Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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Littérature anglo-saxonne (sauf Irlande et USA).

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mercredi, avril 18 2012

Chez Mrs Lippincote - Elizabeth Taylor (Grande-Bretagne)

At Mrs Lippincote's Traduction : Jacqueline Odin

Extraits Personnage

Un premier roman a toujours des maladresses d'enfant accomplissant ses premiers pas, surtout si son auteur maîtrise la nouvelle. Le premier roman publié - mais "Chez Mrs Lippincote" est en fait le second roman qu'elle ait rédigé - par Elizabeth Taylor n'échappe pas à la règle. On sent bien que l'Anglaise cherche ses marques et tâtonne un peu entre les multiples fils qu'elle tend sur sa toile pour entreprendre l'un de ces savants tissages dont elle a le secret. Mais, au bout du compte, l'ensemble finit par s'agencer et remporte l'adhésion du lecteur.

Le thème central : toujours les relations entre les êtres, bien sûr, pris dans un petit groupe contraints par la famille, le travail, les vacances ..., à se supporter les uns les autres. Pour habiller tout cela, l'histoire intérieure - mais jamais expressément avouée - d'une jeune femme d'officier qui, pendant le Blitz, rejoint son mari dans la petite ville de province où il a été muté. Le couple a un fils, Oliver, de santé apparemment fragile et très attaché à sa mère, femme aimable, cultivée et virevoltante, dont on saisit d'emblée l'anticonformisme inné. En outre, la guerre a eu pour conséquence de leur dépêcher comme voisine à demeure Eleonor, cousine éternellement célibataire du mari - Rodney.

La petite famille recomposée s'est installée dans la petite villa de Mrs Lippincote, une veuve aisée du coin, qui se fait ainsi un peu d'argent. Par deux fois d'ailleurs, on entreverra l'ombre de Mrs Lippincote et celle de son chapeau (qui impressionne beaucoup Oliver, seul témoin de la visite que l'hôtesse vient faire par politesse à une Julia malheureusement absente.) Plus présente, plus inquiétante aussi car elle semble souffrir de troubles de la personnalité, a silhouette de la fille de Miss Lippincote, qui s'introduit la nuit dans la propriété et court droit à la chambre dans la tour, seule pièce toujours fermée à clef sur les instances de la propriétaire, mais qui n'est en fait qu'une sorte de lingerie remplie de toilettes plus ou moins excentriques.

Et puis, il y a le supérieur hiérarchique de Rodney, un colonel bien plus âgé que Julia mais dont on devine qu'il se met peu à peu à ressentir pour elle quelque chose qui ressemble bien à de l'amour. Pour des raisons qu'on mettra tout le roman à comprendre, c'est lui qui se trouve à l'origine de la venue de la jeune femme auprès de son mari.

Tout à la fin du roman, alors que le couple Julia/Rodney semble sur le point d'éclater, un coup de théâtre, plus ou moins créé par une Eleonor en pleine crise de mesquinerie, produit l'effet inverse. Mais non parce que Julia est follement amoureuse de son mari ou en raison de quelque chose du même genre : simplement parce que, plus intelligente et bien plus fine que son époux et sa cousine par alliance, elle était, depuis le début, au courant de la teneur d'un certain billet retrouvé avant le lavage dans les poches de l'une des vestes maritales ... et qu'elle en avait pris son parti.

Toute la subtilité d'Elizabeth Taylor est dans cette fin qui met aussi un terme au séjour du jeune couple et de leur fils chez Mrs Lippincote. Avec le soin unique, minutieux et quasi pointilleux que Taylor apporte à camper cette atmosphère de campagne anglaise submergée par les préoccupations guerrières du temps, ainsi que les personnages qui s'y meuvent, cachant tous ou presque au fond d'eux-mêmes une douleur muette ou une bizarrerie du caractère - comme le pseudo-amoureux gauchiste et éternellement moribond d'Eleonor - cette fin fait oublier les petites maladresses d'exposition et les quelques moments de flottement que l'on perçoit çà et là.

jeudi, février 23 2012

L'Héritage de Miss Peabody - Elizabeth Jolley

Miss Peabody's Inheritance Traduction : Claire Malroux

Extraits Personnages

Voici un curieux petit roman, à la fois amer et drôlatique, dans ce style particulier à quelques romancières anglaises à vrai dire assez peu connues chez nous mais très appréciées dans le monde anglo-saxon, à savoir Elizabeth Taylor, Barbara Pym et l'incontournable et surprenante Ivy Compton-Burnett. Ajoutons à cette triade la mansfieldienne Elizabeth Bowen et Muriel Spark et le portrait de groupe sera encore plus parlant.

Miss Peabody est ce que l'on appelle encore, à l'époque où se déroule le roman, "une vieille fille." Elle a grandi dans une petite maison de la banlieue londonienne, entre un père et une mère qui l'aimaient, certes, mais la couvaient un peu trop. Le père - avec qui elle semble avoir eu un lien privilégié - décédé, la jeune femme s'est retrouvée seule avec sa mère. Le temps a passé avec ce naturel et cette rapidité dont lui seul est capable et les espoirs de mariage de Miss Peabody se sont envolés, complètement évanouis dans la nature, ne laissant derrière eux qu'une Mrs Peobody désormais impotente et à laquelle la fille se dévoue sans relâche matin et soir, avant de partir à et en revenant de son travail.

Seule échappatoire pour Miss Peabody : la lecture. Esprit relativement simple, elle aime les succès de librairies et, un jour, trouve on ne sait où le courage d'écrire à Diana Hopewell, romancière australienne dont elle a énormément apprécié le dernier ouvrage, une histoire de pensionnaires entrant en communion avec la Nature par le biais de chevauchées au clair de lune et d'explorations tâtonnantes d'amours adolescentes au parfum de lesbianisme. Ce dernier détail en dirait long sur les propres rêveries de Miss Peabody mais elle est à vrai dire si naïve - et le lecteur ne cessera d'ailleurs de la trouver de plus en plus naïve - qu'on peut douter de sa bonne compréhension de l'intrigue.

Miss Peabody est la première à s'en étonner : Diana Hopewell lui répond. Mieux : la romancière prend l'habitude de lui écrire très régulièrement et de lui faire part de ses travaux sur son prochain ouvrage. Là encore, il y aura des pensionnaires, celles d'une institution haut-de-gamme pour jeunes filles de bonne famille, dénommée "Les Hauts du Pin". Mais on y verra un peu plus de professeurs - des femmes elles aussi, bien sûr. Au premier rang, Miss Thorne, directrice pleine d'allant et débordante d'idées, toujours flanquée de la pâle, terne et pleunicharde Miss Edgely avec laquelle, on le découvre au fil des extraits et commentaires reçus par Miss Peabody, elle a jadis vécu une liaison torride et avec qui elle forme l'un de ces vieux couples qui sont légion chez les hétérosexuels et dont on a tort de sous-estimer le nombre chez les homosexuels.

Avec une habileté d'autant plus remarquable qu'elle paraît absolument naturelle, Elizabeth Jolley mène de main de maître ses trois intrigues : la découverte d'elle-même que, par le biais de sa correspondance avec Diana Hopewell, fait Miss Peabody, l'étude des difficultés rencontrées par la romancière australienne pour mener à bien son dernier projet littéraire et bien entendu les tribulations de Miss Thorne, partie en voyage en Europe avec sa bonne "Edge" et une jeune pensionnaire qui inspire à cette dernière une redoutable jalousie.

Le plus étonnant, c'est qu'on entre dans ce roman avec un petit sourire distrait, en se disant presque que ça ne fonctionnera pas et qu'on en sort fasciné par la technique de l'auteur. Tout est clair et calculé au millimètre. Loin de s'embrouiller avec ses voisins, chaque fil met en valeur le suivant. Et tout ça avec une économie de moyens qui laisse rêveur et admiratif.

Avec un projet un peu plus long - le roman ne fait que deux-cent-dix pages chez Payot-Rivages - l'effet en aurait peut-être été gâché. Mais Jolley a conscience de ses limites et nous invite à refermer le livre quand tout est joué - sauf pour Miss Thorne et ses compagnes, encore dans les limbes de l'imaginaire et léguées par Diana Hopewell à une Miss Peabody désormais bien plus sûre d'elle. A plus de cinquante ans, il était temps que cela lui arrive, non ?

Elizabeth Jolley a écrit d'autres romans dont "Foxybaby", qui prend pour cible les cures amaigrissantes. Je crois bien que, un de ces jours, je vais me l'acheter. Et, bien entendu, je reviendrai vous en parler.

Le Papier Tue-Mouches - Elizabeth Taylor

Devastating Boys Traduction : Nicole Tisserand

Extraits Personnages

Ce recueil de onze nouvelles réserve sans doute moins de "chutes" que "Cher Edmund." Pour autant, il ne lui est en rien inférieur.

"Irrésistibles Vandales", première histoire du lot, qui donne son titre à l'édition anglaise, est le récit, tout en suggestions et en délicatesse, du séjour de deux petits Noirs, Sep et Benny, issus des quartiers difficiles de Londres, chez un couple de notables ruraux dont le mari a des opinions nettement "labour." C'est surtout l'épouse, Laura, qui va s'occuper d'eux tout au long de la quinzaine qu'ils passent dans la paisible campagne anglaise. D'abord maladroits, tantôt se voulant supérieurs parce que "urbains", tantôt feignant l'indifférence aux joies qu'ils découvrent, Sep (pour Septimus) et Benny finiront, à la fin de l'histoire, par se révéler de simples enfants en mal d'affection et d'attention. Et Laura, tout d'abord parniquée par leur arrivée, les verra la quitter avec nostalgie.

La troisième nouvelle, "La Grande Perche", met aussi en scène un personnage de couleur, Jasper, qui a trouvé un modeste emploi à Londres et envoie régulièrement une grande partie de son salaire à sa mère, restée au pays avec ses deux petites soeurs. Simple et sans malice, Jasper est aussi de ces gens qui, sous n'importe quelle latitude et dans n'importe quelle circonstance, sont heureux de vivre. Les pages qui lui sont consacrées reflètent admirablement cet art de la vie qu'il cultive avec naturel, sans même s'en rendre compte.

Nostalgie encore avec "Eloges", où la première vendeuse du rayon de vêtements pour dames d'un grand magasin londonien, Miss Smythe, arrive au jour de sa retraite. Une retraite qu'elle attend évidemment avec impatience. Mais sur le chemin du retour, le soir, chez elle, dans le train de banlieue, elle réalise que c'est aujourd'hui pour la dernière fois qu'elle croisera tel voyageur ou tel autre que, peu à peu, au fil de toutes ces années, elle avait appris à connaître. Qu'importe ! Après un bref moment d'abattement, Miss Smythe redressera la tête et partira vers sa retraite ...

"Oeuvre de Chair" est un petit bijou de tendresse et de sensualité dont les héros, Phyl, épouse en vacances d'un propriétaire de pub londonien, et Stanley, un homme seul, se rencontrent et sympathisent lors d'un voyage organisé. Ce sont des gens tout ce qu'il y a de plus ordinaires, tous deux gros buveurs et gros mangeurs, tous deux sur le retour, tous deux bruts de décoffrage si l'on peut dire (quoique Phyl soit plus raffinée) et c'est sans doute pour cela qu'ils nous touchent. Leur romance n'aura peut-être pas la fin souhaitée par Stanley mais il se dégage de ce récit une telle douceur et une telle authenticité que le lecteur ne s'en plaindra pas. Pas plus que Phyl d'ailleurs.

"Miss A. et Miss M." prouve, avec élégance et cruauté, que dans un couple, fût-ce celui de deux êtres du même sexe, l'un aime toujours plus que l'autre et risque son coeur et parfois sa vie au jeu de la passion. Le tout est raconté par une adolescente qui, sans trop l'analyser, a, selon l'expression consacrée, "le béguin" pour un professeur qu'elle admire bien à tort, Miss A.

"Crêpes Flambées" se déroule dans un pays maghrébin où deux touristes anglais, de retour pour les vacances, recherchent en vain un groupe d'Arabes avec lesquels ils avaient sympathisé l'année précédente. Finalement, ils tombent sur le chef du groupe, Habib, qui leur affirme être devenu chef-cuisinier dans un hôtel-restaurant de luxe. Mais quand nos deux héros s'y pointent pour lui faire une surprise, pas d'Habib à l'horizon ... Empreinte de tristesse malgré les couchers de soleil radieux qu'elle dépeint en parallèle, cette nouvelle révèle que son auteur avait pris le temps d'étudier la société patriarcale maghrébine.

Viennent ensuite les nouvelles "à chute" :

1) "L'Excursion à la Source", où deux Anglaises en vacances en France finissent par trouver ce qu'elles cherchaient l'une et l'autre, la première, Gwenda, autoritaire et intéressée, la seconde, la lumineuse Polly, avide d'absolu.

2) "D'une Maison A L'Autre", de loin la plus drôle, la plus ironique du lot, où une petite concierge en herbe, la jeune Kitty, actuellement en vacances, va d'une maison à une autre dans le petit village qu'elle habite, colportant les rumeurs les plus exactes comme les plus exagérées et jouant ainsi le rôle d'une gazette locale vivante.

3) "Soeurs" révèle la regrettable histoire familiale de Mrs Mason, femme discrète et plutôt collet monté, qui a eu la malchance d'avoir pour soeur une extravertie de quelque talent, devenue romancière célèbre. Dans son oeuvre, la romancière n'a cessé de modifier le profil général de la famille qui était la sienne, mentant et déformant sans vergogne et prêtant notamment au personnage de Mrs Mason des comportements et des paroles d'une incorrection effarante - comportements et paroles qu'elle n'a évidemment jamais eus ni tenues.

4) "Hôtel du Commerce" voit deux jeunes Anglais en voyage de noces prendre pension pour un soir dans un hôtel où leurs voisins de chambre vont leur servir durant la nuit une sérénade d'insultes et de reproches conjugaux avant, au matin, de ... mais chut !

5) et enfin l'inquiétant et accablant "Papier Tue-Mouches" dont on comprend vite pourquoi l'éditeur français a choisi de lui donner l'honneur du titre principal. Pour le résumer, disons simplement que, si les victimes de Michel Fourniret et de son horrible compagne avaient lu cette nouvelle glaçante et glacée, elles seraient peut-être toujours en vie.

Elizabeth Taylor était un grand écrivain, croyez-moi.

mercredi, février 22 2012

Cher Edmund - Elizabeth Taylor

The Blush Traduction : François Dupuigrenet Desroussilles

Extraits Personnages

J'avais pris par hasard ce recueil de nouvelles que ma fille aînée avait acheté, attirée par le titre. Et ce fut une excellente surprise, que je classe d'ores et déjà comme l'une des meilleures de cette année. Par son élégance, sa manière de s'attacher aux détails tout en suggérant une foule de choses et d'idées, par sa maîtrise de l'art du récit, par son humour enfin et même par une certaine cruauté qui perce ici et là dans le regard qu'elle pose sur ses personnages, Elizabeth Taylor mérite de figurer au rang des meilleurs nouvellistes du XXème siècle. (Comme j'ai acheté dans la foulée "Vue du Port", je vous dirai sans doute dans quelque temps si je lui trouve autant de talent pour le roman, pierre d'achoppement de tant de génies de la nouvelle. )

Au programme, douze nouvelles se déroulant toutes en Angleterre et très souvent d'ailleurs à la campagne. Une seule - l'antépénultième - "Pauvre Fille", histoire d'une jeune gouvernante hantée sans le savoir par l'esprit de la future gouvernante de la fille de son actuel élève (Elizabeth Taylor applique à la lettre la théorie du temps "en boucle" où il n'y a en fait ni passé, ni présent, ni avenir) présente un fond fantastique qui ravira les amateurs autant, je l'espère, qu'elle m'a ravie. C'est une vraie gourmandise que cette "Pauvre Fille" qui met en valeur l'art de l'écrivain et son impeccable technique.

Les onze autres nouvelles appartiennent au genre réaliste. Mesdames qui avez à vous plaindre de la gent masculine, je vous recommande vivement le jubilatoire "Une Tare Héréditaire Peut-Etre" où l'on voit un jeune marié tout neuf et grand amateur d'alcools et de stations au pub (comme son papa ) ... Mais chut ! Je n'en écrirai pas plus : la fin est vraiment trop méchante - mais aussi trop vraie, toutes celles ayant connu un tant soit peu l'univers des bars et des messieurs aimant y boire "entre copains" partageront mon avis. Certains se récrieront peut-être en disant : "C'est caricatural, voulez-vous dire !" Oh ! si peu, messieurs, si peu ... Des cas comme celui du triste héros de cette nouvelle existent, hélas ! Mais, fidèle à notre réputation de discrétion, nous ne citerons aucun nom.

"Le Rouge au Front", seconde nouvelle du recueil, vaut aussi largement son pesant d'encre : Mrs Allen a pour femme de ménage une certaine Mrs Lacey, femme assez vulgaire qui se plaint tout le temps : de ses enfants, de son mari, etc ... Or, un jour, se présente justement à la porte de Mrs Allen un Mr Lacey embarrassé mais bien décidé à obtenir un peu plus de temps libre pour sa malheureuse épouse, laquelle se retrouve enceinte pour la énième fois ...

"Malaise", l'une des plus longs parmi les textes recueillis, est une petite merveille de construction qui nous détaille avec subtilité et retenue comment la jalousie s'installe entre deux jeunes filles dont l'une a épousé le père, forcément plus âgé, de l'autre.

Mais la palme de la subtilité revient peut-être à la nouvelle qui ouvre le bal, "Le Piège", que devraient lire toutes les mères abusives et avides de pouvoir.

Bref, amateurs de nouvelles et d'auteurs anglais, n'hésitez pas à vous procurer "Cher Edmund" : ce petit livre sans prétention, aussi discret que celle qui l'écrivit, vous fera passer de très bons moments. Et qui sait ? Peut-être en redemanderez-vous.

mercredi, novembre 9 2011

Ma Cousine Rachel - Daphne du Maurier (Grande-Bretagne)

My Cousin Rachel

Traduction : Denise Van Moppès

Extraits

Personnages

Englué dans une atmosphère singulièrement sombre, si ce n'est glauque avec les pages du début qui s'ouvrent sur un gibet encore garni, "Ma Cousine Rachel" est le roman du Doute et du Non-Dit. Son rythme est à l'image de l'ambiance : lent, voire pesant et même lassant pour ceux qui, ne connaissant pas d'autres oeuvres de l'auteur, commencerait par "Ma Cousine Rachel" pour se plonger dans son univers (ce que je déconseille fortement). Moi-même, à certains moments, comme par le passé, j'ai failli décrocher mais j'ai pris sur moi et résolu d'aller jusqu'au bout du périple.

En apparence, le thème est bsimple/b : un riche propriétaire terrien britannique du XIXème, Ambrose Ashley, qui a élevé son neveu Philip plus comme son fils que comme un simple neveu, doit, pour sa santé, aller prendre le soleil sur le continent. Après avoir confié sa propriété à Philip, devenu jeune homme, Ambrose entreprend donc son tour de l'Europe méridionale et tombe sous le charme de l'Italie et de la jeune veuve qu'il y rencontre, la comtesse Rachel Sangaletti. Bien entendu et malgré leur différence d'âge, il finit par l'épouser et remet indéfiniment son retour dans la pluvieuse Angleterre. Et puis, voilà que les lettres envoyées régulièrement à Philip commencent à s'espacer et, plus grave encore, à devenir incohérentes, évoquant désormais la douce Rachel comme une empoisonneuse en puissance qui tente de se débarrasser de son second mari ...__

Accouru trop tard en Italie, un Philip remonté et au bord de l'explosion y apprend la mort de son oncle et le départ de "la condessa" que l'étrange et trop séduisant homme d'affaires de Rachel, Rainaldi, dépeint au jeune homme comme une fuite légitime loin du chagrin provoqué par la mort d'Ambrose. Il ne reste donc plus au jeune Anglais qu'à regagner son pays.

Quelques mois plus tard, il reçoit une lettre de sa cousine Rachel, lui demandant s'il veut bien prendre en charge les divers papiers, bagages, etc ... ayant appartenu à son époux et qu'elle ramène dans la patrie de celui-ci. Poussé par les uns, mis en garde par les autres, Philip accepte de recevoir la jeune femme dans la propriété dont il est pour l'instant le seul héritier, son oncle n'ayant pas eu le temps de modifier son testament.

Débute alors un étonnant ballet dont les différents tableaux vont insensiblement amener Philip à revoir son opinion sur Rachel, puis à tomber amoureux d'elle et enfin à la demander en mariage. Pourtant, le doute finira par triompher et la jeune femme n'aura jamais de troisième mari. Mais tout cela ne s'achèvera pas sans avoir transformé Philip lui-même en assassin.

Ce qu'il y a d'incroyable dans ce roman, c'est l'habileté avec laquelle, peu à peu, Daphne du Maurier, fait partager à son lecteur les doutes, les rages, la répugnance et à nouveau les doutes, puis l'horreur de Philip Ashley. On en sort sans bien savoir si l'on a rêvé ou pas, si oui ou non, Rachel a empoisonné non seulement son deuxième mari mais aussi le comte Sangaletti, si, enfin, elle a tenté d'agir de même envers Philip après que celui-ci lui eût assuré son avenir financier. Certes, il y a ces baies de cytise qui surgissent ici et là, en quelques éclairs maléfiques, tantôt dans la gaieté du soleil de Florence, tantôt dans les tiroirs du bureau, dans l'appartement occupé par Rachel chez son jeune cousin. Mais est-ce suffisant ? La preuve directe, éclatante, manque toujours - et ne cessera de manquer.

A la fin du roman, Philip, pourtant, convaincu que le seul intérêt guide les actes de Rachel, laisse celle-ci partir en promenade dans le parc alors en plein travaux du domaine, espérant bien (mais sans le confier à quiconque) qu'il lui arrivera malheur. Seulement, après le drame, le pauvre garçon n'est à nouveau plus sûr de rien, hormis d'une chose : il a quant à lui, c'est certain, provoqué la mort de celle qu'il aimait.

Un roman glauque, noir, compact et qui laisse son lecteur dans le doute. Eût-il possédé un rythme plus enlevé et dépeint le caractère des personnages avec un brio semblable à celui entrevu dans "Rebecca", que "Ma Cousine Rachel" ne serait pas resté cantonné dans ce que j'appellerai les oeuvres "mineures" de son auteur.

mardi, novembre 8 2011

Il Etait Une Femme - Gloria Cigman (Grande-Bretagne)

A Wife There Was

Traduction : Marthe Mensah

Extraits

Personnages

Merci aux Editions Calleva qui, dans le cadre d'un partenariat avec notre forum Nota Bene, nous ont permis de découvrir à titre gracieux ce titre de Gloria Cigman.

Séduite et intriguée par le personnage de l'une des pèlerines mises en scène par Chaucer dans ses "Contes de Canterbury", Gloria Cigman avait formé le projet de retracer le destin d'un personnage qui, à ses yeux, était d'exception, surtout dans le contexte d'un Moyen-Age où la femme demeure le plus souvent soumise à l'homme, qu'il s'agisse du père, du frère, de l'oncle, du tuteur ou du mari.

N'ayant pas (encore) lu l'oeuvre de Chaucer, je ne saurais dire si j'aurais moi-même succombé au charisme de dame Alison. Mais, en toute franchise, le caractère qu'elle nous révèle dans "Il Etait Une Femme" est loin de m'avoir séduite. Dès l'enfance en effet, elle est narcissique à outrance, trait de caractère qui peut avoir son charme dans certains cas (on pense à la Scarlett O'Hara de Margaret Mitchell) mais qui, s'il n'est pas maîtrisé ou canalisé par l'action du livre ou son contexte historique, devient vite insupportable.

Si l'on compatit à bon droit au destin de pion que lui impose très tôt sa condition féminine - son père la veut aussi instruite qu'un garçon mais elle doit se travestir pour suivre les cours du collège, puis, afin d'éviter la faillite familiale, on la marie à douze ans à la fortune d'un vieillard, elle prend un jour un jeune amant dont elle a une fille qu'elle se voit évidemment contrainte d'abandonner, etc, etc ... - on est choqué par la constance avec laquelle Alison se concentre sur elle, et sur elle seule. Certes, nous sommes en présence d'une riche nature et, eût-elle un peu plus de jugeote, qu'on pourrait voir en elle une ancêtre des féministes. Le problème est qu'Alison n'a aucune vision sociale ou politique de son rôle dans la société qui est la sienne (sauf quelques éclairs, très brefs et très frustrants, çà et là) et qu'elle est en outre incapable de se projeter dans l'avenir. Quant à lui demander de réfléchir pleinement sur la condition féminine tout entière, cela relève de la fantasmagorie pure et simple. Le moment présent, ce qu'il y a eu d'heureux dans le passé, cela lui suffit - et elle ne s'en cache pas.

Si encore son narcissisme la protégeait de la notion de culpabilité sur laquelle se fonde la religion judéo-chrétienne ! Mais non, on est tenté d'écrire que cette chape de plomb, ces mea culpa continuels, agrémentés de je ne sais plus combien de pèlerinages (elle se rend même à Jérusalem), cette foi propre au Moyen-Age, lui permettent au contraire de recentrer son narcissisme autour de sa petite personne. Depuis la naissance adultérine de sa fille, Alison se sait pécheresse et tient à tous prix à obtenir le pardon divin. D'où sa manie ambulatoire vers les lieux de pélerinage traditionnels de l'époque - et son apparition chez Chaucer. Son repentir est probablement sincère mais la jouissance qu'elle goûte à tous ces déplacements, à toutes ces prières, a quelque chose de fort peu catholique ...

Bien entendu, Gloria Cigman utilise tous les ressorts de son intrigue pour nous faire découvrir le Moyen-Age au quotidien, à l'époque où sévissait encore la guerre entre les Anglais et les Français, où les estropiés et les malades prenaient la route pour se faire guérir à Compostelle ou à Rome et où les riches marchands drapiers des Flandres introduisaient leur art en Grande-Bretagne. Tout cela est fort intéressant mais l'héroïne et ses affaires personnelles sont si envahissantes que c'est à peine si on a le temps de jeter un coup d'oeil au contexte historique ou social.

Je sors donc de cette lecture assez déçue. Mais ce n'est là qu'une opinion personnelle et qui tient essentiellement au peu d'empathie que j'éprouve envers les personnages narcissiques, qui me lassent très, très vite et, qui pis est, finissent par m'exaspérer. Tant que l'action garde le pas sur eux, ça peut aller mais si elle n'y parvient pas ...

Deux Soeurs Pour Un Roi - Philippa Gregory (Grande-Bretagne)

The Other Boleyn Girl

Traduction : Céline Véron-Voetelink

Extraits

Personnages

C'est probablement parce que, suite à la diffusion sur Arte du très joli - mais trop américanisé - "Les Tudor", je songeais à une vieille série de la BBC, tournée dans les années soixante-dix et relatant, en six épisodes, le destin des six épouses d'Henry VIII, que j'eus la fantaisie d'acheter ce gros volume de poche, fort de six-cent-cinquante-sept pages, et ceci en dépit de sa couverture un tantinet racoleuse. A peine l'avais-je acquis que je pensai, non sans maussaderie : "Je serai déçue, c'est certain : les bons romans historiques, c'est rare ..."

Je le pense toujours mais, en définitive, je n'ai pas été déçue. Même : voici un ouvrage que je recommande fortement à tous ceux qui s'intéressent à l'Histoire des Tudor et de la monarchie anglaise mais qui redoutent de se perdre au milieu des dates, des conflits d'intérêts et des batailles politiques. L'auteur y retrace, à grands traits nets et simples, les évènements qui aboutirent à la rupture d'Henry VIII avec Rome et à la naissance de l'Eglise anglicane. Certes, tout cela est montré par le petit bout de la lorgnette et s'exprime par la voix d'une Mary Boleyn légèrement rajeunie pour la circonstance - il semble qu'elle ait épousé son premier mari, William Carey, à vingt ans et non à quinze. Sur d'autres points, Gregory a pris certaines libertés avec la réalité historique mais comme elle est, c'est indéniable, de la même nature que notre Alexandre Dumas national, on le lui pardonne de bon coeur.

Pour rétablir l'exactitude, on rappellera que Mary, qui grandit à la cour de France, compta sans doute parmi les maîtresses de François Ier et qu'elle n'était donc pas une novice quand, sur pression de sa famille, elle entreprit de séduire Henry VIII. En ce qui concerne les deux enfants qui furent reconnus par William Carey, on n'a jamais pu prouver réellement qu'ils étaient les fruits de sa liaison - le cadet, Henry, avait pourtant, semble-t-il, le physique des Tudor. De même, il ne semble pas non plus qu'elle ait soutenu sa cadette lors de l'arrestation de celle-ci. Enfin, pour nombre d'historiens, elle ne fut jamais si proche de ses cadets, Anne et George, que le montre Philippa Gregory.

Si l'on veut bien conserver ces points à l'esprit, on s'abandonne avec facilité à cette histoire certes romancée mais qui présente quelques mérites non négligeables :

1) Tout d'abord, l'auteur met bien en évidence le peu de poids qui était celui des femmes, fussent-elles de sang royal, comme Catherine d'Aragon, dans la société anglaise du XVIème siècle. Mary, sa soeur, sa fille et sa mère elle-même, Mary, la soeur du Roi et Catherine, sa première épouse, toutes ne sont que des pions. Le drame d'Anne Boleyn sera justement de se vouloir reine - la pièce la plus puissante du jeu d'échecs.

2) En dépit des apparences, la complexité des caractères est, elle, scrupuleusement respectée : la relation ambivalente qui est celle de Mary et d'Anne, mélange d'amour et de jalousie ; les étranges rapports qui unissent George à ses soeurs et tout particulièrement à Anne ; et, chez Henry, l'affirmation d'une personnalité de plus en plus envahissante et despotique qui entre parfois en conflit avec des sentiments secrets et plus doux, comme sa tendresse pour ses filles.

3) Le portrait que dresse Gregory et de la Cour et des rivalités qui s'y déroulent est brillant et glacial. Il rappelle à quels abîmes de bassesse et de lâcheté peuvent atteindre hommes et femmes lorsque les aiguillonne la soif du pouvoir. Dans le même ordre d'idées, son analyse des motivations auxquelles obéissent tous les membres de la famille Howard-Boleyn est impressionnante.

On regrettera bien sûr, moi la première, certaines ellipses : les grandes querelles politiques, la triple opposition François Ier-Charles Quint-Henry VIII, le renouveau spirituel et les tensions qu'il commence à engendrer dans toute l'Europe, des références plus explicites au passé anglais et à la victoire des Lancastre sur les York, auraient été les bienvenus. En tous cas pour les lecteurs connaissant bien l'Histoire.

Les autres, il est vrai, les débutants, intéressés mais en même temps sûrs et certains qu'ils seront vite dépassés par un récit où le sérieux l'emporte sur le romanesque, cela les ferait fuir. Or, manifestement, Philippa Gregory poursuit le but inverse. Elle peut être fière : avec ce livre, son objectif est atteint, et même dépassé. Il donne même envie de découvrir les autres volumes. Que dire de plus ? ...

vendredi, novembre 4 2011

De l'Assassinat Considéré Comme Un Des Beaux-Arts - Thomas de Quincey - (Grande-Bretagne)

On Murder Considered as One of the Fine Arts

Traduction & préface : Pierre Leyris

Extraits

Essai extrêmement célèbre sorti en 1827 dans l'Angleterre pré-victorienne, "De l'Assassinat Considéré Comme Un des Beaux-Arts" est un ouvrage singulier, où l'humour noir à la britannique le dispute à une volonté passionnée de comprendre ce mécanisme subtil et ingérable qui, de n'importe quel homme, peut faire un meurtrier pour le plaisir. Tiraillé entre ces deux tendances, le livre en ressort un peu bancal : si le lecteur sourit et rit même de bon coeur en parcourant les deux premiers textes du recueil, la chose lui devient impossible dès qu'il aborde le "Post-scriptum" - la partie la plus longue de l'essai - dans lequel De Quincey, renonçant à l'ironie et aux descriptions de quelques grotesques tel "Crapaud-dans-son-trou", se penche dans le détail sur le cas de John Williams, assassin, en ]1812, des membres de deux paisibles familles londoniennes.

Peu à peu, l'auteur passe de l'idée abstraite du meurtre à la matérialisation de ce fantasme dans une réalité qui, pour les premiers lecteurs de son texte, était encore très présente et qui, pour nous, gens du XXIème qui avons connu une partie du XXème, trouve tous les jours dans l'actualité le moyen de se recomposer avec profit. Il commence sa liste d'assassins par Caïn le biblique, poursuit allègrement avec des "meurtres d'Etat", tels ceux de Henri III et de Henri IV en France et celui du duc de Buckingham en Grande-Bretagne, crée une réjouissante digression sur les philosophes qui manquèrent d'être assassinés pour une raison ou pour une autre - Descartes et Spinoza sont du nombre - et termine par la description d'une réunions d'"amateurs" - entendez en crimes - présidée par lui-même ou plutôt par son alter ego, le narrateur anonyme, et dont les membres portent à n'en plus finir des toasts aussi absurdes que morbides, dans une atmosphère délirante qui rappellera à certains la bouffonnerie des premières pages des "Pickwick Papers."

Le "Post-scriptum", lui, use d'un tout autre ton : grave, réfléchi, il accumule les détails sur ce qui fut l'affaire Marr-Williamson, reconstitue, avec une précision qui eût fait l'admiration de Sherlock Holmes, les gestes de l'assassin au milieu des carnages qu'il provoque, et surtout s'interroge sur les raisons de ses actes. Au début, c'est vrai, De Quincey nous laisse croire que Williams tuait uniquement pour l'argent et que, chez les Marr, il se sentit contraint, pour sa propre sécurité, de ne laisser aucun témoin. Seulement, si ces motifs sont certainement exacts, ils ne sauraient représenter la vérité dans son intégralité.

Dans la deuxième affaire, De Quincey, avec une puissance d'évocation qui transporte son lecteur sur la scène du crime et le transforme en un témoin ignoré de l'assassin mais toujours susceptible d'être découvert par lui, démontre que, après avoir abattu Mr et Mrs Williamson ainsi que leur malheureuse servante, leur tueur n'a aucune raison d'égorger la petite fille qui dort, deux étages plus haut, dans sa chambre. D'ailleurs, lorsqu'il se déplace au second afin d'y chercher ce qu'il pourrait y voler, Williams le constate de ses propres yeux : l'enfant ne s'est pas réveillée, elle ignore tout de ce qui s'est passé au rez-de-chaussée tout comme elle ignore qu'il vient d'entrer dans sa chambre dans le but de la tuer à son tour.

Et pourtant, Williams, au lieu de se retirer, s'avance et reprend sa lame de rasoir. Il faudra l'intervention quasi miraculeuse des voisins, ameutés par un jeune domestique qui avait réussi à s'enfuir sans que le tueur soupçonnât sa présence, pour que l'enfant échappe à la mort.

Et c'est là qu'on découvre, chez Thomas de Quincey, la réelle profondeur de sa réflexion sur l'instinct de tuer ainsi que le but véritable de ces trois "conférences" commencées dans le rire, fût-il grinçant, et qui s'achèvent dans une horreur froide, reptilienne : si le profit avait été le seul mobile de Williams, il n'aurait pas cherché à égorger l'enfant mais, comme il sort sa lame, c'est bien la preuve que le domine, en réalité et par dessus tout, la soif de prendre une vie pour le seul plaisir de le faire. Sous nos yeux, l'assassin dépeint par De Quincey n'est plus un meurtrier opportuniste : il y a en lui un tueur en série qui apprend à se connaître même si la société dans laquelle il vit ignore encore tout de ses mécanismes.

Voilà en quoi la fin de "De l'Assassinat Considéré Comme Un des Beaux-Arts" est terrifiante, voilà en quoi elle annonce non seulement l'apparition de Jack l'Eventreur sur la scène de Whitechapel, soixante ans plus tard, mais aussi les innombrables serial killers du siècle suivant. Toutefois et en-dehors des faits décrits, elle n'aurait pas un tel impact sur le lecteur sans le génie visionnaire de l'écrivain. Son long "Post-scriptum" se vit comme un cauchemar éveillé qui nous glace, d'une précision visuelle telle qu'elle finit par nous blesser, une épopée de ténèbres et de sang qui, la dernière page tournée, nous laisse pour longtemps avec la dérangeante certitude que le démon le plus secret de l'être humain, l'instinct du Tueur, n'est pas près d'être exorcisé.

mercredi, juillet 28 2010

Le Grand Elysium Hotel - Timothy Findley (Canada)

Famous Last Words Traduction : Bernard Géniès

De Timothy Findley, j'avais lu, il y a une dizaine d'années, un "Chasseur de Têtes" qui m'avait beaucoup marquée par l'art avec lequel son auteur rendait un hommage onirique à Joseph Conrad, et un "Pilgrim" qui, je l'avoue, m'avait laissée plutôt dubitative. Avec "Le Grand Elysium Hotel", je renoue avec mon impression première.

Le roman se fonde sur deux interrogations historiques : 1) Hitler se contenta-t-il d'apparaître au bon moment et au bon endroit ou fut-il le produit, d'ailleurs prévisible, d'une succession de circonstances qui aboutirent au sinistre paroxysme que l'on sait ? 2) Du côté de l'Axe, certains ont-ils songé à faire de l'ex-roi d'Angleterre, Edward VIII, le pivot d'un ordre pan-germanique totalitaire qui succèderait à Hitler et ses sbires lorsque ceux-ci auraient accompli le "sale boulot" ?

Dans un respect absolu de l'Histoire, Findley ressuscite, à travers le récit gravé par son héros sur les murs des chambres de l'Elysium Hotel, dans les Alpes autrichiennes, ce volcan en ébullition que fut l'Europe, du début des années trente jusqu'à la chute du IIIème Reich en 1945.

Le héros, c'est Hugh Mauberley, romancier américain à succès qui, dans les années vingt, se lie d'amitié avec son compatriote, le poète Ezra Pound, ainsi qu'avec celle qui n'est encore que Wallis Spencer et qu'il rencontre à Shanghaï. Deux attirances qui révèlent déjà un peu l'orientation idéologique de Mauberley, orientation que Findley a la sagesse de présenter dans le contexte de l'époque : d'un côté, le triomphe de la révolution bolchevique qui menace de s'étendre à l'Ouest, pour la plus grande méfiance et la plus grande horreur de ceux que les idées communistes ont toujours fait frissonner, et, de l'autre, la réplique conservatrice à ce totalitarisme révolutionnaire : le totalitarisme fascisme, puis national-socialiste.

Fuyant les troupes soviétiques et américaines qui libèrent l'Europe occupée, Mauberley vient se réfugier à l'Elysium Hotel, où il a conservé de bons souvenirs mais où l'attend la Mort. Avant d'être assassiné par une Némésis engendrée par son passé et tout ce qu'il a pu y voir et y entendre, et pressentant peut-être que ses carnets de notes ne lui survivront pas, il prend la précaution de graver l'essentiel de ce qu'il sait sur les murs des quatre chambres qui forment sa "suite." Ceci pour l'édification des deux officiers américains qui découvriront son cadavre : le colonel Freyberg, obsédé par ce qu'il a vu à Dachau, et le lieutenant Quinn, qui était lui aussi à Dachau mais qui, esprit plus complexe, refuse malgré tout de manichéiser les choses et les êtres.

Les phrases de Findley ont la fluidité et la limpidité d'une rivière. Et pourtant, derrière le premier plan qu'elles nous montrent, elles nous laissent deviner un paysage hachuré d'ombres et de brouillards. Sans doute, en l'espèce, le lecteur passionné d'Histoire trouvera-t-il ici plus facilement son compte puisque le romancier canadien met en scène des personnages comme le duc et la duchesse de Windsor, von Ribbentrop, Rudolf Hess, et quelques autres, les reliant à des événements qui se sont réellement passés mais sur lesquels planent encore de nos jours beaucoup de ténèbres (l'assassinat de Sir Harry Oakes aux Bahamas, les projets d'enlèvement du couple Windsor par les nazis, l'étrange départ de Rudolf Hess vers l'Angleterre et la folie dans laquelle il sombra ...).

Cependant, avec "Le Chasseur de Têtes" - que je relirai prochainement - "Le Grand Elysium Hotel" constitue l'une des portes les plus étonnantes et les plus intéressantes pour pénétrer dans l'univers de ce grand romancier que fut Timothy Findley. ;o)

samedi, août 1 2009

Grandeur & Décadence - Evelyn Waugh

Decline & Fall

Traduction : Henri Evans

Difficile - et impossible pour moi jusqu'à encore tout récemment - d'imaginer un auteur anglais doté d'un sens de l'humour aussi loufoque que celui de P. G. Wodehouse mais qui, en outre, serait profondément, viscéralement aigri et méchant. Il a pourtant existé : c'était Evelyn Waugh.

Aigri et méchant ne veut pas dire obligatoirement - surtout chez un écrivain - dépourvu de talent. Du talent, Evelyn Waugh en avait à revendre : provocateur, grinçant, lucide, amer. Mais tout cela, il l'enrobe, dans "Grandeur & Décadence", de cette ironie propre à l'homo brittanicus, mêlée, pour plus de sûreté tout de même (lorsqu'il écrivit ce roman largement autobiographique, Waugh n'était rien moins que certain d'obtenir un semblant de succès) d'une naïveté admirablement jouée qui laisse leurs illusions d'orgueil aux membres de la gentry susceptibles de se reconnaître dans ces pages.

Naïf - et jeune - est en effet le héros de cette histoire, Paul Pennyfeather, qui, à l'image de son créateur, se voit exclu de Scone College parce qu'un futur lord complètement saoul et quelques condisciples tout aussi alcoolisés l'ont contraint à déambuler un soir en caleçon dans les couloirs du noble établissement. Paul est issu d'une famille correcte mais il ne fait pas partie des Honorables et ne portera jamais de titre. Sa fortune est aussi modeste que son physique et ses capacités intellectuelles. Malgré tout, sans la déplorable débauche d'une bande d'étudiants nés, eux, avec une cuillère d'argent dans la bouche, et surtout sans la nécessité pour les autorités du collège de gommer toute l'affaire et de la remplacer par un attentat à la pudeur imputable au seul Pennyfeather, celui-ci aurait eu une existence tranquille.

Au lieu de cela, poursuivi par ce manque de chance initial tout au long de "Grandeur & Décadence", Paul connaîtra toutes sortes d'aventures dont la dernière le mènera droit dans les geôles de Sa Très Gracieuse Majesté, accusé cette fois de proxénétisme à la place de sa fiancée, mère de l'un de ses anciens élèves et héritière d'un nombre impressionnant d'entreprises douteuses en Amérique latine. La mère d'un futur comte et pair du Royaume ne pouvant décemment être suspectée de connaître même le sens du mot "proxénétisme", Paul, agneau résigné, est sacrifié sur l'autel de la Bonne conscience des juges. Certes, son ex-fiancée le fera sortir de sa prison au bout de quelques années, et l'expédiera à Corfou, le temps de se refaire une santé sous une nouvelle identité. Mais elle se remariera en définitive avec l'aristocrate imbibé qui avait été à l'origine des premiers déboires de Pennyfeather à Scone College.

L'ensemble sautille de façon allègre, avec un sens de l'absurde qui inspire le respect et un cynisme si aimable qu'il parvient le plus souvent à masquer l'amertume de l'auteur et le mépris qu'il ressent envers le système de castes en vogue dans son pays natal. Un système dont Waugh a toujours voulu cependant qu'il le reconnût comme l'un de ses membres : une bonne part de l'amertume et de la méchanceté auxquelles il donne si souvent libre cours vient sans doute de cette fêlure contradictoire qui dormait au fond de lui - et qu'il n'ignorait pas ... ;o)

vendredi, novembre 7 2008

Le Directeur - Anthony Trollope

The Warden Traduction : Richard Crevier

Premier volume des "Chroniques du Barsetshire", "Le Directeur" surprend par le réalisme, il faut bien l'écrire, par la minceur de son intrigue.

Le réalisme car l'histoire a en effet pour toile de fond la campagne contre les malversations auxquelles se livraient certains membres du clergé anglican. Le feu avait été mis au poudre par les accusations portées contre un aumônier du chapitre de Winchester, le comte de Guildford, lequel avait effectué d'importants détournements de fonds en puisant évidemment dans la manne ecclésiastique. La presse s'en était mêlée, notamment le "Times" que Trollope désigne dans son roman sous le nom de "Jupiter."

La minceur car les attaques qui se déchaînent contre le Directeur de l'Hospice de Barchester, le doux Mr Harding, vont amener celui-ci à réfléchir au bien-fondé des émoluments qu'il perçoit et, se sentant blessé injustement, à y renoncer pour se retirer dans une cure plus modeste. Sorti de là, il n'y a plus rien dans "Le Directeur."

De part et d'autre de Mr Harding, s'agitent les personnages secondaires - et parfois encombrants, tel son gendre, le Dr Grantly, un révérend plutôt pompeux qui fait beaucoup de bruit pour rien. Ou encore tel son futur gendre - Mr Harding a deux filles et la seconde, Eleanor, n'est pas encore mariée - John Bold, un propriétaire terrien réformateur et impulsif qui est le premier à émettre des doutes sur l'équité avec laquelle sont répartis les bénéfices de l'Hospice.

Tout se termine relativement bien mais, je dois l'avouer, peut-être parce que le sujet n'était pas vraiment très passionnant (même s'il a dû passionner les foules de l'époque), j'ai éprouvé certaines difficultés à aller jusqu'au bout du "Directeur."

J'ai tenu bon essentiellement parce que l'ironie de Trollope est perceptible sous sa prose assez lourde et que l'on discerne chez lui une sorte de réalisme à la Flaubert, le désir méticuleux et intègre de rendre un compte fidèle à son lecteur. Mais il n'y a ici ni légèreté, ni flamme. Plus précisément, c'est comme si toutes deux se percevaient à travers une épaisse couche de glace. Ce qui laisse une impression de frustration : elles sont là, pourquoi ne réussit-on pas à les atteindre ? ...

Une relecture s'imposera, c'est sûr. Ainsi que la lecture d'un autre Trollope, probablement. ;o)

mercredi, octobre 29 2008

Arlington Park - Rachel Cusk

Arlington Park Traduction : Justine de Mazères

Commençons, si vous le voulez bien, par les qualités de ce livre. ;o)

Tout d'abord, le sens du portrait de son auteur dont l'analyse des caractères est souvent subtile. Rachel Cusk plonge et approfondit, scrute pratiquement à la loupe la moindre parcelle de la personnalité de ses héroïnes.

Ensuite, le don réel de suggérer ce qu'elle ne dit pas un peu comme le faisait la regrettée et inégalée Katherine Mansfield.

Et puis - j'en suis désolée - nous nous arrêterons là pour les compliments.

Car je n'ai toujours pas compris comment on pouvait - comment on osait - qualifier "Arlington Park" de roman. En fait, il s'agit d'une suite de nouvelles plus ou moins longues et évidemment inégales tournant autour des désillusions de cinq femmes mariées. Le fond est féministe et, si l'auteur parvient à éviter la caricature, elle ne fait pas non plus oeuvre originale.

Le mariage d'abord, l'égoïsme du mari en matière de tâches ménagères (à l'exception de celui de Christine, je crois, mais, manque de chance, celui-là , Rachel Cusk laisse entendre qu'il fait du racisme primaire), l'ingratitude des enfants et leur égocentrisme, l'esclavage inhérent à la condition féminine, de quelque côté de la planète qu'on se trouve, voilà les grands thèmes. Certes, ils existent mais il n'y a ici aucune flamme pour les attaquer ou les railler - et ça fait une sacrée différence.

Rien de nouveau donc sous le soleil - ou plutôt sous la pluie car il pleut beaucoup sur Arlington Park, élément naturel que Cusk dépeint, je l'admets, avec cette passion unanimement partagée par les Celtes et les Anglo-Saxons.

En outre, il n'y a pas d'intrigue. Les personnages se rencontrent, échangent leurs points de vue, vont faire quelques courses, etc ... Tout cela dans le cercle circonscrit d'Arlington Park. Ces dames se plaignent, pleurent, estiment leur vie ratée, ne se projettent que dans un avenir lui aussi borné et puis voilà.

D'abord incrédule, puis impatient et enfin résigné, le lecteur accueille la dernière page avec une indicible sensation de soulagement. (En poche, de toutes façons, cela vous fait 263 pages.) Ouf ! Il a quand même lu le livre recommandé, dans un choeur parfait, par les libraires français. Il en vient à se demander si lesdits libraires, eux, l'ont bel et bien lu jusqu'au bout - pour moi, je vous le dis, j'en doute fort - mais ça, c'est une autre histoire ...

Roman et nouvelle, on ne le répétera jamais assez, sont deux arts diamétralement opposés. Si la seconde peut se contenter de suggérer à traits si fins qu'ils finissent par ressembler à un filigrane, si elle n'a pas non plus besoin d'une intrigue cohérente et/ou complexe, le premier, au contraire, exige profondeur, véhémence, difficultés, avec des personnages qui ne passent pas trois cents pages à discourir sur les beautés de leur nombril, et une, voire des intrigues solides, cadencées avec, au minimum, un ou deux rebondissements.

Rachel Cusk n'est pas une romancière. Elle n'en a ni le souffle, ni la carrure, ni l'art du récit. En revanche, en tant que nouvellistes, elle a toutes ses chances - pourvu qu'elle travaille aussi durement que le firent un Tchékhov, une Mansfield ou un Maugham. Pour l'instant en effet, elle est en devenir, c'est tout. ;o)

mardi, octobre 21 2008

Route des Indes - E. M. Forster

A Passage to India Traduction : C. Mauron

Compte tenu du nombre important de cinéphiles qui hantent ces lieux, je ne leur ferai pas l'injure de suggérer l'idée qu'ils puissent ignorer le thème central de "Route des Indes." Si je la rappelle donc, ce sera de manière très succincte et seulement à l'intention de celles et ceux qui n'ont pas lu le livre, pas plus qu'ils n'ont vu le film.

Adela Quested, jeune Anglaise de bonne famille qui a l'intention d'épouser Ronny Moore, magistrat colonial dans la petite ville de Chandrapore, arrive aux Indes sous le chaperonnage de sa future belle-mère, Mrs Moore. Celle-ci s'étant prise de sympathie pour le Dr Aziz, celui-ci invite les deux femmes à visiter avec lui et une bonne escorte les grottes voisines de Marabar. Pour diverses raisons, Miss Quested se retrouve seule dans l'une d'entre elles et déclarera par la suite avoir été agressée par un homme l'y ayant suivie. Cet homme, affirme-t-elle en un premier temps, c'est le Dr Aziz ... Scandale général, arrestation du médecin, levée de boucliers des amis du Dr Aziz, climat d'émeute, procès ... et coup de théâtre avec la rétractation de Miss Quested.

Quand il rédigea ce livre, E.M. Forster souhaitait en faire un plaidoyer vibrant contre la politique impérialiste de la Grande-Bretagne, notamment aux Indes. Comme cheval de bataille, les préjugés racistes des Anglais lorsqu'ils s'installaient dans leurs colonies.

De ce point de vue, "Route des Indes" est une réussite absolue. Le problème, c'est qu'on comprend mal comment l'auteur peut se révolter aussi vertueusement contre le racisme de ses compatriotes alors qu'il semble trouver tout naturel le mépris avec lequel ses héros musulmans envisagent les Hindouistes.

A moins qu'il n'y ait racisme et racisme ? ... Ou que ce qui est racisme chez certains ne soit que droit parfaitement légitime chez les autres ? ... :O( Je suis désolée mais en ce qui me concerne, je ne vois pas de différence : ou bien l'on reconnaît l'universalité du racisme, ou bien on a la pudeur de se taire.

Je n'ai pas non plus saisi pourquoi les moqueries envers les interdits alimentaires respectés par les Hindouistes et que Forster place dans la bouche d'Aziz et de ses amis, devaient être considérées comme de l'humour. Evidemment, si l'écrivain avait raillé de même - et avec un dédain similaire - les interdits alimentaires de l'islam et du christianisme, j'aurais applaudi des deux mains. Mais c'est loin d'être le cas.

Plus grave encore si j'ose dire, l'image de la femme qui est ici véhiculée. La seule qui s'en sorte avec les honneurs le paie bien cher : la malheureuse est morte en effet depuis des années et il s'agit de la première épouse du Dr Aziz, laquelle respectait comme de juste tous les interdits en vigueur chez les Indiens musulmans, dont celui de la purdah. A part elle, les femmes - en particulier les Occidentales - sont classées en trois grandes catégories :

1) celles qui n'existent pas - Forster ne leur donne jamais la parole et le plus beau compliment qu'il leur fasse, c'est de les trouver "gracieuses" - à savoir les épouses des Indiens de Chandrapore, musulmanes et hindoues ;

2) les pimbêches prétentieuses, racistes et sectaires : les épouses, filles, soeurs, etc ... des Anglais en poste à Chandrapore. Elles sont, à la limite, plus racistes que les Anglais de sexe mâle - et croyez-moi, ce n'est pas peu dire ;

3) et enfin les hystériques : Miss Quested bien sûr qui accuse, se rétracte et sème la pagaille là où elle passe, ainsi que, à la limite, sa future belle-mère, Mrs Moore, que son expérience personnelle dans les grottes de Marabar transforme en vieille bique aigrie et détestable, à la frontière de la folie.

Quand elle est aussi haineuse, la misogynie constitue bel et bien, n'en déplaise à certains, une forme particulièrement répugnante de racisme. E.M. Forster le pratiquait visiblement tous les jours. Le fait qu'il n'ait pas eu le courage de rompre le cordon ombilical avant le décès de sa mère éclaire certainement la question d'un jour nouveau mais ne constitue pas pour moi une excuse valable.

Et les hommes, me direz-vous ? Comment les dépeint-il ? ... En gros, il y a :

1) les bons (les Indiens musulmans et un seul Anglais, Fielding, l'instituteur, alter ego vraisemblable du vertueux auteur)

2) et les méchants (les Indiens hindouistes et tous les autres Anglais).

Seul Indou non musulman à tirer son épingle du jeu : un jeune Intouchable presque aussi beau qu'un dieu (grec, sans doute ;o) ) devant lequel on sent presque se pâmer la plume de Forster. (Encore sa beauté est-elle ignorante, avec quelque chose de stupide : normal, non ? c'est un Indien hindouiste ... )

Bref, de cette "Route des Indes" dont le manque de subtilité n'a pas fini de m'étonner, je n'ai voulu sauver personnellement que quelques descriptions locales - et c'est bien tout.

Truman Capote, qui avait eu l'occasion de faire la connaissance de Forster, a dit de lui qu'il appartenait à l'espèce des "folles." De fait, "Route des Indes" me semble en effet (et c'est dommage) exsuder toutes les haines, toutes les frustrations, toutes les terribles aigreurs des "folles" qui, contrairement à l'homosexuel-type, présentent à la fois les pires défauts des femmes unis à tous ceux des hommes. ;o)

mardi, juillet 1 2008

L'Obsédé (L'Amateur) - John Fowles

The Collector Traduction : Solange Lecomte

Bien avant qu'il ne fût à la mode d'explorer les méandres sanglants de l'imaginaire des psychopathes sexuels, John Fowles eut l'idée de dépeindre l'un d'eux et sa victime, enfermés dans une vieille maison de la banlieue londonienne. Comme son personnage principal avait, tout enfant, monté une collection de papillons - parmi lesquels il confessait un grand faible pour les spécimens frappés de mutations génétiques, les "aberrations", selon le terme d'usage - l'écrivain trouva son titre presque immédiatement : "The Collector."

Certains ont évoqué, à propos de ce roman bien particulier, la "Lolita" de Nabokov. On le comprend mal, et même pas du tout car si Humbert-Humbert, tout pédophile qu'il soit, parvient malgré tout à émouvoir le plus récalcitrant de ses lecteurs, Frederick l'Obsédé ne nous atteint pas. Le talent de Fowles, même s'il est à mille lieues de la poésie flamboyante de Nabokov, n'est pas en cause : en fait, le romancier n'a pas souhaité autre chose. Pédophile improbable, Humbert-Humbert a encore un coeur, fût-il monstrueux ; le personnage de Fowles, lui, glaçant de réalisme, n'a plus, quand on le quitte, rien d'humain.

La construction du récit nous permet d'accéder aux deux points de vue, radicalement antinomiques, des deux "héros" : Frederick, qui s'est rebaptisé Ferdinand par référence au duo d'amants, Ferdinand/Miranda, d'une pièce de Shakespeare, et Miranda, sa victime, qui, tout au fond d'elle-même, finira par le surnommer Caliban.

La partie dévolue à l'Obsédé est de loin la plus impressionnante car, avec une grande habileté, Fowles nous le fait voir, glissant d'un état où, malgré tout, il ressent encore un peu de culpabilité jusqu'à celui où, après la mort de la jeune femme, cet esprit malade envisage, avec un sang-froid absolu, aussi simplement que s'il envisageait d'aller faire ses courses le lendemain au marché du coin, de réitérer l'expérience avec une partenaire qui, cette fois, se montrera plus docile.

L'impuissance sexuelle du personnage, son désir de la masquer sous une volonté de "pureté" aux fortes connotations religieuses, sont évidemment à l'origine de sa perversion. Comme dans tant d'autres histoires, réelles ou imaginées, du même type, on retrouve également une Image maternelle extrêmement ambiguë.

Au texte, on pourra reprocher quelques longueurs - surtout dans le Journal de Miranda mais, après tout, la jeune fille, emprisonnée dans la cave de la maison, doit bien occuper son temps, n'est-ce pas ? - quelques digressions sur l'art et la philosophie. Il pourra aussi déconcerter par sa sécheresse quasi clinique. Mais, tout compte fait, n'était-ce pas l'effet recherché par l'auteur ? Et Frederick et Miranda ne sont-ils pas, dans notre bibliothèque, comme deux spécimens que nous observons au travers d'un prisme littéraire, uniquement pour notre plaisir de lecteur-voyeur ? ...

Un livre dérangeant. A plus d'un titre. ;o)

dimanche, juin 15 2008

Kiss Kiss - Roald Dahl

Kiss Kiss Traduction : Elisabeth Gaspar

Un recueil de onze nouvelles, bien plus noir dans son ensemble que le recueil "Bizarre Bizarre."

Prenons la nouvelle "Gelée royale" par exemple. C'est l'un des textes les plus abominables que j'ai jamais lus. Et pourtant, les nouvelles d'épouvante et de terreur, j'y connais tout de même un certain rayon ! ;o)

Au coeur de "Gelée royale", un jeune couple qui vient d'avoir un bébé. La maman est inquiète car sa petite fille pleure beaucoup et ne se nourrit pas. Bientôt, si cela continue, il faudra appeler le médecin et peut-être la transporter à l'hôpital. La malheureuse mère est épuisée.

Son mari - vous ai-je précisé qu'il est apiculteur ? Non ? Eh ! bien, voilà qui est fait - décide de prendre l'affaire en main. Et ça marche puisque, dès que la mère, reposée, reprend l'enfant pour la faire têter, la petite a déjà accepté tous les biberons de son père.

Cependant, d'abord apaisée, la mère s'inquiète à nouveau : son bébé semble "profiter" un peu trop, son mari se perd dans d'étranges discours et ce duvet jaune et noir qui semble apparaître sur le dos de l'enfant, qu'est-ce que c'est ? ...

"Gelée royale", que je ne relirai pas de sitôt car elle laisse son lecteur dans un état de profond malaise, donne le ton du recueil. Certes, çà et là, il faiblit un peu ("La Logeuse", première nouvelle du livre, est tout à fait raisonnable) mais, avec "William & Mary" ou "Edward le Conquérant", on revient allègrement à l'abominable. Rien de vraiment igore/i, d'ailleurs : tout est tranquille et presque douillet.

J'avoue avoir été très surprise : je ne connaissais pas un Roald Dahl aussi noir. Le noir passerait cependant si l'humour était plus sensible. Mais le déséquilibre est total : trop de noirceur à mon goût, pas assez de gaieté, fût-elle féroce. L'ensemble laisse une impression de tristesse, de désespoir même et aussi de sérieux qui dérange et bloque le rire.;o)

mardi, juin 3 2008

Le Treizième Conte - Diane Setterfield

The Thirteen Tale Traduction : Claude & Jean Demanuelli

Parce qu'elle a écrit une étude fouillée sur les rapports entretenus par les frères Goncourt, la fille d'un libraire spécialisé est contactée par la célèbre romancière Vida Winter, désireuse de faire rédiger sa biographie.

La jeune fille accepte, sous réserve de pouvoir contrôler les dires de sa cliente et de recevoir la promesse solennelle que Vida, éternelle affabulatrice, ne dira cette fois-ci que la stricte vérité.

Commence alors une longue et passionnante histoire familiale, racontée selon le mode classique et avec peu de retours en arrière. Au centre de l'intrigue, deux jumelles, Emmeline et Adeline et la relation puissante qui est la leur. Mais dans le fond, est-on bien sûr de leur identité respective ? ...

Sur la quatrième de couverture, tout cela est bien alléchant, surtout que l'on évoque au sujet de ce roman "Jane Eyre" et même "Les Hauts de Hurle-Vent." On ne déniera pas à Diane Setterfield de connaître à fond ses classiques anglais - et quelques autres. Son travail est soigné et même perlé, son style poli et repoli et son sens de la chute qui fait rebondir le récit, remarquable. Sans lui d'ailleurs, je doute qu'elle eût pu faire aussi bien.

Le lecteur lambda accrochera donc à ce récit glauque sans trop se poser de questions. Les autres accrocheront aussi car on veut savoir le fin mot de l'histoire mais ... Comment résumer l'impression que ce livre m'a laissée si ce n'est par ces mots : "Une copie ne vaudra jamais l'original."

Eh ! oui, ce dont manque cruellement, à mes yeux, ce "Treizième conte", c'est la puissance et la folie qui font le grand, le vrai roman. Tout ici est minuté, tout s'enchaîne sans un seul grain de sable, tout est bien huilé ... trop. La passion n'est pas au rendez-vous de ce livre pourtant habilement construit mais dont la superbe façade, si solide qu'elle soit, ne dissimule pas en fait grand chose.

Nous sommes loin des délires des soeurs Brontë, croyez-moi. ;o)

dimanche, février 3 2008

La Maison du Sommeil - Jonathan Coe

The House of Sleep Traduction : Jean Pavans

Un modèle de construction où les chapitre impairs narrent une action se déroulant en 1983/1984 tandis que les pairs sont concentrés dans la deuxième quinzaine de juin 1996. Les personnages, quant à eux, sont exactement les mêmes, avec une quinzaine d'années en plus. L'un des protagonistes des années 80 est néanmoins décédé.

Tous se sont croisés alors qu'ils vivaient à la résidence universitaire d'Ashdown, une demeure impressionnante nichée sur la côte anglaise. En ce temps-là, Gregory, étudiant en médecine brillant mais terriblement froid, a eu une liaison, vite rompue, avec Sarah, une jeune fille fragilisée par sa propension à s'endormir au beau milieu d'une activité et à qui il arrivait, en outre, de confondre rêve et réalité.

Robert, autre étudiant du coin, est tombé amoureux fou de Sarah. Mais celle-ci, après sa rupture avec Gregory, lie une relation homosexuelle avec Veronica, féministe avérée. Terry, quant à lui, étudie le cinéma et ne jure que par les films d'auteurs.

Quinze ans plus tard, le destin de tous ces personnages a suivi son cours et parfois de façon très curieuse. Ainsi, le dormeur boulimique que fut jadis Terry est devenu un critique cinématographique connu pour son insomnie chronique. Sarah, revenue à l'hérérosexualité, est institutrice et songe à Robert, lequel a un jour disparu d'Ashdown sans laisser de traces et qui ne lui a plus jamais donné de nouvelles. De Veronica, Coe ne nous dit pas grand chose. Quant à Gregory ... Je laisse au lecteur le plaisir de découvrir ce qu'il est advenu de lui. Et sur Robert non plus, je n'ajouterai rien de plus.

L'insomnie de Terry l'ayant conduit à ne plus dormir du tout pendant plusieurs jours, il accepte de se faire soigner par le Dr Dudden, grand spécialiste des troubles du sommeil. Le fait que Dudden a monté sa clinique dans l'ancienne résidence universitaire d'Ashdown n'est évidemment pas étranger à cette décision.Et bien entendu, à peine arrivé à la clinique, Terry se rémémore bien des souvenirs ...

Allègre et mené de main de maître, ce roman n'est sans doute pas ce que l'on peut appeler une oeuvre majeure mais il se lit avec plaisir et curiosité. Les insomniaques, les gros dormeurs et, de façon générale, tous ceux qui connaissent, à quelque titre que ce soit, des troubles du sommeil seront les premiers conquis car Jonathan Coe a su capter et restituer le mystère à la fois fascinant et épuisant que représentent le sommeil et ses rêves.

Les personnages sont complexes et bien campés. Et même si le lecteur se doute un peu trop facilement de la fin prévue par l'auteur, "La Maison du Sommeil" reste un livre particulièrement ... délassant. ;o)

L'Infortunée - Wesley Stace

Misfortune Traduction : Philippe Giraudon

C'est dans l'une de ses chansons, "Miss Fortune", que l'auteur a puisé l'inspiration pour ce roman qui a pour cadre l'implacable époque victorienne. Les relations hétérosexuelles n'y étaient déjà pas vues d'un bon oeil, alors, l'homosexualité, voire pire : la bisexualité, surtout masculine, on devine aisément quels jugements on portait alors sur elles - quand on acceptait d'en parler, évidemment. ;o)

Cet épais roman, illustré çà et là (lettrines des chapitres et cartes) par Wesley Stace lui-même, évoque les grandes productions littéraires de l'époque dickensienne. Il en a les thèmes de base : l'enfant illégitime et rejeté qui aurait dû mourir mais est recueilli par un bienfaiteur inattendu ; les jalousies des autres héritiers du bienfaiteur ; une captation d'héritage et, bien entendu, un retournement de situation qui sauve le héros.

Le prologue, qui voit le jeune Pharaoh, petit valet à tout faire d'une faiseuse d'anges, traverser un Londres terrifiant de misère pour aller se débarrasser sur un tas d'ordures du supposé cadavre d'un nouveau-né, ainsi que les trois premières parties, qui racontent dans l'ordre le sauvetage du nourrisson par un jeune aristocrate qui rêve d'avoir un enfant - une fille - sans se voir contraint de procréer, l'installation du nouveau-né (en qualité de bébé mâle) à Lovehall, le récit de son enfance et de son adolescence avec ses premières réflexions qu'il ne peut manquer de se faire sur son identité sexuelle et enfin le triomphe des Affreux Héritiers à la mort de lord Lovehall, tout cela est très bien mené et dans la droite ligne de ces histoires dont raffolaient les victoriens - et que nous continuons de célébrer, mais modernisées, sous la forme des soap-operas américains.

Là où ça commence à pécher un peu, c'est dans les deux dernières parties, lorsque Rose (le héros-héroïne) s'enfuit de Lovehall, puis finit par être accepté par la moitié de sa famille "adoptive" qui désapprouve les agissements des Affreux Héritiers. Rapatrié à Londres chez ces braves gens, il y retrouve sa mère adoptive (afin que sa "fille" eût une véritable enfance, lord Lovehall avait épousé sa bibliothécaire) et la famille de l'intendant du domaine. Signalons d'ailleurs qu'il est amoureux de la fille de l'intendant, qui fut, avec son frère, Robert, sa compagne de jeux : Sarah. La romance s'affirme et personne n'y trouve rien à redire bien que Rose préfère s'habiller en femme. Sarah se retrouve même très vite enceinte.

De rebondissement en rebondissement, il appert, à la fin du livre, que Rose est bel et bien un descendant direct des seigneurs de Lovehall. Du coup, les Affreux Héritiers doivent lui restituer ses biens. Et tout est bien qui finit bien. Dans l'épilogue, Rose Old Lovehall meurt, quasi centenaire et n'ayant jamais renoncé à sa double nature, induite plus par l'éducation que par sa nature physique.

Ca se dévore plus que ça ne se lit, l'auteur tient son héros en haleine de bout en bout mais certains détails font tiquer. Par exemple le fait que, à Londres, Rose puisse déambuler habillée en femme. Elle le fait voilée, certes mais il lui arrive de retirer ce voile. Selon moi, à l'époque victorienne, un sergent de ville aurait été tout de suite appelé par une bonne âme : le livre escamote ce problème.

De plus, si la réflexion sur l'identité sexuelle (naturelle et/ou conditionnée) est très, très intéressante, on reste tout de même sceptique sur l'absence de tendances homosexuelles chez Rose. Adolescente, elle manifeste une attirance envers Sarah mais pour le lecteur, qui sait bien que Rose est en vérité de sexe masculin, il n'y a là aucune trace de lesbianisme.

Il existe cependant une scène très ambiguë - la seule qui évoque une homosexualité possible - lorsque Rose révèle à son cousin qu'elle appartient en fait au même sexe que lui.

Bref, un bon roman populaire, qu'on prend un réel plaisir à lire mais qui, à mes yeux en tous cas, ne tient pas toutes ses promesses.

PS : le style est assez dense et respecte, lui aussi, l'ambiance générale. ;o)

The Servant - Robin Maugham

The Servant/Line on Ginger/Pay Bearer £ 20 Traduction : Jean Fayard

De ce trio de nouvelles, deux au moins - les deux premières - ont été adaptées au cinéma. Le succès du film éponyme de Joseph Losey, avec Dirk Bogarde et Edward Fox, ne se dément toujours pas et son interprétation tout comme sa mise en scène ont contribué à en faire un film-culte.

Dans ce recueil, "The Servant" arrive loin en tête. C'est la meilleure, la plus glauque, la plus ambiguë, la plus originale aussi car Robin Maugham y rompt avec une manière de faire qui, probablement, lui avait été inspirée par l'oeuvre de son oncle, Somerset, prince de la nouvelle dans un style plus proche de Maupassant que de Mansfield.

Un célibataire indolent engage une espèce de domestique-majordome, professionnel de très grande qualité mais personnage trouble qui évince peu à peu les amis des deux sexes (dont le narrateur) qui gravitaient autour de son maître et finit par lui imposer son mode de vie à lui, dans une relation aux relents à la fois bisexuels et pédophiles.

Tout l'art du conteur est ici de suggérer plus qu'il n'affirme et pourtant "The Servant" est d'une violence extrême. S'y mêlent la honte qui nimbe l'homosexualité comme la bisexualité masculine dans l'Angleterre de l'époque et le dégoût qu'inspire une perversion telle que la pédophilie.

A noter que les personnages principaux sont moins policés que les versions données par Fox et Bogarde.

A côté d'une perfection comme celle-là, les deux nouvelles suivantes ne peuvent qu'apparaître plus faibles. Le sujet de "Line on Ginger" est pourtant très intéressant : en rentrant chez lui un soir, le narrateur tombe inopinément sur un cambrioleur qui n'est autre qu'un ancien camarade de combat. Il lui donne sa parole de ne pas appeler la police mais un malheureux concours de circonstances semble prouver au contraire qu'il les a appelés. Le cambrioleur prend la fuite et le narrateur, soucieux de se justifier et interpellé par la situation dans laquelle il vient de retrouver son frère d'armes, décide coûte que coûte de découvrir sa cachette autant pour se justifier que pour essayer d'améliorer l'ordinaire de celui qui, pour lui, demeure "le Rouquin."

Dans ce but, il reprend contact avec les différents hommes ayant survécu à la patrouille où le Rouquin fut porté disparu. Ce qui donne au lecteur un portrait très réaliste de l'Angleterre de l'Après-guerre.

A l'issue de la nouvelle, le Rouquin accepte d'accompagner le narrateur dans une croisière, loin de l'Angleterre. Je précise que le narrateur est en apparence des plus hétérosexuels. Maintenant, le lecteur peut se poser quelques questions.

"Pay Bearer £ 20" tient également du souvenir de guerre : un homme part à la recherche d'un ancien camarade de régiment, lui aussi porté disparu. Au cours de son périple au Moyen-Orient, il découvre que le disparu a eu un fils d'une Bédouine et s'interroge sur la nécessité de ramener l'enfant à la civilisation de son père.

La faiblesse apparente des deux dernières nouvelles vient peut-être en partie du style adopté : ici, tout est dit, rien n'est laissé à l'imagination du lecteur et on n'y rencontre aucune de ces ombres qui enveloppent "The Servant" du début jusqu'à la fin. ;o)

vendredi, février 1 2008

Mansfield Park - Jane Austen

Mansfield Park Traduction : Denise Getzler

Avec "Emma", "Mansfield Park" est le roman le plus épais de Jane Austen. La première fois que je l'ai lu, j'en suis sortie assez déconcertée, peut-être d'abord par la traduction mais aussi par la carrure, très cendrillonnesque, de l'héroïne. Et puis, à la faveur d'une rhino-pharyngo-chose qui me privait du plaisir de lire à haute voix, j'ai repris l'ouvrage et je lui ai découvert un certain charme.

Les trois soeurs Ward ont fait des mariages bien différents. La grande beauté de Maria, l'aînée, lui a permis de séduire Sir Thomas Bertram, possesseur d'une très belle demeure sise dans la campagne anglaise et dénommée Mansfield Park. La seconde, de physique plus discret, a dû se rabattre sur un parent de son riche beau-frère, le pasteur Norris. Quant à la troisième, Frances, aussi belle que l'aînée mais plus tête folle, elle s'est éprise d'un lieutenant de marine sans revenus ni prétentions.

Lady Bertram a eu quatre enfants : Thomas, Edmund, Julia et Maria. Mrs Norris n'en a eu aucun. Frances Price en a au contraire toute une ribambelle.

Un jour, bien que les relations entre Mansfield Park et la famille Price soient des plus épisodiques, Frances écrit à sa soeur pour lui demander de prendre à sa charge l'éducation de l'un de ses enfants. Après quelques hésitations, les Bertram se décident pour la fille aînée, Fanny, qu'ils accueillent donc en leur demeure avec la ferme intention de lui donner la meilleure instruction possible tout en lui faisant bien comprendre la différence de condition qui la sépare de ses cousins.

Mais les Bertram ne sont pas vraiment méchants et, peu à peu, chacun à sa manière, ils s'attachent à Fanny dont le meilleur ami dans la maison devient son cousin Edmund. Bref, la vie ne serait pas si mauvaise pour l'adolescente, n'était sa tante Norris qui, pour des raisons mesquines, ne manque pas une occasion de lui rappeler qu'elle est d'une condition inférieure à toute la maisonnée Bertram, etc, etc ...

Quelques années plus tard, alors que tous sont devenus des jeunes gens - Tom fait la noce à Londre, Edmund envisage de se faire ordonner, Maria vient tout juste de se fiancer à un hobereau local d'une parfaite stupidité et Julia cherche encore la perle rare - les affaires de lord Bertram le requièrent personnellement aux Antilles, où il possède une plantation. Il s'absente pour à peu près un an et, comme le veut le proverbe, les souris se mettent alors à danser ...

Non la pauvre Fanny bien sûr dont la principale fonction, à Mansfield Park, est de tenir compagnie à l'indolence d'idole de lady Bertram mais les enfants Bertram que trouble fort l'arrivée au presbytère de Mary et Henry Crawford.

Henry, le frère, commence à faire la cour à Julia, puis à Maria. Quant à Mary, elle s'est mise en tête de séduire Edmund et y réussit assez bien, au grand dam de Fanny qui, sans s'en être aperçue, est tombée amoureuse de son cousin. Là-dessus vient se greffer le retour de Tom et de l'un de ses amis, Mr Yates, passionné de théâtre amateur ...

Conte de fées moral, "Mansfield Park" récompense les bons et les généreux et châtie les superficiels et les égoïstes. Mais on y retrouve en filigrane le mépris austenien pour les conventions sociales qui se basent sur les "espérances" d'une fille à marier pour déterminer si la jeune fille en question est digne ou non d'être aimée. Le regard que porte la romancière britannique sur l'establishment de son époque est toujours aussi féroce et lord Rushworth par exemple, le fiancé, puis l'époux trahi de Maria, a tout de la caricature impitoyable.

Autre caricature, dont la sottise et l'étroitesse d'esprit ne peuvent manquer d'indigner le lecteur : Mrs Norris, toujours prête à s'émerveiller devant ses nièces Bertram parce que celles-ci ont leurs revenus assurés et qui traiterait la pauvre Fanny comme un paillasson si on la laissait faire.

Un roman à déguster tranquillement, tout en sachant qu'il est peut-être le plus conventionnel de ceux qu'écrivit Jane Austen. ;o)

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