Quand Antoine s'emmêle

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mercredi, mai 19 2010

"Pluie magique", in Le Chien Vert de Guy Sembic

Guy Sembic, dans son style, est avant tout un poète, c'est-à-dire un observateur né doublé d'une capacité extraordinaire à exprimer les petits bouts de rien, les émotions que nous avons tous ressentis dans notre solitude intérieure sans avoir pu (et voulu) en parler à personne. Par exemple dans "Pluie magique", qui met en scène la beauté féminine à travers le bruit des talons aiguilles sur un trottoir par temps de pluie, les visages ruisselants. Une scène mélancolique dont nous avons tous un jour "ressenti" la beauté. Il est très difficile de parler de ce texte, le lire peut seul nous en révéler la poésie, un peu comme "St-Girons plage" qui évoque une après-midi estivale dans une station balnéaire landaise. Quelques textes, recueillis dans Le chien vert ou partout ailleurs dans l'oeuvre de Guy Sembic, qui nous éclairent sur une facette essentielle de l'auteur : son amour de la vie et des femmes (souvent évoquées à travers de petits détails, parfois gentiment moqueurs comme dans "St-Girons plage", qui en révèlent la magie et la beauté). D'autres textes sont aussi, parfois, d'un érotisme beaucoup plus "raide", comme dans "Le vieux routard" commenté plus haut, mais la femme est toujours délicate et belle chez Guy Sembic, avec ses qualités immenses et ses petits défauts déclencheurs d'amour auprès de la gente masculine. "Pluie magique", ou quand la beauté ne jaillit pas de nos motivations, de nos idées, de nos projets, mais du petit détail qui nous échappe le plus souvent, et qui n'échappe pas à Guy Sembic.

dimanche, mai 9 2010

"Le voyage en Guyane" - Guy Sembic

Avis à tous les "voyageurs immobiles" ! Ces carnets de voyages publiés par Guy Sembic vous feront vous imprégner de ce territoire hors du commun. On a toujours l'appréhension, quand on lit ce genre d'ouvrages, de se trouver face à un texte un peu stéréotypé, voire ennuyeux. Ici, on voit la Guyane, on la sent, on la ressent, on la vit. Guy Sembic ne voyage pas en "touriste", comme il dit, il observe avec précision, tous les sens en éveil, il connaît son sujet, non pas pour nous "soûler" d'informations mais toujours pour servir son propos. Vous ne lirez pas ici un compte rendu banal, vous vivrez le voyage de Guy Sembic, à travers ses yeux et sa sensibilité. Vous retrouverez sa poésie, son appréhension du monde, son langage, ses capacités à exprimer ce que la plupart d'entre nous n'exprimerait que par des banalités ou des silences. Ce qui m'a le plus touché dans cet ouvrage, c'est l'importance des détails (ex : un oiseau à la sortie de l'avion), la faune et la flore racontées toujours dans un contexte particulier et non comme un manuel scolaire, les anecdotes amusantes ou révoltées qui font que nous ne sommes pas face à un guide touristique mais bel et bien un voyageur à proprement parler, qui voit, sent, qui se positionne par rapport au monde. Si vous avez connu la Guyane, si vous aimeriez y aller, ou si, simplement, vous avez envie de vous évader pour pas un sou, lisez cet ouvrage de cinquante pages qui vous transportera.

mardi, mars 16 2010

"Il n'y a pas de miracle", in Le Chien Vert de Guy Sembic

Guy Sembic écrit des textes courts qui appartiennent au genre du conte ou de la nouvelle, mais aussi qui sont parfois de simples pensées constituant, en s'accumulant, une sorte d'autobiographie mentale. Le Chien Vert contient quelques-uns de ces textes, dont "Il n'y a pas de miracle". L'ensemble de l'oeuvre, ensuite (tout texte compris), met en lumière (et ce sera certainement l'un des objectifs peu à peu de ce site que de la définir) une philosophie de la vie, ce que l'on pourrait appeler (le nom n'engage que moi) le "yugcibinisme" (Yugcib étant le pseudo de Guy Sembic sur le web). Définir une philosophie peut apparaître comme la réduction d'une oeuvre pour qu'elle prétende influencer le monde, ce qui ne plaîrait pas forcément à l'intéressé : nous n'en sommes donc pas là. De ce point de vue, toutefois, "Il n'y a pas de miracle" pourrait être un texte clé révélant le profond humanisme de Guy Sembic qui prend appui, pourtant, sur une idée de base fondée sur l'absurdité, voire la médiocrité du monde que par ailleurs il fustige. En un mot, il n'existe pas de vérité, les combats sont voués à l'échec, rien n'est jamais acquis, mais l'important demeure la révolte : il faut croire en ces hommes en particulier que l'on croise au cours de notre route, s'enrichir de nos différences ; mais surtout, les moments partagés (avec des amis de longues dates ou des rencontres furtives), les relations entre les individus, constituent la seule vérité "imputrescible" (je reprends le mot utilisé par l'auteur), du berceau à la tombe. Guy Sembic est aussi l'inventeur du terme "s'exister" les uns les autres, terme très évocateur s'il en est. "Il n'y a pas de miracle" est un petit caillou apporté à l'immense édifice que constitue cette oeuvre riche et cohérente, ou le scatologique pourfendeur de médiocrité se mêle à une non résignation fondamentale : l'espoir poétisé d'un humanisme qui empêche de tomber dans le cynisme ou le renoncement.

mardi, mars 9 2010

"Trois minutes", de Brice Chanu

En quelques pages, et avec une sacrée justesse dans la mesure où rien ne paraît ici invraisemblable, l'auteur de cette nouvelle fait connaître à son lecteur toute la vie d'une femme, comme si de rien n'était (le trait n'est pas forcé, tout coule de source à travers les pensées de la protagoniste). Nous comprenons aussi que cette dernière est à un tournant de sa vie, à cet instant, dans ce train : elle vient de tirer un trait sur son passé (c'était le but de son voyage) et elle s'apprête à connaître un avenir différent (celui qu'elle espérait depuis longtemps et qui se réalise enfin). Elle imagine aussi ce que peut être l'existence des autres passagers de ce train, tout en se positionnant par rapport à eux. Et puis, insidieusement, le lecteur comprend que la narration prend une autre tournure à un moment donné, sans qu'il sache trop la frontière entre le réel et l'irréel (belle réussite, puisque c'est aussi ce que ressent la jeune femme, dont nous suivons la pensée), comme dans un texte de Cortazar. La fin est terrible, qui crée deux types de réactions chez le lecteur : on crie au drame, d'abord, parce que le mari de la jeune femme aura toutes les raisons de pleurer et de s'imaginer une vision tronquée de son épouse, mais en même temps on médite sur la mort, sur ce que cette dernière implique inévitablement (sentiment d'inachevé, de manque, de perte de la maîtrise des choses). Je suis sorti de là, je le certifie, en me disant qu'il vallait mieux que tout soit en ordre dans mon existence, et vite. Un texte de onze pages efficace, très bien tourné. A découvrir sur Alexandrie Online.

lundi, mars 8 2010

"Les terres d'Ancestor", de Philippe Mermod

On retrouve dans "Les terres d'Ancestor" les thèmes chers à l'auteur (une certaine conception biologique de l'identité humaine, fondée sur le besoin de se reproduire, de dominer, etc.) ; thèmes traités dans "Gnomons" sur le mode fantastique, avec une belle réussite. Dans "Les terres d'Ancestor", les arguments narratifs sont encore autrement originaux ; ni réalistes (il ne s'agit pas d'une étude psychologique ou sociologique à proprement parler), ni fantastiques : ils sont à mi-chemin entre le réel et le symbolique, grâce à deux trouvailles à mon sens assez intéressantes :

1- Dans toute entreprise (il me semblerait hypocrite de prétendre le contraire), il y a une tension érotique latente, qui ici remonte à la surface au point de devenir l'une des caluses du contrat d'embauche. C'est ainsi que nous assistons à des réunions un peu spéciales, bien écrites d'ailleurs et efficaces.

2 - L'entreprise en question est spécialisée dans la conception de jeux vidéo, et les employés sont en train de travailler à ce moment-là sur "Les terres d'Ancestor", jeu d'aventure qui se déroule (comme par hasard !) au moment de la Préhistoire (époque où l'Homo sapiens laissait sans contrainte s'exprimer ses instincts les plus primitifs, ne pensait qu'à manger, se battre et se reproduire). Les concepteurs prennent des avatars et jouent afin de tester leur produit, et ils s'en donnent à coeur joie, on peut le dire.

Ces deux arguments narratifs permettent à l'auteur de montrer les personnages dans la société, mais aussi, sous le couvert du jeu, à travers leur nature la plus primitive. Et ce pourrait être finalement le sujet de ce livre : une confrontation entre nature et culture.

Reste le problème de l'un des personnages : Fassin, qui, à force de lâcher la bride à ses instincts, sombre dans la folie. Ce qui nous fait nous poser, entre autres, cette question : la culture (religion, morale, justice, etc) n'est-elle pas nécessaire, en limitant nos instincts qui autrement nous plongeraient dans une débauche insécure ?

La dernière phrase me laisse perplexe : je préfère penser que son interprétation n'est pas fantastique (l'héroïne serait enceinte après son rapport dans le jeu avec Fassin), mais plus réelle.

"Dans dix mille ans...", in Le blog du Merdier de Guy Sembic

L'être humain se construit toujours de la même manière, quelque soit l'époque, et contrairement à certaines idéologies utopistes les hommes ne sont pas faits pour exister au même niveau, pour être égaux : il doit y avoir ceux qui dominent, qui sont en haut de l'échelle sociale, et les autres ; la meilleure société possible étant celle où ceux qui sont à un plus bas niveau dans l'échelle sociale puissent avoir l'espoir de s'élever (voilà pourquoi notre société actuelle produit moins de révolutions qu'à d'autres époques : il y a toujours l'espoir pour tout le monde, en gagnant au loto dans le pire des cas, par exemple).

Aujourd'hui, la différenciation dans l'échelle sociale se fait à travers l'argent, c'est vrai. L'idée de l'immortalité pourrait en effet, un jour, remplacer ce système, ou tout au moins s'ajouter à l'échiquier et chambouler un peu les choses, dans la mesure où elle est séduisante et correspond à une inspiration de la plupart des gens (il y a toujours des exceptions). Métaphoriquement parlant le principe existe déjà, d'ailleurs : certains individus ont eu dans l'histoire de l'humanité une vie complètement anonyme et médiocre socialement mais ont accédé à la postérité après leur mort, alors que des grands pontes de leur époque sont tombés dans l'oubli. Le fait d'appartenir au "monde de la bibliothèque", par exemple, permet cela.

Cependant le texte de Yugcib soulève aussi un autre point, tout aussi important, de la nature humaine : il s'agit de la médiocrité fondamentale de son fonctionnement ; car le haut de l'échelle sociale (que la différenciation se fasse par l'argent ou par tout autre moyen) finit toujours par être dévolu à des hommes qui ne le méritent pas forcément. Pourquoi ? Parce que en fin de compte, si l'être humain se veut civilisé (et il y parvient par certains côtés dans la mesure où il est capable d'empathie), il n'en reste pas moins, fondamentalement, un animal comme les autres, c'est-à-dire que les dominants ont simplement, par rapports aux autres, le caractère, la puissance physique ou mentale, l'ambition et le besoin intrinsèque de domination, la capacité de séduction qui leur permettent toujours de passer devant les autres et de s'approprier le haut de l'échelle. On l'a toujours vu, on le voit aujourd'hui et on le verra toujours.

jeudi, mars 4 2010

"Le petiot", in Le Blog du Merdier de Guy Sembic

Le sentiment de tendresse qu'inhale ce texte est très troublant chez le lecteur. Evidemment, certains pourraient le considérer comme insupportablement crados, mais ce serait qu'ils ne comprennent rien à rien. Non, vraiment, le mot qui convient le mieux pour qualifier ce texte, c'est celui de "tendresse". Il est difficile parfois d'évoquer les sentiments intimes sans faire dans l'ambiguité ou le crados. Ce texte me rappelle la chanson que Gainsbourg chante avec sa fille, Lemon Incest, qui évoque l'affection toute particulière existant entre un père et sa fille (ou entre une fille et son père) ; chanson très émouvante que beaucoup de personnes à l'époque n'avaient pas comprise, accusant Gainsbourg de prôner l'inceste ou la pédophilie. Gainsbourg s'était insurgé : ""L'amour que nous ne ferons jamais ensemble est le plus beau le plus émouvant"; ça veut dire ce que ça veut dire, non ? Merde !". Ce que Gainsbourg avait fait là c'est de parler d'un sentiment particulier, plus qu'intime, qui appartient à l'inconscient, quelque chose qui n'a aucune incidence sur la vie ni du père ni de la fille, qui se retrouve "socialement" parlant uniquement dans certains clichés (la jalousie d'un père envers le petit copain de sa fille, par exemple). De même, Le Petiot paraît crade a priori, mais il ne fait que raconter les sentiments particuliers (appartenant au non dit, à l'inconscient, à la velléité) ressentis par un petit garçon envers sa maman. Kundera considère la littérature comme l'exploration de la "mathématique existentielle", c'est-à-dire tout ce qui fait les comportements humains, les sentiments humains, les émotions humaines, etc. Eh bien, Le Petiot, simplement, explore l'un de ces éléments de la mathématique existentielle, mais un élément très difficile à exprimer, qui appartient pratiquement au domaine de l'indicible. D'où le tour de force, et le courage d'avoir osé le faire. "Le petiot" est à retrouver sur le blog du Merdier.

"Le vieux routard", in Le Chien Vert de Guy Sembic

Gabriel vit d'une petite pension et passe son temps à vagabonder sur une vieille mobylette qui tire une remorque contenant tout ce que Gabriel possède. C'est une sorte de clochard, qui plus est très sale et répugnant si l'on en croit sa description physique. Un jour, la chance fait qu'il est invité à passer le mois de juillet dans un très bel appartement bourgeois qu'il occupe seul, en totale liberté, pendant l'absence de ses habitants, un couple riche et raffiné. "Le vieux routard", c'est d'abord un conte érotique, voire pornographique, puisque Gabriel va passer son temps à se vautrer dans les habits chics de la propriétaire des lieux, en une orgie de masturbations assez impressionnante. "Le vieux routard", c'est aussi une fable, avec une vraie morale : il ne faudrait pas juger les individus selon des principes conformistes, il ne faudrait pas que l'homme soit aussi intolérant et "choquable" ; parce que l'histoire de Gabriel n'est pas immorale (ni morale, d'ailleurs) : elle existe, voilà tout, et ce qui se passe à la fin, tout ce qui se passe (notamment les affinités qui se créent entre Gabriel et le mari de sa "Muse" sexuelle après le décès de cette dernière, la compréhension mutuelle, sont un signe, par exemple, que les choses parfois ne sont pas aussi évidentes qu'elles le paraissent. "Le vieux routard" n'est pas à mettre entre toutes les mains mais il faut le lire, quand on est adulte, pour se divertir et méditer sur nos a priori.

dimanche, février 28 2010

Marionnettes

Un professeur de la faculté des Lettres de Toulouse (qui pour de multiples raisons se faisait appeler Gargantua) a été assassiné. L'inspecteur Bilbok, un policier consciencieux mais inefficace est chargé de l'enquête, aidé en cela par les membres de l'atelier d'écriture qu'animait la victime (dont Dorian, le narrateur). Feront aussi leur apparition Marilou (une petite Africaine au caractère difficile), une bibliothécaire désorganisée, des professeurs et des étudiants plus égarés les uns que les autres. Marionnettes, c'est d'abord une enquête policière haute en couleur traitée sous la forme d'un conte loufoque. Hélas, les marionnettes dont il est question ici ne sont pas les jouets que l'on imagine, et cette nouvelle, dont la véritable portée est satirique, fustige les comportements humains à travers l'étude pseudo-sociologique d'un groupe (milieu universitaire) : l'homme se construit en imitant l'Autre tout en voulant prendre sa place et le dominer, ou tout au moins s'en démarquer, ce qui fait naturellement de ce dernier a la fois un mouton et un être agressif envers ses semblables. "A la fin, nous dit l'auteur, Dorian n'a plus grand-chose à quoi se raccrocher : les rapports sociaux sont le plus souvent intéressés et conflictuels, dans le travail et jusque dans l'amitié. Seuls lui restent l'amour de sa petite amie, l'envie de fuir les hommes, la tentation des plaisirs simples comme un voyage en amoureux, et la littérature qui seule, comme il le dit lui-même, peut malgré tout donner un sens à ce que nous sommes".

La vie extraordinaire d'Adam Borvis

Il est écrit, dans l'un des contes de Jorge Luis Borges, que la vie d'un homme peut se résumer à quelques scènes. Cette nouvelle est composée de quatre parties qui feront d'Adam Borvis un fugueur invétéré. "Adam Borvis, nous dit l’auteur, ressent à chaque étape de son existence le besoin de fuir sa vie sociale pour se chercher une identité à travers sa vie intérieure ; j’ai écrit ce texte comme une métaphore de la solitude recherchée, de l'introversion, du psychisme comme moteur de la constitution de soi. Et quand on cherche au plus profond de son être, si l'on fait abstraction des conditionnements culturels de la société, ce que l'on trouve, comme nous le fait comprendre le clochard de la dernière partie, c'est un essentiel hédoniste et une certaine soif d'absolu (qu'elle s'exprime à travers l'art, la pureté de l'enfance, Dieu, ou ce que l'on voudra)".

La sagesse des Fouch

Antoine est ingénieur commercial dans une entreprise pharmaceutique. Jusqu'ici en adéquation avec son temps, il se trouve dans une mauvaise passe. En pleine dépression il fait la connaissance de ses nouveaux voisins, les Fouch qui, dans une démarche à la fois voltairienne (en ce sens où ils opposent une sagesse du bon sens aux idéologies dominantes) et gidienne (en faisant s'exprimer leur "authenticité" sans compromission) essayent d'exister différemment. Tous les personnages de ce livre cohabitent dans la même résidence à Toulouse, dont l'auteur lui-même qui nous dit à propos de ses héros : "Les Fouch tentent de se fabriquer une vie idyllique, à l'écart de la société sur laquelle ils portent un regard à la fois craintif et méprisant ; vie fondée sur la recherche des plaisirs, la cellule familiale, et une forme de dandysme en ce sens où ils se terrent tout en souhaitant montrer leur différence de manière ostentatoire, notamment à travers l'écriture d'un livre que j'ai fini d'ailleurs par écrire moi-même".

jeudi, février 18 2010

"A la mémoire de tous ces enfants, ces filles et ces femmes, ces hommes que l'histoire a brassés dans l'anonymat", in Le Chien Vert de Guy Sembic

Dans ce texte très court, Guy Sembic, dont on connaît la conception du monde et de la vie, nous livre simplement une épitaphe tardive que l'on pourrait inscrire sur la tombe des générations qui nous ont précédées et qui avaient encore beaucoup moins de pouvoir et d'influence que nous aujourd'hui. Guy Sembic a toujours des ulcères à l'estomac de constater que ce sont ceux qui ont le pouvoir qui décident, et jamais le peuple ; cela existe encore à notre époque, mais du temps de ces enfants dont nous parlent Guy, la différence était écrasante. Le sujet traité ici, à la fois simple et révélateur de l'esprit profondément humaniste de l'auteur, s'enrichit et prend une dimension politique sur la fin : que serait-il advenu de notre monde aujourd'hui, si ces hommes-là, à l'époque, malgré leur vie misérable avaient eu de l'instruction et la possibilté de changer le monde ? Combien de génies ont été étouffés dans l'oeuf, combien d'individus incapables de faire s'épanouir leur potentiel ? Mine de rien, ce texte porte à la méditation sur notre condition actuelle, nous permet de prendre du recul, non pas, encore une fois, par une démarche froidement philosophique mais à travers l'émotion, comme toujours avec Guy Sembic.

mercredi, février 17 2010

"La femme au volant", in Le Chien Vert de Guy Sembic

Premier texte du recueil du Chien Vert. On s'attend à un énième discours gentiment humoristique sur les femmes au volant, et l'on découvre en quelques lignes un véritable hommage à la gente féminine. Tout l'émerveillement de l'homme devant une femme dans sa petite vie est contenu dans cette simple anecdote (l'image d'une femme sortant de sa voiture) qui vire au poème en prose d'une tendresse infinie. On s'attend alors à quelque chose de mièvre, de plat, et l'on découvre un tout petit texte plein de charme, où les femmes deviennent de "petites fées crispées" dans de "drôles d'autos". Un hommage éblouissant et menu, avec même un zeste d'étude sociologique pour bien cadrer le propos, par un Guy Sembic grand romantique (à sa manière un peu particulière) devant l'éternel féminin. Ce texte très visuel reste gravé dans la mémoire du lecteur, et constitue un petit chef-d'oeuvre laconique.

mardi, février 2 2010

"La Tortue", in Le Chien Vert de Guy Sembic

Le conte est construit à partir d'une anecdote d'enfance : le narrateur qui, peu à peu, parvient à apprivoiser une tortue récalcitrante et particulièrement repliée sur elle-même. Le mélange de poésie, de tendresse et de précision zoologique font en partie la réussite de ce texte. Mais qu'est-ce qui produit l'effet principal sur le lecteur, à savoir la magie de ressentir une osmose avec le narrateur et cette tortue, CONTRE l'agressivité des hommes ? Parce ce que nous avons tous ressenti cela : que la communication que l'on peut avoir parfois avec un animal est autrement plus réconfortante et chaleureuse que celle que l'on peut avoir avec un être humain ; peut-être aussi parce que l'on s'identifie à la fragilité de l'animal. En tout cas, cette communication, nous fait comprendre Guy Sembic, est plus réelle dans la mesure où elle se suffit à elle-même, comme par exemple celle entre un homme et un chien ; alors que, dans le commerce avec l'être humain, ce dernier "perçoit la relation non pas comme un être vivant mais comme le vecteur de sa pensée et de ses aspirations, le fil conducteur de son énergie, de son orgueuil, de ses projections entre lui-même et tout ce qu'il veut atteindre". Cette fable est un petit chef-d'oeuvre, dans la mesure où elle nous fait comprendre une triste vérité sur l'homme, non pas en nous édifiant, en nous expliquant, mais à travers l'émotion et le ressenti de chacun d'entre nous.

mardi, janvier 19 2010

Embarquement indirect - Mary J'Dan

J'ai aimé le livre ; on y retrouve la même aisance (travaillée) dans l'écriture que pour "Les voleurs d'anges", et l'intrigue est parfaitement maîtrisée. Quant au contenu, il est une ré-exploration d'un thème séculaire : celui de la vie après la mort. Ce thème est l'un des plus fondamentaux de l'existence humaine, et ce livre prend donc une dimension mythique, surtout que la ville de Crista est une version très originale du purgatoire. Les questions que l'on se pose sont nombreuses ; en particulier, celle-ci : pourquoi les "morts" ont-ils droit à une nouvelle vie sur Crista, sans se souvenir de leur existence terrestre, alors qu'une fois partis pour leur ultime voyage (après Crista, donc) ils ne se souviennent même plus de cette dernière ? Pourquoi l'au-delà fonctionne-t-il ainsi, en somme ? En tous les cas, il y a au moins une évidence : ce livre fait partie d'une trilogie intrinsèquement liée à son auteur, comme un prolongement de la chair de sa chair. Nous ne sommes pas pressés, Mary, loin de là (et tu n'y es pas encore, grâce à Dieu !) que tu partes pour Crista, mais lorsque ce sera le cas nous penserons très fort à toi et pendant longtemps, gràce à cette trilogie faite de poésie et d'espoir. Car, que les choses se passent comme tu le dis ou non après la mort, le plus important n'est-il pas d'avoir envisagé ce rêve, et de nous l'avoir fait partager ? Pardon d'avoir lu ce livre bien tard, Mary. J'ai oublié de dire que je l'ai lu en version papier, qui est une belle réussite particulièrement "fignolée" ; je le dis pour ceux qui éventuellement hésiteraient à franchir le pas.

Vers la lumière... - Mary J'Dan

J'ai un peu hésité avant de lire cet ouvrage : les autobiographies souvent me font peur, je m'attends à quelque chose de long, à un interminable discours sur soi avec peu de passages intéressants. Lorsque je me suis décidé à le lire, c'est-à-dire avant-hier, j'ai découvert ici un ouvrage aéré, court, qui plonge à l'essentiel à travers des chapitres écrits sobrement et non sans poésie. Une autobiographie mentale, où l'auteur met son coeur à nu mais de manière à faire réfléchir son lecteur sur différents sujets, par petites touches impressionnistes. On y découvre les blessures de Mary J'Dan, celles qui ont motivé chez elle une nécessité d'écrire, un besoin de se constituer une carapace. Apparemment Mary a hésité à publier cet ouvrage, pour plusieurs raisons ; l'une d'entre elles, en tout cas, n'était pas valable : aucune platitude dans cet ouvrage qui ne peut pas laisser indifférent. J'ai envie de dire plus : "Vers la lumière" me paraît constituer ce que l'on appelle un texte source, une enquête intime qui au contraire éclaire les autres livres de Mary, un peu comme Paul Auster avec son "Invention de la solitude". "Vers la lumière" n'est pas un livre à part dans la production de Mary, il en fait partie comme un pendant nécessaire aux fictions imaginées par ailleurs. L'ensemble me paraît constituer désormais une oeuvre complète, véritable reflet mythologique de la personnalité de l'auteur.

lundi, janvier 18 2010

Quand Mam Goz s'en mêle - Pierre-Alain Gasse

J'ai une prédilection pour la littérature policière dite "de détection", dans le genre Sherlock Holmes, où le lecteur est immergé d'emblée dans une histoire dont même le cadre n'est pas réaliste. Ici, on est vraiment dans le polar : le réalisme dans la description des méthodes et organismes policiers est cliniquement respecté. En revanche, le loufoque caractérise l'intrigue, l'humour tient une place prépondérante et l'on ne s'ennuie pas : le personnage de cette petite vieille est une création réussie, que n'aurait pas reniée Pascal Dessaint lui-même. La narration est alerte, presque trop par moment peut-être, mais je ne m'en suis pas plaint dans la mesure où je suis un adepte des histoires racontées en appuyant sur les bons boutons (la fameuse menuiserie de Garcia Marquez), sans détails superflus. Un bon divertissement, donc, à lire d'un trait.

mardi, janvier 12 2010

"M. Cayeux", in Le Chien Vert de Guy Sembic

"M. Cayeux", c'est l'anecdote autobiographique par excellence, une petite pierre au grand édifice du vécu que fabrique Guy Sembic au fil de son oeuvre. Un homme particulier, ce M.Cayeux, que les Sembic seuls auront connu sous un jour lumineux ; un homme contradictoire, imbibé de boisson aux yeux de tous, porteur de gravâts vaillant et infatigable pour la famille Sembic. Un hommage tout en humanité, sobre, avec une pointe d'humour.

"Les sarkaliomariens", in Le Chien Vert de Guy Sembic

Il ne s'agit pas à proprement parler d'un conte, puisqu'il n'y a pas vraiment d'intrigue. Je ne donnerai pas ici la signification cachée de "sarkaliomarien", il suffit de comprendre que tout cela est très politique. Guy Sembic est un rebelle humaniste, très engagé contre le président Sarkosy, et l'intérêt du texte est surtout de voir comment l'écriture peut servir d'exutoire. "Les Sarkaliomariens" est un texte satirique, et très visuel dans son traitement (toute la critique du régime sarkosien se fait à travers l'image d'un oiseau gigantesque et symbolique). Comment résumer en quelques lignes ce que l'on pense d'une politique dans sa globalité ? Voilà la question à laquelle répond Guy Sembic, et si les opposants à Sarkosy voulaient fabriquer des affiches de propagandes ils utiliseraient certainement ce texte comme point de départ. Enfin, "Les sarkaliomariens" sert aussi à donner une légitimité à l'expression sur le web, comme un acte de résistance sous-jacent.

Les amis de Guy Sembic : site pour la postérité de l'oeuvre de Guy Sembic

On entend souvent, dans les émissions littéraires à la télévision, cette question posée aux écrivains d’aujourd’hui : “Qu’est-ce qui vous a inspiré ce livre ?”. Et la réponse est, le plus souvent, du genre : « Eh bien, mon expérience à Femme actuelle fait que je connais les femmes de notre époque. Je raconte dans mon livre l’histoire d’une de ces femmes, qui est un peu moi et surtout tout le monde, notamment ses difficultés avec les hommes ha ! ha ! (rire général et complice dans l’assemblée) ». C’est normal, ces écrivains appartiennent à la jet-set de l’intelligentsia parisienne (c’est-à-dire qu’ils viennent du journalisme, ou encore du cinéma), et qu’ils se mettent à l’écriture pour gagner de l’argent autrement, ou pour renforcer leur statut au sein de cette même intelligentsia. Souvent ces écrivains ont un minimum de style, et un peu d’imagination, suffisamment en tout cas pour pouvoir s’amuser à écrire. D’autres écrivains, plus rares, souhaiteraient sans doute un peu plus de reconnaissance, ou même vivre de leur travail littéraire, mais ils écrivent surtout parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement, sous peine de sombrer dans la folie. Ce sont les véritables écrivains. Ceux-là changent la vision que l’on peut avoir de la vie, ils ne font pas que raconter de jolies histoires, ils étalent un peu de leurs tripes à chaque trait de plume, toujours avec une grande cohérence entre chaque texte.

Guy Sembic appartient à cette catégorie.

S’il fallait tenter d’expliquer le talent de Guy Sembic, il faudrait commencer sans doute par son tempérament, sa personnalité. Lorsqu’on le rencontre, on découvre d’abord un personnage atypique (tant par son physique que par sa façon de s’exprimer), et qui à sa manière peut être volubile. Mais derrière cette apparence (pourtant « vraie ») se cache aussi une véritable introversion, une pudeur qui l’empêche de dire certaines choses au moyen d’une communication normale avec autrui. Guy Sembic est caractérisé par une hypersensibilité au monde, à la société, à l’homme en général ; un accumulateur d’émotions, de révolte, d’humanité exacerbée, de rancœur vis-à-vis de la méchanceté, de la bêtise et des injustices, qui doivent être expulsées d’une manière ou d’une autre, comme dans ce jeu de société où les enfants doivent gaver de hamburgers un jouet en forme de cochon jusqu’à ce que dernier explose et rejette brutalement tout ce qu’il a ingurgité. L’écriture de Guy Sembic est libératrice, violente, avec, parfois même, une dimension scatologique dans la provocation (il se qualifie lui-même de « Pirate »).

L’autre caractéristique de l’œuvre de Guy Sembic serait à coup sûr la tentation autobiographique. Le Clézio a souvent dit qu’il écrit en même temps qu’il vit et de la même manière, Guy Sembic écrit comme il respire, comme s’il ressentait le besoin de laisser trace des événements de sa vie, du fil de ses pensées, de « se » mettre par écrit en permanence, non pas par un narcissisme exacerbé mais comme un couple d’adolescents qui grattent les arbres au couteau pour y inscrire à jamais la preuve de leur amour, ou comme un homme préhistorique qui peint les parois de sa caverne : pour laisser des prolongements de lui-même qui donneraient un sens à sa vie.

Guy Sembic est d’abord l’auteur d’innombrables textes courts, comme un adolescent (encore) taguant les murs de sa ville pour dire merde à la société qui serait nanti en outre d’un vrai fond de culture doublé d’un talent poétique inné. Voilà pourquoi il est un écrivain du web (le blog, par exemple, est pour lui un support particulièrement approprié). Il faut lire ses textes comme autant de reflets impressionnistes de sa personnalité : si vous ne connaissez pas encore Guy Sembic, peu à peu, au fil de vos lectures, le personnage se constituera devant vos yeux, comme un puzzle plein de couleurs et de cohérence.

Guy Sembic est l’auteur d’un seul roman : « Au pays des Guignols gris », une somme de poésie, de philosophie, de géographie (l’homme est un connaisseur intime de celle qu’il appelle notre « Téterre », à travers les livres mais aussi par de véritables voyages sur le terrain, de la Guyane au pôle Nord), d’aspects autobiographiques doublés de science-fiction, et d’un essai philosophico-scatolo-poétique : « Grand Hôtel du Merdier », considéré par certains comme son chef-d’œuvre.

Le site des « Amis de Guy Sembic » est né simplement de la lecture passionnée de cette œuvre atypique, et espère maintenant participer à la découverte d’un auteur authentique et sans compromission.

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