exalte cette chair sensible intime et moite.

Mais quand le difficile et terrible plaisir

Te cambrera, livrée, éperdument ouverte,

Puissé-je retenir l'élan fou du désir

Qui crispera mes doigts contre ton col inerte !

         
         
           Lucie Delarue-Mardrus après la Grande Guerre.