Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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Terry Pratchett

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lundi, octobre 29 2007

Carpe Jugulum - Terry Pratchett.

Carpe Jugulum Traduction : Patrick Couton

Vingt-quatrième volume des "Annales du Disque-Monde", "Carpe Jugulum" nous rappelle tout d'abord que le sens politique du roi Vérence de Lancre risque de le conduire à la catastrophe plus souvent qu'à son tour. En effet, n'a-t-il pas commis la bévue - intolérable pour un monarque en charge d'un pays et de son peuple - de convier le comte Margopyr (et tout son clan) au baptême de sa fille ?

Or, le comte Margopyr est un vampire. Et tout le monde sait - sauf Vérence - qu'il ne faut jamais, mais alors là JAMAIS, inviter un vampire chez soi ...

Un vampire "nouvelle vague", soit. Mais en un sens, n'est-ce pas bien pire que le vampire classique ?

Aussi moderne mais bien plus pragmatique que le malheureux Vérence qu'il place tout de suite sous sa domination mentale, le comte entend transformer le royaume de Lancre en une espèce de vaste enclos à bétail (pour ses enfants, Vlad et Lacrymosa, dite "Cricri", les humains ne sont d'ailleurs que cela : du bétail) où lui et les siens viendront se servir ponctuellement. Pour ce clan draculesque, Lancre ne sera d'ailleurs pas la première réserve de nourriture de ce type : grâce à ses méthodes, totalement révolutionnaires pour un être de son espèce, il faut bien l'admettre, il s'est ainsi constitué tout un cheptel humain dont les files d'attente devant les vampires venus se restaurer ne sont pas sans évoquer certaines images historiques tristement précises.

C'est que, depuis que ses enfants étaient tout jeunes, le comte leur a appris à appréhender sans peur l'intégralité des moyens de défense classiquement utilisés contre ceux de leur espèce. Aussi les verra-t-on se gaver sans crainte aucune des petits friands à l'ail que Nounou Ogg, pour tenter de restreindre les dégâts, fera distribuer à la grande réception donnée en l'honneur du baptême de la petite princesse Esméralda de Lancre et où apparaissent pour la première fois les Margopyr.

Il n'est pas jusqu'à Nounou elle-même qui, en présence directe des vampires, ne finisse par les trouver charmants et respectables. Traînée hors du château cependant par une Agnès qui, elle, s'est vu courtisée par le fils aîné du comte, le séduisant Vlad Margopyr, Nounou retrouve bien entendu ses esprits. Mais que peuvent les deux sorcières, même assistées de Magrat, qui les rejoint avec la petite Esmé sous le bras, contre la puissance mentale des vampires "nouvelle vague" ?_

_Rien, ou pas grand chose bien qu'Agnès, toujours protégée en son for intérieur par son double, "Perdita", parvienne heureusement à conserver la maîtrise de sa volonté. Ah ! si seulement Mémé Ciredutemps était là ! ...__

Mais justement, Maîtresse Ciredutemps, ayant cru qu'on la méprisait désormais et qu'on ne lui avait envoyé aucune invitation pour le baptême (les pies envoyées en éclaireur par le comte Margopyr ont subtilisé la belle invitation dorée sur tranche que Shawn Ogg, homme à tout faire chez Vérence, avait coincé dans la charnière de la porte de la chaumière) s'est mise en route vers les montagnes pour s'y mettre en retraite.

Lancre est-il perdu ? Nounou Ogg se fera-t-elle vampiriser par les Margopyr ? Agnès succombera-t-elle malgré tout à la séduction de Vlad ? La reine Magrat et la petite princesse seront-elles sauvées d'un destin horrible ? ...

... Oui, bien sûr. Mais pas avant que leur créateur ne nous ait entraînés sur ses chemins favoris, nous présentant au passage Igor, le serviteur traditionnaliste des Margopyr, qui rouille soigneusement les gonds des portes pour qu'elles produisent les plus affreux grincements, et qui finira par descendre chercher l'ancien comte dans son caveau pour que celui-ci - le Vampire aristocrate et plein de panache de la légende - revienne dire leurs quatre vérités à ses neveux et nièces. (Des Igor - les Igor se ressemblent tous - on en retrouvera toute une tripotée dans "Le Cinquième éléphant.")

Autre personnage que Pratchett s'attache à nous faire connaître : le Tout à fait Révérend Rudement Lavoine, prêtre d'Om (le nouvel Om, celui d'après "Les Petits Dieux") qui finira par trouver sa voie après avoir soutenu Mémé Ciredutemps dans son long voyage vers l'Uberwald, patrie des Margopyr, qu'elle doit atteindre pour venir à bout des vampires.

Un livre époustouflant, qui gagne à être relu même si la gravité y est peut-être plus présente que partout ailleurs chez Pratchett. Il est vrai que, depuis le temps qu'il la connaît, le lecteur est si attaché à Mémé Ciredutemps que, chaque fois qu'elle souffre, il ne peut s'empêcher de souffrir avec elle. Et, dans "Carpe Jugulum", on frémit vraiment pour elle.

Bonne lecture ! Vous ne la regretterez pas. ;o)

Le Dernier Continent - Terry Pratchett.

The Last Continent Traduction : Patrick Couton

Le Bibliothécaire de l'Université de l'Invisible est malade ! Le Bibliothécaire a la grippe ! Et forcément, c'est une grippe un peu bizarre puisque le virus qui l'a provoquée n'a pu échapper aux émanations thaumiques* de la Bibliothèque. Ce qui explique pourquoi, outre la goutte au nez et la fièvre habituelle, le malheureux Bibliothécaire, à chaque éternuement, trouve le moyen de changer de forme. Tantôt il se mue en fauteuil, tantôt en livre (normal, pour un bibliothécaire, me direz-vous ;o) ) mais il parvient tout de même à conserver sa couleur rousse et même sa fourrure.

Comme le fait remarquer l'archichancelier Mustrum Ridculle, avec son bon sens si caractéristique : "C'est déjà ça !"

De discutaillage en prise de bec, les mages finissent par tomber d'accord : le seul moyen de faire retrouver sa forme originelle au Bibliothécaire, c'est de se livrer à quelques petites manipulations magiques. Mais, pour ce faire, il est impératif de posséder le nom du patient. Or, le Bibliothécaire s'est depuis si longtemps transformé en orang-outang (Cf. "La Huitième Couleur" du même auteur) et tant de mages sont morts depuis cette lointaine époque (dans leur lit ou pas) que personne, dans l'Université actuelle, ne sait plus quel était ce nom.

En fait, le seul mage qui pourrait le révéler, ce fameux patronyme, c'est ... Rincevent. Or, ainsi qu'il a été expliqué dans "Les Tribulations d'un Mage en Aurient" (toujours du même auteur ;o) ), un mauvais calcul établi par ses collègues de l'UI a expédié le pauvre Rincevent de l'Empire agatéen, où il avait superbement tenu son rôle de contre-héros, au continent XXXX. Du moins les mages le supposent-ils. Plus ils regardent dans leur boule de cristal le malheureux se débattre au sein d'un désert de sable rouge et brûlant, plus ces messieurs sont convaincus qu'il s'agit bien du Dernier continent. Du coup, à près de deux heures du matin, ils partent se renseigner sur le continent auprès de l'un de leurs confrères, spécialisé en géographie.

Mais la chambre de ce dernier est vide, pour l'instant. Vu les bruits natatoires (comme dirait Achille Talon) qui sortent de sa salle-de-bains, on peut penser qu'il se détend un peu. Perdant patience comme toujours, Ridculle ouvre la porte de la salle-de-bains et ...

Et ainsi s'ouvre l'un des voyages dans le temps et l'espace les plus farfelus qui aient jamais été écrits. Les amateurs du "temps en boucle" apprécieront tout particulièrement. Quant au lecteur ... Ma foi, en ce qui me concerne, ça passe mieux quand je le lis à haute voix. Sinon, j'ai un peu l'impression de ne pas suivre aussi allègrement que d'habitude. Certes, l'humour est toujours là, faisant alterner des trouvailles étincelantes (les interventions de Mme Panaris, le Bagage en travesti par allusion au très beau "Priscilla, folle du désert" et sans doute le premier dieu carrément athée de l'Histoire de la Littérature universelle) avec des plaisanteries un peu plus banales et parfois plutôt lourdes (la tonte des moutons en Australie et l'intermède à la "Mad Max").

En tous cas, si Rincevent s'embarque bel et bien à la fin de l'ouvrage avec tous ses collègues pour regagner (enfin !) l'UI, il aura dû promettre au Bibliothécaire, entretemps guéri et bien résolu à conserver sa forme anthropoïde, de ne jamais révéler le nom qui fut jadis le sien. ;o)

* : le thaum est l'unité de mesure de la Magie. Il est courant pour un mage de se promener avec un thaumomètre plus ou moins déglingué dans sa poche.

jeudi, octobre 25 2007

Le Père Porcher - Terry Pratchett.

Hogfather Traduction : Patrick Couton

Apparus, eux et leur arrogance, dans "Le Faucheur" - volume où ils tentaient en vain de mettre la Mort à la retraite - les "Contrôleurs" du Multivers décident cette fois-ci de se débarrasser du Père Porcher, équivalent discal de notre Père Noël.

Pour ce faire, ils demandent à M. Sédatiphe, Maître de la puissante Guilde des Assassins d'Ankh-Morpork, de confier cette mission ô combien surprenante, à son meilleur élément. Mais, conscient de ce que l'idée d'assassiner le Père Porcher présente de gênant, Sédatiphe s'adresse en fait au plus tordu des membres de la Guilde - et aussi, il faut bien le dire, le plus méprisé par ses pairs : M. Leureduthé.*(Pourquoi méprisé ? Parce qu'il tue pour le plaisir : une honte pour la Guilde tout entière.)

Pendant ce temps, la Mort, qui a de bonnes raisons de se méfier des "Contrôleurs", a vent de ce projet insensé et décide de le contrer. Mais le Père Porcher, en principe, c'est une "affaire humaine." Aussi la Mort va-t-il partir en campagne pour que sa petite-fille, Suzanne Sto-Hélit (déjà rencontrée dans "Accros du Roc" et depuis devenue gouvernante chez les Guêtre) s'en mêle.

Il y va tout d'abord en douceur en laissant la Mort-aux-Rats et le Corbeau annoncer à la jeune fille que son grand-père est devenu fou. Comme Suzanne, fine mouche, refuse tout d'abord d'accorder du crédit à ce qu'elle tient pour des ragots sans fondement, la Mort, habillé en Père Porcher et flanqué d'Albert, son fidèle serviteur, déguisé pour la circonstance en "lutin du Porcher", déboule en personne dans la cheminée où les chaussettes des petits Guêtre attendent leurs cadeaux.

Là, bien entendu, Suzanne se dit qu'elle doit effectivement agir.

Le vingtième volume de la saga du Disque-Monde est inénarrable. Si le début, avec Lereduthé, en est peut-être un peu laborieux, le reste prend très vite de la vitesse avec les croquemitaines que Suzanne chasse impitoyablement à coups de tisonniers de dessous les lits des enfants, la découverte des "comptes-vies" des dieux et des entités dans la maison de la Mort, la disparition mystérieuse de Violette (l'une des nombreuses fées des dents car, sur le Disque, elles sont plusieurs à récolter les dents de lait), l'inoubliable visite de la Mort-Père Porcher aux Grands Magasins Crassèque où il entreprend de distribuer gratuitement les cadeaux souhaités à des enfants mi-effrayés, mi-ravis, diverses apparitions inattendues comme celle du Gnome des Verrues, du Mangeur de Chaussettes, de l'Oh-bon-dieu des gueules de bois et de la Fée Bonne Humeur ainsi que l'Université de l'Invisible au grand complet (bibliothécaire, archichancelier, doyen, Cogite Stibon et même Sort, l'ancêtre de nos ordinateurs, qui finira lui aussi par écrire sa lettre au Père Porcher).

C'est délirant tout en trouvant le moyen, une fois de plus, de poser pas mal de questions intéressantes. C'est, à mon avis, l'un des meilleurs de toute la série. Alors, n'hésitez pas une seconde : lisez-le !

* : prononcez Le-Re-Dou-Té, SVP. Sinon, il se vexe. Et attention : c'est un vrai psychopathe, celui-là : il ne plaisante pas ! ;o)

Pieds-d'Argile - Terry Pratchett.

Feet in Clay Traduction : Patrick Couton

Dans le dix-neuvième volume des "Annales du Disque-Monde", Pratchett a repris à son compte la très ancienne légende juive du Golem. Mais bien entendu, à Ankh-Morpork, il n'y a pas qu'un seul golem. Cette "chose" comme l'appellent trop de profiteurs, est d'un trop bon rapport pour qu'on n'ait pas eu l'idée d'en fabriquer un certain nombre jusqu'à ce que certains prêtres se fâchent - non parce que le golem travaille 24h/24 pour aucun salaire, je vous rassure tout de suite - mais parce que vouloir créer comme les dieux, c'est évidemment un blasphème.

Façonné en argile, le golem ankh-morporkien ne parle pas : il dispose d'une ardoise sur laquelle il écrit en calligraphie très soignée d'ailleurs. Sa tête est creuse et, à l'intérieur, on y trouve son chem, c'est-à-dire les mots-ordres qui le font agir. Comme le dit Angua, le golem n'est même pas un mort-vivant, c'est un non-vivant, un objet, il n'a pas d'âme.

Voire ...

Toujours est-il que le père Tubelcek, un vieux prêtre passionné par l'Histoire des religions, est retrouvé assassiné avec de l'argile blanche sous les ongles. Ensuite, c'est le tour du conservateur du Musée du Pain de Nain, M. Hopkinson, qui est tué à coup de pain de nain* - le discours de protestation qu'il élève au bénéfice de la Mort sur le fait qu'il ne peut pas encore mourir tant il lui reste de choses à faire vaut d'ailleurs le détour.

Du côté du Guet, tandis que l'agent Hilare Petitcul, ex-alchimiste expulsé de la Guilde pour avoir osé faire sauter ses bureaux, fait son apparition dans l'équipe, plein d'angoisse à l'idée qu'on puisse se livrer aux plaisanteries habituelles sur son nom de famille ;

Tandis que le sergent Détritus traque impitoyablement les trolls dealers de "dalle" ;

Tandis que l'agent Angua panique à l'idée qu'un jour, elle sera bien obligée de quitter Carotte parce que ceci ... et que cela ...

Tandis que le caporal Chicque, complètement abasourdi par la chose (on le comprend) se découvre une ascendance qui remonte aux comtes d'Ankh ;

Tandis que le sergent Côlon lit "La Saillie des Animaux" en envisageant une retraite paisible à la campagne

Et tandis que le capitaine Carotte déambule toujours avec autant de charisme dans tous les quartiers de la ville - y compris les plus mal famés - en appelant le plus humble des mendiants par son petit nom,

Le commissaire divisionnaire Samuel Vimaire, après un détour (ordonné par son épouse Sybil) au Collège Royal Héraldique d'Ankh-Morpork afin d'y récupérer son propre blason - ce qui s'avérera impossible parce que l'un des ancêtres de Vimaire, dit Face-de-Marbre, n'est autre que celui qui coupa le col au dernier roi connu de la ville - se rend à son rendez-vous chez le Patricien.

Qu'il retrouve inanimé et en très mauvais état, sur le sol de son bureau : après enquête, il semble que le Seigneur Vétérini ait absorbé une certaine dose d'arsenic ...

Mais qui oserait ? ... Les chefs des principales Guildes ? Ou ... quelqu'un d'autre ? ... Et si oui, pourquoi ?

Eh ! bien, pour tout dire, l'enquête - car il s'agit bien d'une enquête - est passionnante. Il est difficile de s'arracher à ce livre dans lequel, une fois de plus, Pratchett mêle astucieusement humour (à quel sexe appartient réellement le caporal Petitcul ? les réactions du caporal Chicque, convié à une réception des plus aristocratiques, sont-elles dignes du "Parfait manuel du savoir-vivre" ? le capitaine Carotte est-il aussi naïf qu'il en a l'air ? Jacquot Cerceau est-il vraiment le meilleur médecin d'Ankh-Morpork ?) et questions plus graves (la façon indigne dont sont traités les golems, l'hypocrisie des classes dirigeantes, l'athéisme et la foi).

En hors-d'oeuvre, vous sont présentées en première page les armoiries des plus célèbres familles ankh-morporkiennes. Le boeuf qui soutient en partie celle des comtes d'Ankh aurait, selon l'auteur, une expression typiquement "chicardienne". Donc, si ça vous dit de savoir à quoi ressemble le caporal Chicque, n'hésitez pas et jetez-vous sur "Pieds d'Argile." ;o)

* : Cf. tous les autres volumes de la série, merci. ;o)

mercredi, septembre 5 2007

Masquarade - Terry Pratchett.

Maskerade Traduction : Patrick Couton

Depuis que Magrat Goussedaille est devenue l'épouse de Vérence II de Lancre et, par voie de conséquence, souveraine légitime de ce pays, Mémé Ciredutemps n'est plus la même et sa vieille amie, Nounou Ogg, s'inquiète. Assurément, Mémé déprime. Dans le fond, elle l'aimait bien, la petite Magrat. Dans le fond, celle-ci avait raison quand elle disait que les sorcières devaient toujours se promener par trois.

Mais au fait, n'y a-t-il pas la petite Agnès Crettine, qui voulait prendre "Perdita" comme nom magique et qui, incontestablement, possède le don ? Aussitôt pensé, aussitôt fait, Nounou se précipite chez les Crettine pour apprendre que Agnès, lassée de la routine lancrienne, vient de partir pour Ankh-Morpork afin d'y passer des auditions. (Outre son don pour la magie, Agnès possède aussi une voix véritablement fabuleuse, de très beaux cheveux et un caractère en or.)

D'abord déçue, Nounou sent l'angoisse la gagner lorsque, pour satisfaire au vieil usage local, elle se penche sur la tasse de thé de Mme Crettine pour y lire le langage du marc : une tête de mort y est bien visible, planant comme qui dirait sur Agnès !

Motivées autant par le désir bien réel de "venir en aide à une fille de chez nous" que par celui, chez elles éminent, de l'action, Mémé et Nounou - celle-ci transportant avec elle son chat Gredin dont je ne sais trop si vous vous rappelez l'extraordinaire tempérament de mâle - se mettent en route vers Ankh-Morpork, non en balais mais en diligence - de véritables morceaux d'anthologie, ces voyages en diligences dont le premier leur permet de faire connaissance du grand ténor Enrico Basilica.

Pendant ce temps, Agnès a été admise dans les choeurs de l'Opéra d'Ankh-Morpork - les choeurs seulement parce que, question physique, hélas ! la nouvelle recrue souffre d'un surpoids fâcheux. Avec mission de "doubler" la vedette que désire lancer le nouveau directeur des lieux : Rarement Baquet. La vedette est jeune, mince, blonde, jolie, sotte comme un étourneau et ne sait pas chanter. Mais qu'importe le ramage en cette histoire de plumage puisque, dans les choeurs, celui d'Agnès - pardon, de Perdita, son nom de scène - peut secourir n'importe quelle cantatrice défaillante ...

Et Agnès-Perdita, qui, pour être obèse comme le souligne aimablement l'un des personnages n'en est pas moins très intelligente, s'est aussi aperçue que, à l'Opéra, il y a beaucoup de choses qui ne tournent pas rond. D'abord - ce qui est fort ennuyeux - il y a un fantôme, en habit de soirée et masque blanc et tout et tout et à qui l'on réserve la loge 8.

Un fantôme à l'Opéra d'Ankh-Morpork ! Vous imaginez ??? ;o)

Fort astucieusement intitulé "Masquarade", ce dix-huitième volume de la saga discale déborde d'idées, d'humour et aussi d'humanité. Surtout, surtout, ne ratez pas les passages relatifs au best-selle rédigé par Nounou Ogg - ou plutôt par "Une sorcière de Lancre" puisque tel est son nom de plume - et qui s'intitule : "Les Plaisirs de la Chère." Le repas qu'elle concocte à un certain moment pour les membres directeurs de l'Opéra désireux d'obtenir les espèces sonnantes et trébuchantes que leur a promises "dame Esmeralda Ciredutemps", avec son dessert au chocolat sauce surprise est un moment que le lecteur oublie difficilement.

PS : cependant, si vous aimez beaucoup l'opéra et si vous n'avez aucun sens de l'humour, mieux vaut peut-être que vous ne lisiez pas "Masquarade" ... ;o)

dimanche, septembre 2 2007

Les Tribulations d'un Mage en Auriant - Terry Pratchett.

Interesting Time Traduction : Patrick Couton

Quand le seigneur Vétérini, tout puissant Patricien d'Ankh-Morpork, invite quelqu'un à prendre le thé, la personne en question sait bien qu'il ne s'agit là que d'une figure de style et se rend à la convocation sans coup férir, même si elle n'est autre que l'Archichancelier de l'Université de l'Invisible. Mustrum Ridculle apprend donc ainsi qu'un mystérieux message, réclamant à grands cris "le Grand Maje", est arrivé le matin même de l'Empire Agatéen, porté par une espèce d'albatros au caractère particulièrement teigneux.

Sommé de retrouver illico presto "le Grand Maje" et de l'expédier tout aussi rapidement de l'autre côté de la Grande Muraille derrière laquelle le premier Empereur Un-Miroir-Solaire a cru bon d'enfermer son pays, Ridculle demeure assez perplexe jusqu'à ce que le Bibliothécaire lui apporte, avec toute la révérence requise, le chapeau roussi de Rincevent, le mage le plus nul de tout le Disque-Monde jusque et y compris en orthographe puisque, sur le fameux chapeau en question, le malheureux avait jadis brodé le mot "MAJE".

En dépit de l'opposition du reste de l'UI - et notamment du Doyen, lequel conserve un souvenir détestable du Bagage, compagnon attitré de Rincevent - Ridculle, assisté de Cogite Stibon, le membre le plus "moderne" de toute l'équipe, créateur entre autres de la version discale du premier ordinateur, réintègre un Rincevent récalcitrant dans les murs de l'antique université avant de lui mettre le marché en mains :

"Ou bien vous nous aidez, mon vieux, à faire plaisir au Patricien et à régler cette histoire dont on ne sait rien dans l'Empire Agatéen, ou bien vous comparaissez devant le Tribunal de la Magie pour avoir osé vous parer du titre de "mage" - avec ou sans "j" - alors que, dans une confondante unanimité, vos capacités magiques n'ont jamais dépassé les 2%. En revanche, si vous réussissez, alors, nous vous ferons revenir et vous serez désormais mage à vie, sans avoir à augmenter votre pourcentage."

Et voilà comment débutent "Les Tribulations d'un Mage en Aurient" ou, plus précisément, dans un Empire qui évoque irrésistiblement les moeurs de la Chine impériale. L'Empereur actuellement au pouvoir - un vieux sadique complètement cinglé - y est moribond et le seigneur Hong, le plus intelligent des seigneurs de la Guerre qui attendent son trépas, ne vise qu'à l'assassiner afin de récupérer le pouvoir. Mais pas à n'importe quel prix, pas n'importe comment : il faudra que la responsabilité du meurtre repose sur les opposants au régime, l'Armée Rouge - moyenne d'âge : 8 ans - dont les slogans révolutionnaires sont tous dans le style : "Mort aux oppresseurs sans souffrances inutiles et avec le respect dû aux Ancêtres !"

Seulement l'Armée Rouge ne bougera pas tant que "le Grand Maje" qui, selon la légende, doit la mener à la victoire, ne se sera pas manifesté.

D'où le caractère primordial pour le seigneur Hong non seulement de faire débarquer Rincevent derrière la Grande Muraille mais aussi de l'y maintenir en vie jusqu'à ce que le meurtre de l'Empereur puisse lui être imputé, à lui et à ses troupes - évidemment noyautées par les espions de Hong.

Le Seigneur Hong n'ignore qu'une chose : c'est que, avec Rincevent, rien ne se passe jamais comme l'ont prévu ses ennemis ...

Le dix-septième volume des Annales du Disque-Monde, qui ne plaira qu'aux inconditionnels de Pratchett, permet tout de même les retrouvailles entre Rincevent et Deuxfleurs, lequel se trouve, bien malgré lui, à l'origine de la légende des prodiges accomplis par "le Grand Maje" (cf. "La Huitième Couleur" et "Le Huitième Sortilège"), la réapparition de Cohen le Barbare, désormais à la tête de la Horde d'Argent (moyenne d'âge : 80 ans) et toujours aussi éperdu de stupéfaction devant les mystères de ce que l'on nomme "la civilisation" ainsi que l'union du Bagage avec "une" Bagage qui lui donne, si mes souvenirs sont exacts, trois petits bagageons avant que le malheureux "Grand Maje", à nouveau escamoté par ses collègues de l'UI, ne disparaisse dans un grand "pop" devant la populace impressionnée ... pour se retrouver, par une malencontreuse erreur de calcul de Sort, l'ordinateur de l'UI, sur le continent XXXX où nous le retrouverons prochainement, ne vous inquiétez pas. ;o)

samedi, août 25 2007

Le Guet des Orfèvres - Terry Pratchett.

Men at Arms Traduction : Patrick Couton

Dans "Au Guet !", dame Sibyl Ramkin, tombée amoureuse folle du capitaine Sam Vimaire, responsable du Guet de Nuit, avait offert à sa maigre escouade de nouveaux locaux dont elle était propriétaire, rue des Orfèvres. Ce qui permet à Terry Pratchett et à Patrick Couton, son traducteur, de nous offrir ce "Guet des Orfèvres" qui - outre un jeu de mots qui crève les yeux - constitue le quinzième volume des Annales du Disque-Monde.

Le Guet s'étant particulièrement distingué dans l'affaire du Dragon qui voulut être roi d'Ankh-Morpork a vu s'accroître ses effectifs. Une consigne primordiale à ce sujet : engager des volontaires appartenant à des minorités ethniques telles que les trolls, les nains ... et les femmes. (Dans tout le multivers, les femmes sont considérées comme une minorité ethnique, allez savoir pourquoi ...

Viennent donc d'être nommés au Guet des Orfèvres : l'agent Détritus (un troll qui a fait à peu près tous les métiers dans la ville et qui a même travaillé pour Planteur J.M.T.L.G. à Olive-Oued où il a rencontré la troll de sa vie, Rubis), l'agent Bourrico (qui appartient à l'espèce des nains et dont l'arme favorite est la hache de jet à double-tranchant) et enfin l'agent Angua (une superbe jeune femme à la crinière blonde qui, malheureusement, à la pleine lune, se transforme en louve). Le capitaine Vimaire l'a engagée en toutes connaissances de cause puisque le Patricien, le seigneur Vétérini - à qui l'on ne refuse jamais rien de crainte de ne plus rien avoir jamais à refuser à qui que ce soit - a insisté pour qu'on ne fît pas preuve de discrimination envers les loups-garous.

Mais le capitaine Vimaire restera longtemps le seul à connaître la double nature d'Angua.

Tandis que le jour du mariage de Vimaire - qui est aussi celui où il doit prendre sa retraite officielle - se rapproche, des événements étranges - enfin, vraiment étranges même pour Ankh-Morpork - se produisent ici et là. D'abord, une explosion. Bien entendu, tout le monde s'imagine que, pour la énième fois de son existence, la Guilde des Alchimistes vient de détruire ses locaux par accident. Mais non : l'explosion se situe au niveau de la Guilde des Assassins - laquelle voisine avec celle des Fous et Joyeux Drilles - et, en dépit des allégations glaciales du responsable des Assassins, le docteur Crucialle, il semble bien qu'un objet de grande valeur ait été volé dans le petit musée de la Guilde. Un objet étiqueté "FOUSI."

Puis, un Fou est retrouvé mort et Monsieur Cognejarret, l'un des plus habiles artisans nains, est assassiné dans son atelier. Ce qui provoque une émeute car, en raison d'une haine quasi millénaire, la communauté naine s'imagine tout de suite que le meurtrier est un troll. Heureusement, fidèle à son charisme, le caporal Carotte parviendra à redresser la situation.

Sans parler d'un quatrième cadavre que l'on retrouve dans les égouts et qui ... Mais je vous laisse la surprise. :polichap:

A une intrigue qu'il faut bien qualifier de policière, se mêlent le coup de foudre du caporal Carotte Fondeurenfensson (un nain, "techniquement parlant" mais frôlant physiquement les 2 m) pour Angua, la réapparition de Mme Cake, la medium que redoutent tous les clergés de la ville (et même d'ailleurs) et qui loue une chambre à Angua ainsi qu'à tous ceux qui, pour une raison ou pour une autre, sont tenus pour "non-morts" ou "morts-vivants" ou "vivants-morts" (rappelez-vous : nous avons déjà fait sa connaissance, comme celle de son esprit-guide, "Un-homme-seau", dans "Le Faucheur"), celle de Gaspode, le chien prodige revenu d'Olive-Oued, qui parle et qui donnera un sacré coup de collier à Angua et ses collègues ainsi que les relations pour le moins acerbes que Sam Vimaire le Roturier a commencé, par la force des choses, à nouer avec l'"élite" mondaine (et parfaitement débile) d'Ankh-Morpork.

Et puis, comment passer sous silence la belle histoire d'amitié qui se lie entre l'agent Détritus et l'agent Bourrico, qu'oppose la traditionnelle haine trolls-nains et qui finiront pourtant par former une équipe sensationnelle ? Ou encore le personnage certes anecdotique mais à la fois terrifiant et ... émouvant de Gros-Fido, chef de la Guilde des Chiens Errants ? ...

Bon, d'accord, j'ai tout de suite flashé pour le Guet, dès le premier volume de leurs aventures. Mais j'avoue que, de "Au Guet" jusqu'au "Cinquième Eléphant" (j'en ai d'autres sous le coude, je vous rassure), je n'ai jamais été déçue. Il y a là-dedans une humanité chaude et plaisante, sans rien de trafiqué, et quelques unes des meilleures créations de Terry Pratchett.

Donc, ne boudez pas votre plaisir mais, si possible, lisez les volumes dans l'ordre, ne serait-ce que pour mieux apprécier l'évolution (têtologique) psychologique des personnages. ;o)

vendredi, août 24 2007

Nobliaux & Sorcières - Terry Pratchett.

Lords & Ladies Traduction : Patrick Couton

Comme l'aurait clamé à cor et à cris Planteur J.M.T.M.G. au temps où il faisait des clics à Olive-Oued :

Elles vous ont déjà fait rêver, les revoici :

Mémé Ciredutemps, Nounou Ogg et Magrat Goussedail

dans

Nobliaux & Sorcières

Avec, dans se première apparition à l'écr ... dans la saga du Disque-Monde, Agnès Crettine, dite Perdita!

Etoile invitée : la Mort dans son propre rôle !

Scénario :

Retour de Genua où, aidées par Mme Gogol et le baron Saturday, elles ont mis fin à l'emprise de Lilith sur la cité et ses habitants, nos trois sorcières préférées et favorites regagnent leur pénates, au royaume de Lancre.

Une surprise de taille y attend Magrat : son éternel amoureux, le roi Vérence II, a pris le taureau par les cornes et vient de fixer la date de leur mariage en choisissant au passage - sans la consulter - la robe, les bijoux, et même le traiteur du gigantesque repas de noces. Des invitations dorées sur tranche ont été envoyées à toutes les sommités du coin et l'archichancelier de l'Université de l'Invisible, Mustrum Ridculle, en a même reçu une. (Immédiatement, il a désigné pour son escorte Cogite Stibon, le Bibliothécaire, le Doyen et le malheureux Econome que sa "maladie de nerfs" condamne à se shooter grave aux pilules de grenouilles séchées - une expèce de Xanax discal.)

Malheureusement, les sorcières s'aperçoivent aussi très vite que de jeunes imprudentes qui espèrent prendre la relève des "vieilles biques de sorcières" s'en sont montées jusqu'à un cromlech antique nommé les Danseurs et qui passe pour ouvrir une porte donnant sur le pays des elfes.

Il faut savoir que, sur le Disque-Monde, les elfes ne sont pas les personnages, malicieux mais en général assez aimables, qu'a mis en scène Shakespeare dans son "Songe d'une Nuit d'Eté", pièce avec laquelle l'intrigue de "Nobliaux & Sorcières" présente pourtant quelques analogies. Non, les elfes du Disque-Monde, sur lesquels règne la redoutable Reine des Fées, s'ils ont conservé leur traditionnel caractère joyeux, ne rient jamais aussi fort que lorsqu'ils torturent une proie ...

Et voilà que, par arrogance autant que par ignorance, Lucie Toquelet, qui s'est choisi comme nom de sorcière celui, bien plus éblouissant, de Diamanda), a ouvert la Porte. Elle en paiera d'ailleurs les fâcheuses conséquences et ne devra de conserver la vie qu'à Mémé Ciredutemps, qu'elle soufflette pourtant régulièrement du nom de "vieille femme complètement dépassée."

Voilà que les elfes, qu'on appelle aussi les Nobliaux, se répandent à Lancre, brûlant les fermes, saccageant à peu près tout sur leur passage sauf les lieux qui regorgent de fer car, pour un elfe, le fer est pire que la Mort.

Mais sous-estimer Mémé Ciredutemps, Nounou Ogg et même Magrat, laquelle se transformera inopinément en une étonnante guerrière casquée et corsetée de cotte de mailles, constitue toujours une très grave erreur, s'appelât-on Titania en personne ...

La première utilisera toutes les ressources de l'Emprunt* sur un essaim d'abeilles et entrera ainsi dans l'Histoire comme la seule sorcière à avoir accompli ce prodige. La seconde mettra à profit le goût profond qu'elle a eu - et conservé - pour le sexe pour réclamer au mari de la Reine des Fées, qui "a une grande défonceuse"** (= l'Obéron de Shakespeare) de ramener son épouse à la raison. Et la troisième n'hésitera pas à trucider tous les elfes qui s'opposeront à elle par la hache, l'épée, les lances - bref par le fer.

Et en prime, Terry Pratchett vous apprendra qui fut (et est resté) le Grand Amour de Mémé Ciredutemps ! *** ;o)

* : consulter à ce propos "La Huitième fille" et tous les autres volumes ayant Mémé Ciredutemps pour héroïne.

** : expression d'origine naine que la bienséance nous interdit de traduire et que nous confions donc à votre imagination.

*** : et pourquoi elle n'aurait pas eu un Grand Amour, Mémé Ciredutemps, hein

mercredi, août 22 2007

Les Petits Dieux - Terry Pratchett.

Small Gods Traduction : Patrick Couton

"Les Petits Dieux", qui porte le numéro 13 dans la saga des "Annales du Disque-Monde", est un livre tout à fait à part dans la série. Son thème central est en effet la Foi, sa nature et ce qu'elle peut faire de nous, selon que nous la possédons ou pas.

Ce n'est pas pour autant un ouvrage ennuyeux, bien au contraire. Disons simplement que, sous la ciselure des dialogues et l'habileté de l'intrigue, on y décèle de singuliers accents de gravité.

La religion catholique affirme que la Foi est une grâce divine. En termes moins pompeux, la Foi est un cadeau que la divinité dispense à certains mais attention ! non en fonction de leur statut social, du niveau de leur compte en banque ou du nombre de cérémonies religieuses auxquelles ils assistent, encore moins en fonction du nombre d'hosties dûment avalées après la traditionnelle confession du samedi. La Foi peut toucher n'importe qui, y compris un non-pratiquant, voire un agnostique. Et surtout, la Foi ne s'achète pas pas plus qu'elle ne se marchande dans ces prières que marmonnent tant d'entre nous dans l'espoir que le dieu qu'ils s'imaginent finira par leur "rapporter" quelque chose ...

La Foi est donc un phénomène singulier et terriblement embarrassant parce que viscéralement anti-conformiste.

J'ignore tout de la religion dans laquelle a grandi Terry Pratchett mais une chose est certaine : cet agnostique qui s'obstine à se déclarer athée semble parvenu à un raisonnement voisin.

Dans "Les Petits Dieux", le seul personnage à avoir la Foi - la vraie, celle qui ne se marchande pas, celle qui vous tombe dessus sans vous prévenir - est d'ailleurs le seul dont, malgré sa gaucherie, sa naïveté et sa bonté parfois désespérante, on ne peut pas se moquer longtemps. Il s'appelle Frangin, c'est un grand et gros garçon (ses condisciples le surnomment méchamment "le Boeuf d'Omnia"), qui ne sait ni lire ni écrire mais à qui une mémoire prodigieuse et une grand-mère sévérissime ont permis de retenir l'intégralité des Livres Saints d'Omnia.

L'action se situe en effet à Omnia, ville ou pays-citadelle tout entière dédiée au grand dieu Om, lequel est représenté depuis des siècles et des siècles sous la forme d'un Taureau-aux-cornes-d'or-piétinant-l'Infidèle."*

Le premier prophète à qui Om s'est révélé dans toute sa gloire - jaillissant d'un buisson ardent ou de quelque chose du même genre** - s'appelait Ossaire et avait erré une quarantaine de jours dans le désert, ne se nourrissant que des champignons (hallucinogènes) qui y poussent et de l'eau de cactées au goût d'urine. C'est à lui que Om avait donné ses Commandements - dont celui de sauver à tous prix l'âme des infidèles. Par la suite, toute une foule d'autres prophètes avaient accompli le même périple, mangé les mêmes champignons, bu la même eau et vu eux aussi, tout au haut d'une colonne de feu (ou de quelque chose d'approchant)*** le grand dieu Om qui, une fois de plus, leur avait dicté de nouveaux Commandements.

Enfin, tel est ce qui, depuis ce temps-là, se raconte dans les rues d'Omnia : le grand dieu Om est le Seul Vrai Dieu et Il S'exprime par la Voix de Ses Seuls Prophètes.****

Au sommet de cette théocratie, dirigée par le Cénobiarche (une espèce de pape, de grand rabbin ou d'ayatollah à demi-gâteux, vous voyez ce que je veux dire ... ;o) ), la Quisition sur laquelle règne l'Exquisiteur Vorbis et des légions d'inquisiteurs si dévoués au sauvetage des âmes qu'ils ne sauraient concevoir leur propre existence autrement que dans des cachots et des salles de torture où, pieusement, à grands renforts de couteaux et autres objets coupants, ils extirpent l'hérésie et le péché des corps des pécheurs omniens.

"Mazette !" me direz-vous. "Et Pratchett réussit tout de même à nous faire rire avec de telles horreurs ? ..."

Pour être franche, à ce moment-là, le rire est plutôt féroce et amer. Grâce à Om, pour contrebalancer la mauvaise influence que Vorbis et les siens tentent sournoisement d'avoir sur son ouvrage, Pratchett a donc apporté un soin tout particulier à nous dresser des dialogues comme celui-ci :

...... Or il advint qu'en ce temps-là, le grand dieu Om s'adressa à Frangin, l'Elu :

- "Pssst !"

Frangin s'arrêta au milieu d'un coup de binette et fit du regard le tour du jardin du temple.

- "Pardon ?" lança-t-il.

...

Frangin haussa les épaules et retourna à ses melons.

Oui-da, le grand dieu Om s'adressa à Frangin, l'Elu :

- "Pssst !"

Frangin hésita. Une voix lui avait bel et bien parlé de nulle part. Peut-être un démon. Le chapitre des démons mettait le maître des novices, Frère Nonroid, dans tous ses états. Les pensées impures et les démons. Les unes menaient aux autres. Frangin avait le sentiment désagréable d'avoir sûrement quelques démons de retard.

Une seule solution : garder son sang-froid et répéter les neuf aphorismes fondamentaux.

Une fois encore, le grand dieu Om s'adressa à Frangin, l'Elu :

- "T'es sourd, mon gars ?"

La binette tomba avec un bruit mat sur la terre brûlante. Frangin se retourna d'un bloc. Il ne vit que les abeilles, l'aigle et, à l'autre bout du jardin, le vieux frère Lou-Tsé qui fourchait rêveusement le tas de fumier. Les moulins à prières tournoyaient, rassurants, le long des murs.

Il fit le signe grâce auquel le prophète Ichquible avait chassé les esprits.

- "En arrière, démon !" marmonna-t-il.

- "Mais je suis en arrière !"

Frangin se retourna encore, lentement. Le jardin était toujours désert.

Il prit ses jambes à son cou. ... ...

Eh ! oui ! La Vérité - l'horrible Vérité - va bientôt se faire jour : submergée, étouffée par les "commandements" que ses soi-disant Prophètes (dont il ignore d'ailleurs qu'ils se sont proclamés tels après l'avoir rencontré dans leurs hallucinations désertiques), la Foi qui existait au début dans le grand dieu Om n'est plus. En tous cas, elle est moribonde. La masse des "croyants" omniens, théocrates compris, n'a plus foi qu'en une chose : la Peur. Peur de l'Enfer, peur des châtiments, peur de la Quisition, peur du Péché, peur de penser tout seuls, comme des grands, peur de ...

La Peur a extirpé le péché de la Foi.

Du coup, Om n'est plus un "grand dieu". Car, sur le Disque-Monde, c'est la Foi qui fait le dieu - et non le contraire, affirme Pratchett. Om le Terrible est désormais l'un de ces milliers de "petits dieux" perdus dans le désert, en quête ne serait-ce que d'un seul croyant bpourvu que celui-ci soit sincère.

Ainsi l'ex-grand dieu Om s'est-il mis en marche pour se trouver un nouvel Elu qui l'arrachera à sa misérable condition - Om gît désormais dans le corps d'une tortue borgne qu'un aigle traque pour son déjeuner - et lui rendra, par sa foi, une apparence digne d'un dieu.

Et l'Elu, c'est Frangin, simple novice dans les jardins de la Citadelle et amateur éclairé de jardinage, de binage et autres herborinages.

Mais la quête ne sera pas unilatérale. Si Om finit par transformer le novice un peu trop naïf en le meilleur prophète qu'il ait jamais eu, la réciproque est vraie : la gentillesse et l'humanité de Frangin vont transformer l'ancienne idole colérique et profondément égoïste en une divinité authentique, consciente non seulement de ses droits mais aussi de ses devoirs. C'est d'ailleurs parce qu'il veut à tout prix sauver Frangin de la mort horrible que lui a concoctée l'infâme Vorbis que Om, nouvelle version du Chronos des Anciens, se rappelle enfin que, même déchu, il est encore un dieu.

Face à l'ignoble et glacial Vorbis - dont la réacton première, à la vue de la tortue égarée dans le jardin de la Citadelle, sera de la déposer sur le dos, bien au soleil, en coinçant sa carapace avec de petits cailloux pour l'empêcher de se relever - Frangin pourra compter, outre sur son dieu, sur l'aide de Honorbrachios (= Bras d'Honneur), illustre philosophe éphébien, initiateur de la théorie qui voit le monde comme un disque porté par 4 éléphants, eux-mêmes soutenus par une tortue gigantesque se mouvant dans l'espace. Vorbis et son clergé qui, pour leur part, ne conçoivent qu'un monde idéalement sphérique ( = la sphère est la forme divine par excellence) ne supportent évidemment pas pareille hérésie et rêvent de s'emparer d'Ephèbe et d'y brûler la célèbre Bibliothèque.

Le soutiendront encore, parfois sans en avoir une conscience très nette, l'apprenti-philosophe Tefervoir, neveu de Honorbrachios et ingénieur de génie ainsi que le sergent Simonie, Omnien qui a vu sa famille massacrée au nom de la religion par les armées de Vorbis et qui, en conséquence, espère bien en tirer vengeance un jour ou l'autre et plutôt aujourd'hui que demain. Et bien sûr, la cohorte des autres dieux du Disque-Monde, depuis Io l'Aveugle, leur doyen, jusqu'à Petulia, déesse éphébienne des ... euh ... des péripatéticiennes (ou "messalines peintes", comme on dit à Omnia.)

Ah ! oui, notre ami la Mort fait bien sûr ses apparitions coutumières. La scène finale, où il donne sur Vorbis un avis aussi juste que sans appel, est, je crois, l'une des plus belles et des plus optimistes des "Petits Dieux."

Un roman bien plus profond qu'il ne veut le paraître et qui contribue à faire de Terry Pratchett un romancier d'un talent époustouflant. ;o)

* : vraiment, ça vous rappelle quelque chose ?

** : ça aussi, vous êtes sûr ?

*** : non, là, je crois que vous avez mauvais esprit. Jamais Terry Pratchett n'aurait osé ...

**** : puisqu'on vous dit que toute ressemblance avec tout culte existant ou ayant existé ne serait que pure et malencontreuse coïncidence .... ;o)

samedi, août 18 2007

Mécomptes de Fées - Terry Pratchett.

Witches Abroad Traduction : Patrick Couton

"Mécomptes de Fées", douzième tome de l'illustre saga des "Annales du Disque-Monde", est ainsi dédicacé :

Dédié à tous ceux qui - et pourquoi pas ? - après la publication de Trois Soeurcières, ont submergé l'auteur de leur version personnelle de La Chanson du Hérisson.

Pauvre, pauvre de moi ..."

"La Chanson du Hérisson", qui affirme pratiquement à chaque couplet que "le hérisson est le seul animal à ne pas pouvoir se faire met ***" est comme qui dirait, tous les aficionados de Pratchett le savent, l'hymne de Nounou Ogg, celle qui, dans le convent de sorcières créé par Magrat Goussedaille, symbolise la Mère. Un hymne qui va comme un gant à une femme qui a eu on ne sait plus trop combien de maris légitimes, toute une foule d'amants (eh ! oui, Nounou n'a pas toujours eu qu'une seule dent ... :wink: ), une pléthore d'enfants et une surpléthore de petits-enfants pour lesquels elle restera à jamais "Nounne."

Or, un ouvrage dédié à tous ceux qui ont eu l'idée ingénieuse de combler les vides dont Terry Pratchett, pour des raisons de censure évidente, s'est vu contraint de ponctuer un hymne aussi noble ne peut être qu'un bon livre. (Sauf aux yeux des fanatiques religieux de tous poils, bien sûr mais ceux-là n'ont pas droit de cité sur ce blog, c'est bien connu.)

La qualité de "Mécomptes de Fées" dûment établie, sachez que l'action commence à Genua, une ville qui rappelle beaucoup à vrai dire la Nouvelle-Orléans et, de façon générale, l'état du Mississipi. (A ceci près qu'on n'y croise pas d'Américains.) On y voit un individu qui ne peut être qu'un zombi planter un épouvantail dans les marais et, sous les ordres d'une femme à l'accent créole, le parer d'une queue de pie et aussi d'un beau chapeau-claque.

Puis nous revenons dans les montagnes du Bélier où Désidérata Lacreuse, sorcière doublée d'une marraine-fée de son état, se prépare à accueillir la Mort. A celui-ci qui décline poliment la tasse de thé qu'elle lui propose, Désiderata conte l'histoire d'une petite fille illégitime, prénommée Illon, et dont elle fut l'une des deux marraines-fées*. Illon est née à Genua justement et son autre marraine-fée, Lilith, a pour elle des projets que Désiderata, en dépit de son décès, entend bien réduire à néant.

Et c'est là que Désidérata place ce petit morceau d'anthologie - morceau d'anthologie pour tous ceux qui, comme moi, vénèrent la personnalité hors du commun de Mémé Ciredutemps :

... ... Faut que j'envoie (Mémé, Nounou et Magrat) toutes les trois à Guénua. Il le faut parce que je les ai vues là-bas. Faut qu'elles y aillent toutes les trois. Pas facile, avec des femmes pareilles. Faut user de têtologie.** Faut s'arranger pour qu'elles décident toutes seules d'y aller. Suffit qu'on demande à Esmé Ciredutemps de se rendre quelque part pour qu'elle refuse, par esprit de contradiction, alors dis-lui qu'elle ne doit pas y aller, et elle va y courir sur du verre pilé. C'est ça, le truc, tu vois, avec les Ciredutemps. Z'aiment pas s'avouer battues. ... ...

Gentiment diabolique, Désidérata a pris la précaution de léguer sa baguette magique (sa baguette de marraine-fée) à Magrat Goussedaille avec une lettre dans laquelle elle la charge d'aller protéger Illon à Genua mais surtout sans s'encombrer de Mémé et de Nounou, "qui bouzilleraient tout."

Et bien entendu, Magrat, mise hors d'elle par l'une des réflexions dont Mémé a l'habitude d'accabler sa gaucherie naturelle, finit par montrer le fameux message. Du coup, rien ni personne, pas même Io l'Aveugle, le plus grand des dieux du Disque-Monde en personne, ne saurait empêcher Mémé Ciredutemps d'accompagner Magrat à Genua, traînant dans son sillage une Nounou Ogg toujours d'aussi bonne humeur et qui, de son côté, a préféré emporter avec elle son chat, Gredin, de peur qu'il s'ennuie "loin de sa Môman."

"Conte sur les contes" comme le définit lui-même son auteur, "Mécomptes de Fées" jette sur les contes de notre enfance un éclairage tout-à-fait nouveau et des plus surprenants. La "bonne marraine-fée" y est en fait la mauvaise, celle qui veut imposer aux autres un destin dont ils n'ont que faire, ceci dans le seul but de se ménager le Pouvoir pour elle seule. Pour ce faire, elle n'hésite pas à "s'entraîner" sur des loups comme le fameux Loup du "Petit Chaperon Rouge", sur trois petits cochons à qui, un jour, elle donna l'envie de construire une maison - comme si les cochons avaient besoin d'une maison semblable à celles des hommes ...

Et comme toujours chez Pratchett, sous l'humour décapant - la transformation provisoire de Gredin en séducteur est l'un des moments les plus comiques de toute l'histoire - pointe une gravité que trop de ses lecteurs ignorent. Le monde de Pratchett est fou, c'est vrai, mais il est aussi très cruel, même si la chose se voit moins que dans le nôtre. Pas plus sur le Disque-Monde que sur notre bonne vieille planète bleue, il n'est recommandé de jouer avec le Destin, faute de voir celui-ci se retourner contre vous, ainsi que l'apprendra trop tard l'orgueilleuse Lilith dont je vous laisse découvrir les liens de parenté avec ...

Avec quelqu'un. Voilà.

Côté dialogues, c'est du délire mais c'est aussi un régal. Nounou Ogg boit toujours autant - et vous constaterez que l'absinthe n'a guère d'effet sur des sorcières bien nées. Mémé Ciredutemps se refuse à dormir dans un lit autrement qu'en conservant ses solides bottines, "pour ne pas avoir froid la nuit" - et en plus, elle ronfle. Gredin est probablement le seul chat du Multivers capable de s'offrir un vampire au repas et de ne pas s'en sentir plus indisposé que ça. Enfin, ne manquez pas la ferme qui tombe du ciel sur ... Nounou Ogg, laquelle a, pour ce voyage, étrenné une toute nouvelle paire de bottines couleur rubis.

Il y a aussi un chemin de briques jaunes et des nains, des bateaux à aube et des tricheurs professionnels qui ont le malheur de confondre Mémé Ciredutemps avec une pauvre petite vieille incapable de distinguer un oignon d'une andouille (cf. le jeu de Monsieur-l'oignon-l'andouille) et puis un zombi nommé le baron Saturday, un grand-duc d'une beauté extraordinaire qui n'est pas exactement ce qu'il devrait être, une Cendrillon (= Braisillon) qui se refuse à l'épouser, des citrouilles qui poussent un peu partout dès lors que Magrat brandit la baguette que lui a léguée Désidérata et des miroirs, un peu trop de miroirs, que Mémé se fait un plaisir de briser dès qu'elle les aperçoit.

Bref, une fois de plus, on ne s'ennuie pas.

Bonne lecture et sachez que vous retrouverez bientôt Mémé Ciredutemps, Nounou Ogg et Magrat Goussedaille dans :

Nobliaux & Sorcières. ,o)

* : les marraines-fées vont toujours par deux sur le Disque-Monde alors que, chez Perrault, elles vont souvent par trois.

** : synonyme reconnu de "sens de la psychologie" dans le langage des sorcières.

mercredi, août 15 2007

Le Faucheur - Terry Pratchett.

Reaper Man Traduction : Patrick Couton

Ainsi qu'ont déjà eu l'occasion de le remarquer nombre de lecteurs des Annales du Disque-Monde, la Mort qui y exerce son ministère est de nature foncièrement anti-conformiste. Par exemple, au lieu de pester et tonner devant les rendez-vous avec lui que Rincevent se fait un devoir de manquer périodiquement, il a fini par en tirer un certain amusement et c'est désormais avec un intérêt presque paternel qu'il observe les mutations curieuses auxquelles les fortes décharges de magie ont soumis ce sablier-là.

De même, comme pris de pitié devant le sort réservé par Olive-Oued à Lazzi ("Bon chien, Lazzi !") et Gaspode, la Mort a, d'une pichenette, réactualisé leur compte-vie.

Ce qui, bien sûr, constitue une forme d'irrégularité spatio-temporelle. Surtout aux yeux de ceux que l'Au-delà discal appelle "les Contrôleurs."

Comment définir un Contrôleur pour ceux qui n'ont jamais entendu parler de cette intéressante confrérie ? Eh ! bien, c'est Melle Trottemenu (Renata), héroïne du "Faucheur", onzième tome de la saga, qui a sans doute déniché la formule qui s'applique le mieux à cette déplaisante engeance : pour elle, ce sont les "r'venueurs" et le mot prend racine dans le terme dans ces "revenus" impitoyablement taxés dans tous les mondes du multivers ...

Médiocres et envieux par nature, les Contrôleurs se sont mis dans la tête de mettre à la retraite cette Mort qui leur fait si souvent des pieds de nez. Sous l'effet de cette sentance bien digne de l'humeur fonctionnaire, le condamné reçoit, en cadeaux d'adieu, son fidèle Bigadin et aussi un sablier en parfait état de marche et qui lui donne enfin le temps qu'il n'a jamais eu et dont il est bien décidé à profiter.

Mais si les Contrôleurs ont renvoyé la Mort, ils l'ont fait sans lui trouver de remplaçant immédiat. Bourde énormissime qui va plonger le Disque-Monde dans une pagaïe encore plus prononcée qu'à l'habitude.

Ainsi, Vindelle Pounze, le plus vieux mage de l'UI - 130 ans exactement - à qui ses collègues avaient préparé une belle "fête de Départ" (comme les Sorcières, les Mages ont le privilège de connaître le jour et l'heure exacts de leur décès) se voit contraint de réintégrer son corps parce que, dans l'Au-Delà où il a fait une brève incursion, il n'a trouvé ni Mort, ni d'ailleurs qui que ce soit pour l'accueillir et lui montrer le chemin.

Pour un homme, doublé d'un mage émérite, qui, pendant plus d'un siècle, s'est affiché comme un partisan convaincu non seulement de la survie de l'esprit mais aussi de la réincarnation, c'est tout de même fort de café !

Et voilà l'intégralité des dignitaires de l'Université de l'Invisible, Mustrum Ridculle en tête, entraînés dans une folle course vers un seul but : permettre à cette antiquité de Vindelle de mourir dignement et non de continuer à tituber par Ankh-Morpork comme le mort-vivant qu'il est désormais. Très vite, ils vont d'ailleurs réaliser que Pounze n'est pas le seul à être retenu sur le Disque : plus rien ne meurt, en fait, ni hommes, ni trolls, ni nains, ni animaux, pas même les végétaux ...

Comme dirait Mustrum Ridculle lui-même : "Vous imaginez le p*** de bordel "

Pendant ce temps-là, la Mort, qui s'est fait embaucher comme ouvrier agricole à la ferme de Melle Trottemenu, tente de résoudre quelques unes des questions qu'il s'est toujours posées sur les humains : qu'est-ce que l'ivresse ? comment se fait-on des amis ? quelle est la raison de ce phénomène qu'est le sommeil ? qu'est-ce qu'un cauchemar et pourquoi en a-t-il, lui aussi ? ...

Et surtout : comment continuer à vivre si l'on sait qu'un jour, on mourra ?

Ce qu'il y a de merveilleux, dans ce livre, c'est que jamais l'humour ne perd ses droits en dépit d'un sujet qui n'était pas si simple à traiter.Je vous recommande bien entendu les délires des mages, l'Association fondée par Raymond Soulier contre la discrimination faite aux Morts, le duel final entre la Mort (le vrai, le nôtre ! ;o) ) et son "remplaçant" (un affreux, bêrk ! ) et la déconfiture des "Contrôleurs" que l'on retrouvera, toujous animés d'aussi sinistres intentions, dans "Le Père Porcher."

PS : et en plus, la couverture de Josh Kirby évoque Van Gogh, vous ne trouvez pas ? ... ;o)

jeudi, août 9 2007

Les Zinzins d'Olive-Oued - Terry Pratchett.

Moving Pictures Traduction : Patrick Couton

Pour le cinéphile qui se double, en général, d'un amoureux de l'Histoire du cinéma, "Les Zinzins d'Olive-Oued"*, dixième volume des Annales du Disque-Monde, est un vrai régal. Certains le trouveront un peu long mais, quand on lit et relit Pratchett, on se rend compte très vite que les longueurs, il adore.

Tout commence une fois de plus à Ankh-Morpork où, comme nous l'avons déjà signalé, pullulent toutes les corporations professionnelles, dûment constituées en guildes. Parmi elles, la guilde des Alchimistes est plutôt méprisée. Du Patricien au dernier des voleurs, tout le monde les tient pour des espèces de malades mentaux, doublés d'incurables maladroits. Qui pis est, les expériences auxquelles ils se livres, souvent tonitruantes et toujours affichées comme scientifiques, frôlent le domaine de la magie pure alors que celui-ci demeure la chasse gardée des Mages de l'Université de l'Invisible.

En ce jour (dont j'ai oublié la date exacte) du siècle de la Roussette, à Ankh-Morpork, à l'issue d'une explosion particulièrement formidable, un alchimiste noir de suie vient donc de créer un produit appelé à un avenir surprenant : l'octocellulose. Très inflammable, l'octocellulose deviendra le support idéal pour les images animées que peignent à toute vitesse enfermés dans des boîtes derrière un objectif, les traditionnels petits diablotins verts. Le résultat est fabuleux et tient presque du miracle : le clic (= nous disons film) est né.

Peu soucieux de voir la puissante Université de l'Invisible émettre un veto quant à leur prometteuse invention et plus encore aux bénéfices pécuniaires qu'elle laisse deviner, les alchimistes décident de concert de s'exiler à Olive-Oued, un trou absolument perdu non loin de la côte, où, de toutes façons, la lumière sera idéale pour tourner les clics.

Dans le but très louable de présenter à la population ankh-morporkienne "la kinématographie amusante et instructive", Gauledoin, président de la Guilde des Alchimistes, se charge d'organiser quelques séances publiques.

Et c'est à l'issue de l'une d'entre elles que, comme beaucoup d'autres avant eux, Victor Tugenbeld, apprenti-mage à la veille de passer son examen du 3ème cycle ; Mme Marietta Cosmopilite, couturière de son état ; Détritus le Troll, éjecteur préposé à la porte du "Tambour Rafistolé" qui ne sait pas encore qu'un jour, il sera sous-officier du Guet de Nuit et le chien prodige Gaspode, lequel parle et raisonne avec un cynisme pratiquement humain, laissent tout tomber pour prendre (à pied et pratiquement sans rien dans les poches) le chemin menant à Olive-Oued.

Tout à fait comme si des voix mystérieuses leur soufflaient à l'oreille de s'y rendre sans plus tarder ...

Encore plus fort : Planteur Je-m'tranche-la-gorge, dit la Gorge, marchand de saucisses immangeables parfaitement à jour dans ses cotisations à la Guilde des Voleurs, célébrité locale de la population marchande et indicateur occasionnel du Guet, s'y laisse prendre lui aussi. Dans ces images qui sautillaient sur le drap ayant servi d'écran à la démonstration de Gauledoin, la Gorge a en effet repéré le reflet impérieux de milliers de pièces d'or.

Bussinessman-né (avec tout ce que cela implique d'audace, d'arrogance, de mauvaise foi et de malhonnêteté), Planteur J.M.T.L.G. s'impose très vite au malheureux Gauledoin qu'il finira par évincer de la compagnie d'images animées qu'il a pourtant créée. Metteur-en-scène visionnaire avant la lettre (style Cecil B. de Mille revu et corrigé façon Terry Pratchett), hanté par des visions glorieuses de troupeaux d'éléphants en marche, de danseuses adroitement dénudées aux plis et rondeurs stratégiques et de batailles homériques filmées à grand renfort de figurants, il ne met pas longtemps à initier sur le Disque-Monde ce que notre monde à nous désigne sous le terme de star system.

Pour financer tout ça, Planteur aura le premier l'idée des sponsors et des encarts publicitaires. (Ses prises de bec sur la question avec son neveu, Sol, donnent d'ailleurs quelques uns des dialogues les plus hilarants du livre.)

Mais revenons aux "étoiles" de Planteur J.M.T.L.G. et de son studio (l'ex-studio de Gauledoin rebaptisé "Les Films du Siècle de la Roussette").

Elles s'appellent Victor Marasquino (alias Victor Tugenbeld) et Delores de Vyce (alias Theda Whitel, Ginger pour les intimes). L'ancien marchand de saucisses chaudes fourrées dans des petits pains rassis ne sait pas trop comment ça se fait mais dès que l'opérateur Electro commence à tourner sa manivelle pour enregistrer les images animées, ces deux-là changent. Une alchimie incompréhensible se produit, les hommes soupirent, les femmes se pâment ... le tiroir-caisse tinte.

Fort heureusement pour nous et surtout pour la survie du Disque-Monde, on ne fait pas des études de mage sans que la chose ne laisse sa marque sur vous. Aussi Victor se rend-il très vite compte que, dans cet Olive-Oued qui grouille de figurants, où les maisons ne sont que des décors interchangeables et où chacun - humain, nain, troll et même elfe - ne semble penser qu'à l'image de lui-même qu'il donne au monde extérieur, quelque chose ne tourne pas rond.

Aidé par Gaspode, le chien parlant qui s'est attaché à lui, Victor s'aperçoit que, presque toutes les nuits, Ginger se transforme en une somnanbule qui s'en va dans les dunes afin d'y creuser le sable et d'en dégager une porte. Cette découverte, ajoutée à un livre écrit dans une langue pictographique visiblement très ancienne qu'il a récupéré entre les mains d'un cadavre abandonné sur une plage voisine, finit par le persuader que quelque chose d'invisible (Olive-Oued ? son genius loci ? autre chose de bien pire ?) tire toutes les ficelles de cette ruée sur les images animées ...

Mais dans quel but ?

L'ouvrage abonde de clins d'oeil et de jeux de mots qui raviront et/ou attendriront les amoureux du cinéma. C'est aussi dans cet opus qu'apparaît pour la première fois le personnage de Mustrum Ridculle, dit Ridculle le Brun, nouvel archichancelier - et pour longtemps, croyez-moi ! - de l'Université de l'Invisible. Un anticonformiste de très haut niveau qu'on se réjouira de retrouver dans les volumes ultérieurs. Ses échanges avec le malheureux économe - qui commence ici à osciller doucement vers la folie douce - sont des plus savoureux et j'avoue y trouver, je ne sais trop pourquoi, un son qui me rappelle les pires délires d'Alphonse Allais ou de Pierre Dac.

Enfin, détail très important pour la suite des volumes, c'est à la fin des "Zinzins ..." que la Mort s'autorise deux "irrégularités" qui seront à l'origine de l'intrigue du "Faucheur", le tome suivant.

La Mort, de plus en plus sympathique, il faut bien le dire. ;o)

* : dans le texte original, Pratchett a utilisé le nom "Holly-Wood."

Enfin, je ne résiste pas à vous placer ici ce lien.

Vous y trouverez pas mal de notes, notamment sur les clins d'oeil cinéphiliques par lesquels Pratchett, dans son "Olive-Oued", rend hommage au cinéma tout en le tournant en dérision. On notera le nom anglais de Gauledoin : Silverfish qui, évidemment, fait penser à Samuel Goldwyn, de son vrai nom Samuel ... Goldfish.

Eh ! oui ! N'en déplaise à certains bonnets de nuit tout à fait primaires, Terry Pratchett est un monsieur bougrement cultivé. Par exemple, si les premiers cinéastes décidèrent de quitter l'Est des USA pour s'installer à Hollywood, c'était bel et bien en raison de la lumière ...

P.S. : Je précise enfin que le physique de Victor Tugenbeld est un mélange de Clark Gable et de Douglas Fairbanks.

mardi, août 7 2007

Eric - Terry Pratchett.

Faust Eric Traduction : Patrick Couton

"Faust Eric", neuvième volume des Annales du Disque-Monde, est aussi le plus bref à ce jour : c'est à peine en effet s'il comptabilise, en édition de poche, 150 pages.

A mon sens - mais ce n'est que mon avis - c'est le livre le moins inspiré de Pratchett même si je le préfère au "Dernier Continent" dont les effet me semblent (surtout à la fin) un peu trop forcés.

Il a pourtant pour mérite de nous ramener Rincevent, que nous avions, dans "Sourcellerie", égaré dans les dimensions de la Basse-Fosse. Les mages en sont d'ailleurs les premiers avertis, ce qui les contrarie fort car, parmi eux, ceux qui se sont jadis ralliés à Thune ne sont guère pressés de voir réapparaître ce témoin implacable de leur lâcheté qu'est l'ancien assistant du Bibliothécaire ...

Mais ils n'ont pas à s'inquiéter dans l'immédiat : si la voix désincarnée de Rincevent a paru flotter un temps dans les couloirs de l'UI, c'est parce qu'un apprenti-sorcier de 14 ans, le jeune Eric, "13, chemin du Fumier, Pseudopolis", s'est mis en tête d'invoquer un démon puissant afin que celui-ci lui réalise ses trois voeux :

1) Devenir le Maître de l'Univers ;

2) Rencontrer La Plus Belle Femme du Monde ;

3) Devenir Immortel.

Rien que ça, oui ... ;o)

Sans doute en raison d'une fausse manoeuvre du jeune démonologue (en fait, il n'y a pas eu de fausse manoeuvre et tout cela est bel et bien voulu mais par qui, cela, on ne l'apprendra qu'à la toute fin du volume ...), ce n'est pas un démon mais bel et bien le "maje" le plus incompétent de tout le Multivers qui s'est matérialisé sous les yeux d'un Eric ébahi.

Ce qui va permettre à Pratchett de nous brosser trois tableaux d'inégale valeur : l'un qui se déroule chez le curieux peuple des Tezumas, lesquels adorent le non moins curieux dieu Quetzdufflecoatl ; le second qui prend place lors de la mythique guerre entre Tsort (Troie) et Ephèbe (les Grecs) et nous révélera le nom latinien de l'ancêtre direct de Rincevent ; et enfin le troisième, qui culmine avant une espèce de Big Bang et nous fait rencontrer l'un des Créateurs - oui, ils sont plusieurs, en fait ...

Quant à l'épilogue, il nous transporte en Enfer, mais pas pour longtemps. On y remarquera le fameux chemin pavé de bonnes intentions ...

En vedette américaine, encore et toujours le Bagage, qui parvient à acculer trois démons dans des cuves d'huile bouillante, ce qui n'est pas, vous en conviendrez, à la portée de tout le monde !

Bref, un livre à ne recommander pour une fois qu'aux inconditionnels de Pratchett avant d'attaquer cette petite merveille que sont "Les Zinzins d'Olive-Oued."

Et aussi à ceux que la vision de Dieu et des religions qui est celle de Pratchett passionne. Car il règle quand même quelques comptes dans "Faust Eric"-- et ça fait toujours plaisir. ;o)

lundi, juillet 30 2007

Au Guet ! Terry Pratchett.

Guards ! Guards ! Traduction : Patrick Couton

L'une des originalités les plus remarquables de la vaste cité-état d'Ankh-Morpork, c'est que toutes les corporations professionnelles y sont représentées. Légalement représentées, s'entend, y compris celle des Voleurs et celle des Assassins.

C'est au Patricien, gouverneur suprême du coin, qu'on doit cette organisation très spéciale qui, astuce jusqu'ici jamais osée par nos propres gouvernants, impose le plus officiellement des taxes à tous, fût-ce aux corps de métiers les moins recommandables. Et le plus étonnant, c'est que ça fonctionne très bien, pour la plus grande satisfaction des chefs de Guildes eux-mêmes bien entendu et de l'Ankh-Morporkien moyen ensuite.

Hélas ! du coup, les forces de l'ordre de la ville n'ont plus vraiment raison d'être. Il survit cependant un Guet de nuit, placé sous le commandement du capitaine Samuel Vimaire, homme de valeur que l'ennui et la nette impression de ne pas être tout à fait à sa place ont fait sombrer dans l'alcool et la dépression. Sous ses ordres, une bande de tocards tels le sergent Côlon et l'ineffable caporal Chicard. Leur seule tâche : se promener dans les rues la nuit et éviter de déranger voleurs et assassins dans l'exercice de leur profession. Ah ! oui ! Toutes les heures, ils ont aussi pour consigne de clamer aux ténèbres : "Il est telle heure et tout va bien !" Mais leur prudence naturelle les incite en général à susurrer la chose sans s'y attarder ...

C'est dans cette surprenante équipe que débarque un beau matin, poussé par son père qui veut en faire un homme, le jeune et vaillant Carotte Fondeurenfersson. "Techniquement parlant", comme il le dit lui-même, Carotte est un nain. Morphologiquement par contre et compte tenu du fait qu'il a été recueilli tout bébé par le couple Fondeurenfersson, c'est un humain qui mesure à peu près 2 mètres de haut (1,98 m en fait) et qu'une enfance et une adolescence passées à travailler dans les mines avec les nains ont doté d'une musculature redoutable.

Si le lecteur habitué apprend, au fils des volumes où il apparaît, à mettre en doute la naïveté un peu trop spectaculaire de Carotte, il ne remettra par contre jamais en question son honnêteté foncière. Autre trait attachant du jeune homme, de son éducation première, il a conservé une propension marquée à tout prendre au pied de la lettre. Dans de telles conditions, inutile de vous dire que les "tâches et responsabilités" auxquelles le génie politique du Patricien a réduit le Guet vont beaucoup l'étonner.

Inutile de vous dire aussi, je suppose, que, avec la bonne volonté qu'il va apporter à pourchasser dans les rues d'Ankh-Morpork aussi bien les charrettes mal garées que les meurtriers en puissance, la situation du Guet à la fin de l'ouvrage se sera considérablement améliorée.

Entretemps, il est vrai, un ignoble personnage aura cherché à évincer le Patricien et à le remplacer par un roi fantoche. Entretemps, un dragon noble* aura répandu le bruit et la fureur dans tout Ankh-Morpork. Entretemps, dame Sibylle Ramkin, qui a eu le coup de foudre pour un Samuel Vimaire désormais bien résolu, envers et contre tous, à faire son devoir de capitaine du Guet, aura été offerte en sacrifice au dragon devenu maître d'Ankh-Morpork. Entretemps, vous aurez fait la connaissance de Bravegars Balluchon Plumepierre de Quirm** et de quelques autres. Entretemps, le système digestif des dragons, nobles ou pas, ne recèlera plus pour vous aucun mystère. Entretemps, avec tout le plaisir qu'on y goûte à chaque fois, vous aurez croisé le Bibliothécaire de l'UI***, ses bananes et ses "ook."

Entretemps enfin, et toujours sans avoir l'air d'y toucher, Pratchett aura eu le temps de poser pas mal de questions essentielles, notamment sur la lâcheté, le courage et toute cette sorte de choses ...

Bref, vous aurez lu le huitième volume des Annales du Disque-Monde, intitulé en toute simplicité : "Au Guet !" Et je vous souhaite d'y prendre autant de plaisir que moi. ;o)

* : dame Ramkin vous expliquera.

** : un sacré nom, hein ?

*** : pour ceux qui prennent le fil en cours et n'ont jamais entendu parler ni de Pratchett, ni du Disque-Monde, l'Université de l'Invisible.

mercredi, juillet 25 2007

Pyramides - Terry Pratchett.

Pyramids Traduction : Patrick Couton

Septième livre des « Annales du Disque-Monde », « Pyramides » s’ouvre sur l’examen final et ténébreux que doit passer le jeune Teppi – diminutif de « Teppicymon » - pour obtenir son Diplôme d’Assassin, distinction qu’accorde très régulièrement mais au prix de mille périls encourus par le postulant la Guilde des Assassins d’Ankh-Morpork.

Car, sur le Disque-Monde, « assassin » est un métier. Ni plus ni moins dégradant que celui de boucher ou de jardinier. Un métier comme les autres par conséquent, qui a sa charte, ses règles et son école - je ne vous dis rien des tarifs pour ne pas vous effrayer. Teppi a d’ailleurs été admis dans cette école à l’âge de douze ans bien que sa famille – sa tante, surtout – n’eût pas manifesté en cette occasion l'enthousiasme que l'adolescent était en droit d'attendre de ses proches.

A sa décharge, il faut préciser que la famille de Teppi n’est autre que la lignée royale de Jolhimome. Alors, forcément, chez eux, on est Pharaon de père en fils (ou en fille, il y a des précédents et le clin d'oeil de Pratchett à la reine Hatschespout est évident.)

Donc, lorsque la Mort se déplacera pour prendre en charge l’actuel pharaon, le roi Teppicymon XCXVII, son fils, notre Teppi à nous, montera sur le trône sous le nom de Teppicymon XCXVIII. Avec ou sans son diplôme de la Guilde des Assassins d'Ankh-Morpork, son avenir était tout tracé dès sa naissance.

Et pourtant, Teppi, séduit tout enfant par les histoires palpitantes que lui racontait son oncle Vyrt, le frère de sa mère, un assassin de profession, a un jour décidé de voir si, par hasard, un prince royal et futur pharaon ne pouvait pas faire également se faire un nom dans une carrière parallèle …

Habile, intelligent et réfléchi, il n’a eu aucun problème à obtenir son diplôme. Malheureusement, le Hasard qui, sur le Disque-Monde, s’amuse énormément, choisit ce moment-là pour faire mourir Teppicymon XCXVII. Voilà Teppi obligé de reprendre la route du Jolhimome pour veiller sur les funérailles – évidemment grandioses – de son père : embaumement, rituel, ensevelissement sous une nouvelle pyramide.

Vous l’avez compris depuis longtemps : le Royaume de Jolhimome se veut une vision parodique de l’Egypte ancienne.

Et il y réussit fort bien.

Bien entendu, comme, chez Terry Pratchett, il ne saurait y avoir de roman sans que le Supra-Irrationnel ne fasse une irruption aussi brutale que farfelue dans l’Irrationnel ambiant, « Pyramides » dévie très tôt du droit chemin. En ce pays où pullulent des pyramides qui ruinent les finances de l’Etat, l’idée d’en construire une nouvelle pour y abriter la dépouille de Teppicymon XCXVII va aboutir à une « confiscation de l’espace-temps. » En d’autres termes, la masse énorme de la nouvelle construction – la plus grande, la plus haute, la plus vaste, la PLUS !!! "chaispasquoi" … qu’on ait jamais vue – provoque une espèce de « bug » géométrique et paf ! le royaume de Jolhimome se retrouve effacé de la carte du Multivers. La Quatrième Dimension fait son entrée officielle chez Pratchett.

Or, il se trouve que Jolhimome servait de tampon entre deux états particulièrement belliqueux qui, maintenant qu’ils se retrouvent frontière contre frontière, comprennent mal comment ils pourraient faire autrement que de reprendre les anciennes hostilités.

Il se trouve aussi que les dieux de Jolhimome – corps d’hommes ou de femmes avec têtes d’animaux, cela va de soi – se matérialisent brusquement aux yeux ébahis du tout-venant. Qui pis est : ils n'exaucent plus rien du tout !

Il se trouve enfin que, bien que momifié dans les règles, Teppicymon XCXVII se voit contraint par la nouvelle logique qui s’est abattue sur son pays de réintégrer son corps. Je vous laisse imaginer le choc que la chose provoque bien naturellement chez Aneth, le Maître-Embaumeur de Sa Majesté – et aussi chez son assistant, le très terre-à-terre et très jeune Gern …

Ajoutez à ces ingrédients un Grand-Prêtre des plus étranges et qui s’appelle Dios oh ! ma Doué ! ;o)), une jeune concubine nommée Ptorothée qui, en fait, n’est autre que la demi-sœur de Teppi, le Grand Architecte Ptaclusp et ses fils-jumeaux : PtascluspIa et PtascluspIIb et surtout, n’oubliez pas la fâcheuse manie qu’aura la nouvelle pyramide de dupliquer à l’infini êtres et objets et vous aurez une idée à peu près exacte de ce roman.

Ce livre est à mon sens, avec l’univers de Goscinny et d’Uderzo, la meilleure parodie que j’ai lue sur l’Antiquité. Les Grecs eux-mêmes et leur amour des discussions philosophiques ne sont pas épargnés par Pratchett qui leur a réservé un royaume : celui de Tsort. Teppi s’y rend dans l’espoir de trouver une réponse à ses problèmes mais … En tous cas, la version pratchiennesque de la Guerre de Troie est une petite merveille jubilatoire …

Mais le plus extraordinaire, c’est que tous ceux qui s’intéressent au monde antique et tout particulièrement à l’Egypte pharaonique constateront ici très vite que Pratchett maîtrise le sujet. Il fallait en effet beaucoup aimer cette grande page de notre Histoire à tous pour réussir à en railler ses travers tout en en respectant la noblesse fondamentale.

Bonne lecture ! Je vous promets que vous finirez par apprendre pourquoi Pratchett a voulu faire de son héros un Assassin de la Guilde ankh-morporkienne.

PS : mais si l'Antiquité ne vous intéresse pas, passez au large ...;o)

vendredi, juillet 20 2007

Trois Soeurcières - Terry Pratchett.

Wyrd Sisters Traduction : Patrick Couton

Tout le monde vous le dira, les volumes qui composent les fabuleuses « Annales du Disque-Monde » ne sont pas tous de valeur égale. Tout comme Zola n’est pas toujours au mieux de sa forme dans « Le Rêve » ou « La Débâcle » par exemple, Terry Pratchett, lui, fait alterner le plus endiablé comme « La Huitième Fille » avec nettement moins inspiré et beaucoup plus ronronnant, comme « Sourcellerie, » ouvrage que je bâille déjà à résumer.

Mais, dans « Trois Soeurcières » (6ème opus), pas de doute : c’est au plus endiablé que nous avons affaire. Il faut dire que, dès le départ, page 9, puis page 12 très précises de l’édition de L’Atalante, l’auteur pose le décor d’une parodie du fameux trio des sorcières de Macbeth. Pour celles et ceux qui n’auraient jamais jeté un seul coup d’œil sur le Disque-Monde, voici le ton :

Page 9 :

« Le vent hurlait. La foudre lardait le pays comme un assassin maladroit. Le tonnerre roulait en va-et-vient sur les collines sombres cinglées par la pluie.

La nuit était aussi noire que l’intimité d’un chat. Une de ces nuits peut-être où les dieux manipulent les hommes comme des pions sur l’échiquier du destin. Au cœur des éléments déchaînés, parmi les bouquets d’ajoncs dégoulinants, luisait un feu, telle la folie dans l’œil d’une fouine. Il éclairait trois silhouettes voûtées. Tandis que bouillonnait le chaudron, une voix effrayante criailla :

-« Quand nous revoyons-nous, toutes les trois ? »

Une pause suivit.

Enfin, une autre voix, beaucoup plus naturelle, répondit :

- « Ben moi, j’peux mardi prochain. »(...) ..."

Page 12 :

« … (…) En de pareilles nuits, les sorcières sont de sortie.

« … Enfin, de sortie, d’accord, mais pas n’importe où, pas à l’étranger. Elles n’aiment pas ce qu’on y mange, on ne peut pas se fier à l’eau et les chamans monopolisent tout le temps les transats. Mais une pleine lune bataillait contre les nuages loqueteux, et les bourrasques pleines de murmures sentaient la magie à plein nez.

Dans leur clairière, au-dessus de la forêt, les sorcières tenaient la discussion suivante :

« Mardi, moi, je fais du babysitting» dit celle qui n’avait pas de chapeau mais une crinière de boucles blanches si épaisse qu’on aurait dit un casque. « Je garde le petit dernier de mon Jason. Vendredi, j’peux. Dépêche-toi avec le thé, mignonne. Je meurs de soif. ( …) … »

Vous en conviendrez avez moi : les sorcières qui se livrent au babysitting ne sont pas légion dans la littérature, encore moins dans le théâtre shakespearien.

Car c’est bien de Shakespeare que s’inspire directement l’intrigue de « Trois Soeurcières, » jugez-en.

L’infâme duc de Kasqueth, sorte de Macbeth falot que domine entièrement sa puissante et sadique épouse, lady Kasqueth (j’espère que vous admirez le jeu de mots, soit dit en passant :cafemanie: ), assassine le vieux roi Vérence. Un serviteur dévoué parvient à sauver l’héritier ainsi que sa couronne – l’héritier est encore au berceau et la couronne est plutôt encombrante, les deux détails ont leur importance, vous le découvrirez par la suite – et, par un étrange hasard, les emmène sur la lande où notre trio de sorcières – Nounou Ogg, Magrat Goussedaille et l’ineffable Mémé Ciredutemps déjà croisée dans « La Huitième Fille » - déguste son thé nocturne.

Les hommes de main du duc, qui poursuivent le serviteur dévoué, abattent celui-ci (par derrière) en lui lançant un carreau d’arbalète - ce sont des infâmes, eux aussi ... Mais (je parie que vous ne l'auriez pas deviné tout seuls !) le malheureux a eu le temps de confier et le bébé et sa couronne à Mémé Ciredutemps. Inutile de vous préciser que celle-ci n’est pas du genre à s’en laisser imposer par quelques malfrats, eh ! eh ! ...

Bref, de fil en aiguille, Mémé Ciredutemps et ses consoeurs en arrivent à confier l’enfant à une sympathique troupe d’histrions ambulants – le hasard faisant bien les choses chez Pratchett, il se trouve que le Directeur de la troupe et sa femme ont perdu toute jeune leur petite fille et ne demandent qu’à accueillir ce bébé qui leur tombe du ciel. Quant à la couronne, elle disparaît pour un temps considérable tout au fond des malles d’accessoires des comédiens.

Pendant ce temps-là, le duc de Kasqueth se montre particulièrement ignoble envers le peuple du royaume. Visiblement, ni lui, ni sa femme ne sont faits pour cette dure mais si digne fonction que constitue la Royauté - le duc s'ennuie d'ailleurs terriblement mais n'ose l'avouer à sa maritorne d'épouse, laquelle tient assez de la Reine de Coeur d'"Alice". Aussi le Mécontentement sourd-il tant à droite qu’à gauche.

Tant et si mal que nos trois sorcières vont se voir peu à peu acculées à un tour de passe-passe très spécial : faire avancer le royaume de quinze ans en avant afin de permettre à l’Héritier de reconquérir son trône – avec leur aide, bien entendu.

C'est d'ailleurs en cette occasion qu'il nous sera donné d'assister à ce spectacle unique qu'est le ravitaillement EN PLEIN VOL d'un balai de sorcière.

Je vous passe les détails, croustillants (Nounou Ogg est très portée sur les plaisirs charnels :biserock: , par exemple, plaisirs que Mémé Ciredutemps, elle, par contre, réprouve hautement ), éthyliques (Nounou Ogg, toujours elle, aime aussi à boire autre chose que du thé), sanglants (par une étrange aberration, le duc et la duchesse de Kasqueth sont persuadés qu’ils peuvent torturer une sorcière en toute impunité), romantiques (Magrat Goussedaille, la plus "fleur bleue" et la plus jeune du trio infernal, tombe amoureuse du Bouffon du Roi ), mélodramatiques à la Eugène Sue ou à la Paul Féval (l’Héritier n’est pas vraiment celui qu’on croit et, en fait, le véritable Héritier, c’est … ), parodiques (Pratchett emprunte joyeusement non seulement au "Macbeth" du Grand Will mais aussi à son très existentiel « Hamlet »), cocasses (le style de l’auteur dans son ensemble), etc, etc …

En bref, un conseil : laissez tomber votre ordinateur et courez vous acheter « Trois Soeurcières » ou encore "La Huitième Fille". Leur gaieté et leur désinvolture devraient vous faire passer un excellent quart-d’heure. Même les fanatiques de « Fantasy » pure et dure y trouvent leur compte – n’est-ce pas tout dire ?

lundi, juillet 16 2007

Sourcellerie - Terry Pratchett.

Sourcery Traduction : Patrick Couton

Cinquième volume des "Annales du Disque-Monde", "Sourcellerie", que j'avais ici injustement méconnu, je l'avoue à ma grande honte, aurait pu se sous-titrer : "Comment Rincevent le Maje (sic) sauva le Disque-Monde." C'est en effet ce mage dont l'incompétence est célèbre du Moyeu jusqu'au Rebord (et vice versa) que l'on retrouve en vedette de ce volume, occupant pour l'instant le poste assez envié d'assistant du bibliothécaire de l'Université de l'Invisible - celui qu'une trop grosse charge de magie a transformé en orang-outang.

Mais quand commence notre histoire, les livres semblent pris d'une crise non de folie mais de pure terreur. Le bibliothécaire lui-même entreprend de se retirer dans son coin, sous le bureau, avec une couverture par-dessus la tête et il faut toute la persuasion de Rincevent, lui-même assez inquiet de voir les clous et les ferrures des portes sauter toutes seules dans le vide et les matelas des chambres se carapater dans la nature, soutenus par des armées de punaises prises de panique, pour que l'anthropoïde accepte d'accompagner son assistant au rendez-vous de tous les soiffards d'Ankh-Morpork : "Le Tambour Rafistolé", avec son troll "éjecteur", Détritus, qui veille à la porte.

Les lecteurs de "La Huitième couleur/Le Huitième sortilège" se rappelleront que c'est dans ce haut lieu de la vie sociale ankh-morporkienne que Rincevent, quelques années plus tôt, avait rencontré Desfleurs, l'Agatéen et, partant, l'ineffable Bagage, le tout avant de se lancer dans une série d'aventures rocambolesques. Ils ne s'étonneront donc pas de voir Pratchett reprendre le même procédé pour l'y faire cette fois rencontrer Conina, membre de la Guilde des Voleurs de la Ville et fille du célèbre Cohen le Barbare, qu'une voix aussi puissante que strictement intérieure a amenée à voler le chapeau de l'Archichancelier de l'Université de l'Invisible.

Ce chapeau qui, en apparence, possède tous les défauts des chapeaux de mages - à savoir : mauvais goût, cabochons en tous genres, suffisance et pouvoirs magiques ici d'autant plus développés que l'objet en question a coiffé tous les Archichanceliers de l'Université depuis sa création par Alberto Malik - est aux mages d'Ankh-Morpork ce que leur couronne est aux monarques de Lancre : le Symbole de la Souveraineté. Doué d'autant de vie que le "Choixpeau Magique" qui s'anime dans "Harry Potter", ce chapeau-là n'entend pas être coiffé par n'importe qui - et surtout pas par un sourcelier.

Car, alors que Rincevent et le bibliothécaire allaient oublier leurs soucis au "Tambour Rafistolé", un jeune sourcelier de dix ans à peine, Thune, fils d'Ipslore le Grand, avait fait son entrée à l'Université de l'Invisible pour y réclamer le poste et le chapeau d'Archichancelier. D'abord amusés, puis sceptiques, les mages n'avaient pas tardé à s'incliner devant cette volonté toute puissante : un sourcelier, qui est le huitième fils du huitième filsd'un huitième fils, en vient en général à constituer un mage au carré. Surtout lorsque, comme dans le cas de Thune, son père a été l'un des plus grands mages de sa génération - mage rejeté par ses condisciples parce qu'il avait osé enfreindre les règles et se marier.

Rincevent étant, avec le bibliothécaire, le seul mage à ne pas subir l'emprise du nouvel arrivant, le Chapeau décide de se servir de lui non pour lui insuffler la force nécessaire pour contrer Thune - l'anticonformisme inné de Rincevent ne s'y prêterait pas - mais pour le guider vers un homme susceptible d'agir pour le Chapeau et de rétablir l'ordre. L'effet le plus horrible de la sourcellerie, c'est en effet de faire s'ouvrir les Dimensions de la Basse-Fosse et d'en faire sortir des affreusetés lovecrafiennes ...

Pour l'aider dans sa quête ("son jahar", dirait Nijel), outre Conina (dont Rincevent, comme son Bagage, tomberont amoureux), le mage bénéficiera de l'appui de Nijel, apprenti héros barbare qui a promis à sa mère de porter des sous-vêtements en laine pour ne pas s'enrhumer ; d'une bande de pirates klatchiens ; du Sériph poète Créosote dont la vie sexuelle se borne à toute une nuit d'histoires que lui conte une excellente narratrice ; d'Abrim, grand vizir haineux du précédent ; d'un génie vaguement oriental mais très occidentalement surbooké qui se met très souvent sur répondeur et, bien sûr, de la complicité de la Mort qui, ayant renoncé depuis belle lurette à voir mourir Rincevent de façon traditionnelle, s'amuse désormais à lui apparaître régulièrement lorsqu'il s'en vient prendre l'un de ses compagnons ou de ses adversaires. Apparitions que Rincevent est le seul à remarquer et qui le mettent toujours dans tous ses états - on le comprend !

En dépit des apparences, tout se terminera bien et je puis d'ores et déjà vous prédire que Rincevent remontera des Dimensions de la Basse-Fosse lorsque, le confondant avec un démon, un certain Eric l'invoquera dans le plus bref volume de la série qui s'appelle justement : "Faust Eric."

dimanche, juillet 15 2007

Mortimer - Terry Pratchett.

Mort Traduction : Patrick Couton

"Mortimer", tel est le prénom prédestiné du fils du père Lezek, cultivateur rétroannuel des Monts du Bélier. (Un cultivateur rétroannuel récolte avant d'avoir semé. Le père Lezek est un spécialiste du raisin rétroannuel dont la distillation permet d'avoir la gueule de bois la veille du jour où l'on s'enivre. Pour de plus amples renseignements, voyez Terry Pratchett. )

Pourquoi prédestiné ? Parce que le diminutif de "Mortimer", c'est "Mort" - titre original du livre - ou Morty en français. Morty est un garçon gentil, sympa, non pas simplet mais un peu ... ma foi, un peu naïf, et qu'"on aurait dit uniquement formé de genoux." Son père souhaite qu'il se trouve une situation, comme apprenti. Mais qui voudra d'un apprenti aussi maladroit que Morty ? ...

Adoncques, la Veille des Porchers, le père Lezek et son fils se rendent à la foire de Montmouton où se tient traditionnellement depuis des lustres une sorte de marché aux apprentis. Evidemment, comme Pratchett est aux commandes du destin de Mortimer, le jeune homme est encore là, tout seul et quasi gelé, à minuit moins le quart.

N'ayons pas peur des mots : c'est un échec.

Lamentable, même.

Ou plutôt, ça pourrait être un échec si un mystérieux cavalier, dont le père Lezek entrevoit mal les traits et qu'il finit par prendre pour un entrepreneur de Pompes funèbres (bon métier, ça, les Pompes funèbres : jamais de chômage ! :okjesors: ) ne se présentait pour embaucher Morty.

C'est ainsi que Mortimer Lezek devient l'apprenti de la Mort. (1)

Au contraire de son père, Morty comprend très vite qui est son employeur et, assez curieusement, il s'y fait très vite. Oh ! c'est vrai que, chez la Mort, tout est bizarre : une grande horloge sans aiguilles, des milliards de sabliers où le sable s'écoule à l'envers (vous voyez l'implacable logique pratchesque ?), un parc aménagé où les arbres, les allées, etc ... tout est noir, un serviteur, prénommé Albert, qui doit avoir connu le Mathusalem du Disque-Monde (on en saura un peu plus sur ce personnage, qui deviendra, au même titre que la Mort, un habitué de la saga, mais un peu plus tard et inutile de chercher à me corrompre : je ne vous en dirai pas plus !) et même une fille, la fille de la Mort, une jeune fille qui a seize ans depuis trente-cinq ans car, chez la Mort, le Temps n'existe pas.

"Une fille ? ... La Mort a une fille ?" me direz-vous. "Mais alors, la Mort a une femme ? ..."

Ben non, Pratchett n'est pas allé jusque là. Il a imaginé une Mort qui recueille un bébé orphelin et l'élève après l'avoir prénommé Ysabell.

Car la Mort, tel (2) que le voit Pratchett, est une Mort qui se pose des questions sur les humains - pratiquement autant de questions que les humains se posent à son sujet, c'est vous dire. La Mort veut comprendre ce que signifient des mots comme "sentiment, émotion, temps, peur ..." etc ... La Mort créé (3) par Terry Pratchett est l'un des personnages les plus achevés de toute l'histoire du Roman. Il est si crédible qu'il se permet - parfois - des privautés avec les sabliers dont il a la charge et qu'il fait - parfois - des erreurs ...

L'une d'entre elles, c'est d'avoir embauché un apprenti qui, s'imaginant être tombé amoureux de la princesse Kelirehenna (dite plus simplement Keli) de Sto Lat, pourtant promise à une mort certaine de la main d'un assassin commandité par son oncle, lequel a déjà fait tuer son frère, le roi Olerve (dit, très simplement aussi, le Bâtard), se met en tête de contrarier le Destin. A partir de là, les dés sont jetés et les fous sont lâchés.

A savoir, plus ou moins dans l'ordre d'entrée en scène : _le mage Igné Coupefin, "Charmes en tous genres" à Ankh-Morporkh ; le heurtoir magique et plus ou moins obsédé par le sexe qui garde la maison où il exerce ; les membres de l'Université de l'Invisible, que l'épouvante submerge lorsqu'ils croient voir s'animer la statue du grand Alberto Malik, fondateur de l'auguste faculté ; l'irremplaçable bibliothécaire de l'Université et quelques seconds rôles tels le tout jeune monarque de l'Empire agatéen et son grand vizir.

Sans oublier Bigadin, le cheval tous terrains de la Mort et la population ankh-morporkhienne. (Difficile à dire, celui-là : essayez pour voir ... ;o))

Alors, évidemment, on rit pas mal dans "Mortimer." Ce qui n'empêche pas que, de temps à autre, ne pointent çà et là des éclats de tristesse et même d'angoisse. Avec ses mages déjantés, ses politiciens toujours occupés à comploter l'assassinat de leur prochain, ses monarques cruels, ses fanatiques religieux (il y en aura toute une palanquée dans "Les Petits Dieux", ne vous inquiétez pas) qui crient au blasphème pour un oui pour un non, ses Guildes arrogantes, ses sorcières à cheval sur le Bien et le Mal, ses fées, ses elfes et monstres en tous genres, ses "créatures de la Basse-Fosse" (merci, Lovecraft !) et bien entendu sa Mort qui cherche obstinément à comprendre, le Disque-Monde de Pratchett n'est que le reflet du nôtre avec ses richesses et ses misères.

Mais c'est un reflet qui remonte drôlement le moral comme ne le fera jamais n'importe quel journal télévisé ! ;o)

''( 1 ) : la Mort du Disque-Monde est de se ... de genre masculin.''

( 2 ) : oui, et après ???

( 3 ) : non, ce n'est pas une faute d'orthographe : il faudra vous y faire.

mardi, juillet 10 2007

La Huitième Fille - Terry Pratchett.

Equal Rites Traduction : Patrick Couton

Lefèvre, forgeron à Trou-d’Ucques, modeste village des Montagnes du Bélier, est un huitième fils qui, par une étrange coïncidence, a procréé sept fils. Débarque un jour à sa forge le mage Tambour Billette qui, armé de son bourdon magique, lui annonce que, sentant venir la Mort, il a décidé de passer son pouvoir au huitième fils que Mme Lefèvre est en train de mettre au monde au moment même à l’étage.

Sur le Disque-Monde en effet, le huitième fils d’un huitième fils devient automatiquement un mage qui, parvenu à l’âge adulte, s’en va étudier à la prestigieuse Université de l’Invisible d’Ankh-Morpock.

Respectueux de la Tradition, le forgeron s’incline et à peine les deux hommes ont-ils perçu le premier vagissement du nouveau-né qu’ils le réclament. Entre alors en scène pour la première fois un personnage que nous retrouverons en maintes occasions dans la Saga du Disque-Monde, Mémé Ciredutemps, sorcière de son état et sage-femme émérite à l’occasion.

Sans écouter les protestations de Mémé Ciredutemps, le Mage procède à la passation des pouvoirs … et décède sur le champ, laissant un Lefèvre tout d’abord béat puis bien ennuyé et une Mémé Ciredutemps nettement plus sarcastique seuls avec ce phénomène que constitue pour le Disque-Monde …

… son premier mage de sexe féminin. ;o)

Car le bébé est une fille qui sera prénommée Eskaterina et que tout le monde prendra l’habitude d’appeler par son diminutif : « Esk. » En héritage, Tambour Billette lui a laissé son bourdon, symbole et arme de tout mage qui se respecte. Or, comme Mémé et Lefèvre ne tardent pas à s’en apercevoir, ce bourdon décoré de motifs difficilement identifiables – et que, toutes réflexions faites, il vaut peut-être mieux demeurer dans l’impossibilité d’identifier – dispose d’une capacité de magie formidable ... et d'un caractère de cochon.

Le reste, je ne vous le raconterai pas. Achetez le livre : vous ferez une sacrée bonne affaire. ;o) Sachez seulement que, de folle péripétie en voyage agité et de voyage agité en folle péripétie, Esk et Mémé Ciredutemps, qui sera devenue entretemps le mentor de la fillette, finiront par se faire ouvrir les portes de l’Université de l’Invisible et par restaurer l’intégrité du Disque-Monde, que des créatures plus ou moins inspirées par les Grands Anciens de Lovecraft - notre Maître à tous, que Io l'Aveugle et Offler, le Dieu-Crocodile, l'aient en Leur Sainte Garde :paure: - menaçaient d'envahir et d'absorber.

C’est dans "La Huitième Fille", troisième volume de sa série du Disque-Monde, que Pratchett assied définitivement son style si caractéristique, mélange d’humour loufoque, d’insanités complètement déjantées et, à y regarder d’un peu plus près, de profonde sagesse. Dès le volume suivant, « Mortimer »,la Mort (qui est toujours du masculin, ne l’oubliez pas ! ) apparaît comme l’un des principaux protagonistes du livre, le lecteur un tant soit peu observateur comprend que l’auteur se pose en fait toute une foule de questions qui sont aussi les siennes. Mais il les pose avec humour - et cela nous permet d'avaler une pilule que beaucoup d'autres nous auraient rendue bien plus amère.

Pratchett se veut athée. Mais il a ceci de particulier qu'il est sans doute le seul écrivain athée à avoir envisagé - dans "Le Dernier Continent" - l'idée d'un dieu qui le serait autant, sinon plus que lui. Après pareille idée et en dépit des inégalités qui, fatalement, parsèment sa vaste saga, on peut tout lui pardonner - vous ne croyez pas ? ;o)

samedi, juin 23 2007

La Huitième Couleur/Le Huitième Sortilège - Terry Pratchett.

The Colour of Magic The Light Fantastic Traduction : Patrick Couton

Un jour, il y a de cela quelques années, Terry Pratchett s’ennuyait et l’idée lui vint de créer le Disque-Monde, un monde circulaire et plat porté par Bérilia, Tubul, Ti-Phon l’Immense et Jérakine, quatre éléphants gigantesques qui ont élu domicile sur le dos de la Divine A’Tuin, la Tortue interstellaire dont la longueur atteint la bagatelle de quinze mille kilomètres et dont les yeux sont aussi immenses que des océans.

« La Huitième Couleur », premier volume des « Annales du Disque-Monde », venait de naître.

« Mais que peut bien être cette Huitième Couleur ? » me demanderez-vous, tout ébaubis.

« Mais l’octarine, » vous répondrai-je alors, « un nom si totalement inconnu sur la planète Word, où je tape ce message, que le logiciel de traitement de textes le prend pour une faute d’orthographe et le souligne d’un trait rouge, si c'est pas malheureux !

L’octarine, ou la couleur de la Magie ...

Le mot est écrit : Magie. Et comme Pratchett est un roi de la Parodie, il va de soi que c'est au moins doué de tous les mages du Disque-Monde qu’il confie l’intrigue de son roman ainsi que le personnage qui va contribuer pour beaucoup à la faire progresser : Deuxfleurs. Celui-ci est un paisible touriste en provenance de Bès Pélargic, cité de l'Empire agatéen. Il débarque à Ankh-Morpork pour découvrir les mille et une merveilles de cette ville où l’on trouve paraît-il le mieux à Ankh et le pire à Morpork. Vous vous en doutez, comme tous les touristes dignes de ce nom, Deuxfleurs est fortement intéressé par le pire ...

Pour être tout-à-fait honnête, le mage en question, Rincevent, qui deviendra un personnage récurrent de la saga du Disque-Monde, a été mis à la porte de l’Université de l’Invisible parce que, jeune étudiant un peu trop curieux, il avait eu l’idée pour le moins farfelue d’aller fourrer son nez dans le Grand In-Octavo, livre quasi sacré et des plus redoutés parce que le Créateur du Disque l’a oublié sur son œuvre, avec les Huit Sortilèges à l’intérieur.

Enfin, depuis le passage en coup de vent de Rincevent, le Grand In-Octavo ne recèle plus que sept sortilèges. Le Huitième, sans doute désireux de voir du paysage, a brutalement investi la cervelle du jeune Rincevent et, depuis lors (et à la stupeur générale car il est difficile de comprendre pareille attitude chez un Sortilège aussi évolué ...) il ne veut plus en bouger. Le pire est que l’arrivée pour le moins musclée du Huitième Sortilège a fait se sauver tous les autres sorts, invocations, sortilèges, etc … que l’étudiant en magie avait pu se fourrer dans la cervelle.

C’est pour cette raison que, bien qu’étant devenu le seul homme sur le Disque-Monde capable de prononcer le Terrible et Epouvantable Huitième Sortilège, Rincevent n’en est pas moins en parallèle un mage totalement inopérant et qui ferait se gausser n'importe quel jeunot de 1ère année.

Un don cependant lui est resté, sans doute parce qu’il n’a rien à voir avec la Magie telle qu’elle se définit habituellement : celui des langues. Et c’est cette connaissance quasi prodigieuse des langues et dialectes du Disque-Monde qui lui permet de se lier avec cet innocent de Deuxfleurs qui, sous prétexte de voir de plus près héros, barbares, mages, dragons, monstres mais aussi, à l’échelle au-dessous, brigands et pillards, n’hésite pas à promener sa naïveté et son or au sein des pires quartiers de Morpork.

Du coup, Rincevent se retrouve convoqué chez le Patricien – le Chef Suprême du coin, si vous préférez, une espèce de Borgia d’Heroic Fantasy parodique. Le Patricien a en effet reçu de ses voisins de l’Empire agatéen la recommandation de prendre bien soin de leur ressortissant. Sinon, les relations diplomatiques entre les deux pays pourraient en prendre un sacré coup. Et voilà Rincevent dûment convaincu, à coup de menaces sanguinaires, de devenir l’ange gardien de Deuxfleurs pendant toute la durée de son séjour …

Comme toujours, l’histoire, qui se poursuit et prend fin dans « Le Huitième Sortilège », est irracontable. Disons que, pour l’essentiel, à la suite d’invraisemblables péripéties, Rincevent et Deuxfleurs vont basculer au-delà du Disque-Monde. Mais comme le Huitième Sortilège veille jalousement à l’intégrité physique de celui dont il a élu la cervelle comme résidence principale, tous deux s’en sortent bien évidemment pour mieux se retrouver à Ankh-Morpork où ils devront affronter l’horreur d’une immense étoile rouge qui se rapproche à très grande vitesse du Disque-Monde et qui …

Au gré des pages, apparaissent des personnages dont nous retrouverons certains dans d’autres ouvrages du Disque-Monde : l’incroyable Bagage, coffre de voyage en "poirier pensant" muni d’une foultitude de petites jambes, propriété initiale de Deuxfleurs (qui l’a acheté dans une boutique magique et n’a pu l’y rapporter par la suite parce que la boutique s’était évaporée …) mais qui deviendra celle de Rincevent à la fin de « Le Huitième Sortilège » ; la Mort, bien sûr (ne ratez pas les explications sur les règles du jeu de bridge que Deuxfleurs lui fournit avec sa courtoisie innée : cela vaut largement le détour !) ; Trymon, l’Enchanteur trop ambitieux ; l’inénarrable Cohen le Barbare, quatre-vingt-sept ans et toute sa vigueur même s’il n’a plus beaucoup de dents ; Bethan, jeune vierge qui, sauvée par Cohen des mains de druides assassins, tombe amoureuse de son sauveur et entend bien l’épouser ; quelques trolls que l’âge transforme systématiquement en rochers (Vieux-Pépé en est le plus redoutable) ; et le Bibliothécaire de l’Université de l’Invisible (gagné ! Vous saurez enfin comment il s’est tranformé en orang-outang !)

Enfin, si le premier volume vous semble mettre un peu de temps avant de prendre son envol, soyez indulgents et n’oubliez pas qu’il est toujours un peu difficile d’exposer en détails pour la première fois un monde aussi complexe que celui du Disque. Et per-sé-vé-rez !

Que la lumière du Disque-Monde vous illumine et que Io l'Aveugle, le plus grand des dieux, veille à jamais sur vos lectures !