Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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Dires & Médires sur la Nourriture.

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samedi, avril 28 2007

Anorexie & Boulimie.

L'anorexique veut se confondre avec le Vide qu'il ressent.

Le boulimique tente, en vain, de combler ce Vide.

Tous deux ne sont que souffrances et plaies ouvertes bien qu'invisibles car le Vide, c'est l'Enfer de Dante.

lundi, mars 19 2007

Mon Corps, Où t'es-tu Perdu ?

Je crois que mon corps ne m'a jamais appartenu, qu'on ne nous a jamais présentés l'un à l'autre. Et que tout le mal vient de là.

D'abord, il y a eu l'éducation catholique de ma grand-mère et de ma mère. Bien que j'aie pour la première un amour qui ne cessera pas même avec la Mort, je reconnais que cette femme de devoir en était marquée : lorsqu'elle faisait sa toilette le soir, n'allait-elle pas jusqu'à se "désinfecter" (sic) le sexe avec de l'alcool à brûler ?

Ma mère, quant à elle, c'est le contraire. Elle n'a jamais eu une hygiène réelle. Du temps de mon père, sans doute - et encore. (Je pense même que mon père en a souffert car il était pour sa part d'une propreté quasi clinique.) Mais depuis 1972 ... Passons pour l'instant : j'en parlerai peut-être un jour.

Ma mère cependant continue à considérer le sexe comme "sale."

Ce qui ne l'empêcha nullement de tolérer la perversion de mon père à mon égard.

Bref.

De l'union de cette éducation rigide et faussée avec ladite perversion, devait naître la honte que j'ai toujours éprouvée envers mon corps.

Il y en a qui s'auto-mutilent (la boulimie et l'anorexie sont des formes subtiles d'auto-mutilation, d'ailleurs), d'autres qui se suicident carrément.

Chez moi, le corps seul est suicidant. L'esprit, lui, est combatif même si la vie et l'âge rattrapent le corps, bien évidemment. Mais chez moi, hélas ! l'esprit - et il est puissant - nie le corps.

__Ce qui fait que, bien que destiné à vivre dans mon corps, mon esprit a conservé un pied-à-terre (ou un pied-au-ciel ?) en-dehors de ce même corps. Et comme il s'y plaît mieux qu'ailleurs, il y habite la plupart du temps.

Il lit, il tape avec frénésie sur le clavier de l'ordinateur, il se plonge dans des DVD ou dans des CD et des jeux-vidéos, c'est ainsi qu'il rejoint sa petite garçonnière où il se love bien au chaud, dans cet amour et cette présence qu'il n'a jamais savourés pleinement dans son corps originel - sauf au temps de ma grand-mère.__

Alors, forcément, quand il est obligé de regagner son domicile principal pour assumer les obligations de la vie quotidienne, il a froid, il est maussade, malheureux et guère motivé.

Il faut le comprendre, tout de même ...

A Table Chez Mes Parents.

Parfois, chez mes parents, il n'y avait rien dans le réfrigérateur.

Ma mère était pourtant fonctionnaire (des PTT, comme le petit Besancenot) et mon père avait une pension d'invalidité tout ce qu'il y avait de plus normale. Cela se passait avant mai 1968 et les prix étaient ... ce qu'ils ne sont plus.

C'est dire que ma mère et mon père avaient de quoi nourrir leurs enfants - nous étions deux. Ce n'était pas le luxe bien sûr mais c'était plus que correct. Il y a des gens aujourd'hui qui ne possèdent pas ces revenus-là.

Seulement voilà, mon père - qui "souffrait des nerfs" selon ma mère et qui était aussi d'une avarice prodigieuse - mon père cachait sa pension je ne sais plus où et refusait de la donner pour le bien du ménage.

Voilà pourquoi le réfrigérateur était parfois si vide qu'un jour, je n'y trouvais plus qu'un reste de boîte pour chien - car nous avions à l'époque un petit chien, nommé Moïse, que mon père ne supportait absolument pas et que nous finîmes par donner à des maîtres plus dignes de ce nom.

Qu'eussiez-vous fait à ma place de petite fille de sept-huit ans ? Moi, j'ai mangé, je n'ai honte ni de le dire, ni de l'écrire.

D'autres jours, dans le réfrigérateur de mes parents, il y avait des légumes. Pour un pot-au-feu. Un pot-au-feu que je n'ai plus jamais retrouvé de ma vie - il faut dire que je n'ai jamais cherché à le faire.

Dans son pot-au-feu, ma mère jetait des carottes, des poireaux, de gros oignons et deux ou trois gousses d'ail non pilées. Cuites, celles-ci avaient des hideurs livides que je reverrai sans doute jusqu'à ma mort - j'espère qu'au-delà, je pourrai enfin m'abreuver aux sources du Léthé et purifier ma mémoire. Les oignons étaient d'un brun douteux qui virait vite au gris. Les poireaux, eux, ressemblaient - et, pour moi, ils ressemblent toujours d'ailleurs - à des cheveux de noyés. Quant aux carottes ...

Un soir, dans une carotte cuite, on découvrit ... un ver. Ben oui, un pauvre petit ver dans une carotte, dont ma mère n'avait pas dû suspecter la présence de squatter avant la lettre. Soumis à la chaleur de la cuisson, le malheureux était mort et j'espère que son agonie fût courte. Pour ceux qui se demanderaient à quoi ressemble un ver cuit, qu'ils apprennent donc ici que cela a beaucoup à voir avec un serpentin de cervelle de porc. Et ça a la même consistance étrange, qui cède comme en infimes granules sous la dent.

Bien sûr, moi, un pot-au-feu comme ça, je le jette carrément dans l'évier. Mais c'est vrai :

a) que je n'ai pas connu la guerre

b) et que je ne pense pas avoir d'instincts sadiques.

Mais mes parents

a) qui avaient connu la guerre - nés l'un en 1917 et l'autre en 1924, oui, ils l'avaient connue

b) et qui avaient des instincts sadiques latents dont je puis attester - j'ai des raisons autres que ce malheureux ver, mort ébouillanté dans la carotte dont il rêvait de se nourrir, pour l'affirmer bien haut ;

mes parents non seulement conservèrent le pot-au-feu mais nous firent manger la carotte incriminée avec son contenu.

C'est affreux, n'est-ce pas ? et je sais que, désormais, même si vous êtes, comme Fabius, un fanatique des carottes Vichy, vous ne les regarderez plus jamais du même oeil.

Cependant, c'est aussi une expérience utile. Brutale, dure et nauséeuse, soit. Mais utile, très utile. Ca vous plante au coeur une telle rage de survivre, une telle haine de ceux qui vous font subir ça - et tant d'autres choses - que, immanquablement, vous survivez.

Oh ! vous survivez bancal, moche, avec tout plein de cicatrices sur le coeur, un esprit très porté sur le cynisme et - hélas ! - un rapport à la nourriture complètement dénaturé, brouillé, massacré.

__Mais vous survivez.

C'est toute la différence entre vous et le ver qu'on vous a contraint à ingurgiter.__

Volupté Pervertie.

Il y a, à se faire vomir, une volupté à nulle autre pareille.

Quand je vivais en Normandie, les toilettes se trouvaient dans une pièce tout en longueur, en fait une ancienne salle de bains. A l'opposé des toilettes, un lavabo d'angle.

J'allais me faire vomir. Puis, je retournais passer mes mains, mes poignets et mes avant-bras sous l'eau froide - il n'y avait qu'un robinet d'eau froide sur ce lavabo. Et je n'oublierai jamais cette sensation : la fraîcheur qui coulait sur mes bras (même en plein hiver, c'était délicieux), la pureté qui m'inondait tout entière et cet apaisement qui se répandait dans tout mon être ...

C'est cette sensation que je recherchais avant tout, cette pureté merveilleuse qui faisait de moi, pour de trop brèves secondes et au prix de ces vomissements insensés et pourtant contrôlés, une petite fille naïve, intacte - la petite fille que je n'ai jamais eu le droit d'être.

Hideuse Nourriture.

La Nourriture a quelque chose de hideux.

A l'origine destinée à permettre à l'homme comme à la femme de soutenir leur corps et rien que celui-ci, elle a pris très vite, et à mon avis dès les premiers hommes dans les cavernes, une emprise démoniaque sur cet organe dont s'enorgueillit notre espèce : le cerveau. Sur les cerveaux moins évolués, elle semble s'être cassé ces dents qu'elle a pourtant vampiresques : il est rare en effet que les animaux souffrent de ces troubles atroces que sont l'anorexie et la boulimie, deux visages pour un seul monstre.

Pour trop d'entre nous, qu'ils l'avouent ou non, la Nourriture est avant tout un substitut, l'unique moyen, à vrai dire bien éphémère, de combler un vide affectif énorme, béant, abyssal.

Le meilleur moyen également pour se punir et s'auto-mutiler d'une façon si subtile que le quidam moyen est trop sot pour se rendre compte du drame qui se joue là, dans cette chair déformée. Absorbé dans les moqueries et les rires que lui inspire l'obèse ou le simple gros, M. Un-Tel rit, l'imbécile, il s'étrangle même de rire et se croit bien supérieur à cet esprit emprisonné dans un corps qui n'est pas vraiment celui qu'il a choisi à la naissance. M. Un-Tel rira de même en croisant un squelette ambulant qui se perd tous les jours de l'autre côté du miroir, scrutant avec terreur des kilos, une abondance, un surpoids qui ne sont en fait qu'un leurre issu de son cerveau pour mieux le mener à la mort.

Mais se punir de quoi ? S'auto-mutiler pour quoi ? A cause de qui, surtout ?

La Nourriture a quelque chose de hideux - de cette hideur qui nous vient de notre enfance et des blessures qui nous y ont crucifiés.

Seule dans le noir, je cherche ...

En fait, je ne sais pas ce qu'est vraiment, réellement, intimement la Nourriture.

Pour moi, la Nourriture est avant tout un esclavage, une corvée, un dieu jaloux auquel on doit sacrifier parce que, sinon, on finit par ne plus tenir debout - un autre de ces tours pendables que le Créateur, s'il existe, a cru bon de nous jouer pour mieux se délecter de nos blessures sanglantes. Si je pouvais d'ailleurs, je ne ferais pas de cuisine, je grignoterais du bout des lèvres, je ne mangerais rien.

Mais quand j'ai des peines affectives ou émotionnelles, la Nourriture devient alors nécessité et apaisement. Apaisement bien éphémère et en trompe-l'oeil mais apaisement tout de même. (Chose curieuse, les problèmes matériels, ces plaies d'argent dont le proverbe assure, c'est vrai, qu'elles ne sont pas mortelles, ne m'inciteront jamais à m'abandonner à la boulimie.)

Puis arrive le moment où, au beau milieu de la crise, je m'aperçois - et c'est toujours avec la même horreur - que je mange sans avoir faim. Alors j'arrête - parce que, tout de même, j'ai suivi divers parcours thérapeutiques et que je ne suis plus, malgré tout, une boulimique inconsciente.

D'ailleurs, c'est écoeurant, tellement écoeurant et tellement blasphématoire, de goûter à ce plaisir divin qu'est le chocolat sans ne plus rien percevoir de sa douceur un peu amère, plus rien de sa tendresse et encore moins de la paix qu'il contient !

Du coup, j'essaie de manger normalement, je mange même de la soupe (velouté poireaux-pommes de terre Liebig exclusivement) et ça marche. Pendant quelque temps.

Jusqu'au jour où boum ! l'un des miens a un problème. Mon mari se déconnecte, ma fille aînée s'éloigne dans son rêve, je me demande si la petite cessera de se mettre en position d'échec à l'école et si mon tout petit continuera à développer cette parole qui, chez lui, a eu tant de retard ...

Alors, je deviens comme .... comme ...

Je cherche et moi qui, dit-on, suis si douée avec les mots, je ne trouve pas celui qui s'applique à ce que j'éprouve alors. Aveuglement, cécité, je suis dans le noir et je tourne, je tourne dans le noir, je tâtonne, je cherche, je cherche ...

Je cherche quoi ? je cherche qui ?

L'amour que je n'ai pas eu dans mon enfance. Les parents que je n'ai pas eus. La sécurité dont on m'a spoliée.

Je suis abandonnée. Seule. Pour toujours. Vous pouvez bien être des milliers autour de moi, jamais vous ne pourrez me rendre ce que mon père, qui abusait de moi et ma mère, qui le laissait faire m'ont volé. Eux seuls le pourraient.

Mais mon père est mort - seul, comme un chien, les Erynies ne l'ont pas oublié - et ma mère attend la Mort dans la peur, terrifiée à l'idée que, ainsi que le lui a rabâché la religion catholique où elle fut élevée, il y ait réellement un Au-delà où "ses morts" comme elle dit lui réclameront des comptes ...