Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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Tag - littérature XXème siècle

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lundi, février 20 2012

Le Démon des Morts - Graham Masterton

The Pariah Traduction : François Truchaud

Extraits Personnages

On retrouve ici un Masterton en très, très grande forme. Comme toile de fond, un petit village américain de la Côte est, Granitehead, non loin de Salem. Comme personnages, le vent, la pluie, le brouillard et tout une flopée de gens qui ont perdu des êtres chers. Parmi eux, le narrateur, John Trenton, qui ne s'est pas encore tout-à-fait remis du décès de sa femme, morte, avec le bébé qu'elle attendait, dans un terrible accident de voiture. La preuve : de plus en plus souvent la nuit, dans la maison qu'il trouve désormais trop grande et bien solitaire, John croit entendre crisser les chaînes de la balançoire alors que, comme il le vérifie, il n'y a personne dans le jardin ...

Jusqu'au jour où, bien évidemment, il aperçoit sa femme, entourée d'une lueur bleue, se balançant mollement sous la pluie et le vent ...

Tel est le début d'une intrigue envoûtante à laquelle on pardonnera facilement ses quelques maladresses et redites./b Au centre, bun dieu aztèque, Mictantecutli, le "Démon des Morts", qui, selon un codex d'époque, dominait tous les autres dieux. Il était toujours représenté avec un hibou, un cadavre et un plateau contenant des coeurs humains. Quand il s'incarnait, il prenait la forme d'un squelette gigantesque dont les os étaient faits d'autant de petits squelettes grimaçants. Mictantecutli était craint et redouté de tous, y compris dans le Panthéon aztèque, ce qui, si l'on pense au caractère plutôt agressif des entités mixas en général, est plutôt de très mauvais augure ...

Mais comment le dieu, très redouté, d'une civilisation disparue au début du XVIème siècle, se retrouve-t-il à hanter les cadavres de paisibles Américains sans histoires, à la toute fin du XXème siècle ? C'est là que Masterton donne le meilleur de son talent - qui est grand, très grand, et touche parfois au génie. Son histoire tient la route et si les personnages paraissent peut-être un peu stéréotypés - la belle-mère trop mondaine qui déteste son gendre, l'érudit héritier d'une antique famille vivant en hermite dans sa propriété et s'y livrant à des expériences étranges, deux ou trois réincarnations de sorcières de Salem par exemple - le roman dégage l'une de ces atmosphères pesantes et magiques qui sont la marque des bons livres d'épouvante.

Est-ce pour autant une oeuvre majeure dans la carrière de Masterton ? Non Mais il lui manque très peu pour accéder à la catégorie de "Hel" ou du "Portrait du Mal." Mais assez de bavardages : courez lire "Le Démon des Morts" et revenez donc nous donner votre avis.

vendredi, février 3 2012

Une Prière Pour Owen - John Irving

A Prayer for Owen Meany Traduction : Michel Lebrun

Extraits Personnages

"Une Prière pour Owen" ressemble à un haut-de-forme de prestidigitateur. Dans ce livre-fleuve (près de sept-cents pages chez Points), John Irving a mis tout de sa nature de romancier : l'amour de la fresque, le souffle, une technique remarquable, des personnages que Dickens aurait pu imaginer et une réflexion sociale et politique qui sous-tend l'ensemble. Mais ces caractéristiques ne sont pas que des vertus : si le prestidigitateur, s'emportant, veut faire montre de trop d'audace, il risque de dévoiler ses trucs à un public qui cessera de croire en lui. Qu'importe : pour raconter l'histoire d'Owen Meany, John Irving prend tous les risques.

Terrible fut pour moi l'instant où je sentis vaciller ma foi en ce romancier - car ce moment, je l'ai connu, eh ! oui ! :O( Lorsque Owen, alors un gamin de onze-douze ans, donne ses ordres (il n'y a pas d'autre terme) à celles et ceux, enfants et adultes, qui préparent le spectacle de la crèche de Noël. Owen, qui en a plus qu'assez du rôle qu'on lui attribue depuis des années, a résolu d'obtenir la vedette : il veut représenter l'Enfant Jésus. Mais comment réussir à convaincre l'épouse du pasteur, femme très autoritaire sous ses dehors souriants, de la justesse de son raisonnement ?

Je ne vais pas vous expliquer comment Owen parvient à ses fins - si je vous ai mis l'eau à la bouche, foncez vous procurer le livre. Mais il parvient non seulement à décrocher le rôle mais encore à imposer ses propres vues sur les autres personnages et sur la mise-en-scène. Tout ça, à onze ans, avec sa stature qui en fait facilement trois de moins et sa voix si particulière que John Irving a éprouvé le besoin de le faire parler, du début jusqu'à la fin de son roman, en majuscules.

Quand j'ai lu la scène pour la première fois, je suis restée incrédule. Je me suis même dit : "Ce n'est pas possible, il prend son lecteur pour un imbécile !" La deuxième fois, j'étais toujours aussi sceptique mais je croyais sentir que, en grattant un tout petit peu ... La troisième fois, j'avais compris : j'avais pris le seul parti qu'il me restait, j'avais choisi d'y croire.

Comme je crois à Samuel Weller, à la régénération de Mr Dombey, à Mr Micawber et à Betsy Trotwood, à l'agonie de la petite Nell, à Pip et la vieille Miss Haversham et même aux malheurs d'Oliver Twist.

C'est le propre des créateurs-nés - et des illusionnistes-nés - d'attirer ainsi le lecteur-spectateur dans la réalisation de ses rêves personnels. En ce sens et quelles que soient ses faiblesses (et il en a, nous les distinguons aujourd'hui d'un oeil aussi implacable que l'était celui des contemporains lisant le "Pot-Bouille" de Zola, en attendant, très probablement, que les lecteurs du siècle prochain les occultent complètement ou ne les considèrent plus qu'avec une indulgence amusée), John Irving est un romancier fabuleux, un vrai. Avec Owen Meany et son incroyable destin, il a créé un personnage qu'on ne peut pas oublier.

Parce que, en chacun de nous, sommeille un Owen Meany, c'est-à-dire un être humain qui s'interroge désespérément sur le sens à donner à son existence. Plus que la certitude d'un Dieu biblique ou pas, John Irving affirme ici le lien éternel de l'espèce humaine avec un univers physique et spirituel dont la conscience la dépasse. Il le fait avec candeur et roublardise, avec tristesse et humour mais toujours avec Foi - une Foi qui, parce qu'elle ne se borne pas au domaine religieux, mérite largement sa majuscule.