Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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Cinéphilomania

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mercredi, mars 12 2008

Très Chère Maman - Christina Crawford

Mommie Dearest Traduction : Thérèse Lauriol

De son vrai nom Lucille LeSueur, Joan Crawford débuta comme girl dans une troupe de danseuses avant de s'imposer peu à peu à la MGM où elle finit par gagner autant que Garbo ou Norma Shearer.

A la fin des années trente cependant, elle dut quitter les plus célèbres studios de Hollywood pour s'en aller chez les Warner où elle allait d'ailleurs reprendre d'assaut le box-office.

L'une de ses dernières prestations demeure "Qu'est-il arrivé à Baby Jane ?" où, pour la dernière et seule fois de son existence, elle se voyait opposée à sa vieille ennemie de la Warner, la grande Bette Davis.

Crawford mourut d'un cancer en 1977. Son troisième mari, PDG de la firme Pepsi, l'avait pourvue d'une confortable fortune dont elle refusa de laisser quoi que ce fût aux deux premiers des enfants qu'elle avait adoptés : Christina et Christopher.

"Mommie Dearest", qui sortit après la mort de Crawford, nous explique en partie cette ultime et haineuse pirouette. L'ouvrage a été écrit par l'aînée des enfants qu'adopta la star hollywoodienne, Christina. Et celle-ci y raconte l'enfance qu'elle partagea avec son frère adoptif, Christopher, que la charmante Crawofrd avait l'habitude de sangler sur son lit la nuit pour le punir de ses crises d'énurésie.

Alors, bien sûr, on se dit que tout ce que raconte Christina est peut-être le résultat de l'éternel conflit Mère-Fille. De fait, le conflit est très net, aussi net que, par exemple, dans "Marlène Dietrich par sa fille." Mais la différence est de taille car si Dietrich ne se montra jamais avare de démonstrations d'affection envers sa fille, Crawford, elle, avait visiblement un problème de ce côté-là.

Ce qui donne encore plus de prix aux très rares moments de complicité rapportés - et avec quelle ferveur ! - par Christina Crawford.

Plus que le banal "livre à scandale" qu'on a cherché à faire de lui, "Très chère Maman" est le récit d'un amour malheureux et pratiquement impossible entre une femme qui avait souffert elle-même dans son enfance et les enfants qu'elle adopta dans le désir sincère de les rendre heureux mais qu'elle ne put plus supporter dès qu'elle comprit qu'ils grandissaient - et lui échappaient.

Circonstance qui n'a certainement pas arrangé les choses - et qui était par contre de notoriété publique - Crawford buvait sec. Habituée en outre, par la force des choses, à ne compter que sur elle-même, elle avait développé une personnalité autoritaire qui, très vite, tourna à la tyrannie. Enfin, il lui était impossible d'admettre qu'elle pouvait avoir tort.

A noter qu'un film, avec Faye Dunaway dans le rôle de Joan Crawford, a été tiré assez récemment de cet ouvrage. ;o)

dimanche, août 19 2007

Harry Potter et l'Ordre du Phoenix - David Yates.

Mouais ...

Plusieurs remarques :

1) Je trouve aberrant qu'on ait fait, du plus épais à ce jour des romans de la série, le film le plus court (2 h 17). Je conçois très bien qu'il soit impossible de faire tenir une intrigue aussi complexe dans un film mais là, franchement, je n'ai pas l'impression qu'on ait cherché à faire quelque chose de cohérent ! La seule chose dont je suis sûre, c'est qu'on a voulu pulvériser les records de brièveté !

2) Pourquoi avoir changé de scénariste alors que Steve Kloves avait fait de l'excellent travail avec "La Coupe de Feu" ? C''est une faute impardonnable. S'il y a bien une technique à maîtriser pour devenir scénariste, il y a aussi une intitution, un sens de l'image et du dialogue qui sont indissociables de cette profession et que ne possède manifestement pas le scénariste de "L'Ordre du Phoenix."

3) Pourquoi ce montage visiblement bâclé ? Les coupes sont d'autant plus visibles pour ceux qui ont lu le roman - et je ne dis rien des cinéphiles. Il est clair - pour moi, cela ne fait aucun doute - que Yates a tourné d'autres scènes. (On prétend même que, à l'origine, le film durait 3h 30 !) Et qu'elles ont été coupées en dépit du bon sens, uniquement, semble-t-il, pour pouvoir dire qu'on avait coupé et que le film était donc plus court. Hitchcock, je crois, disait que tout se jouait au montage. Mais alors là, avec cet "Ordre ...", tout est perdu à l'avance !

4) Ces dialogues, si plats, si mièvres ! ... A côté d'eux, ceux des opus de Colombus étaient de la dynamite !!!

5) Enfin, toutes ses invraisemblances !!! Plus aucune rage chez Sirius Black, plus aucune rebellion ! L'attaque des détraqueurs est mise sur le compte de Voldemort alors qu'il est impossible, psychologiquement parlant, qu'un type comme lui délègue le pouvoir de tuer Harry Potter à deux minables détraqueurs !!! La maison du square Grimaurd n'a pas été suffisamment exploitée. Non plus que le personnage de Kreattur ...

Le roman de Rowling dépeint en fait l'étouffement et l'incompréhension qui assiègent son héros et coïncident si souvent avec l'adolescence. La remise en question du Père, aussi bien par le personnage de Sirius, le père adoptif, que par celui de James Potter, entrevu dans les souvenirs de Rogue et même par celui de Dumbledore, le père "mythique", constitue (à mon sens) le pivot même du livre.

Eh ! bien, rien, rien dans le film. Tout y est bâclé et comme au ralenti - ceci malgré de beaux effets spéciaux, notamment pour les sombrals et les détraqueurs (plus repoussants mais aussi, hélas ! plus hollywoodiens que dans l'épisode 3. La remarque vaut aussi pour les masques des Mangemorts, que j'avais trouvés tout bonnement géniaux dans le 4 et qui ont été remplacés ... par des hybrides, un tiers Dark Vador, un tiers "Scream" et un tiers "Terminator.")

Daniel Radcliffe, Alan Rickman, Imelda Staunton et quelques autres (dont les jeunes acteurs qui entourent habituellement Radcliffe) s'en tirent très bien et cela est tout à leur honneur. Quant au cinéaste, ma foi, je n'ose aucune critique : vu le rapport qu'il a cherché à établir entre la sexualité d'Ombrage et le plaisir sadique qu'elle prend à punir les élèves - rapport que sous-entend parfaitement Rowling dans le livre - je répète qu'il a certainement tourné autre chose et qu'il est impossible qu'il ait eu accès au montage. Ou alors, il est complètement schizophrène !!!! (Dieu merci ! Les pontes hollywoodiens de la Warner n'ont, semble-t-il pas, saisi l'ambiguïté d'Ombrage en ce domaine, ce qui a valu à la scène d'être préservée !)

Bref, ce film, qui aurait dû être un hymne à l'anti-conformisme - comme l'est d'ailleurs le roman - est une morne plaine, sans relief et aussi bien ordonnée et sans surprises que les chatons sur les assiettes d'Ombrage.

La semaine prochaine, ma cadette et moi, on relit le livre : ça nous fera du bien. ;o)

samedi, août 18 2007

Le Nouvel Hollywood - Peter Biskind.

Easy Riders, Raging Bulls: How the Sex-Drugs-and-Rock 'N' Roll Generation Saved Hollywood Traduction : Alexandra Peyre

A la fin des années soixante, alors que les beatniks cédaient peu à peu le pas aux hippies, le système qui avait fait le succès des grands studios hollywoodiens achevait de se casser la figure. Il ne fallait guère s'en étonner car, tout au haut de la pyramide, se trouvaient des producteurs dont certains avaient connu l'Age d'Or du Muet. Or, après la Grande Crise des années trente, après la Seconde guerre mondiale et l'instauration de cette guerre jamais vue encore qu'on nomma la Guerre froide, avec surtout le renouvellement des générations, le monde avait connu trop de changements pour que le cinéma hollywoodien n'eût pas besoin d'un sérieux coup de plumeau.

En France notamment, le mouvement issu des "Cahiers du Cinéma" et connu sous le nom de "Nouvelle Vague" redessinait tous les paysages du film : scénario, décors, lumière, jeu des acteurs, tout y passait. Plus rien ne devait être comme avant. On devait pouvoir tout concevoir, tout montrer. Réalisme et révolution devenaient les motsd'ordre universels.

Aux USA, ce fut l'acteur Warren Beatty qui, le premier, monta au créneau en se décidant à acquérir les droits d'un scénario qu'il confia, pour la réalisation, à Arthur Penn. Ce scénario s'appelait : "Bonnie & Clyde."

Inspiré par la courte existence d'un couple de jeunes braqueurs des années de crise, Clyde Barrow et Bonnie Parker, le film de Penn, qui sortit en 1967, fit s'arracher les cheveux aux producteurs confirmés, qui n'y comprirent rien, mais plut instantanément au public, attiré par la violence magnifiée qui émanait de l'histoire et rejaillissait sur l'écran en larges taches sombres.

Une époque venait de s'ouvrir dans la vaste épopée du cinéma américain mais, curieusement, on la date beaucoup plus souvent de la sortie, deux ans plus tard, d'un film qui allait devenir "culte" : "Easy Rider", officiellement signé par Dennis Hopper et Peter Fonda. "Easy Rider", avec ses deux motards complètement déjantés, qui fument du hasch dans les cimetières et sillonnent les routes de l'Amérique profonde sur lesquelles, un jour, ils se font arrêter. Un tout jeune - et très beau - Jack Nicholson, impeccablement vêtu de blanc, parvient à les en faire sortir et les suit dans leur périple démentiel mais sans violence car les deux héros, hippies authentiques, sont des adeptes du power flower. Pourtant, la violence les rattrapera en la personne d'Américains "profonds" qui s'amusent à leur tirer dessus ...

Sans aucune complaisance envers les grands noms qu'il cite mais sans jamais renoncer au respect que lui inspire manifestement leur talent, Peter Biskind retrace magistralement le destin exceptionnel d'une décennie qui vit, à Hollywood, les réalisateurs l'emporter pour une fois sur les Manitous de la production. En lisant son livre, vous apprendrez que Dennis Hopper, comédien-né, n'était guère doué pour la réalisation et que, sous l'influence de l'alcool (il avait commencé à boire à l'âge de 12 ans) et de drogues diverses, il faisait mener une vie infernale à sa femme et ses enfants. Vous saurez tout de l'anti-conformisme pathologique de Robert Altman, qui alla d'un succès immense, "M.A.S.H", à une suite d'échecs retentissants mais qui, jamais, ne compromit son talent. Vous verrez Peter Bogdanovitch se prendre pour Orson Welles. Vous vivrez le dilemme qui fut celui de Francis Ford Coppola, partagé entre son tempérament de réalisateur génial et son désir fou de devenir, lui aussi, un "nabab." Enfin, vous comprendrez pourquoi, même de nos jours, un film de Martin Scorsese reste un très grand moment de pureté cinématographique.

Accessoirement, vous assisterez à l'ascension irrésistible de Steven Spielberg et de George Lucas, les deux hommes dont la réussite, en les emprisonnant, devait faire également les fossoyeurs du Nouvel Hollywood.

Bref, si vous aimez le cinéma, vous ne vous ennuierez pas une seule minute et en plus, vous apprendrez plein de choses - ou vous vous en remémorerez d'autres comme les merveilles concoctées par cet empereur inégalé du montage que fut Hal Asby, à savoir : "Harold et Maud" et tous les films qu'il tourna avant de décéder, dépouillé par les vautours de la production, d'un cancer généralisé.

Bonne lecture à tous ! ;o)

vendredi, juillet 27 2007

Liz - C. David Heymann.

Liz Traduction : Th. Arson, C. Beauvillard, A. Champon, S. Charlet, Ch. Claro, J. Guiod, J. Martinache, Ch. Tatum et C. Vié

En lisant cette biographie, je n'ai pas du tout compris pourquoi Elizabeth Taylor avait tenu à l'interdire. Le livre ne passe évidemment pas sous silence ses huit mariages (dont deux avec le même homme, Richard Burton) mais compte tenu de la publicité qu'elle-même encouragea autour de ces événements, on voit mal comment le biographe aurait pu les ignorer.

A part cela, Heymann nous présente une enfant dont la mère, Sara, se sert pour vivre ses propres rêves de gloire contrariés, une pré-adolescente et une adolescente qui, comme Judy Garland (avec qui elle devait partager des problèmes d'alcool et de drogues) fut en fait la propriété de la Metro-Goldwyn-Mayer, laquelle la fit tourner en dépit du bon sens.

Si l'on considère en effet la carrière d'Elizabeth Taylor, on en retient au maximum trois ou quatre interprétations, pas plus. En ce qui me concerne, je citerai : "Le Grand National" (qui la lança) - "Soudain l'été dernier" dont Julie nous parle au fil précédent - peut-être "La Chatte sur un toit brûlant" et enfin "Qui a peur de Virginia Woolf ?" où, aux côtés de Burton, elle campe une Martha plus vraie que nature.

A part ça, je ne vois pas. A bien y regarder, Claudette Colbert, qui tient le rôle de Cléopâtre dans la version de Cecil B. de Mille, joue beaucoup mieux que Taylor dans la version de Mankiewicz. Celle-ci n'est qu'un somptueux livre d'images qui met en valeur la beauté certes réelle de Taylor - mais c'est tout. Et pourtant, l'actrice tenait là un rôle en or.

Mais le problème d'Elizabeth Taylor - le problème fondamental qui devait provoquer par la suite son addiction à l'alcool et aux drogues diverses - ne se situe-t-il pas justement là, dans ce refus (ou cette impossibilité ?) de s'affirmer comédienne et non pas star ? La star, comme son nom l'indique, se contente de briller mais la comédienne, elle, entre dans la peau des personnages qu'elle interprète, chose dont Taylor a été rarement capable - ce qui explique en partie pourquoi Paul Newman, son partenaire de "La Chatte ...", déclara qu'elle ne "donnait rien sur lequel bâtir" à ceux qui lui donnaient la réplique.

Problème largement entretenu par la mère de Taylor mais aussi par les pontes de la MGM et plus tard, lors de "Cléopâtre", par ceux de la Fox - ceci aux dépens de Marilyn Monroe. Tous ont parié sur le nom d'Elizabeth Taylor, sur sa beauté lumineuse mais vide, tous l'ont encouragée dans cette voie. Si l'on excepte Richard Burton, personne ne l'a réellement encouragée à exercer l'art qui est celui du comédien. Encore Burton, acteur inné qui se laissa prendre bêtement au mirage hollywoodien, arriva-t-il trop tard : Taylor ne croyait déjà plus en elle.

Seul moment de grâce, l'extraordinaire film de Mike Nichols : "Qui a peur de Virginia Woolf ?" d'après la pièce éponyme d'Edward Albee. Taylor y remporta le seul oscar mérité de sa carrière - celui qu'on lui décerna pour "La Venus au vison", elle le reconnut elle-même avec ironie, avait été accordé plus à ses malheurs personnels qu'à ses talents d'actrice.

Or, paradoxalement, si Taylor y est si vraie, c'est parce que, pour une fois, elle ne met pas en avant sa beauté.__ Au contraire, elle s'est vieillie, elle a pris des kilos et elle a enfilé une perruque grisonnante pour ce film. Et là, elle est sublime.

Bref, cette biographie fidèle vous laisse une bizarre impression de tristesse, l'impression d'une vie qui, en dépit de la célébrité fabuleuse et de la fortune assurée, est passée à côté de son véritable destin. Après l'avoir lue, on comprend mieux pourquoi Max Lerner qualifia Monroe de "mythe" en ne laissant à Taylor que la "légende.

vendredi, juillet 6 2007

Marlène Dietrich par sa fille - Maria Riva.

Marlene Dietrich by her daughter Traduction : Anna Gibson, Anouck Neuhoff & Yveline Paume.

Quand il sortit dans les années 90, ce pavé de plus de 850 pages fit scandale au sein des admirateurs de la Dietrich, jusque là plus habitués à voir leur idole recevoir des caresses attendries et révérencieuses que des coups de griffes bien cruels. Qui pis est, ce n'était pas n'importe qui qui les infligeait, ces blessures, puisque l'auteur de l'ouvrage n'était autre que la fille unique de Marlène et de celui qui, toute sa vie, resta "Monsieur Dietrich" : Rudolf Sieber.

De la naissance de Marlène, seconde et dernière fille du couple Dietrich, jusqu'à la remise de ses cendres au cimetière de Schöneberg où elle souhaita reposer auprès de sa propre mère, Joséphine, il semble que rien ici ne nous soit caché de la vie de cette légende du cinéma mondial.

L'enfance et l'adolescence, que perturbent à peine (en tous cas, telle est notre impression) la Grande guerre et les morts qui s'évanouissent, le bonnet qui vole au-dessus des moulins quand, dans les années vingt, la jeune fille de bonne famille décide de se faire comédienne, sa rencontre et son mariage avec Sieber, sa décision d'avoir un enfant, et puis la foudre qui tombe sur le réalisateur Joseph Von Sternberg, venu chercher dans le Berlin de la nuit et des music-halls, la vedette de son prochain film avec Emil Jannings : "L'Ange Bleu."

Après viendront l'exil doré à Hollywood, les listes interminables d'amants et d'amantes, l'image de Dietrich que Von Sternberg et sa découverte construisent de concert avec le costumier Travis Banton, la "vie de famille" entre le père et sa maîtresse d'une part, Marlène et ses amants du moment d'autre part et "l'enfant" - comme l'appelait sa mère - au milieu, avec ses gardes du corps. Tout cela tiendra vaille que vaille jusqu'en 1939 et, "avec sa chance fabuleuse", comme le souligne Riva, Marlène, qui était en perte de vitesse aux studios, ressuscita tel le Phoenix, se mettant au service de l'armée américaine pour aller soutenir le moral des troupes et en profitant pour rejoindre Gabin, l'une de ses grandes passions - et beaucoup d'autres.

Riva évoque également la dernière partie de cette éblouissnte carrière, les spectacles à Las Vegas et les tournées en Europe, la vieillesse qui s'installe avec les soucis de santé et l'alcoolisme, etc, etc ...

Tout cela entremêlé au petit point finement travaillé de petites remarques, de petites phrases, de petits mots adorateurs, cinglants, "dietrichiens", aimants, tendres, implacables, vengeurs ... bref, bourrés de paradoxes.

Et le lecteur n'en finit pas de se poser la question : "Exagère-t-elle ou pas ? Dit-elle la vérité ou pas ? ..." Et même : "Le portrait qu'elle dresse d'elle-même, enfant dévouée, aimée par une mère étouffante qui songeait surtout à ce que l'affection de sa fille pouvait lui rapporter sur l'instant et dans l'avenir, et aimant cette mère (car Riva aime et hait tout ensemble sa mère), enfant sans enfance qui voit défiler les amants de sa mère et sympathise avec ceux que celle-ci rejette, enfant-adulte qui materne la pauvre Tamara, la maîtresse de son père - tout cela est-il exact ? ..."

Un livre dérangeant mais puissant, de cette puissance glauque et tourmentée qui est en général l'apanage des relations excessives entre un parent et son enfant. Ici, le cas est d'autant plus exemplaire que, sous l'image du parent (la Mère) se cachait par la force des choses le personnage de la légende de l'écran, un modèle de perfection physique et artistique, un rêve. Un livre qui se lit comme le récit d'un combat formidable entre la Mère et la Fille bien que, en arrivant aux dernières pages, le lecteur ne sache toujours pas laquelle des deux a gagné. Un livre à lire, si vous le pouvez.

lundi, juin 18 2007

Deux Soeurs - Kim Jee Woon.

On s'attend à un film fantastique, ce qui est normal puisque l'oeuvre du Coréen a obtenu le Grand Prix ainsi que le Grand Prix du Jury Région lorraine au Festival de Gérardmer en 2004. Mais "Deux Soeurs" va bien au-delà en s'appuyant sur une intrigue habile et surtout subtilement dévoilée. __ Deux soeurs, Su-mi et Su-yeon, reviennent avec leur père dans la demeure familiale d'où semble les avoir chassées une mystérieuse maladie dont on paraît d'ailleurs douter qu'elles soient effectivement guéries.__ Les y attend leur belle-mère, une jolie femme aux yeux inquisiteurs que Su-mi méprise et dont Su-yeon a visiblement très peur. Le père ... Que dire du père ? Comme le lui jettera plus tard sa fille aînée : "Tu n'es même pas un père !"

Autour d'eux, une maison soyeuse, bruissante, avec ces couleurs admirables qui ont toujours caractérisé - en tous cas à mes yeux - le cinéma asiatique et des planchers qui grincent sous les pas de spectres invisibles ouvrant des portes aux gonds très mal huilés. Curieux, d'ailleurs, tous ces grincements : les tapis et les moquettes semblent déborder tant ils envahissent chaque recoin ... Si l'on ferme les yeux, on pourrait sentir, c'est certain, cette odeur d'encaustique patiemment vieilli qui peuple toutes les vieilles demeures bien entretenues. Quant à la cuisine ... ah ! mesdemoiselles et mesdames ! quelle merveille de propreté presque clinique avec des éléments d'un vert qui n'est pas sans rappeler celui des blocs chirurgicaux.

Dès la première nuit, une galopade retentit à l'étage, réveillant la belle-mère que l'on quitte, assise sur son lit, visiblement mal réveillée. Nous passons alors dans la chambre de Su-yeon, la plus fragile des deux soeurs et là, non sans délectation, nous voyons la porte s'ouvrir en grinçant et une main aux ongles manucurés et vernis, une main féminine, se poser délicatement sur le chambranle. Puis, la caméra avance tandis que Su-yeon, morte de peur, serre désespérément les paupières et le spectateur voit la couette se retirer lentement, comme happée par une main hors champ. Enfin, à nouveau une galopade et plus rien : Su-yeon est seule et court se réfugier chez Su-mi.

Peu à peu, le spectateur attentif va relever un détail troublant : toutes les fois que le père parle à Su-mi, il agit tout à fait comme si Su-yeon n'était pas là, en tous cas comme s'il ne la voyait pas. Lors de la scène qui se déroule sur la véranda, la chose est d'autant plus frappante que le réalisateur ne filme que Su-mi, assise sur la gauche et son père, cadré sur la droite.

Autre détail, qu'il faut conserver à l'esprit : le coup de fil à demi-chuchoté que le père passe dès son arrivée à une personne inconnue, confiant à celle-ci : "Non, son état ne s'améliore pas ..."

Mais l'état de qui ? L'état de Su-mi ? après tout, elle revient de l'hôpital ou du moins le croyons-nous. L'état de sa belle-mère, à qui son mari, lors du premier repas, distribue deux cachets blanchâtres avec un verre d'eau ?

Après la visite du beau-frère et de sa jeune épouse et le repas qui nous fait voir la belle-mère prise d'une crise de gaieté quasi hystérique à l'évocation des aventures de jeunesse qu'elle partage avec les invités, on finit par se convaincre : c'est elle, la seule, la vraie malade. D'ailleurs, en se baissant pour ramasser au sol une curieuse pince à cheveux, n'aperçoit-elle pas une main cadavéreuse qui jaillit de dessous le placard de l'évier pour lui saisir le poignet ?

Bien sûr, la vérité est beaucoup plus complexe. Et, j'ai le regret de le dire, infiniment plus triste. "Deux Soeurs" est en fait une authentique tragédie grecque impliquant un fatum qui se manifeste, c'est vrai, essentiellement par le personnage de la belle-mère mais dont, bien qu'elle ne soit vraiment pas sympathique, elle n'est pas non plus la seule responsable. A la différence de Su-mi, le Destin, d'ailleurs, finira, lui, par avoir raison de cette marâtre qu'on est tenté de qualifier de modèle.

Si vous n'avez pas eu l'occasion de voir ce film à sa sortie, il y a quelques années, et même si le fantastique vous tente peu d'ordinaire, visionnez cependant ces "Deux soeurs" qui, sous quelques très belles paillettes d'épouvante classique, dissimulent une histoire superbe et sensible, remarquablement mise en scène, ce qui ne gâte rien.

Mais avant de vous installer dans votre fauteuil favori pour visionner la cassette ou le DVD, assurez-vous d'avoir bon moral : pareil film n'est pas recommandé aux dépressifs. D'autant qu'il faut avoir le bonus du deuxième DVD pour entendre un psychiatre coréen (du Sud) nous affirmer que, finalement, tout cela se termine de façon positive.

PS : le trio d'actrices est remarquable : Im Soo-Jung dans le rôle de Su-mi, Moon Geun-Young dans celui de Su-Yeon et Yeom Jeong-A dans celui de Eun-Joo, la belle-mère.

                      

jeudi, avril 26 2007

Greed (Les Rapaces) - Erich Von Stroheim.

Affiche américaine - l'une de celles qui apparaissaient sous verre, à l'entrée des cinémas. Zasu Pitts sur son or.

Quiconque ne connaît pas l'oeuvre d'Erich von Stroheim en tant que metteur en scène passe à côté d'un trésor inégalé.

Blind Husbands et le plan de l'araignée à l'affût qui symbolise l'amant potentiel de l'héroïne ; Foolish Wives où Stroheim fait jeter son propre personnage (évidemment infâme) dans un égout en plan final ; La Veuve Joyeuse avec la maîtresse de Hearst, Marion Davis (pas si mauvaise que ça, d'ailleurs) et John Gilbert, adaptation certes mais qui porte aussi la marque érotico-sadique du réalisateur ; Queen Kelly avec Gloria Swanson, financé par Joseph Kennedy mais qui ne fut jamais achevé ... autant de joyaux absolument uniques.

Mais pour Stroheim, son chef-d'oeuvre, c'était "Greed" qui, primitivement, durait la bagatelle de 9 heures et que, dans un premier temps, le cinéaste accepta de ramener à ... 6 heures de projection. Jusqu'à ce que, perdant patience et affolé par les dépassements de budgets pour lesquels Stroheim était célèbre - pour Greed, il tournait notamment les scènes dans un ordre similaire au découpage du roman de Frank Norris et exigeait une fois de plus que tous les éléments du film, matériel, décors, etc ..., fussent vrais (dans Folies de Femmes, il fit recommencer une scène parce que la sonnette dont devait se servir un personnage ne tintait pas) - Irving Thalberg, qui avait déjà eu maille à partir avec le grand réalisateur lorsqu'ils travaillaient tous deux pour Universal, prit sur lui de refaire montage et découpage.

Résultat : 2 h 30 de projection. Seulement.

Commentaire de Stroheim pour qui ses films étaient comme ses enfants : « Je pense n'avoir fait qu'un seul vrai film dans ma vie et personne ne l'a vu. Les quelques malheureux lambeaux subsistants ont été présentés sous le titre Les Rapaces. »

La splendeur de ce film tourné en noir et blanc et au beau temps du muet tient à sa symbiose exceptionnelle entre le réalisateur et les acteurs. Gibson Gowland, qui interprète le rôle du héros principal, Mc Teague (qui donne aussi son titre au roman de Norris), est plus brute que nature. Zasu Pitts est stupéfiante dans son rôle de Trina, d'abord jeune fille timide, qu'un rien apeure, puis femme à la sexualité complètement détraquée par une union mal assortie et qui se réfugie dans l'amour de l'or, cet or qu'elle n'arrête pas, étendue le plus souvent sur son lit (détail ô combien évocateur mais que la censure ne remarqua pas), de frotter et de caresser dans la seconde partie du film. (Il faut dire que c'est sous son matelas qu'elle finit par cacher les 5 000 dollars qu'elle a gagnés à la loterie.)

Mention spéciale enfin à Jean Hersholt, interprète du premier fiancé de Trina, Marcus, qui poursuivra Mc Teague de sa haine jusque dans le désert.

En notre siècle où les cinéastes ont oublié ou ignorent que le meilleur moyen de rendre une oeuvre érotique, c'est de suggérer et non de montrer, on reste ébahi par l'extraordinaire puissance sexuelle de "Greed."

Il y a d'abord la scène fameuse du baiser que Mc Teague impose à Trina, anesthésiée sur le fauteuil du dentiste. Le chlorophorme assimile ici la jeune fille à un cadavre et Mc Teague à un violeur et à un nécrophile en puissance.

Moins connue, la première entrevue de Mc Teague avec sa fiancée qui vient le chercher à la gare. Là encore, il l'embrasse fougueusement. Mais Stroheim, avec une rare maîtrise, zappe brutalement et se contente, diabolique, de nous donner un plan des jambes des personnages : Mc Teague est si grand et si costaud que, pour pouvoir embrasser Trina, il est obligé de l'amener à sa hauteur. Du coup, on voit les jambes de la jeune fille se débattre dans le vide, à hauteur presque des genoux de son futur époux.

Pour la nuit de noces, rien d'éclatant, là encore. Mais le spectateur peut presque toucher la terreur de Trina et la façon dont Mc Teague ferme les rideaux du lit a quelque chose d'insoutenable et d'hypnotique, qui me fait toujours penser au Dr Caligari se retirant avec César, son medium.

Sur la sexualité de Mc Teague, qu'il impose à sa femme, Stroheim nous donne une autre indication, mais alors que le couple se défait : Trina, qui sombre dans la folie, refuse de donner de l'argent à Mc Teague et celui-ci lui mord les doigts.

Pour le résumé de l'intrigue de Greed voyez ici celui de Philippe Serve.

C'est complet et vraiment excellent.

Pour les littéraires, je précise que Frank Norris, l'auteur de Mc Teague, était un émule d'Emile Zola et que son roman se voulait naturaliste. Stroheim y fut fidèle, notamment dans la fameuse scène du banquet de mariage, où les invités mangent avec les doigts. Quant à la scène finale, celle que Stroheim alla filmer dans la Vallée de la Mort, par 50° de chaleur, elle est bien digne de la noirceur de L'Assommoir.

jeudi, avril 5 2007

L'Armoire Volante - Carlo Rim.

C'est probablement le film le plus curieux qu'ait tourné Fernandel. Comme on le sait, le physique de celui-ci l'avait enfermé dans des rôles essentiellement comiques, du pire comme le piou-piou de ses débuts au plus savoureux comme les films de Carmine Gallone où il donne la réplique à un Gino Cervi-Peppone plus vrai que nature.

Fernandel, c'est aussi l'admirable interprète de Pagnol qui lui écrivit maintes fois des rôles où les aspiratons tragiques du comédien trouvaient enfin à s'exprimer : "Le Schpountz", "Naïs", "Angèle", le deuxième "Topaze", etc ... Ou encore le héros de "Meurtres" ou du "Voyage du Père." Mais plus jamais il ne devait incarner un héros similaire à Alfred Puc, le percepteur parisien qui vit avec sa tante, Léa Lobligeois (Berthe Bovy, remarquable) et n'a, il faut bien l'admettre, aucune vie propre en dehors de sa perception et de cet appartement tranquille qu'il partage avec la vieille dame.

Or, un jour, alors que la température hivernale se fait de plus en plus froide, Mme Lobligeois se met en tête d'aller récupérer des meubles dans sa maison de Clermont. Nous sommes dans l'immédiate après-guerre (le film fut tourné entre mars et juin 1948), on parle encore de marché noir, les camions ferraillent à petite vitesse sur les routes quasi désertes comme ils ne pourraient plus le faire aujourd'hui et les concierges sont encore toutes puissantes.

En dépit des supplications de son neveu, qui redoute pour elle un voyage de ce genre, dans un camion pourri et par une température au-dessous de zéro, la tante Léa met son projet à exécution. Bien que, de toute la journée, elle n'ait cessé de tousser et de s'étrangler entre les deux déménageurs qui l'accompagnent, elle n'exige pas moins de ceux-ci, à leur arrivée à Clermont, qu'ils chargent sans plus attendre ses meubles et c'est à peine si elle leur laisse un minimum de repos pour mieux repartir à l'aube vers Paris.

L'inévitable finit évidemment par se produire : dans un ultime hoquet - et dans la cabine du camion ;o) - tante Léa rend son âme à Dieu, au grand dam de ses deux compagnons qui, pour éviter les ennuis, décident non pas de demander de l'aide aux deux gendarmes soupçonneux qui, comme surgis de nulle part, veulent voir leurs papiers mais de renvoyer le corps chez lui, à Paris.

Pour plus de commodité, un déménageur - celui que toucher un mort ne révulse pas - installe le cadavre dans l'armoire à glace chargée dans le fourgon.

Arrivés à Paris, les deux hommes se précipitent à toutes jambes chez Alfred Puc, lequel est tout heureux de revoir sa bonne tante et ils lui apprennent la triste nouvelle. "Elle est morte de froid !" lui assènent-ils - et il faut voir ce que les comédiens tirent alors comme effet de ce dialogue surréaliste. Mais, quand ils redescendent sous les yeux soupçonneux de la concierge, l'horrible Mme Couffignac (irrésistible Germaine Kerjean, figure centrale d'un trio de commères que les éclairages de Nicolas Hayer transforment plus d'une fois en Parques affamées), c'est pour constater que des malfaisants ont volé le camion et son chargement.

Le malheureux Alfred, qui a besoin de faire constater légalement la mort de sa tante, passera tout le film à rechercher l'armoire et le cadavre.

Mais dans ce film étrange, dont les ombres et les lumières, les personnages aussi, évoqueront au cinéphile certains films de Cocteau, le "Liliom" de Fritz Lang et, bien sûr, tout l'univers onirique des Surréalistes, c'est la fin qui reste la plus insidieuse, la plus ambiguë - et certainement la plus noire. De Fernandel, proprement inquiétant lorsqu'il ne tient pas son habituel rôle de comique, jusqu'aux salutistes qui récupèrent l'Hôtel des Innocents - hôtel de passe où l'armoire échoue un temps - en passant par le ballet des déménageurs, transportant par les étages les 17 armoires que, faute de savoir laquelle est la bonne, Puc s'est vu obligé d'acheter en gros dans une vente aux enchères, tous et tout apparaissent insolites et comme distordus, brouillés, énigmatiques. Et c'est en forçant à peine qu'on trouverait à "L'Armoire Volante" une ambiance digne de l'Expressionisme allemand.

Une curiosité du cinéma français, à voir et à revoir pour ne pas en perdre une miette.

Affiche pour "L'Armoire Volante."