Après une nouvelle de la qualité et de la complexité de "Carmilla", le lecteur trouvera peut-être décevantes les trois autres enquêtes du Dr Hesselius. Toutes trois, à des degrés divers, sont des variations fantastiques sur l'idée de justice immanente, céleste ou infernale.

"Thé Vert" nous conte les malheurs du révérend Jennings, pasteur convaincu de la noblesse de sa charge et érudit pourvu d'une bibliothèque de soixante-mille livres. S'est-il justement plongé trop souvent et trop longtemps dans certains ouvrages qu'un ecclésiastique ne saurait consulter sans se renier un peu (il ne s'agit ici pas d'ouvrages sataniques mais tout simplement de livres scientifiques) ? Toujours est-il que, quand débute la nouvelle, le pasteur est sujet, depuis quelque temps, à des sortes de crises durant lesquelles il paraît voir ce que les autres ne voient pas. Le pire survient quand il célèbre l'office ...

Avec "Le Familier", il n'y a par contre aucune ambiguïté. Dès le début - ou presque - le lecteur comprend que le héros au destin tragique, le capitaine Barton, a accompli une très mauvaise action alors qu'il se trouvait encore aux colonies. Cette action - sur laquelle nous ne glanerons quelques maigres indices qu'à la dernière page du texte - explique en partie comment il se retrouve poursuivi, dans les rues de Londres, la nuit, par des pas fantômes ...

"Mr Justice Harbottle" est l'histoire classique du juge cruel et débauché qui finit par comparaître devant une espèce de tribunal de spectres, les esprits de ceux-là même qu'il a fait pendre dans un passé plus ou moins lointain. Parmi eux, l'époux de sa gouvernante-maîtresse ...

On ne peut qu'admirer l'art subtil avec lequel Sheridan Le Fanu met tout cela en scène, créant peu à peu une atmosphère étouffante, inquiétante à souhait, et réservant toujours, non sans ironie, à son lecteur sceptique, la possibilité d'une explication logique. Ainsi, dans le cas du juge Harbottle, serait-on en droit de penser que les douleurs intolérables suscitées par sa goutte l'ont finalement poussé au suicide. "Un si mauvais caractère, une si forte personnalité, se suicider pour cette raison ?" protesteront certains. "Ah ! mais la goutte, c'est épouvantable !" répondront les autres.

L'inconditionnel de Sheridan Le Fanu, lui, dira tout simplement : "Le Tribunal des Spectres l'avait condamné à mourir le dix mars et il est mort pendu, le dix mars." C'est une explication qui en vaut une autre et, après tout, bien que macabre, n'est-elle pas la plus poétique ? ... ;o)