The Pillow Friend Traduction : Alain Dorémieux

Extraits

Sous les voiles du fantastique et plus encore de l'insolite insidieux, "Compagnon de Nuit" traite de la relation mère-fille et tout particulièrement du cheminement qu'elles partagent lorsque la seconde grandit et s'éveille peu à peu à la sensualité et à la sexualité.

On peut aussi voir, en la figurine remise par sa "tante" à la jeune Agnes au tout début du roman et que lui subtilise sa "mère" à la fin de la première partie, le témoin d'une sorte de course magique ou d'un parcours initiatique réservé aux impétrantes dans les anciens rites exclusivement féminins que les religions monothéistes devaient par la suite recouvrir du sombre manteau de la sorcellerie.

A un moment donné, soit par peur de ce tout ce que symbolise ce témoin à double tranchant (toute connaissance suppose sa part d'ombre et de souffrance), soit par jalousie et refus de voir la fillette, puis l'adolescente accéder à un savoir similaire à celui qu'elle détient (et qui passe par la sexualité), la tante-mère pose des obstacles et suscite des retards sur la voie empruntée par la fille. Mais elle ne saurait s'opposer éternellement à l'acquisition de la Connaissance, tout d'abord parce qu'elle même vieillit et que, au-delà de ses propres intérêts, domine en elle la nécessité de passer le relais pour assurer la pérennité de cette Connaissance - et la survie de l'Univers.

Lisa Tuttle dissimule cette histoire de femmes, où les hommes, fût-ce le premier d'entre eux, l'Initiateur, n'ont droit qu'à des rôles secondaires, dans une intrigue très moderne, avec la petite ville américaine traditionnelle, les parents qui s'entre-déchirent, la mère ayant sacrifié son avenir de comédienne à la naissance de ses enfants, et une tante mystérieuse qui évoque de son côté les femmes libérées des années soixante-dix.

L'ensemble est trouble, nimbé de brumes qui s'élèvent ici et là pour mieux dissimuler quelque chose que le lecteur impatient tente en vain d'apercevoir avec clarté - et dont il ne prendra vraiment conscience qu'après avoir refermé le livre et pris un peu de recul par rapport à ce qu'il paraît raconter. C'est un art subtil, parfaitement maîtrisé, qui tient plus de la vieille magie - celle-là même qui protégeait le nourrisson Harry Potter de l'énergie meurtrière de Voldemort - que de l'histoire d'horreur ou du fantastique classique. C'est aussi et c'est surtout une histoire de femmes et peut-être parlera-t-elle beaucoup moins, voire pas du tout, à des lecteurs masculins. Mais qu'ils prennent tout de même le risque d'autant que Lisa Tuttle a tout prévu : si ça les arrange, ils peuvent aussi s'imaginer que Agnes souffre simplement du même mal que sa mère ...

... Cependant, ils n'en seront jamais sûrs ... ;o)