Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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Journaux, Mémoires & Correspondances.

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dimanche, avril 15 2012

Mémoires - Tome V - Saint-Simon

Extraits Personnages

Le moins que l'on puisse dire, et ceci qu'on ait ou pas apprécié l'homme et le monarque, c'est que la disparition de Louis XIV laisse un vide ou plutôt un gouffre dans le XVIIIème siècle commençant. Le terme était encore inconnu à l'époque mais il y a indubitablement quelque chose de stressant dans cette béance pourtant prévue de longue date. Bien qu'il salue avec espoir la venue au pouvoir du duc d'Orléans, on sent Saint-Simon lui-même ébranlé par cette vacance : après tout, on sait toujours plus ou moins ce que l'on perd mais on ignore le plus souvent ce qui va le remplacer ...

Le tome V de ces "Mémoires", toujours passionnant mais peut-être un peu trop hermétique pour ceux qui n'ont de l'Histoire qu'une vision superficielle, se partage entre deux phénomènes qui vont marquer la France et l'Europe :

1) l'arrivée au pouvoir de Philippe d'Orléans, neveu du défunt monarque, plus communément désigné par l'Histoire sous le nom du Régent,

2) et les complexes intrigues tissées par le cardinal Alberoni, premier ministre du roi d'Espagne, pour obtenir le chapeau de cardinal.

Le premier phénomène passe par la nécessité de "casser" le testament laissé par Louis XIV. Dans ce testament, rappelons-le, sous la pression pour l'essentiel de l'aîné de ses fils bâtards et sous celle de Mme de Maintenon, le monarque disparu léguait pour ainsi dire tous les pouvoirs au duc du Maine. La chose, connue sous le manteau, avait inspiré scandale et effroi à la noblesse fidèle et légitimiste pour laquelle - et avec raison - l'exercice du pouvoir durant la minorité du jeune roi Louis XV (âgé seulement de cinq ans à la mort de son arrière-arrière-grand-père) ne pouvait être confié qu'au premier des princes du sang, à savoir le duc d'Orléans, neveu de Louis XIV. De l'autre côté, la coterie de Sceaux, résidence attitrée du duc du Maine et de son épouse, laquelle appartenait à la maison des Bourbon-Condé, bien décidée à voir si, d'aventure, on ne pouvait pas récupérer peu à peu la couronne au bénéfice du bâtard favori de Louis XIV. Après tout, les Guise-Lorraine avaient déjà tenté l'aventure au temps des guerres de religion ...

Le second nous est exposé en long et en large par Saint-Simon, grandement aidé, il ne nous le cache pas, par les divers dossiers et papiers que Torcy, ancien ministre de Louis XIV chargé notamment des Affaires étrangères et de la surintendance des Postes, lui avait confiés Le flot est énorme, fourmille de détails et d'anecdotes et nous brosse surtout un extraordinaire portrait de la situation politique européenne de l'époque. Si Giulio Alberoni, humble fils d'un jardinier toscan devenu maître incontesté de l'Espagne de Philippe V, et le pape qui se résolut, à l'usure, à le faire cardinal, Benoît XIII, tiennent la vedette dans cette vaste tragi-comédie politique, l'Electeur de Hanovre et roi d'Angleterre Georges Ier, acharné à concocter une alliance avec la France tout en se conciliant les bonnes grâces de l'Empereur - Charles VI de Habsbourg - lequel, en refusant le testament de Charles II d'Espagne, qui léguait la couronne au duc d'Anjou, petit-fils de Louis XIV, avait justement déclenché face à cette puissance la fameuse guerre dite "de Succession d'Espagne", y joue avec brio et une sournoiserie sans égale le rôle du troisième larron. A l'arrière-plan, rôde et tempête la silhouette de Pierre le Grand, si désireux lui aussi de s'allier avec la France mais dont l'abbé Dubois, lui aussi dans l'espoir d'accéder au cardinalat, et un Régent trop influençable mépriseront les appels du pied.

En résumé, pour tous ceux que passionnent l'Histoire et tout particulièrement cette période transitoire mais essentielle pour l'équilibre des forces en Europe à la naissance du XVIIIème siècle, ce tome V des "Mémoires" du duc de Saint-Simon est un régal. Clair et précis ou fiévreux et emporté, le style incomparable du mémorialiste emporte son lecteur dans un tourbillon bouillonnant où se confondent grandeurs des uns et mesquineries des autres. On est surpris, charmé, amusé, révolté, on prend parti, on vibre, on piétine de rage aux faussetés de certains, on applaudit à l'habileté des autres - et on a parfois l'impression d'être au coeur d'une prestigieuse production cinématographique pour une fois en prise directe sur l'Histoire plutôt que dans un livre. J'ignore si Saint-Simon aurait apprécié cette conclusion mais, à mes yeux, c'est un compliment. ;o)

samedi, avril 14 2012

Mémoires - Tome IV - Saint-Simon

Extraits Personnages

Avec la duchesse de Bourgogne, cette jeune princesse de Savoie élevée à la cour de France depuis son adolescence, s'en est allée toute la joie de vivre de Louis XIV. Selon Saint-Simon, la duchesse de Bourgogne, devenue Dauphine par la mort de son beau-père, Monseigneur, fut la seule personne que le Roi aimât jamais vraiment. On devine donc aisément que ce tome quatre des "Mémoires" de Louis de Rouvroy a tout - ou presque - d'une symphonie funèbre.

Deux morts marquent ce récit. La première, bien qu'elle soit celle d'un petit-fils de France, le duc de Berry, frère cadet du défunt duc de Bourgogne et oncle du futur Louis XV, est modeste, humble, à la ressemblance du sentiment d'infériorité que ce prince, comme ses frères et comme tant d'autres, membres ou non de la famille royale, ressentait envers Louis XIV. Victime d'une sorte d'hémorragie interne à la suite d'un accident de chasse non signalé - il avait violemment heurté le pommeau de sa selle mais n'en avait rien dit - le jeune duc de Berry s'efface doucement, ne regrettant rien, pas même cette épouse si chérie, puis si haïe, à laquelle il refusera de pardonner à ses derniers instants, Marie-Louise Elisabeth d'Orléans,sa cousine et fille du futur Régent.

Les rumeurs d'empoisonnement rodent encore. Pour le plus grand bénéfice du duc du Maine et Mme de Maintenon, qui voient décliner le Roi et cherchent par tous les moyens à préserver leur avenir.

La chose est connue - même si Gonzague Truc, partisan acharné de la seconde épouse de Louis XIV, cherche dans ses notes à y "noyer le poisson" en soulignant la partialité de Saint-Simon - Mme de Maintenon usa de tout son crédit auprès du Roi pour que fût rédigé le fameux testament (et son codicille) qui donnait, à la mort du vieux monarque, tous les pouvoirs au duc du Maine et à sa coterie. Ce testament, Louis XIV, visiblement lassé par les pressions exercées, se résolut à l'écrire mais le fit sans plaisir comme sans illusions. Lui qui avait vu "casser" le testament de son propre père savait bien que ses prétendues dernières volontés ne seraient pas mieux respectées.

La question est de savoir s'il a souhaité qu'elles le fussent ou si, malgré tout, dans un sursaut d'amour pour la monarchie qu'il incarnait, il espérait bien au fond de lui qu'il n'en serait rien.

Sur ce point, Saint-Simon hésite à se prononcer. Il nous présente le monarque proche de la Mort alternant entre ces deux volontés contradictoires et demeurant, jusqu'au bout, une énigme. Le portrait final qu'il dresse de Louis XIV sur son lit de mort est d'ailleurs l'un des plus beaux et des plus impressionnants qu'il ait jamais écrits. Mieux que jamais, on perçoit ici combien Louis XIV l'a fasciné, combien il a admiré sa grandeur et détesté ses petitesses.

Autre caractéristique de ce quatrième tome : le développement de la pensée politique du mémorialiste ainsi que l'aveu des illusions qu'il entretenait sur le Régent, personnage somme toute aussi secret dans son genre que l'avait été son oncle.

Mémoires - Tome III - Saint-Simon

Extraits Personnages

Voici l'un des volumes les plus intéressants, l'un de ceux aussi qui se lisent véritablement comme un roman. Dans la foule de détails et d'anecdotes rapportés par le mémorialiste, on distingue ici deux thèmes essentiels :

1) le rapprochement de Saint-Simon avec la duchesse d'Orléans, pourtant bâtarde de Louis XIV, par l'intérêt qu'il porte à son mari et au "destin" de celui-ci. Partant, la part prise par lui au mariage de la fille du couple avec le duc de Berry - mariage que tous ceux qui y auront prêté la main finiront par regretter ;

2) et enfin la cascade de décès familiaux qui assombrit les dernières années du règne : Monseigneur, le Grand Dauphin, tout d'abord, fils aîné de Louis XIV, puis le nouveau Dauphin et sa femme, anciens duc et duchesse de Bourgogne, et enfin le fils aîné de ceux-ci, le duc de Bretagne.

La vision politique à long terme de Saint-Simon prend son essor dans ce troisième tome. Au début cependant, c'est semble-t-il par pur amitié et aussi, une fois de plus, par sens de ce qui est dû au premier prince du sang qu'il se rapproche de lui. La vie que menait le futur Régent, vie de scandales et de petites danseuses à Paris et au Palais-Royal, ne convenait pas à Saint-Simon, lequel, de son propre aveu, n'allait jamais le voir lorsqu'il se trouvait à la capitale. Mais, peu à peu, devant les cabales montées contre le duc d'Orléans - brimé dans son commandement d'Espagne par exemple - et aussi contre son cousin, le jeune duc de Bourgogne, bref, contre "le sang légitime", le mémorialiste se sent animé du désir de tout remettre en ordre.

Bien qu'elle n'ignorât pas les sentiments voués par le petit duc aux bâtards, fussent-ils royaux, et à la bâtardise en général, la duchesse d'Orléans paraît avoir éprouvé envers lui beaucoup d'estime et de considération. Il faut dire que Saint-Simon se bat pour détourner le Régent de sa maîtresse de l'époque, Mme d'Argenton, et pour le rapprocher de son épouse. Il va se battre aussi pour favoriser le mariage de la fille aînée des Orléans avec le duc de Berry, frère cadet du Dauphin présomptif. Mme de Saint-Simon y gagnera, bien malgré elle, une place de dame d'honneur de la nouvelle princesse dont elle se serait bien passée ...

Mais le morceau de bravoure de ce volume s'ouvre au dernier tiers, lorsque débute la véritable hécatombe au sein de la famille royale. On rappellera que Louis XIV connut l'un des règnes les plus longs - cinquante-six ans - et que son excellente santé lui permit donc de voir à ses côtés non seulement son fils, dit le Grand Dauphin ou Monseigneur, mais aussi le fils aîné de ce dernier, le duc de Bourgogne, et enfin les fils du duc de Bourgogne, le duc de Bretagne et le duc d'Anjou. En quelques mois, et même en quelques semaines pour les derniers cités, cette belle et si prometteuse ordonnance va se dissoudre en fumée et il ne restera au monarque le plus orgueilleux d'Europe et peut-être du siècle qu'un seul arrière-petit-fils - le duc d'Anjou, futur Louis XV - sauvé des médecins autant que de la rougeole par sa gouvernante, la duchesse de Ventadour.

Saint-Simon écrit avec flamme, avec émotion, dressant quelques uns des plus beaux portraits de son oeuvre avec, notamment, celui du duc de Bourgogne, enlevé trop tôt aux espoirs que fondaient sur lui ceux qui, comme Saint-Simon et ses amis et mentors, les ducs de Beauvilliers et de Chevreuse, attendaient avec impatience le renouveau de la monarchie. Il est aussi le seul - à ma connaissance - à évoquer l'hypothèse de l'empoisonnement de la duchesse de Bourgogne. (Entendons-nous, les contemporains, menés par le duc du Maine et ses proches, accusèrent Philippe d'Orléans d'avoir fait assassiner ceux qui "gênaient" son accession au trône. Mais le comportement ultérieur du Régent prouve qu'il ne tenait guère à régner et ces racontars haineux tombent d'eux-mêmes : il semble que Louis XIV lui-même n'y crut guère bien qu'il fût sous le choc légitime de cette suite de morts qui le touchait de si près.) Dans ses notes, Gonzague Truc parle, quant à lui, de la culpabilité éventuelle de la duchesse de Berry - mais il n'y a pas là plus de preuves que dans le cas de la culpabilité supposée du Régent.

Le lecteur se fera donc son idée personnelle. Une chose demeure certaine : le décès de la duchesse de Bourgogne demeure marqué au coin de l'étrange. Le duc de Noailles - que Saint-Simon eut plus tard de bonnes raisons de haïr - y trempa-t-il ? Le saura-t-on jamais ? En tous cas, ce tome 3 des "Mémoires" de Saint-Simon est merveilleusement passionnant et ne saurait que charmer les amateurs d'Histoire et de mémoires.

mercredi, avril 4 2012

Mémoires - Tome II - Saint-Simon

Extraits Personnages

Nul n'ignore la haine prodigieuse que le duc de Saint-Simon vouait à la bâtardise. D'une naissance dénuée de toute tache, cet aristocrate était bien trop intelligent pour ne pas avoir compris que les mésalliances, légitimées par le mariage ou non, entre la bourgeoisie et la noblesse ne pouvaient que saper une société élitiste telle que l'avait voulue la féodalité.

Hélas ! à l'époque de Saint-Simon, la féodalité est remisée dans les oubliettes de la mémoire collective de son milieu. Les nobles servent encore à l'armée mais s'ils peuvent jouir d'une charge ou deux qui ne nécessitent aucun effort de leur part, ils ne font pas d'embarras et l'acceptent des mains de ce Roi qui les veut tous serrés autour de lui, telles des fourmis dociles réunies autour de leur reine. A moins qu'ils ne l'achètent après en avoir revendu une autre, qui ne leur convient plus. Le plus souvent d'ailleurs, il faut bien le dire, la puissance financière est aux mains de la bourgeoisie et celle-ci achète des titres à ses enfants en les mariant à tel héritier désargenté mais avide de pouvoir mener grande vie. Quant à la bâtardise pure, elle ne s'est jamais aussi bien portée, pas même sous Henri IV.

Des enfants qu'il a eus de Melle de La Vallière, Louis XIV a conservé une fille et, de ceux que lui a donnés Mme de Montespan, il lui reste deux garçons et trois filles. Tous et toutes, sans exception, ont épousé des princes et princesses du sang. Tout ceci par la volonté royale : quel père, quelle mère oserait se rebeller contre le désir du Roi de devenir le beau-père de sa fille ou de son fils ? Madame, Elisabeth-Charlotte d'Orléans, princesse Palatine peut-être. Mais Monsieur, lui, n'aura pas ce courage et le duc de Chartres, leur fils, finira par devenir, pour son malheur, le gendre ultime de Sa Majesté qui est aussi, rappelons-le au passage, son oncle.

Les "bâtardeaux" royaux, comme il les appelait, Saint-Simon les a haïs même si, comme tout le monde en ce pays-ci, il a bien été obligé de s'incliner devant eux, ne fût-ce que par politesse. Il est vrai qu'ils étaient si près du trône qu'il eût été suicidaire de se comporter autrement. Par un effet de contre-poids, le mémorialiste semble, dans ce deuxième tome, passer toute sa rage et sa frustration sur un autre bâtard de sang royal, Louis-Joseph, duc de Vendôme, parfois appelé, en raison de ses réelles qualités militaires, "le Grand Vendôme", et qui, par son père, est le petit-fils de César, premier duc de Vendôme, bâtard légitimé du roi Henri IV et de Gabrielle d'Estrées. César de Vendôme ayant été officiellement reconnu par son père en 1595, son petit-fils représente, aux yeux de Saint-Simon, la continuation d'une coutume que, à vrai dire, peu de rois de France ont suivie avec autant d'éclat et de constance que Henri IV et Louis XIV, à savoir la légitimation de leurs enfants bâtards.

Si le procédé est issu d'une louable intention d'équité, les excès auxquels vont le porter, en une sorte de sombre et délirante apothéose, la volonté d'acier d'un Louis XIV et son faible avoué - encouragé notamment par Mme de Maintenon - envers le duc du Maine ne tarderont pas à révéler le gouffre qu'il peut ouvrir en cas, entre autres, de minorité de l'héritier légitime du trône. Fin politique et même politique d'une étonnante acuité - certaines des pages qu'il consacre aux analyses sur ce thème auraient pu être écrites par un moderne - Saint-Simon est obsédé par ce danger qu'il estime aussi périlleux pour l'Etat et la monarchie que l'abus de complaisance envers la bourgeoisie.

Par ricochet, le duc de Vendôme, en dépit, répétons-le, de qualités qu'on ne peut lui contester même si Saint-Simon, de son côté, goûte une véritable jouissance à les lui dénier, prend ici une superbe volée de bois-vert qui, au-delà de l'individu, vise la Bâtardise et sa légitimation dans leur ensemble. Ce tome, qui reprend l'une des périodes les plus noires du règne de Louis XIV, celle durant laquelle l'Empereur et les pays d'Europe s'unissaient contre lui après l'acceptation de la couronne d'Espagne au bénéfice de son petit-fils, le duc d'Anjou, devenu Philippe V d'Espagne par la volonté du testament de Charles II, est, on peut le dire, littéralement hanté par la silhouette énorme, hautaine, mal embouchée du duc de Vendôme, à qui l'auteur, par la magie de son écriture, confère des allures d'Ogre prêt à déchirer à belles dents, au milieu, faut-il le préciser, des autres bâtards, ses frères et cousins, une monarchie française considérablement affaiblie à l'extérieur et sclérosée, proche de la putréfaction, à l'intérieur.

Et l'Histoire continue à avancer, à petits ou à grands pas, vers ce mois de septembre 1715 qui verra Louis XIV faire ses adieux à son public de Versailles - et au monde. Mais cela n'aura lieu qu'à la fin du quatrième tome des "Mémoires" et, comme on dit , "cela est une autre histoire ..."

A bientôt pour la suite et n'oubliez pas : LISEZ Saint-Simon !

Mémoires - Tome I - Saint-Simon

Texte établi et annoté par Gonzague Truc

Extraits Personnages

L'édition de La Pléiade sur laquelle nous nous sommes appuyés comporte sept tomes d'épaisseur inégale et couvrant a période historique allant de la dernière décennie du XVIIème siècle jusqu'en 1723, date à laquelle, avec la mort de Philippe d'Orléans, le Régent, Saint-Simon décide de se retirer en ses terres.

Le premier tome évoque une décennie toute entière, de 1691, année où Saint-Simon prend son premier commandement dans l'armée, sous le maréchal d'Humières, jusqu'en 1701 qui vit, selon le mémorialiste, finir "tout le bonheur du Roy." L'ensemble comporte pas mal de scènes militaires mais c'est la vie à Versailles, avec les intermèdes de Marly et de Fontainebleau, qui tient la vedette. En un cortège incroyable de vie, Saint-Simon ressuscite ce qu'il connaît du Grand Siècle, à savoir les années Maintenon, dont Louis XIV demeure toujours le centre. Mais ce n'est plus le Louis XIV fringant des grandes amours avec Melle de La Vallière, puis avec Mme de Montespan : le monarque n'a pas seulement mûri, l'homme aussi a vieilli - et pas en bien.

Très vite, le lecteur prend conscience des sentiments ambivalents que porte à ce roi si absolument royal un Saint-Simon qui l'admire pour son faste, son panache, son amour du grand et du beau mais ne peut en même temps lui pardonner d'avoir introduit la bourgeoisie aux conseils en "faisant" un Colbert et un Louvois et encore moins d'avoir tout fait pour placer ses enfants bâtards au-dessus, ou à tout le moins au même niveau, que les Princes du sang. Ce premier volume s'ouvre d'ailleurs pratiquement sur le mariage de Melle de Nantes, la dernière des filles que Louis XIV avait eues de Mme de Montespan, avec le duc de Chartres, fils de Monsieur, le duc d'Orléans, frère du roi, et d'Elizabeth-Charlotte, princesse palatine.

A partir de cet épisode, Saint-Simon prend son envol - et son style avec lui. Car ce premier tome, c'est aussi une prise de contact avec une manière d'écrire qui fait voisiner, avec une superbe indifférence, un langage archaïque, encore fixé au milieu du siècle, et un art proprement extraordinaire et des plus modernes de restituer des scènes d'un point de vue non pas historique (Saint-Simon me pardonne ! ) mais indéniablement subjectif et littéraire.

Avec une humilité qui lui était plus habituelle qu'on ne le croit, Saint-Simon avouait lui-même "ne pas savoir écrire." Il est vrai que, si l'orthographe chez lui est relativement respectée, tout ce qui est accord, des verbes, des adjectifs, des pronoms, etc ..., se présente dans une débandade aussi somptueuse que fantaisiste. Pour résumer le style de son illustre prédécesseur, Chateaubriand dira : "Il écrivait à la diable pour la postérité." Et le lecteur ne peut qu'acquiescer tant l'image rend bien cette impression que l'on a très tôt d'être emporté en croupe par un Saint-Simon lancé au grand galop parmi les phrases qui n'en finissent plus de tourbillonner et les images saisissantes que l'on prend en pleine figure comme on prendrait des rafales de grand vent frais.

Saint-Simon ne savait peut-être pas écrire mais une chose est certaine : il aimait écrire et cet amour lui donne du génie. Il est d'ailleurs l'un des rares mémorialistes au monde qu'on lit aussi pour son style.

Comment rappeler tous les moments forts, tous les portraits incroyables que contient ce premier tome ? Vous en trouverez l'essentiel dans notre rubrique : "Ce Pays-Ci ou A La Découverte de Saint-Simon." Signalons cependant quelques passages qui peuvent interloquer, voire ennuyer le lecteur moderne : tous concernent soit les complexités de la généalogie, soit les distinctions du protocole, comme par exemple, presque à la fin du volume, l'explication en long et en large des différents degrés de grandesse en Espagne. A part cela, Saint-Simon reste un auteur incontournable, à lire absolument, au même titre qu'un Balzac ou un Proust, pour ne citer que ces deux grands noms de notre littérature.

lundi, avril 2 2012

Au Coeur de la Cité Interdite - Reginald F. Johnston

Twilight in the Forbidden City Traduction : Christian Thymonier

Extraits

Pour les amateurs de mémoires et de journaux, ce livre, rédigé par celui qui fut le précepteur britannique du dernier empereur de Chine appartenant à la dynastie mandchoue, Hsüan T'ung, mieux connu sous son nom de naissance, P'u Yi, constitue une aubaine.

Non que le lecteur soit tout-à-fait dupe de l'enthousiasme avec lequel Johnston évoque son impérial élève. On sait la ferveur que l'idée royaliste inspire en général à nos cousins d'outre-Manche : et bien que se voulant un loyal sujet de Sa Très Gracieuse Majesté le Roi George V, il est normal qu'un gentleman tel que Johnston ait reporté un peu de sa vénération monarchique sur l'occupant du trône du Dragon.

A cet élève prestigieux, il prête beaucoup de qualités. Mais il arrive que son intégrité foncière - on ne peut en effet mettre en doute l'honnêteté du personnage - rattrape notre précepteur occidental qui, dans un éclair de lucidité, note avec beaucoup de finesse que les qualités de son pupille lui venaient certainement de sa mère alors que nombre de ses zones d'ombre - et de lâcheté - lui avaient été léguées par sa famille paternelle.

Reginald Johnston a voué au dernier monarque Ch'ing une affection que celui-ci lui a bien rendue. On se prend même à rêver sur l'influence, assurément bénéfique, que le précepteur aurait pu exercer sur son élève s'il n'avait été contraint par les règles diplomatiques de l'abandonner à son destin après son départ pour le Japon. Certes, dans ces pages, Johnston affirme que la fuite de l'Empereur à la légation japonaise de Pékin constituait, sur l'instant, la seule bonne solution. Mais on peut douter que, après l'entrée en guerre de la Grande-Bretagne contre le Japon, il aurait maintenu cette position. Seulement, il était mort depuis un an lorsque éclata la Seconde guerre mondiale.

En un style élégant et précis, il nous détaille dans le menu non seulement la fin d'une dynastie séculaire mais aussi le paysage politique de la Chine de l'époque, partagée entre monarchistes, pseudo-républicains, nationalistes et seigneurs de la guerre opportunistes. Les communistes quant à eux sont encore loin de posséder la notoriété qu'ils connaîtront par la suite mais cela ne les empêche pas de tenir leur rôle dans ce jeu trouble et effrayant, qui se joue à l'échelle d'un continent et dans un climat de gotterdammerung asiatique. (Le titre original est d'ailleurs infiniment plus juste que sa traduction française - et plus poétique.)

Tous ceux qui s'intéressent à l'Histoire et tout particulièrement à l'Histoire de la Chine moderne ne pourront que dévorer ces "Mémoires" d'un homme que l'on devine assez vaniteux, très tâtillon, amoureux de la pompe, mais aussi intelligent, intègre et loyal - à sa patrie, à ceux qu'il servait et à ses convictions. ;o)

Palimpseste - Gore Vidal

Palimpsest, a memoir Traduction : Lydia Lakel

Autant les "Mémoires" de Tennessee Williams m'avaient déçue, autant le "Palimpseste" de Gore Vidal m'a agréablement surprise en me révélant un personnage beaucoup moins narcissique et obsédé par le sexe qu'on pouvait s'y attendre et aussi un homme d'une grande culture.

Comme rien n'est parfait en ce monde, ces mémoires présentent également quelques côtés agaçants : le ton parfois un peu trop hautain du personnage, grand bourgeois né dans une famille fortunée et qui n'a, par conséquent, jamais connu beaucoup de problèmes majeurs, et bien sûr la superficialité qui réapparaît en lui quand il évoque certaines de ses relations mondaines.

Mais ce qui sauve Gore Vidal, c'est d'abord son intelligence qui lui fait percevoir tout le ridicule de l'affaire au moment même où il sombre dans l'orgueil mal placé, et ensuite son sens de l'humour, un humour cruel et noir qui permet à son lecteur de relativiser certains de ses propos.

L'homme est aussi fascinant quand il analyse l'Histoire des Etats-Unis, critiquant sans complaisance leur impérialisme et arrivant non sans tristesse à la conclusion que, depuis l'arrivée au pouvoir de Lyndon B. Johnson, le divorce est complet entre l'élite politicienne et le peuple américain.

Contrairement à ce que l'on pourrait croire - la réputation de Vidal ayant beaucoup pâti dans notre pays de l'admiration que l'on porte à Mailer et à Capote - "Palimpseste" n'est pas un règlement de comptes mondain ou littéraire. C'est un livre passionnant, un peu brouillon aux entournures, avec de beaux portraits pleins d'affection (notamment celui de Tennessee Williams, que Vidal surnomme "L'Oiseau Magnifique"), de petites caricatures finement méchantes (celle de Truman Capote vient en première ligne) et surtout un amour et un respect de la culture universelle qui suffiraient, à eux seuls, à pardonner à son auteur quelques morceaux çà et là moins réussis. ;o)

samedi, mars 31 2012

Mémoires d'un Eunuque - Dan Shi

Yige Quinggong taijian de caoyu Traduction : Nadine Perront

Longtemps, les dynasties impériales chinoises se contentèrent de castrer les serviteurs les plus proches des épouses impériales. Et, jusqu'à l'arrivée des Han orientaux au pouvoir, vers l'an 25 de notre ère, il était hors de question que les eunuques accédassent à des postes non-serviles.

Mais les choses allaient changer sous l'Empereur Guangwu. Ce fut lui qui, le premier, institua la castration pour tous les serviteurs évoluant dans la Cité Interdite. Et ce fut lui encore qui, le premier, en éleva certains aux plus hautes dignités, provoquant ainsi la colère des lettrés qui, non sans raison, prédirent que pareil état de fait ne ferait que multiplier les intrigues.

Intermédiaires obligés entre l'Empereur et ses courtisans, les eunuques devinrent vite indispensable. Un haut fonctionnaire souhaitait-il voir sa requête présentée au meilleur moment ? Il versait alors un pot-de-vin à tel ou tel eunuque et, pot-de-vin après pot-de-vin, finissait par obtenir satisfaction. Ce qui permit aux plus habiles des castrats impériaux de se préparer de très confortables retraites hors de la Cité interdite.

En règle générale, c'était d'ailleurs la misère qui les avait poussés à renoncer à leur virilité. Mais si certains le faisaient en pleine connaissance de cause, il existait en parallèle un véritable marché de jeunes garçons que des pourvoyeurs avisés achetaient à leurs parents avant de les vendre aux castrateurs impériaux.

A l'époque où Yu Chunhe, le héros de ce récit, devint eunuque, il existait à Pékin deux castrateurs officiels : Bi le Cinquième et Liu-la-Fine-Lame. L'avantage de ces castrateurs était que, en véritables professionnels, ils évitaient la mort à leurs patients. La mort mais pas la douleur, ainsi que le constatera Yu, alors âgé de 17 ans. Pour le reste, Bi et Liu usaient de procédés qui n'auraient pas dépaysé un proxénète occidental : ils acceptaient souvent de loger chez eux les enfants ou les adolescents que leur amenait un parent "bien attentionné" - l'oncle Qian dans le cas de Yu - le nourrissaient, l'encourageaient à reprendre des forces et à se détendre jusqu'au jour où ils lui mettaient le marché en main : "J'ai dépensé tant de taëls pour toi. Rembourse-les moi ou alors, laisse-moi te castrer et te faire entrer au Palais afin que tu puisses me rembourser."

C'est de cette manière que le piège se referma sur le malheureux Yu Chunhe. Fort heureusement pour lui, il ne fut pas commis au service de l'Impératrice douairière Tseu-Hi, réputée extrêmement difficile et cruelle avec ses dames de compagnie comme avec ses serviteurs.

Yu Chunhe, personnage ayant authentiquement existé et dont le récit forme la base de cet ouvrage, sera l'un des derniers eunuques de la dynastique mandchoue des Qing. Après l'abdication du petit-neveu de Tseu-Hi, Pu Yi, et la prise de pouvoir par Sun Yat-sen en 1912, il se verra contraint de quitter la Cité interdite et de retourner à la vie ordinaire, largement diminué bien sûr. Dan Shi rapporte une fin heureuse, un amour de jeunesse enfin retrouvé et qui accepte d'épouser Yu mais, si cela est vrai, tous, parmi les 1900 eunuques que comptait la cour des Qing sur sa fin, n'eurent pas cette chance.

D'aucuns s'étonneront de voir le mot "mariage" accolé à celui d'"eunuque." C'est ignorer que, en se privant de leur virilité, les eunuques n'en perdaient pas pour autant tout désir sexuel. Même dans la Cité interdite, les eunuques trouvaient chaussures à leur pied et consommaient leur union au moyen de substituts bien connus des sex-shops. La frustration n'en demeurait pas moins présente et, chose encore plus grave dans la société chinoise, le castrat ne pouvait prétendre à aucune descendance : dans ces conditions, qui ferait brûler l'encens pour sa mémoire sur les tablettes des ancêtres ?

La légende veut que certains grands eunuques et favoris soient parvenus à conserver intact leur potentiel sexuel. Pour la période qui nous intéresse, on citera An Te-Haï, que l'Impératrice Tseu-Hi sacrifiera cependant à la raison d'Etat et surtout son autre grand favori, Li Lianying, que nous dépeint ici Yu Chunhe.

Pour en savoir un peu plus sur la grandeur et la misère des eunuques impériaux, à la fois hommes de pouvoir et de servitude, lisez "La Vallée des Roses", ce roman que Lucien Bodart reconnaissait avoir écrit sous alcool et sous emphétamines et qui est d'une flamboyance quasi sadienne et visionnez - si vous le pouvez - "L'Eunuque impérial" de Tan Zhuangzhuang, que le cinéaste réalisa en 1991 sur la vie justement de Li Lianying :

http://www.filmclubcannes.com/l_eunuque_imperial.htm

samedi, novembre 5 2011

Mémoires - Abbé de Choisy

Mémoires

Plus on avance dans ses "Mémoires", plus on acquiert la certitude que l'abbé de Choisy était un homme charmant. Dans tous les sens du terme. On a l'impression d'être assis en compagnie d'un hôte aux petits soins qui nous raconte, avec sérieux ou drôlerie, les mille et une histoires d'une Histoire que les relations de sa mère lui ont donné l'occasion de traverser avec discrétion certes mais aussi l'attention perpétuellement en éveil.

On imagine Saint-Simon maniant avec fièvre des brassées de parchemins et de journaux tels celui de Dangeau. Chez le petit duc, la plume glisse, s'envole, s'accroche aussi et griffe, rageuse, crépitante, plus souvent qu'à son tour. Saint-Simon a l'ironie féroce de l'aristocrate qui méprise le courtisan et la lucidité sans faille de celui qui respecte trop l'Histoire pour la faire mentir. Evidemment, de temps à autre, il s'égare et instruit un peu trop à charge. Mais, deux pages plus loin, dans un sursaut d'honnêteté, il allège son réquisitoire, il consent une ou deux vertus délicates à celle qu'il tient pour une arriviste, à celui en qui il ne voit qu'un bien pauvre sire. Saint-Simon oeuvre avec sérieux et les sourires suscités par ses portraits ont beaucoup du ricanement.

Toute différente est la démarche de l'abbé de Choisy. Non qu'il n'ait pas, lui aussi, le sens de l'Histoire. Simplement, il la relativise et il admet avec plus de facilité que le personnage historique est également un homme ou une femme. Et puis, Choisy est l'indulgence même - sauf envers le cardinal de Retz, qu'il ne semble guère priser. Les portraits qu'il brosse, les événements qu'il relate prennent du coup le relief exquis des miniatures de grand prix. Ses modèles s'humanisent et, n'étaient leurs titres et leurs fonctions, on oublierait presque qu'ils ont joué leur rôle sous la Régence d'Anne d'Autriche, puis sous le règne de son fils.

Choisy n'a pas non plus la veine chronologique. Il va gaiement d'un personnage à l'autre, conservant toutefois un fil directeur qui le ramènera à son point de départ une fois qu'il aura dévidé l'écheveau des souvenirs qui le concernent. Sa plume sautille, joue à la marelle, traîne dans les flaques, en ressort en s'ébrouant et repart de plus belle, à cloche-pied. L'abbé s'amuse et le lecteur ne voit pas le temps passer et ceci, chose qu'il faut souligner, même s'il a déjà lu le récit des mêmes événements chez Madame Palatine, Saint-Simon ou encore Mme de La Fayette.

Bref, si l'abbé de Choisy n'a sûrement pas la puissance de Saint-Simon, ses "Mémoires" ne doivent pas être pour autant laissés de côté, dans le recoin poussiéreux d'une étagère de grenier. Il s'agit d'un complément indispensable, que l'amateur de documents du même type prendra un plaisir gourmand à déguster - satisfaction que ne lui aurait certes pas reprochée François-Timoléon, abbé de Choisy.

mercredi, février 13 2008

Mémoires d'Outre-Tombe - Livres I à XII - Tome premier - François-René de Chateaubriand

Les "Mémoires d'Outre-Tombe" sont peut-être l'ouvrage le plus connu de Chateaubriand. Les résumer est chose impossible et inciter à les lire, en ces temps voués à la dictature de l'image et du clinquant, relèverait pour certains de la gageure. Pourtant, malgré tout ce qui peut, en eux, heurter notre sensibilité moderne, ces "Mémoires ..." que l'auteur a polis et repolis en les tirant très souvent vers la biographie romancée, méritent non seulement qu'on les lise mais encore qu'on les relise.

Les douze premiers livres des "Mémoires d'Outre-Tombe", c'est avant tout Combourg, l'antique château où Chateaubriand passa son enfance et son adolescence. En tous cas, c'est la première image qui nous vient plus tard à l'esprit lorsqu'on évoque ce premier tome. Des pierres descellées sur les chemins de ronde battus des vents ; le souffle du vent s'infiltrant dans des pièces trop hautes d'où la mauvaise saison chasse toute chaleur ; des fantômes que réveillent les histoires gothiques racontées par les dames de Chateaubriand ; un père distant et figé dans une sorte de misanthropie mal dissimulée ; une mère bavarde et pieuse, qui avait dû rêver mieux que cette solitude grandiose mais terrible ; une soeur trop aimée avec qui le futur romancier entretiendra toujours une relation ambiguë et enfin un petit garçon voué au bleu marial par sa nourrice bretonne, qui se transforme peu à peu en un adolescent incertain, romantique avant la lettre, qui rêve aux hiboux et aux horizons lointains, peut-on concevoir meilleur terrain pour une nature d'écrivain ?

Evidemment, ce premier volume comporte encore bien d'autres choses, dont de saisissants portraits des ténors de la Convention brossés par un oeil visionnaire dans la tourmente révolutionnaire qui va tout emporter. Il y a aussi le mariage de l'auteur, une évocation discrète et gourmée ; des considérations très instructives sur l'idée que Chateaubriand se faisait de la noblesse et de ses représentants - considérations auxquelles, toute sa vie, fait exceptionnel pour n'importe quel homme ambitieux, il restera fidèle ; les descriptions des paysages encore inexplorés de ce qui deviendra les USA ; l'exil temporaire en Angleterre alors que, à Paris, le frère aîné du romancier est fauché par la Terreur et même, cerise sur le gâteau pour le littéraire impénitent, une espèce de mini-essai sur les littératures française et anglaise.

L'ensemble dans un style unique qui semble jouer au trait d'union entre la langue quasi parfaite des Lumières et les longues tirades parfois fabuleuses, parfois ampoulées qui s'apprêtent à marquer le XIXème siècle commençant. Un prodige, ce style. Lu à haute voix, il se savoure comme quelque mets rare et singulièrement fruité. Lu "dans la tête", il arrive qu'on s'y sente un peu perdu, étourdi par sa cadence hautaine et ses envolées d'oiseau de proie.

Seule ombre au tableau : le désir forcené de Chateaubriand de se poser en victime du Destin. Comme tout romantique digne de ce nom, il aime les apitoiements et les invocations un peu baroques : Dieu, l'Univers, le Siècle, la Révolution, la Nature, etc ... il les apostrophe tous. Mais compte tenu du plaisir raffiné qu'il nous offre si généreusement, ne peut-on pas lui pardonner cette faiblesse qui nous rappelle finalement que, tout comme nous, Chateaubriand était bien un être humain ? ;o)

vendredi, janvier 4 2008

Histoire de Ma Vie - Jean-Marie Déguignet ( IV )

Figure récurrente dans "Histoire de Ma Vie", et non des moindres : le Christ.

Déguignet passe les trois-quarts de son livre à le traiter de tous les noms d'oiseaux qu'il connaît - et il en connaît pas mal. Mais dans la dernière partie et sans renoncer un seul instant à ses injures, il reconnaît aussi l'aspect révolutionnaire, voire anarchiste du personnage.

Car il y a beaucoup de contradictions chez Déguignet. Celle qui m'a le plus frappée - et amusée car je comprends parfaitement le raisonnement et je l'approuve - est celle-ci :

Déguignet commence par se moquer des saints bretons qui, de fait et comme lui-même le savait déjà, ne sont que des récupérations faites par l'église chrétienne de personnages légendaires celtiques, voire parfois de simples noms de lieux-dits - eh ! oui. Puis, il observe - et l'on sent son indignation qui gonfle, qui gonfle, qui va éclater - qu'aucun de ces saints ne semble connu des livres pieux de l'époque. Il en conclut donc que les saints bretons ne se retrouveront jamais au paradis mythique où se dorent leurs confrères juifs, grecs, romains, etc ...

Et d'assener, avec un mépris somptueux :

- "Mais de toutes façons, nous, Bretons, nous n'avons que faire de votre paradis !"

... Il ne menace pas d'en créer un spécialement pour les saints discriminés mais ... c'est tout juste. ;o)

C'est par des traits aussi attachants que cette étrange personnalité trouve le moyen de toucher encore nos coeurs.

Histoire de Ma Vie - Jean-Marie Déguignet ( III )

Eh ! bien, parce que, bien que né au XIXème siècle et ayant connu aussi bien les guerres du Second Empire que les débuts de la IIIème République, c'est en homme du XXème, et même du XXIème siècle que raisonne Jean-Marie Déguignet.

Avec lui, on retourne aux sources de la misère paysanne telle qu'elle existait encore après la récupération de la Révolution par la bourgeoisie française. Et l'on sent retomber sur nos épaules la chape de plomb que représentaient à l'époque ces deux ennemis jurés de "L'Assiette au Beurre" : le sabre et le goupillon.

Ah ! Le goupillon ! ... Pour les athées et les anti-cléricaux forcenés, lire Déguignet est une jouissance absolue car cet homme qui, jamais, ne connut l'école, a l'élégance suprême d'éviter au maximum de tomber dans la vulgarité lorsqu'il décrit ce clergé et ces bigots qui pesèrent si lourdement sur son destin. Certes, il piétine, il éructe, il rage, il s'époumone - surtout sur la fin. Mais on le lui pardonne bien volontiers tant on le sent sincère et viscéralement rebelle.

En ce qui concerne le sabre, c'est un peu différent. Déguignet, en effet, fut militaire et devint même sous-officier. Ce qu'il blâme, ce sont surtout les horreurs de la guerre moderne et la sottise et l'infamie des officiers qui conduiront la France au désastre de Sedan puis, quelques années après, à l'ignoble Affaire Dreyfus. Mais l'armée, Déguignet est clair là-dessus, il en faut bien une et il semble pencher vers l'armée de métier.

dimanche, décembre 23 2007

Histoire de Ma Vie - Jean-Marie Déguignet ( II )

Cet énorme "pavé" de plus de 900 pages (dans lesquelles il faut inclure l'index, le texte de Déguignet, sans les annexes, se regroupant sur 869 pages) abonde en paragraphes serrés, touffus, semblables à des blocs ou à des pierres de taille qui ont donc servi à dresser un monument posthume à un personnage hors du commun et hors de son temps.

__Ajoutez à cela les notes, en bas de page, les "bretonnismes" dont le texte est truffé, la rage anti-cléricale du bonhomme, un esprit d'analyse carré, puissant, qui tient du prodige, un amour de la discussion pour la discussion qui tient, lui aussi, de l'exceptionnel, et vous vous ferez une bonne idée de cette "Histoire de Ma Vie."

L'avantage - et l'inconvénient - de la version intégrale, c'est que rien n'y est épargné au lecteur, pas même les répétitions et les redites. Car il est évident que Déguignet, sur la fin, vivant seul et n'ayant personne ni pour le relire, ni même pour le lire, refusant lui-même de se relire, aigri sans doute (et on le comprend) par ses malheurs, tombant dans une paranoïa que les événements de son existence avaient eu beau jeu de réveiller et d'alimenter, Déguignet n'a pas évité de patiner dans les injures et les malédictions.

D'où vient alors que la puissance du récit, le charme du conteur et l'authenticité de son texte parviennent, encore et toujours, à enchaîner le lecteur ? ;o)

Histoire de Ma Vie - Jean-Marie Déguignet ( I )

Né le 19 juillet 1834 à Guengat et mort aux portes de l'Hospice de Quimper, le 29 août 1905, Jean-Marie Déguignet était le fils d'un fermier qui, tombé dans la misère peu après la naissance de ce fils, dut louer ses services à d'autres fermiers, dans la région d'Ergué-Gaberic.

Pour aider sa famille, le petite Jean-Marie exerça très tôt le métier de mendiant, c'est-à-dire qu'il allait mendier du pain et des restes de nourriture chez les paysans plus aisés, leur promettant en échange de prier pour eux, ce que, conformément à l'usage du temps, il commençait à faire sur le champ. En ce temps-là, on croyait que les prières des jeunes enfants mendiants apportaient plus de grâces en paradis à ceux pour lesquels ils priaient.

Enfant timide mais extrêmement intelligent, voire surdoué comme on dirait probablement de nos jours, le petit Jean-Marie, tout en étant heureux de pouvoir aider ses parents, comprit très vite toute l'hypocrisie du procédé. Ceux qui donnaient pain et restes à l'enfant ne le faisaient pas par charité : comme Victor Hugo l'écrit dans ses "Misérables", ils "s'achetaient un peu de paradis."

C'est probablement dans cet étrange métier que lui imposait l'instinct de conservation que l'on doit rechercher les racines du formidable rejet de la religion, particulièrement chrétienne et catholique, que Déguignet manifestera jusqu'à son dernier jour.

Dès qu'il le put, l'adolescent opta pour la profession de vacher, à la ferme-école de Kermahonet en Kerfeunteun. La soif de connaissance le tourmentait déjà depuis belle lurette puisqu'il avait appris à lire breton et latin dans ... les livres de messe. ;o)

A Kermahonet, il s'attaqua à la langue des "envahisseurs" : le français. Et il s'en tira très bien, sa monumentale "Histoire ..." le prouve amplement.

De nos jours, il paraît tout naturel de parler français. Mais si l'on replace les faits dans le contexte des années 1840/1850, il faut rappeler que, à cette époque, les Bretons n'étaient pas les seuls à ne pas savoir parler français. Dans d'autres provinces du pays, on se heurtait au même phénomène. C'est la IIIème République - honnie elle aussi par Déguignet :wink: - qui, avec ses "hussards noirs", parviendra peu à peu à faire du français la langue-reine de notre pays.

Pour l'instant, revenons à 1854, date de l'engagement de Déguignet dans l'armée de Napoléon III. Il va y rester 14 ans et y deviendra même sous-officier. Il ira en Crimée, en Palestine, au Mexique (où il apprendra l'espagnol), en Italie (où il apprendra l'italien), en Kabylie (où il remarquera, non sans raison, une ressemblance prononcée entre la prononciation de certaines lettres bretonnes et celle de certains caractères arabes).

Quand il est démobilisé, il regagne la Bretagne. Il avait de belles économies mais il semble être tombé plus ou moins amoureux de la fille d'une fermière ruinée. Pour se marier, il reprit le bail de sa belle-mère et travailla donc comme fermier pendant quinze ans pour le compte d'un hobereau breton qui ne devait par la suite lui avoir aucune reconnaissance des bons soins donnés à la propriété.

Après la mort de sa femme dans une crise de delirium tremens, Déguignet, qui se retrouvait veuf avec trois enfants, put se faire donner un petit bureau de tabac. Mais ce bureau se trouvait sur le territoire très clérical du curé de Pluguffan et celui-ci, que les théories athées et anarchistes de Déguignet portaient, à chaque fois que les deux hommes se croisaient, aux limites de l'apoplexie, fit tout pour boycotter le nouveau débitant.

Vaille que vaille, Déguignet tint bon quelques années et puis, il se lassa, loua à son tour son bureau de tabac et s'en fut à Quimper. Lorsqu'ils avaient eu l'âge de travailler, ses enfants avaient été récupérés par leur famille maternel et le malheureux se retrouva dans la misère la plus absolue, dans un "trou" infect qui, pendant que je lisais ses mémoires, m'a évoqué celui dans lequel meurt la Gervaise de Zola.

Indomptable, inclassable, déclassé, vraisemblablement atteint d'une forme de paranoïa que les malheurs rencontrés dans l'existence n'avait fait que renforcer, mais toujours doté d'un esprit analytique et d'une soif de connaissance tout bonnement incroyables, Déguignet vivota là-dedans, fréquentant aussi la bibliothèque municipale de Quimper, lisant les journaux, discutant, rédigeant des lettres d'insultes à ceux qui le persécutaient, se rendant impossible à certains mais refusant de perdre une seule miette de sa dignité.

On le trouva mort à la porte de l'Hospice de Quimper, le matin du 29 août 1905.

Il laissait derrière lui une montagne de feuillets dont il avait écrit que, si lui n'en tirait aucun bénéfice, il en serait tout autrement pour ceux qui viendraient après lui. Il ne se trompait pas : aujourd'hui, son "Histoire ..." est traduite jusqu'en Russie. ;o)

mercredi, août 15 2007

Mémoires d'un Vieux Crocodile - Tennessee Williams.

Memoirs Traduction : Maurice Pons & Michèle Witta.

C'est pour de l'argent que Thomas Lanier Williams, plus connu sous le pseudonyme de Tennessee Williams, accepta de rédiger ces "Mémoires d'un vieux crocodile" qui ne peuvent laisser au lecteur qu'un sentiment d'intense frustration.

Avec un acharnement exceptionnel et à l'encontre du principe même des mémoires, objet par essence autobiographique, le dramaturge sudiste se dépeint tout à la fois comme un hypocondre, un obsédé sexuel quasi priapique, une caricature d'homosexuel truffant ses discours de "adorable", de "charmant" et de "merveilleux" extatiques, un égoïste maniaque incapable de s'attacher durablement, voire simplement de s'intéresser à autrui ... bref, comme un homme qu'on ne peut regretter de ne pas avoir connu. Pour un peu, il parviendrait à convaincre le lecteur influençable de jeter à la poubelle tous les recueils de ses textes, poétiques ou théâtraux, qui ont fait sa joie !

Sur le théâtre, qui fut tout de même, le pivot central de son existence, Williams ne donne que de très parcimonieuses indications. A la limite, il préfère évoquer son travail en tant que comédien - car il joua dans nombre de ses pièces - plutôt que son oeuvre d'écrivain qui, selon lui, parle d'elle-même. Evidemment, il n'a pas tout à fait tort : l'oeuvre d'un créateur est le premier révélateur de sa personnalité et peut-être le seul vraiment authentique puisque, par l'acte même de la création, littéraire ou autre, l'être se révèle absolument complet. Mais de là à n'en rien dire du tout - ou si peu - tout au long de 340 pages en édition de poche, il y a un abîme !

Que Tennessee Williams franchit avec une désinvolture à la fois fausse et grinçante. Lui qui, dans son théâtre, sut si bien nous décrire les mères abusives, les maris trop faibles et les enfants perdus dans la folie ou la marginalisation sociale se révèle ici incapable de regarder en face toute la haine qu'il éprouve envers ses parents et aussi envers lui-même pour avoir abandonné sa soeur Rose à l'emprise familiale.

Oh ! bien sûr ! Cà et là, il lance une pique qui révèle la présence en lui de cette souffrance qui n'a rien oublié, rien pardonné. Mais ça ne va pas plus loin. Que son lecteur, surtout s'il est cinéphile, se rappelle Mrs Venable/Katherine Hepburn tentant de faire lobotomiser sa nièce. Ou qu'il évoque les délires de Blanche Dubois, "vraie jeune fille du Sud", qui l'amènent à se faire violer par son beau-frère. Lui, Williams, ne peut exprimer tout cela s'il ne se réfugie pas derrière les décors de son théâtre. C'est au-dessus de ses forces.

Cette faiblesse ultime, qu'on peut interpréter comme la lâcheté d'un enfant qui fut toujours le préféré de sa mère, apparaît comme la base non seulement de ces "Mémoires ..." mais aussi comme celle de la vie tout entière de leur auteur. Bien que l'on pressente également le masochisme et la culpabilité qui ne cessèrent d'accompagner Tennessee Williams, bien qu'on se dise qu'il grossit le trait à dessein afin que nul reproche ne puisse rejaillir sur ses parents, et surtout pas sur sa mère, on sort de cette lecture non seulement frustré mais très, très déçu. Et l'on ne peut s'empêcher de penser que le dramaturge américain vécut en fai une schizophrénie similaire à celle de sa soeur. Seulement, plus chanceux (?) et parce qu'il était né dans un corps d'homme, il eut plus de facilité pour la transposer dans un monde imaginaire qui prit vie sur les scènes du monde entier.

Et si Tennessee Williams est parvenu un jour lui aussi à cette conclusion, nul doute que son état ne s'en soit pas trouvé amélioré, bien au contraire ...

Ces "Mémoires d'un vieux crocodile" sont donc à lire comme une curiosité, en sachant pertinemment que leur auteur triche effrontément et se dérobe du mieux qu'il peut à son passé et à son lecteur, notamment en usant d'une méthode assez brouillonne pour évoquer ses souvenirs. L'étape suivante sera de dénicher une bonne biographie impartiale. Mais ça doit pouvoir se trouver ... ;o)

mardi, août 7 2007

Marthe - Collectif "Libre à Elles".

C'est en 1981 que ce recueil d'une correspondance entre quelques membres d'une famille de petite noblesse normande a été publié chez Seuil. Les lettres avaient été découvertes par hasard, dans un grenier. Au début, il y en avait suffisamment pour que l'on comprît qu'une sombre affaire de famille avait durement pesé sur un certain nombre d'existences. Alors, on chercha, on chercha encore afin de découvrir les lettres qui s'étaient perdues, jusqu'à ce que l'on fût à même de reconstituer à peu près l'intégralité de l'histoire. Cela prit à peu près dix ans pour tout mettre en ordre mais le résultat dépasse les espérances.

Lorsque débute la fraction de cette correspondance qui nous a été conservée, Marthe de Montbourg, jeune fille de la bonne société, est enceinte des oeuvres du cocher de sa mère. (Comme nous sommes en 1892, vous imaginez le scandale.) Elle a tout juste vingt ans et, si l'on s'en tient aux échanges de sa mère, Emilie de Montbourg, avec son oncle, Charles de Cérilley, elle possède aussi une nature "violente, portée aux excès" et, bien entendu, "hystérique."

Ce n'est que bien plus tard que nous apprendrons que son père, Armand de Montbourg, était atteint par la siphylis et que cela a vraisemblablement marqué sa descendance. Son fils, Emile, mourra à 28 ans et sa fille aînée, Eléonore, quelques années après l'accouchement de Marthe : tous deux présentaient des traces d'hydrocéphalie et, de l'aveu de Charles de Cérilley, proféré à un moment d'extrême tension, "Eléonore n'était pas mariable."

De même, au fur et à mesure que défilent les lettres et que le lecteur s'enfonce dans l'histoire, il se surprend à s'interroger sur l'état nerveux de Mme de Montbourg, laquelle semble avoir tout de même beaucoup négligé l'éducation de sa fille cadette et qui fait preuve de beaucoup d'emportement dans ses réactions. On a compris très tôt qu'elle avait toujours préféré son fils mais de là à abandonner pratiquement Marthe à la seule compagnie des domestiques de la maison ...

Après l'accouchement, l'enfant de Marthe - Georges - est placé chez une nourrice. Et la chasse au mari, déjà si délicate à l'époque dans des conditions normales mais ici devenue singulièrement périlleuse, commence.

Le flot de prétendants, tout ce qu'ils avouent et surtout tout ce qu'ils cachent, les prétentions (surtout financières) que conserve Mme de Montbourg pour sa fille et ses illusions sur les possibilités de faire muter un tel dans telle ville tout simplement parce que cela servirait mieux ses plans ont quelque chose d'ahurissant. :hum:

Enfin, se présente le supposé sauveur : Robert Caron d'Aillot. Avec son mariage avec Marthe et la reconnaissance officielle qu'il fait du petit Georges - et qui était l'une des conditions du contrat - la tragédie s'amplifie. Car il s'agit bien d'une tragédie, non pas une superbe tragédie grecque dominée par le sens de l'honneur ou encore la quête du pouvoir mais une tragédie XIXème, une tragédie à la Zola (on songe à "Pot-Bouille", c'est inévitable), une tragédie mesquine et embourgeoisée où l'argent règne sans partage.

"Marthe" est aussi un portrait absolument remarquable du prototype de la "femme battue" moderne, qui s'entête à rester avec son mari parce que, malgré les mauvais traitements qu'il lui inflige, tous deux s'entendent fort bien sur le plan sexuel. On reste frappé entre autres par cette caractéristique confondante que l'on retrouve toujours chez ces femmes : elles rusent aussi bien avec leur tortionnaire qu'avec leur entourage. Avec le premier, me direz-vous, c'est de bonne guerre. Mais avec le second ?

Marthe ne dit pas toujours la vérité et jusqu'au bout, jusqu'à son divorce, elle mentira avec un aplomb incroyable. Oh ! certes ! Aillot est bien pire. N'empêche : bien qu'on ne puisse s'empêcher de plaindre bien souvent la malheureuse, on n'arrête pas non plus de se poser des questions sur sa véritable nature.

Par exemple, elle avait coutume d'appeler son mari "mon Chat." Or, après son divorce, dans la correspondance qu'elle commence à échanger avec son cousin, Henri de Cérilley - le fils de Charles - on note que, peu à peu, de "cher Henri", elle passe à ... "cher Chat angora."

Que voulez-vous, ça donne à penser ...

D'autant que, en face, chez Henri, il y a l'espoir - que caressait son père de longue date - de récupérer la fortune (25 millions de francs 1981 à peu près) laissée à Marthe par sa soeur et sa mère. Espoir qui se réalise d'ailleurs en grande partie, je vous laisse le découvrir.

Un ouvrage passionnant qui autorise plusieurs niveaux de lecture et qui laisse tout de même le lecteur assez perplexe. Si vous le lisez, n'hésitez pas à venir ici donner votre avis. ;o)

jeudi, juin 28 2007

Lettres - Elisabeth-Charlotte, duchesse d'Orléans, princesse Palatine.

Louis XIV avait un frère cadet, Philippe, duc d’Orléans, que l’on appelait aussi « Monsieur. » Dans la crainte de le voir un jour causer autant de problèmes que l’avait fait en son temps son oncle, Gaston d’Orléans, frère de Louis XIII, Anne d’Autriche et Mazarin firent tout pour orienter sa sexualité vers les hommes : c’est ainsi par exemple que sa mère, dit-on, l’encourageait tout enfant à se déguiser en fillette.

Monsieur n’en savait pas moins ce qu’il devait à son rang. Toutes les fois où il partit à la guerre – il y en eut quelques unes – il se comporta avec un courage exemplaire. (Du coup, bien entendu, on l’empêcha d’y aller et on le ramena à ses « mignons » avec ordre de se poudrer et de ne s’occuper que d’une chose : les bijoux pour lesquels il nourrissait en effet une passion toute féminine.) Il s’inclina aussi devant la raison d’Etat qui voulait que, afin de parer aux aléas du Destin, il donnât des héritiers potentiels à la Couronne.

 
                 
                 Philippe, duc d'Orléans, Monsieur, frère du Roi.

Il devait épouser en première noces sa cousine germaine, Henriette d’Angleterre, fille du seul monarque britannique à avoir eu la tête tranchée, Charles Ier et d’Henriette-Marie de France, elle-même fille de notre bon roi Henri IV et sœur de Louis XIII :

                 

Il n’en eut pas d’héritier et sa femme périt neuf ans après leur mariage, dans des circonstances demeurées mystérieuses. La célèbre oraison funèbre de Bossuet commençant par « Madame se meurt ! Madame est morte ! … » fait référence à Henriette d’Angleterre, duchesse d’Orléans.

Du coup, Monsieur se voyait contraint de se remarier. Louis XIV demanda pour lui la main d’Elisabeth-Charlotte de Wittelsbach-Simmern, fille de l’Electeur palatin Charles Ier. Et c’est ainsi que la seconde « Madame », celle que l’Histoire de France nous a conservée sous le nom de « Princesse Palatine », arriva à Versailles.

     
      Elisabeth-Charlotte, duchesse d'Orléans, Madame, seconde épouse de Monsieur.

Autant Henriette d’Angleterre avait été célèbre pour ses coquetteries et son goût de l’intrigue politique, autant la Princesse Palatine apportera de soins à rester en marge de la comédie du pouvoir qui se joue dans les splendeurs et les ors de Versailles. D’abord prise en affection par son royal beau-frère qui appréciait sa passion pour la chasse et son franc-parler, elle verra sa faveur diminuer au fur et à mesure que grandira celle de Mme de Maintenon. De cela comme des avanies qu’elle subit régulièrement, elle se consolera en entretenant une correspondance fournie avec sa tante, ses sœurs et quelques autres, dont Leibniz.

Ses lettres, publiées au Mercure de France, nous sont d’autant plus précieuses qu’elles jettent un éclairage sans complaisance et tout à fait moderne sur la fin du règne de Louis XIV et sur sa cour ainsi que sur une partie de la Régence. Madame y est souvent mordante mais aussi touchante quand elle évoque son enfance au Palatinat et l’amour qu’elle porte à son fils, Philippe, futur Régent. Sous la princesse qui jamais n’oublia son rang et ce qu’il lui imposait, nous apparaît une femme solitaire et malheureuse, courageuse aussi, qui se force à sourire et à faire bonne mine car, comme elle le dit si bien, « dans ce pays-ci (= la Cour), il ne fait pas bon montrer sa tristesse. » Epouse bafouée, elle parvient cependant à nous émouvoir en nous contant la mort subite de son mari. Belle-sœur mise à l’écart, elle sait comme nul autre nous dresser le portrait de l’agonie majestueuse de ce Louis XIV qu’elle aima sans doute en secret. Mère et grand-mère, elle aime les siens mais les restitue sans illusions devant l’Histoire.

Bref, si cela vous intéresse, n’hésitez pas : lisez la Palatine qui, avec le petit duc de Saint-Simon, demeure aussi incontournable dans le règne de Louis XIV et le début de la Régence que les plus grands auteurs professionnels de ce temps.

Et pour en savoir un peu plus sur cette princesse dont l’esprit curieux et cultivé se serait certainement complu aux merveilles du Web et à sa pratique des courriels, jetez un coup d’œil sur ce site.

Fidèle à son image, Elisabeth-Charlotte, duchesse d’Orléans, Madame, vous y attend de pied ferme. ;o)