Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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Littérature d'Amérique centrale et d'Amérique du sud.

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lundi, novembre 26 2012

Les Détectives Sauvages - Roberto Bolaño (Chili)

Los Detectives Salvajes Traduction : Robert Amutio

ISBN : 9782070416769

Extraits Personnages

Ah ! mes amis, quel livre ! Il ressemble à une piñata gigantesque que des adultes ivres de mots et d'écriture auraient bourré de tout et de n'importe quoi, de la gourmandise la plus délicate au bout de chiffon élimé encore poisseux d'un reste de sucre. A certains moments - c'est plus fort que soi, surtout avec l'un des deux héros prénommé "Ulises" - on songe à Joyce. La même puissance, qu'on dirait aveugle alors qu'elle est sait très bien où elle va, à l'oeuvre dans "Ulysse", est ici au rendez-vous, une puissance encore décuplée - que dis-je ? centuplée - par la chaleur des Tropiques. Le roman fleurit, s'ouvre, se déroule, s'étale avec l'exubérance tenace et l'éclat carnassier des plantes de ces pays. Certains passages - comme le monologue mettant en scène Heimito Künst, à Vienne, ou l'errance avec Hans, sa femme et leur fils, entre l'Espagne et le sud de la France, sur laquelle ne cesse de planer un danger bien difficile à identifier - flirtent avec l'incohérence ou l'inutilité. D'autres - comme la découverte du seul poème publié de Cesárea Tinajero dans la revue qu'elle édita jadis - ne peuvent se passer sans nuire à la compréhension de l'histoire et du but ultime de nos deux chercheurs du Saint-Graal littéraire. Mais tous, fût-ce le moins compréhensible, le plus gratuit en apparence, à l'exemple des diverses réflexions sur la littérature espagnole et latino-américaine à la Foire du Livre de Madrid en 1994, tous accrochent le lecteur comme autant de ronces teigneuses et déterminées qui le ramènent à ce tourbillon de folie, d'onirisme, d'imagination et, bien sûr, de poésie qu'est l'univers de Roberto Bolaño.

Lire "Les Détectives Sauvages" est une expérience de lecture authentique, comparable à celle que vous faites en découvrant l'"Ulysse" de Joyce, "Le Bruit & la Fureur" de Faulkner ou, plus proche de nous mais sans doute moins connu (et on peut le regretter), "La Maison des Feuilles" de Mark Z. Danielewski. Tout lecteur digne de ce nom comprendra sans peine qu'il faut donc s'accrocher fermement à son siège et à ses pages tout en s'abandonnant en confiance au courant qui prend possession de soi. Il saisira tout aussi vite que "Les Détectives Sauvages" n'est pas un livre à lire n'importe où, n'importe quand. Privilégiez un lieu calme et une période calme, où vous pourrez prendre tout votre temps pour bâiller, tourner vos pages, vous dire "Ce type est fou !", revenir en arrière, relire, savourer un ou deux détails qui vous avaient échappé, réfléchir un moment à ce que tout cela suscite en vous et penser soudain : "Ce type est génial !"

Vous entrerez tout de suite dans "Les Détectives Sauvages" - ou vous resterez à sa porte. Ce sera tout l'un ou tout l'autre : le moyen terme n'existe pas en ce monde dominé par une poésie onirique et réaliste, à vingt-mille lieues de celle, gonflée, ampoulée, des "Cent Ans de Solitude" de García Márquez mais qu'on apparenterait plus aisément, dans sa démesure et son flamboiement naturels, à celle d'un Jorge Amado écrivant sa "Boutique aux Miracles." Ca brûle et ça gèle, ça éclate de partout et pourtant les silences sont terribles, ça aveugle et puis, ça rafraîchit la manière d'envisager les choses, ça assourdit pour mieux replonger dans la perplexité et le silence, ça laisse sans voix et ça gratte là où ça agace mais on ne peut pas l'abandonner avant la dernière page.

Non qu'on veuille réellement savoir si Arturo Belano - alter ego de l'auteur - et Ulises Lima finiront par retrouver Cesárea Tinajero et le reste de ses poèmes. Simplement, on a fait tout ce long voyage avec eux (même si l'on vient de s'en apercevoir), on a vibré, on a vécu, on a partagé, on s'est étonné, on a perdu ses illusions, on a vieilli avec eux, alors, il est bien normal qu'on les accompagne jusqu'au bout. Car ce voyage que nous avons fait ensemble, qui est aussi une traversée presque complète de leurs vies et de celles de tant de personnages, qui est encore, ne l'oublions pas, une traversée de l'imaginaire social, poétique, fantasmatique, de l'Amérique latine, ce voyage, nous l'avons en quelque sorte vécu par anticipation, dans cet espace temporel et littéraire que constitue la seconde partie du livre, imbriquée, par la volonté de l'auteur, entre les deux parties, infiniment plus modestes, qui couvrent la fuite des poètes et de la prostituée loin du District fédéral de México, en direction de l'Etat de Sonora - où les attendent Cesárea et leur destin.

Et cela aussi, on l'a trouvé naturel : cette anomalie chronologique ne trouble pas un seul instant, elle va de pair avec l'ensemble et en rehausse la surprenante et majestueuse beauté. Certes, on n'est pas devenu l'un des "Détectives Sauvages" mais c'est tout de même un peu comme si ... tant sont grands le génie de son auteur et la générosité avec laquelle il accueille son lecteur dès lors que celui-ci accepte de plonger sans filet.

Un livre incroyable, un auteur à découvrir et à placer au tout premier rang de sa bibliothèque car, à sa manière cahotique de rebelle obstiné, Roberto Bolaño fut et demeure l'un des auteurs latino-américains les plus extraordinaires du XXème siècle.

mercredi, novembre 9 2011

L'Invention de Morel - Adolfo Bioy Casares (Argentine)

La Invención de Morel Traduction : J. P. Mourey

Extraits

Personnages

Court roman qui n'atteint pas les cent-trente pages, "L'Invention de Morel" s'inspire d'un fantastique à la H. G. Wells ou encore à la Jules Verne, celui du "Secret de Wilhelm Störitz." Mais sous l'argument fantastique, perce une réflexion complexe sur l'homme et la liberté.

Le narrateur, qui fuit on ne sait quel régime policier - quelques allusions à Caracas font penser au Vénézuéla - s'est réfugié sur une île que lui a désignée un Italien vivant à Calcutta. Sans nom, l'île a été abandonnée par ceux qui y ont bâti un musée, une piscine et une sorte de complexe hôtelier. A quelle époque ? Sans doute dans les années vingt, très vague point de repère temporel offert en pâture aux puristes du détail. Les légendes - mais sont-ce bien des légendes ? - ont alors pris leur essor : une "peste" étrange, plus proche de la lèpre ou de la gangrène que de la peste d'ailleurs, affligerait tout ce qui ose demeurer dans l'île, qu'il s'agisse de simples voyageurs ou des animaux et de la flore qu'elle abrite.

Mais le narrateur en est arrivé à un tel point de rejet - et de peur - de la société, qu'il met tout en oeuvre pour atteindre l'île et s'y cacher. Bientôt, à sa profonde stupeur, il constate que, contrairement à ce qu'on lui en a dit, l'île est habitée par une vingtaine ou une trentaine de personnes, hôtes et amis d'un certain Morel. Parmi ces gens, Faustine, une belle femme dont Morel paraît amoureux, va régulièrement se promener sur les rochers, charmant peu à peu le narrateur. Celui-ci fait tout pour attirer son attention mais, curieusement et en parfait accord avec l'attitude des autres "invités", Faustine ne le voit pas - un peu comme s'il lui était invisible ...

Aux efforts courageux du narrateur pour tenter de rationaliser son aventure, succède sa chute subtile et lente dans la folie. De bout en bout, le lecteur n'a, bien sûr, que le point de vue du narrateur pour se faire sa propre idée de la situation. Les réflexions pertinentes succèdent aux gestes fous, voire grotesques - comme la création de ce parterre de fleurs destiné à proclamer au grand jour l'amour du malheureux envers Faustine et devant lequel elle passe, là encore, comme s'il n'existait pas ...

Mais l'histoire faussement fantastique est aussi prétexte à une réflexion sur la place de l'individu dans la société, sur le droit de pensée et de conscience qu'elle lui laisse et sur les recours qu'elle lui autorise lorsque, justement, elle lui dénie ces droits. Le bilan final est peu réjouissant : Bioy Casares ne voit que la folie comme seul exutoire au refus de se fondre dans la norme. A moins que la fin de son héros, très symbolique, n'ouvre sur une vie désincarnée et à jamais libre, loin d'un corps abandonné en un peu réjouissant sacrifice.

Le propos, complexe, est traité avec une élégante simplicité. Bioy Casares adopte un style réaliste, sans aucune digression, pour évoquer une question morale et philosophique qu'on n'est pas près de résoudre. A ne réserver qu'aux inconditionnels.

lundi, août 2 2010

Chronique de la Maison Assassinée - Lúcio Cardoso (Brésil)

Crónica de casa assasinada Traduction : Mário Carelli

Extraits Personnages

Beau et cruel comme un crocodile émergeant des marais brumeux, "Chronique de la Maison Assassinée" a tout de ces plantes singulières et vénéneuses qui poussent dans la jungle amazonienne. Une plante énorme, monstrueuse, s'élançant vers le ciel dans le seul but de faire la peau aux anges, aux bienheureux et à Dieu par dessus le marché, un tronc souple et massif, gorgé de sèves mystérieuses et de sang torturé, prêt à digérer quiconque s'oppose à ses volontés dévastatrices.

Le style de Cardoso est à l'image de sa création : ample, avec des replis curieux et compliqués, une somptuosité rare dans la description du Domaine des Meneses et une virtuosité sans pareille lorsque vient le moment d'analyser les secrets de l'âme humaine, pesée à l'aune d'un catholicisme omniprésent, source de trop d'inhibitions, de trop de tabous et de trop de convenances.

Alambiqué, pourrait-on dire aussi : c'est que, même à un lecteur passionné, il faut beaucoup de temps pour s'immerger intégralement dans cet océan de phrases qui brasse tant d'émotions : amour, haine, passion, désespoir, inceste, mensonge, sexe et absence de sexe, désir, dégoût, homosexualité, rejet, décadence, fascination pour la Mort et ses plus charnelles manifestations.

Il vient même une minute où le lecteur hésite : "Je continue ? J'arrête ? ..." Et puis, soudain, le déclic se fait et l'intrigue prend sa volée. Le livre-plante étend ses lianes et ses feuilles dans toutes les directions, résolu à porter son lecteur jusqu'au bout (et peut-être même au-delà) d'une expérience que, jusqu'ici, il n'a pas encore vécue. Car le roman de Cardoso est absolument hors-normes : ses personnages flirtent longtemps avec le mélodrame avant de se révéler dans une tragédie que les Anciens Grecs auraient appréciée, leurs pensées, leurs émotions s'étalent et serpentent sans retenue dans des paragraphes aussi touffus qu'une jungle baroque et l'ensemble mêle la poésie la plus pure à la sensualité la plus large et la plus outrancière.

Outrancier, oui, serait un mot parfait pour qualifier ce roman atypique et fascinant, qui hypnotise lentement son lecteur sans que celui-ci en prenne conscience à temps. Mais j'écris "serait" parce que, en dépit des doutes que peut concevoir le lecteur au premier tiers de l'ouvrage, l'intrigue imaginée par Cardoso est menée de main de maître. Bien que le traducteur parle dans sa postface de certaines "incohérences", tout - y compris la chute finale - se tient dans "Chronique de la Maison Assassinée."

Un livre étonnant, aussi énigmatique que ses deux héroïnes - Nina et Ana - un livre qui, si vous lui faites confiance jusqu'au bout, ne vous décevra pas. ;o)

lundi, octobre 27 2008

Le Baiser de la Femme Araignée - Manuel Puig

El Beso de la Mujer Araña Traduction : Albert Bensoussan

Au coeur de l'Argentine de Videla, une cellule dans une prison de Buenos-Aires. S'y trouvent réunis un détenu politique, Valentin Arregui, chef d'un groupe d'opposants au régime qui, jusque là et malgré les tortures subies, n'a laissé passer aucune information véritable, et Luis Alberto Molina, homosexuel condamné pour détournement de mineur.

Les deux hommes - Molina est légèrement plus âgé qu'Arregui - ont fini par sympathiser. Plus chanceux qu'Arregui, Molina a encore sa mère qui, de temps à autre, lui envoie ou lui apporte des colis de nourriture dont il fait profiter son camarade de cellule. Et puis, Molina a tout de même des chances de sortir un jour ou l'autre de prison. Son avocat, on l'apprend d'ailleurs au début du roman, a bon espoir.

Chaque soir, avant de s'endormir, Molina a pris l'habitude de raconter à Arregui les films dont il a gardé le meilleur souvenir. Ce qui permet à Manuel Puig d'ouvrir son livre avec un récit magistral de "La Féline" de Jacques Tourneur. Joyaux du fantastique ou oeuvres de propagande, tout est bon en effet à Molina le cinéphile pour distraire celui qu'il nomme par son prénom, Valentin, alors que, on s'en aperçoit à la fin, ce dernier ne l'appellera jamais que par son nom de famille.

Il est vrai que, en espagnol, le "a" est une lettre féminine et que, peu à peu, au fur et à mesure que s'écoulent les jours d'enfermement et que Molina se met en quatre pour son voisin de cellule à la santé semble-t-il plus fragile, les rapports qui existaient entre les deux hommes subissent une douce mais irréversible mutation.

Peu importe si Molina est en fait un "mouton" contraint par l'administration pénitentiaire de tenter d'obtenir des renseignements décisifs en contrepartie de sa propre libération. Alors même qu'il en prend conscience, le lecteur sait que Molina ne trahira jamais Valentin.

Car le lecteur est aussi présent dans la cellule lorsque Molina incite Valentin à laisser de côté la nourriture de la prison (droguée de façon à le rendre malade et à affaiblir sa résistance) pour lui préférer celle qu'il parvient à obtenir du directeur sous couvert d'un colis que lui aurait envoyé sa mère.

Bien avant que Valentin s'en aperçoive, le lecteur a compris que Molina, qui se définit lui-même comme une femme, est tombé plus ou moins amoureux d'Arregui. Molina, en dépit du surnom de "femme-araignée" que lui donne par jeu son compagnon de cellule, n'a rien de la vamp : c'est une femme qui donne tout - y compris, pour finir, sa vie.

Manuel Puig ne recourt jamais à une analyse des pensées de ses personnages. Quand celles-ci surviennent, elles s'avancent en flot pressé et ressemblent plus à des images mentales, brutes de décoffrage, qu'à des réflexions muettes et profondes à la Marcel Proust.

A l'exception de deux entrevues avec le directeur de la prison et du rapport final sur la mort de Molina, "Le Baiser de la Femme-Araignée" est un immense dialogue entre les deux voisins de cellule et c'est par la subtilité et le naturel exceptionnels de ce dialogue que le lecteur prend pied peu à peu dans le mental des deux hommes.

Le procédé paraîtra peut-être déroutant à certains mais l'impression générale qui en ressort, c'est surtout l'admiration pour la maîtrise et la pudeur avec lesquelles Manuel Puig conduit son intrigue et ses personnages jusqu'à leur fin tragique mais inévitable. Il n'y a ici aucune trace de vulgarité ou de grossièreté et, lorsque le roman se clôt sur la mort d'Arregui, on a surtout la sensation d'avoir lu une belle, une grande histoire d'amour et d'amitié. ;o)

dimanche, juillet 29 2007

Monsieur le Président - Miguel Angel Asturias (Guatémala).

El Señor Presidente Traduction : Georges Pillement & Dourita Nouhaud

On ne sort pas indemme de ce roman où la cruauté et une fatalité implacable s'acharnent sur l'intégralité des personnages et dans des proportions qui rappellent tout ce que vous avez jamais pu lire sur les tortures pratiquées par les régimes totalitaires.

Guatémaltèque, Asturias nous dépeint évidemment une dictature latino-américaine vendue aux USA et, par conséquent, conservatrice dans l'âme. Mais ce que n'avait pas prévu cet écrivain qui reçut le Prix Lénine de la Paix en 1966, c'est que la puissance de son évocation est telle qu'elle en arrive à bannir les frontières et que, en dépit du contexte géographique, son "Monsieur le Président" finit par symboliser la Dictature à l'échelle universelle.

Quiconque a lu le "1984" d'Orwell ne pourra s'empêcher d'effectuer le parallèle entre le roman futuriste et essentiellement dirigé contre la dictature stalinienne du Britannique et celui, presque intemporel et dirigé contre une tyrannie pro-capitaliste, d'Asturias. Mais là où Orwell expliquait l'emprise de Big Brother sur son peuple par sa présence permanente, via la télévision et les dispositifs de surveillance, dans le foyer de chacun, Asturias imagine un Président qui voit tout, entend tout, devine tout et finit toujours par tout savoir tout simplement parce qu'il est le Mal incarné.

A propos de son oeuvre, l'écrivain guatémaltèque fut le premier à évoquer le "réalisme magique"qu'il tenait à développer autant dans son style (d'un lyrisme déconcertant) que dans son univers guatémaltèque. Il le reliait non pas aux Surréalistes français - qui l'influencèrent pourtant beaucoup mais à qui il reprochait d'être trop intellectuels - mais aux origines pré-colombiennes de sa culture. De fait, "Monsieur le Président" peut se lire comme un hymne de mort, à la gloire de ces dieux qui, après avoir créé les quatre premiers hommes, furent pris de peur à l'idée que leurs créatures pourraients les supplanter. Ils les privèrent alors de certains sens et les rendirent mortels.

Il semble que la religion maya, surtout après l'arrivée des Toltèques, ait eu quelques rapports avec celle des Aztèques. Or ces derniers avaient un faible accentué pour les sacrifices humains particulièrement sanglants. En ce sens, le roman d'Asturias offre une véritable manne à cette espèce de Moloch maya que représente le Président.

L'intrigue ? ... Disons que le confident du Président, Miguel Visage-d'Ange, tombe amoureux de la fille d'un général qui doit partir en exil sur l'ordre du dictateur. A partir de là, le malheureux, qui était pourtant non seulement beau mais aussi "méchant comme Satan", se met à jouer un double-jeu qui le mènera à une fin abominable.

Le tout baigne dans une atmosphère de cauchemar, non pas un cauchemar à la Kafka, froid, net, précis et pourtant absurde mais un cauchemar réaliste, aux couleurs flamboyantes des Tropiques, où les misérables se font piétiner dans la boue et le sang et où le soleil s'éteint à jamais pour ceux qu'a condamnés la vindicte cruelle du Président.

Si vous avez l'estomac bien accroché, ce livre - qui est un grand, un très grand livre - est pour vous. Sinon, abstenez-vous. Avec sa description des mendiants de la Porte du Seigneur, la première page, au reste, vous renseignera déjà sur vos capacités à aller de l'avant. ;o)

jeudi, juillet 5 2007

La Boutique aux Miracles - Jorge Amado. ( Brésil ).

Si vous voulez lire un auteur brésilien qui a réellement quelque chose à dire et qui le dit dans un style digne des luxuriances tropicales de son pays, lisez Jorge Amado sur lesquels les sites suivants vous renseigneront mieux que je ne saurais le faire moi-même :

Site 1

Site 2

« La Boutique aux Miracles » fut, je crois, édité en 1971.

Tenda de los Milagres ''Traduction : Alice Raillard''

A sa manière baroque et lyrique de conteur-né, Amado nous y retrace l’histoire de Pedro Archanjo, humble appariteur à la Faculté de Médecine de Bahia, poète passionné par ce melting-pot unique au monde que fut son pays, fervent défenseur des pauvres et des opprimés, haute figure du candomblé et mulâtre.

Pedro Archanjo naît en 1868 et sa vie ne sera qu’une succession de combats. Combats contre lui-même tout d’abord pour s’instruire et apprendre - apprendre encore et toujours plus - et puis pour ne pas enlever à son « frère » Lidio Corro la femme qu’aime celui-ci. Avec l'âge viennent les combats publics : contre les lois qui visent à interdire la tenue des candomblés, ces cérémonies où les cultes animistes africains s’unissent aux pompes et aux ors du catholicisme, contre la misère qui n’arrête pas de rôder comme une hyène parmi le peuple brésilien, contre la volonté d’apartheid qui commence à se répandre dans le pays à l’aube de la Seconde guerre mondiale …

Quand Archanjo decède d’une crise cardiaque en 1943 et comme nul n'est prophète en son pays, les quatre ouvrages qu’il a écrits sont retombés dans l’oubli. Mais, en 1968, voilà que débarque à Bahia un Prix Nobel made in USA, James D. Levenson lequel lance sans le savoir le pavé dans la mare en affirmant publiquement que les écrits qui ont eu le plus d’influence sur les siens ne sont autres que ceux de l’ancien appariteur brésilien.

Chez les journalistes et les notables bahianais, la stupeur est totale. Mais ils ne veulent ni ne peuvent révéler à l’Américain qu’ils ignorent tout – ou presque – de Pedro Archanjo et de son œuvre. Et la course commence : hommes de presse, hommes de sciences, hommes de lettres, snobs tous azimuts, tout le monde se rue sur la mémoire de Pedro Archanjo.

Tant bien que mal, tout ce beau monde se décide à rendre un hommage mérité et mémorable à celui qui, s’il avait vécu, aurait alors fêté son siècle d’existence. Mais, pour ce faire, il faut bien entendu obtenir un maximum de renseignements sur cette gloire inconnue – et surtout trier ceux que l’on pourra utiliser …

Ça pourrait être horriblement triste mais Amado adoucit le ton par son humour – bien que celui-ci soit souvent féroce. Les chapitres font alterner les deux intrigues : le grand branle-bas de 1968, cette course-poursuite au Pedro Archanjo politiquement correct et la relation de la vie de Pedro Archanjo, tel qu’il fut – c’est à dire tout le contraire du « politiquement correct. » Les personnages sont brossés à grands traits colorés : ils éclatent littéralement de couleurs et de saveurs – au reste, Pedro Archanjo et son auteur n’ont-ils pas tous deux rédigés des livres de recettes de cuisine ? :reading: Et ce qu’ils font, ce qu’ils pensent, ce qu’ils ressentent, tout cela sonne vrai – en tout cas, c’est ainsi pour moi mais ce ne sera peut-être pas votre avis.

Peut-être parce que, comme dans la vie réelle, la douleur et le chagrin tiennent également leur rôle dans l’histoire de Pedro Archanjo : son amour pour Rosa da Oshala tout d’abord et puis – et c’est peut-être le plus triste – l’abandon dans lequel son fils Tadeú le laissera peu à peu glisser après que lui-même se sera élevé socialement par ses études (supportées par Archanjo et ses amis) et par son mariage avec la fille – blanche – du colonel Gomes.

Mais cela aussi, Pedro Archanjo, le philosophe, l’accepte. C’est pour que tous les Tadeú du Brésil aient leur chance que lui-même s’est battu si longtemps – et il le sait. Le jeu en valait bien la chandelle, non ? ...

En conclusion, j'ajouterai qu'__il est rare de voir un héros de roman revendiquer de façon aussi égale et aussi puissante sa part européenne et sa part africaine - et se montrer aussi fier de l'une comme de l'autre. Par les temps qui courent, que voulez-vous, ça me fait plaisir - d'autant qu'Amado le fait avec la simplicité du vrai poète. __ Un auteur à découvrir, donc, si vous ne le connaissez pas encore. 8)

mercredi, juillet 4 2007

Le Néant Quotidien - Zoé Valdes. ( Cuba ).

La Nada Cotidiana Traduction : Carmen Val Julian

"Le Néant Quotidien", c'est avant tout une gifle magistrale, assenée par la narratrice sur le visage d'un lecteur qu'une regrettable candeur inviterait à considérer encore Cuba et le régime castriste la première comme le Paradis sur la Terre et le second comme une noble assemblée de séraphins réunis pour assurer un bonheur parfait à ceux qui peuplent ce nouvel Eden. La première - comme la dernière - phrase du livre n'est-elle pas d'ailleurs : "Elle vient d'une île qui avait voulu construire le paradis" ?

A sa naissance, le 1er mai 1959, la narratrice a reçu de ses parents, éblouis par les beaux discours de Castro autant que par cette aura unique qui ne cessera d'entourer son compagnon, "Che" Guevara, le curieux et redondant prénom de "Patria." Les premières douleurs prirent la mère de Patria dans la foule, alors qu'elle s'était déplacée de la Vieille Havane jusqu'à la place de la Révolution pour écouter s'exprimer Fidel Castro. Alors qu'on l'emportait pour la conduire à l'hôpital, elle passa devant la tribune et le Che en personne déposa sur son ventre le drapeau cubain.

Belle, très belle histoire qui aurait dû faire de la petite Patria une adepte pure et dure de Castro. Hélas ! entre sa naissance et le moment où, jeune femme, elle prend la plume pour nous décrire son quotidien (les problèmes pour se nourrir suite au blocus imposé à l'île par les USA, les problèmes de ravitaillement en eau et en électricité, bref, la misère sans espoir qui s'étale sur Cuba tout entière et que l'on ne peut nommer sous peine de se voir rangé parmi les traîtres et autres ... "fascistes" :wink: ), trop de choses sont venues bloquer la voie royale qui paraissait s'ouvrir, en 1959, devant les communistes cubains.

Et puis, le Che est mort - et c'est comme s'il avait emporté dans sa tombe l'auréole de son ancien compère qui l'avait, il est vrai, peut-être trahi ...

D'ailleurs, Patria ne veut plus qu'on l'appelle Patria : elle s'est rebaptisée Yocandra.

C'est donc Yocandra qui nous décrit ses amours entre le Traître et le Nihiliste, son amitié pour la Gusana (surnom ici affectueux et qui vient de "gusano", ver ou moins-que-rien, nom donné par les castristes aux exilés volontaires qui vilipendent le régime en place) enfuie en Europe après avoir épousé un vieil Espagnol et ce vide terrible qui paralyse depuis tant d'années son pays natal.

Rien, il n'y a rien à Cuba, semble nous dire ce très court roman (142 pages chez Actes Sud ancienne édition). Sinon les erzatz de nourriture, les faux-semblants, la souffrance et la peur. Et l'on pourrait dire de l'espoir que lui aussi s'est exilé depuis longtemps s'il ne demeurait malgré tout au coeur de l'être humain.

Un texte superbe et lancinant, qui révèle une puissante nature d'écrivain et qui ne peut qu'inciter à lire d'autres oeuvres de Zoé Valdès.;o)

mardi, juillet 3 2007

Cent Ans de Solitude - Gabriel Garcia Marquez. ( Bolivie )

Cien años de soledad Traduction : Carmen & Claude Durand

On m'avait beaucoup vanté "Cent ans de solitude." Trop sans doute. Comme on avait trop mis l'accent sur la fin du roman qui, pour autant qu'on me le disait, était seule à expliquer le reste de l'ouvrage. Aussi ai-je été déçue.

Non cependant par l'ampleur épique du récit qui nous conte, en un style qui évoque à merveille les paysages et surtout l'atmosphère de l'Amérique du sud, la grandeur et la décadence de la famille Buendia et, à travers celles-ci, les tribulations d'un pays en formation, soumis à des guerres internes avant de se faire officieusement coloniser par les Etats-Unis, avec l'aval du parti conservateur mis en place par Simon Bolivar. (Face à eux, les libéraux, qui en tenaient pour Francisco de Paula Santander. Au bout du compte et en utilisant pour ce faire le personnage du colonel Aureliano Buendia - fils cadet de José Arcadio - Marquez les réunit dans le même sac politique, c'est-à-dire à la solde de la bourgeoisie et des USA.)

Les personnages sont flamboyants et pleins de cette vie si particulière qui anime les héros des grands auteurs sud-américains. On peut même parler ici d'une débauche de vie, de quelque chose d'outrancier et de superbe dont la Mort elle-même ne peut venir à bout puisque les spectres des disparus, que ne parviennent d'ailleurs pas à voir tous les survivants, n'arrêtent pas de hanter la vaste maison fondée puis élargie par José Arcadio Buendia et sa femme, Ursula.

Au premier rang de ces ombres, Melquiades, le gitan mystérieux et tutélaire, "mort aux laisses de la Sonde", qui fera découvrir aux habitants de Macondo d'authentiques tapis volants et lèguera à la famille Buendia une multitude de parchemins rédigés en un langage hermétique que, tour à tour, l'un ou l'autre des descendants mâles du premier José Arcadio tentera de déchiffrer.

En vain jusqu'à ce qu'il soit trop tard.

Au delà de l'ambiance très spéciale du roman, qui mêle le défilement de l'Histoire à un sens aigu du mythique, on peut voir dans la famille Buendia la Colombie elle-même, en tant que terre fertile et bénie des dieux, Grande Mère passive mais redoutable que les hommes, par leur folie, finissent par pousser à bout et qui reprendra ses droits à la fin du roman, après un déluge symbolique qui dura quatre ans. Car sous les yeux du lecteur, lentement mais sûrement, victime d'une malédiction qu'elle porte en elle ou pas, la famille Buendia se détraque : les générations échangent leur prénom, les rejetons légitimes sont élevés avec les rejetons adultérins, les jumeaux s'amusent à troquer leur personnalité, le temps semble tourner en rond, ce qui plonge l'arrière-grand-père et fondateur dans la folie alors que son arrière-petit-fils ne sait pas finalement s'il est amoureux de sa tante ou de sa propre soeur.

Mais pour moi, la fin n'explique pas tout, elle semble plaquée au contraire sur une chronologie fabuleuse : bref, elle me paraît finir le roman sans le finir et l'on croirait l'auteur pris de court.

Et vous, qu'en avez-vous pensé ? ;o)

lundi, juillet 2 2007

Mrs Wakefield - Eduardo Berti.

Madame Wakefield Traduction : Jean-Marie Saint-Lu

En 1835, dans la lignée du "Rip Van Winkle" de Washington Irving, père de la littérature américaine, Nathaniel Hawthorne, dont l'un des aïeux avait été parmi les juges des fameuses "sorcières" de Salem, imagina un conte mi-fantastique, mi-absurde, où un homme, Charles Wakefield, quitte un jour le domicile conjugal sans rien dire, sans même aucun motif avoué, pour s'en aller vivre dans la rue voisine.

Dans "Madame Wakefield", Eduardo Berti reprend le conte mais le restitue du point de vue de l'épouse délaissée qui, on s'en doute, dès lors qu'elle réalise que l'homme à perruque roussâtre qui déambule dans Grub Street et qui ressemble tellement à son mari disparu sans tambour ni trompettes est réellement son époux, n'arrête pas de se poser des questions.

Elle va s'en poser pendant très précisément vingt longues années, feignant d'être veuve et refusant dans la foulée la demande en mariage d'un ecclésiastique séduit par sa réserve et son deuil, le révérend Webster. Et, au-delà des vingt années, son mari sonnera à la porte, elle lui ouvrira, tout rentrera dans l'ordre pour le souper et, le lendemain matin, il sera mort dans son sommeil.

Sans que ni Mrs Wakefield, ni Amelia, sa servante, ni bien sûr le lecteur n'aient compris les raisons qui avaient poussé notre étrange héros à quitter son foyer.

Seul indice - enfin, si l'on peut dire : l'exemplaire de "Don Quichotte" qui, avec quelques vêtements, était la seule chose que Wakefield eût emporté pour tout viatique lors de sa si longue fugue.

Divisé en chapitres très courts, prenant parfois avec humour l'"estimé lecteur" à témoin, ce livre d'un peu moins de 250 pages nous pose donc une énigme qui ne sera jamais résolue à moins que nous ne trouvions tout au fond de nous-mêmes les raisons (la soif d'une "autre chose", la soif de liberté, la maladie mentale, qui sait ? ...) qui guident son protagoniste. On suspecte même parfois Wakefield d'être le fameux "Ned Ludd", leader invisible d'un mouvement populaire dirigé contre l'implantation des machines à tisser dans cette Angleterre qui, lorsque l'action débute, en 1809, est encore en guerre avec Napoléon Ier.

Kafka aurait fait certainement plus noir, plus étouffant. N'empêche : c'est vrai qu'il y a, dans "Madame Wakefield", quelque chose d'absurde qui le rappelle - à moins qu'il n'évoque Ionesco ou Beckett.

samedi, juin 30 2007

La Maison aux Esprits - Isabel Allende. (Chili )

La Casa de los Espiritus Traduction : Carmen Durand

Toute « La Maison aux Esprits » est contenue dans la dédicace de l’auteur :

« A ma mère, à ma grand-mère et à toutes les femmes extraordinaires de cette histoire. »

Car ce roman est avant tout celui de cinq femmes.

L’arrière-grand-mère tout d’abord, Nivea del Valle, l’une des premières suffragettes chiliennes. Comme ses homologues britanniques, cette épouse d’un athée franc-maçon n’hésita jamais à s’enchaîner aux grilles devant les hauts lieux de la vie politique du pays. Prête à seconder activement son mari en politique dans le seul espoir de faire un jour promulguer une loi donnant le droit de vote aux femmes, Nivea est – déjà – une forte personnalité, allergique au clergé catholique et moderne avant l’heure puisqu’elle entend ne pas trop contrarier la Nature dans l’éducation de ses enfants. C’est qu’elle a mis au monde quinze enfants dont onze seulement survivront. Parmi ses filles, l’aînée et la cadette connaîtront un destin étrange : par une farce macabre du Destin, la seconde finira en effet, après le décès de la première, par épouser le fiancé de celle-ci.

La grand-tante ensuite, Rosa, d’une beauté si sculpturale et si étrange que, bien qu’il appartienne à une famille singulièrement appauvrie par les folies paternelles, Esteban Trueba comprend, dès qu’il la voit, que ce sera elle, et personne d’autre. Pour lui garantir le train de vie auquel elle est habituée, le jeune homme part pour deux ans exploiter une concession minière. Travail ingrat et désespérant qui, le jour même où il porte enfin ses fruits – la découverte d’un filon prometteur – perd sa raison d’être : par un télégramme de sa sœur, Férula, Esteban apprend que Rosa vient de mourir, empoisonnée par erreur pour avoir bu une liqueur destinée à son père et dont on ne saura jamais qui en avait déposé la bouteille chez les del Valle.

La grand-mère enfin, pivot central du roman, Clara, sœur cadette de Rosa. Pressé par sa propre mère alors aux portes de la Mort et frappé par la beauté de la jeune fille, qui lui rappelle celle de la disparue, Esteban l’épouse dix ans après le décès de Rosa. A cette époque, lui-même est devenu un parti plus que présentable. Outre les bénéfices de la concession minière qu’il continue d’exploiter par ingénieur interposé, il a remis sur pied une propriété qu’il tenait de sa mère, les « Tres Marias. » C’est donc à un homme riche, terre-à-terre et rude que se lie Clara, en toute connaissance de cause puisque ses prémonitions l’en avait avertie. Toute enfant, Clara avait déjà des prémonitions (elle avait annoncé la « mort pour une autre » de Rosa et, terrifiée d’avoir si bien prédit, se refusa par la suite à émettre un seul son pendant les dix ans qui suivirent). Elle parlait aux esprits et, toute sa vie, les esprits accompagneront et chériront ce charmant médium qui, jamais, ne se laissera aller au pessimisme ou au désespoir. Quand elle mourra, après une vie bien remplie, laissant derrière elle un Esteban Trueba inconsolable, « la Maison aux Esprits, » qui donne son nom au roman, perdra beaucoup de son âme.

La mère, Blanca, fille de Clara et d’Esteban. Si sa mère ne lui a pas légué son talent pour faire tourner les guéridons et ressentir la présence de l’Au-delà, elle lui a assuré le caractère fort et rebelle aux conventions établies qui, depuis Nivea, semble caractériser les femmes de la famille. A tel point que, le temps venu, Blanca n’hésite pas à devenir la maîtresse du fils de l’un des fermiers de son père, Pedro Garcia III. On imagine la fureur d’Esteban … Comme Blanca se retrouve enceinte, elle doit finalement se résoudre à épouser, pour sauver la face, un aristocrate français qui passait par là, le dénommé Jean de Satigny. Mais, lorsqu’elle finit par découvrir les étranges préférences sexuelles de son époux, elle s’enfuit et s’en retourne chez ses parents. Et c’est dans « la Maison aux Esprits » que naît la quatrième héroïne du conte …

… la petite-fille et arrière-petite-fille, Alba, la narratrice principale. C’est elle qui retrouvera les « cahiers de notes sur la vie » que la grand-mère Clara avait commencé à rédiger alors qu’elle n’avait même pas dix ans. C’est elle qui aura l’idée de demander à son grand-père de l’aider à reconstituer ce qu’elle peut encore ignorer du passé familial. Et c’est donc elle qui introduira dans ce roman si dominé par les femmes la seule voix masculine d’envergure qui s’y fera entendre. Cela se passera après le coup d’Etat de Pinochet et de la Junte, après que le vieil Esteban sera parvenu à faire sortir Alba des geôles du pouvoir. Le monologue effondré du vieillard, s’en allant demander de l’aide à la seule personne susceptible de faire libérer sa petite-fille, constitue, je trouve, l’un des morceaux de bravoure du livre. Toute l’histoire du Chili, depuis la fin du XIXème siècle jusqu’aux jours sombres de la Dictature post-Allende, défile ici en un saisissant et émouvant raccourci, exposant les faiblesses et les forces non seulement de la classe possédante « traditionnelle » dont Trueba est le rude représentant mais aussi de la classe « prolétaire », symbolisée pour sa part par Miguel, un guerillero gauchiste dont Alba est tombée amoureuse.

Bref, même s’il faut s’habituer à un style qui privilégie les virgules au détriment des points, ce roman paraît touché par la grâce et on le lit presque d’une traite tant les personnages qui le traversent sont prenants et convaincants. L’auteur est une conteuse-née, la chose ne fait aucun doute et cet art se fait trop rare de nos jours en littérature pour qu’on ne l’apprécie pas comme il se doit. Bonne lecture ! ;o)