Dracula Traduction : Lucienne Molitor

Extraits Personnages

Connu depuis l'Antiquité, le vampire dut attendre des siècles avant d'obtenir ses lettres de noblesse littéraire. Polidori, le secrétaire malchanceux de lord Byron, en créa le premier type connu dans la littérature occidentale en la personne de lord Ruthwen, aristocrate on ne peut plus britannique qui se sert de son physique avantageux et de la fascination pré-romantique qu'il exerce sur les hommes comme sur les femmes pour se maintenir dans son état de non-mort.

Plus tard dans le siècle, Sheridan Le Fanu féminise le thème en imaginant sa Carmilla, héroïne langoureuse et meurtrière d'une longue nouvelle aux relents gorgés de soufre et de sapphisme. Plus clairement que le texte de Polidori, celui de Le Fanu a le mérite de poser le problème de l'homosexualité dans la mythologie vampirique. Nous sommes encore à l'ère victorienne : évoquer ne fût-ce que dans un souffle glacé la notion de bisexualité - pourtant traditionnelle chez tout vampire qui tient à sa survie - est hors de question.

Survient alors un second Irlandais qui va révolutionner le genre tout en lui donnant ce qu'il est habituel de considérer depuis lors comme la Bible du genre : "Dracula."

Son auteur, Bram Stoker, qui fréquente les milieux occultistes et appartient à la "Golden Dawn" (où il croisera entre autres Arthur Machen, autre prince du Fantastique et de l'Epouvante), ne se lance pas dans l'aventure à l'aveuglette. Il écume les bibliothèques, recopie des pages et des pages de documentation, rassemble tout ce qu'il peut sur ce qui a été dit et répété sur le vampirisme. Pour conférer plus de poids à son roman en gestation, il a même un trait de génie : lier son héros tout à fait imaginaire à un personnage bien réel, le prince Vlad III de Valachie, surnommé Vlad Ţepeş, l'une des plus grandes figures de la résistance aux Ottomans en Europe de l'Ouest.

Vlad l'Empaleur - c'est ce que signifie "Ţepeş" - est tout à fait le personnage de la situation : il appartenait à la haute aristocratie et nul, fût-ce parmi ses pires ennemis, ne put jamais l'accuser de lâcheté. Aussi grand stratège que grand homme d'Etat, il fit preuve d'une volonté d'acier pour reconquérir le royaume de ses ancêtres et s'y maintenir. Grand stratège et impitoyable meneur d'hommes, il était réputé pour la cruauté dont il n'hésitait jamais à faire preuve pour frapper de terreur ceux qu'il tenait pour ses adversaires. Il faut préciser que, envoyé dès ses dix ans comme otage à la cour du sultan Murad III, il passa toute son adolescence dans une cour raffinée mais extrêmement cruelle. C'est de l'Empire ottoman qu'il ramena le supplice du pal.

Un tel homme ne pouvait, tant par ses qualités que par ses défauts, aussi démesurés les unes et les autres, que marquer ses contemporains et leurs descendants. Cependant, en cette fin du XIXème siècle, Vlad III n'est toujours qu'un personnage historique. Sans en avoir probablement conscience, Stoker, en lui imaginant un "double" de papier et d'encre, va le faire accéder au vaste univers des mythes littéraires. ;o)