Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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Tag - Epouvante

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dimanche, février 19 2012

Terreur - Dan Simmons

The Terror Traduction : Jean-Daniel Brèque

Extraits Personnages

Soyons francs et restons lucides en ce glacialissime début de décembre : "Terreur" n'est pas un roman à lire en pareille saison. Tout d'abord parce que, d'un bout à l'autre, et en dépit de quelques longueurs, le récit vous tient si bien en haleine que vous restez scotché à votre exemplaire, n'utilisant que les muscles des doigts de votre main pour tourner les pages et, partant, exposant ainsi tout le reste de votre corps à un refroidissement progressif, sournois et très désagréable. Ensuite parce que le théâtre de l'intrigue n'est autre que la banquise, une banquise aveuglante qui refuse de dégeler ses habituels chenaux d'"eaux libres" quand arrive ce qui, sur le continent arctique, passe pour l'été, une banquise magistralement dépeinte, dans son horreur blanche et figée, par Dan Simmons.

De celui-ci, j'avais à peine entamé "L'Echiquier du Mal" que je bâillais, dégoûtée comme d'habitude par ces pseudo-nazis qui surgissent d'un passé horrifiant pour façonner un présent et un futur tout aussi épouvantables. Fuyant la prise de tête et toutes formes de clichés politiquement corrects, je laissai donc tomber - et sans regrets - ce qui, pourtant jusqu'à ce jour, est considéré comme le chef-d'oeuvre de son auteur.

Mais "Terreur" et son contexte historique - l'expédition polaire menée par Sir John Franklin, qui quitta les rives verdoyantes de l'Angleterre le 19 mai 1845 - m'intéressaient et même me passionnaient. Allez savoir pourquoi, moi que la vue de deux centimètres de neige sur le trottoir d'en face incite à prendre ma plus belle plume pour rédiger mon testament ... j'adore tous les récits, fictionnels ou non, qui tournent autour des expéditions polaires.

Le roman de Simmons offrait en outre l'avantage d'une pointe fantastique : la présence, en vedette américaine, sur l'horrifique banquise, d'une créature non identifiée (mais blanche, elle aussi, cela tombe sous le sens), plus grande qu'un homme, se déplaçant soit à quatre pattes, soit comme un parfait bipède, et traquant impitoyablement jusque sur les ponts des navires de l'expédition tout marin susceptible de lui fournir un bon repas.

La sauce prendrait-elle ? Ou - le propos est de circonstance - se figerait-elle bêtement, formant des gruaux indigestes ?

Eh ! bien, ce fut un régal. Découpage solide, personnages fermement dessinés et qui s'enrichissent au fur et à mesure que progresse le récit, ambiance étouffante et claustrophobe, réflexions suggérées sur la Mort et la survie, fin relativement heureuse pour au moins l'un des membres de l'expédition Franklin, le tout artistiquement rehaussé çà et là par quelques pointes inexpliquées de fantastique et d'horreur - mais non de gore - "Terreur" tient toutes ses promesses.

Bref, un conseil : mettez votre exemplaire au congélateur jusqu'au printemps, réchauffez-le un peu, assaisonnez avec le confort d'un bon fauteuil et le réconfort d'un paquet de gâteaux ou d'une boîte de chocolats, et puis consommez, sans modération. Vous aurez si froid pendant toute votre lecture que, de toutes façons, vous ne prendrez pas un seul gramme.

Relic - Douglas Preston & Lincoln Child

Relic Jean Colonna

Extraits Personnages

'']Par exception, j'ai commis deux fiches sur le sujet - tant il m'a plu. En voici la première :++

Un film de série B, tout dégoulinant d'hémoglobine ketchupisée, où retentissent moult cris d'horreur sur fond d'apparitions éclair d'une créature à laquelle on ne croit pas une minute, a été tiré par Hollywood de ce petit roman qui méritait pourtant un autre traitement.

Est-ce à la formation scientifique de Douglas Preston que "Relic" doit la crédibilité qui sourd de ses pages ? Ou alors à la sobriété des descriptions qui nous sont données çà et là de la Créature ?

Quoi qu'il en soit, "Relic" est en son genre un petit bijou qui revisite avec bonheur le thème classique de "la-Créature-qui-vient-du-fond-des-âges-pour-mieux-te-manger-mon-enfant."

En apparence cependant, le lecteur pressé pourrait ne voir là-dedans qu'une énième resucée de lb'exploration amazonienne qui ramène dans un grand musée (ici new-yorkais) des caisses recelant une mystérieuse et épouvantable (on s'en doutait) créature pré-historique dont le but ultime (et à bien y regarder le seul) dans l'existence est de dévorer tous les êtres humains qui lui tombent sous la griffe - le tout en répandant un maximum de sang, de cervelle et d'entrailles sour l'intégralité des murs dudit musée.

Mais il aurait bien tort de passer son chemin sans approfondir. Car :

1) les auteurs ont décidé d'éviter le gore à tout prix ;

2) leur scénario est aussi solide que leur Créature - lisez bien l'introduction, surtout ;

3) et la "chute" est amenée de façon insidieuse et démoniaque - si bien même qu'à l'instant où l'on croit avoir tout saisi, on découvre qu'en fait, on n'avait pas bien réalisé l'identité réelle de la Créature.

Un roman qui n'est pas un chef-d'oeuvre mais qui change un peu, par la qualité de sa construction et de ses idées, du tout-venant habituel. Il fallait le signaler. Voilà qui est fait. Maintenant, si ça vous intéresse, lisez-le.

Et voilà la deuxième :

En dépit de quelques longueurs s'accumulant dans le dernier tiers du roman, lors de la traque dans les sous-sols du musée, puis dans les égouts, "Relic", où entre en scène l'agent Aloysius Pendergast, du FBI de Louisiane, reste l'un des très grands romans d'épouvante de la fin du XXème siècle. Un sommet dont les opus suivants du tandem Preston & Child auront bien du mal à égaler la retorse efficacité.

Il faut dire que, dans ce livre, Pendergast, même si ses "pères" lui ont donné un physique de semi-albinos à la Andy Warhol, n'a pas encore pris ces tics accablants qui, par la suite, vont contribuer à le transformer en une sorte d'hybride littéraire, à mi-chemin entre Sherlock Holmes et Rouletabille. Bien sûr, il a toujours une bonne longueur d'avance - si ce n'est deux - sur les enquêteurs des autres polices mais on ne chipotera pas : après tout, n'est-il pas le héros ?

Et puis, reconnaissons-le, la chute, tout bonnement géniale, est de celles que tout amateur d'épouvante se remémore toujours avec émotion. Décomposée en deux temps, sa puissance est imparable dans le premier mouvement. Le second, avec le scientifique corrompu, est beaucoup plus classique - et donc prévisible. Mais la perfection de ce premier mouvement est telle que, là aussi, ergoter serait faire preuve d'une écoeurante mauvaise foi.

En apparence, "Relic" reprend le thème ultra-éculé de la malédiction attachée à un objet cultuel - en l'occurrence une statuette découverte aux tréfonds de l'Amérique du Sud - ramené à grands frais par des ethnologues, anthropologues et autres logues jusque dans les caves du Muséum d'Histoire naturelle de New-York. Tant qu'on n'y touche pas, le problème n'est pas très grave. Mais à partir du moment où une cohorte de scientifiques en veine de reconnaissance mondaine et de gloire locale se met en tête d'exposer ladite statuette, l'atmosphère s'alourdit considérablement ... et les meurtres (évidemment horribles, épouvante oblige) commencent.

On n'en dira pas plus pour ne pas gâcher le plaisir du néophyte qui n'aurait pas encore lu ce livre. Sauf peut-être que, par le traitement infligée au thème central, "Relic" ne se borne pas aux apparences mais va beaucoup plus loin, d'où son intérêt et sa qualité.

Ici, il n'y a pas de tour de passe-passe comme on pourrait en reprocher aux auteurs dans, par exemple, "La Chambre des Curiosités." Il n'y a pas non plus d'invraisemblance majeure : tout est pensé, calibré, projeté, logique, implacable. Les personnages sont vivants et, à l'exception du policier new-yorkais, ne tombent pas dans le stéréotype. La clef de l'énigme est, nous l'avons déjà dit, remarquable par son intelligence même si son épilogue fait un peu plaqué, dans l'intention vraisemblable d'annoncer une "suite." Bref, il n'y a guère que le style, correct mais banal, dépourvu hélas ! de cette poésie cultivée par Machen ou Lovecraft, qui fasse tiquer le puriste.

On notera qu'un film éponyme a été tiré de ce roman. Ce n'est pas un chef-d'oeuvre, il est beaucoup plus simpliste et on ne croit pas un instant à la créature qui s'y débat, mais il se laisse regarder.

Un conseil cependant : lisez "Relic" avant de visionner sa version filmée.

jeudi, février 10 2011

Carmilla & Autres Nouvelles - Joseph Sheridan Le Fanu ( II )

Après une nouvelle de la qualité et de la complexité de "Carmilla", le lecteur trouvera peut-être décevantes les trois autres enquêtes du Dr Hesselius. Toutes trois, à des degrés divers, sont des variations fantastiques sur l'idée de justice immanente, céleste ou infernale.

"Thé Vert" nous conte les malheurs du révérend Jennings, pasteur convaincu de la noblesse de sa charge et érudit pourvu d'une bibliothèque de soixante-mille livres. S'est-il justement plongé trop souvent et trop longtemps dans certains ouvrages qu'un ecclésiastique ne saurait consulter sans se renier un peu (il ne s'agit ici pas d'ouvrages sataniques mais tout simplement de livres scientifiques) ? Toujours est-il que, quand débute la nouvelle, le pasteur est sujet, depuis quelque temps, à des sortes de crises durant lesquelles il paraît voir ce que les autres ne voient pas. Le pire survient quand il célèbre l'office ...

Avec "Le Familier", il n'y a par contre aucune ambiguïté. Dès le début - ou presque - le lecteur comprend que le héros au destin tragique, le capitaine Barton, a accompli une très mauvaise action alors qu'il se trouvait encore aux colonies. Cette action - sur laquelle nous ne glanerons quelques maigres indices qu'à la dernière page du texte - explique en partie comment il se retrouve poursuivi, dans les rues de Londres, la nuit, par des pas fantômes ...

"Mr Justice Harbottle" est l'histoire classique du juge cruel et débauché qui finit par comparaître devant une espèce de tribunal de spectres, les esprits de ceux-là même qu'il a fait pendre dans un passé plus ou moins lointain. Parmi eux, l'époux de sa gouvernante-maîtresse ...

On ne peut qu'admirer l'art subtil avec lequel Sheridan Le Fanu met tout cela en scène, créant peu à peu une atmosphère étouffante, inquiétante à souhait, et réservant toujours, non sans ironie, à son lecteur sceptique, la possibilité d'une explication logique. Ainsi, dans le cas du juge Harbottle, serait-on en droit de penser que les douleurs intolérables suscitées par sa goutte l'ont finalement poussé au suicide. "Un si mauvais caractère, une si forte personnalité, se suicider pour cette raison ?" protesteront certains. "Ah ! mais la goutte, c'est épouvantable !" répondront les autres.

L'inconditionnel de Sheridan Le Fanu, lui, dira tout simplement : "Le Tribunal des Spectres l'avait condamné à mourir le dix mars et il est mort pendu, le dix mars." C'est une explication qui en vaut une autre et, après tout, bien que macabre, n'est-elle pas la plus poétique ? ... ;o)

Carmilla & Autres Nouvelles - Joseph Sheridan Le Fanu ( I )

Carmilla / Green Tea / The Familiar / Mr Justice Harbottle Traduction : Alain Dorémieux (Carmilla) & Elisabeth Gille

Extraits Personnages

Cette édition, sortie chez Denoël en 1960, reprend quatre des enquêtes du Dr Hesselius réunies en anglais sous le titre "In A Glass Darkly" et parues pour la première fois en 1872. On notera que l'éditeur français n'a pas retenu la cinquième enquête, "The Room In The Dragon Volant", probablement parce que, sous des apparences surnaturelles, elle présentait en fait une histoire tout ce qu'il y a de plus policière.

C'est à "Carmilla" que Denoël a réservé la première place dans ce recueil, non pas tant en raison de la longueur du texte mais parce que, au même titre que le "Dracula" de Stoker dans le genre purement romanesque, "Carmilla" est devenu une sorte de Bible pour tout amateur de littérature vampirique. Et puis, on l'oublie facilement, "Carmilla" est un texte profondément révélateur de la sexualité des Victoriens.__

En effet, la nouvelle traite à la fois du vampirisme et du lesbianisme, forme de différence sexuelle envers laquelle les sociétés dites patriarcales ont toujours montré plus d'indulgence qu'envers l'amour entre hommes. Comme on le sait, le vampire, qui se nourrit en principe de toutes les proies qu'il rencontre, femmes et hommes, est en général tenu pour bisexuel. On ne le clame pas sur les toits - et surtout pas les auteurs du XIXème siècle - mais enfin, c'est acquis. Dans "Dracula", la chose est élégamment implicite, Bram Stoker préférant ne pas s'appesantir sur les démêlés de Jonathan Harker avec le comte, et encore moins sur le traitement que celui-ci réserve à l'équipage exclusivement masculin du "Demeter." Dans "Carmilla", Sheridan Le Fanu, bien à l'abri derrière le bouclier d'un saphisme aristocratique mais pourtant bien présent, va plus loin que son compatriote et nous dit tout tranquillement que la vampire ne s'intéresse qu'aux femmes. Paraît-elle dans un bal, elle ne voit que les jeunes filles les plus jolies, jusqu'au moment où elle fixe son choix.

A l'époque, il fallait oser et le grand succès de "Carmilla", sur l'instant et jusqu'à nos jours - même si son "père" a connu, ce me semble, une petite période de "purgatoire" littéraire - tient à ce renforcement et du caractère sexuel du vampirisme, et de sa qualité de tabou, qualité qu'il partage ici avec l'homosexualité. Et le récit continue à nous fasciner, comme il fascinait les Victoriens, parce que, en dépit de la fin morale qui est la sienne, il prône le refus des conventions, surtout sur le plan sexuel. Le Fanu a la subtilité (la ruse ?) de nous rappeler que renoncer aux tabous, c'est immanquablement prendre des risques auxquels on peut succomber. Mais il prend bien garde de faire suivre cet édifiant rappel d'une interrogation narquoise : ceux qui ne succombent pas, ceux qui, finalement, sont "sauvés", leur sort est-il, somme toute, si agréable que cela ? Retournée à sa pureté native, la jeune narratrice n'en gardera pas moins, toujours, la nostalgie de son "amie" Carmilla ...

Pour toutes ces raisons, "Carmilla", comme tant d'autres oeuvres de l'époque ("Dracula", déjà cité mais aussi "Le Cas Etrange du Dr Jekyll et de Mr Hyde", ou encore "Le Portrait de Dorian Gray") est bien plus qu'une simple nouvelle d'épouvante, menée de main de maître par un Irlandais qui possédait un sens aigu du macabre. On peut y voir au choix un texte anarchiste, ou féministe avant la lettre, ou subtilement érotique et décadent - et les plus primaires y verront sans doute un texte salace qui promet cependant plus qu'il ne tient. Ces différents niveaux de lecture ainsi que l'art de "faiseur d'épouvantes" de Sheridan Le Fanu ont contribué à faire de "Carmilla" ce qu'il restera à jamais : un archétype, une référence, un Incontournable.