Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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A La Découverte de Saint-Simon.

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lundi, juillet 23 2007

Saint-Simon, beau-frère de Lauzun.

Je ne sais si vous vous rappelez celui qui fut le grand amour de Melle de Montpensier, le duc de Lauzun :

   

Eh ! bien, Saint-Simon et lui finirent par devenir beaux-frères puisque M. de Lauzun se mit en tête d'épouser Melle de Quintin, l'autre fille du maréchal de Lorges. Le mémorialiste n'oublie pas de retranscrire la mise en garde que Louis XIV adressa sur la question au maréchal de Lorge.

" ... ... Melle de Quintin ne tarda pas longtemps à avoir son tour. M. de Lauzun la vit sur le lit de sa soeur, avec plusieurs autres filles à marier. Elle avait quinze ans et lui plus de soixante-trois ans : c'était une étrange disproportion d'âge ; mais sa vie jusqu'alors avait été un roman, il ne le croyait pas achevé, et il avait encore l'ambition et les espérances d'un jeune homme. Depuis son retour à la cour et son rétablissement dans les distinctions qu'il y avait eues, depuis même que le roi et la reine d'Angleterre, qui le lui avaient valu, lui avaient encore procuré la dignité de duc vérifié, il n'était rien qu'il n'eût tenté par leurs affaires pour se remettre en quelque confiance avec le Roi, sans avoir pu y réussir. Il se flatta qu'en épousant une fille d'un général d'armée, il pourrait faire en sorte de se mettre entre le Roi et lui, et, par les affaires du Rhin (1), s'initier de nouveau et se rouvrir un chemin à succéder à son beau-père dans la charge de capitaine des gardes, qu'il ne se consolait point d'avoir perdue.

Plein de ces pensées, il fit parler à Mme la maréchale de Lorge, qui le connaissait trop de réputation et qui aimait trop sa fille pour entendre à un mariage qui ne pouvait la rendre heureuse. M. de Lauzun redoubla ses empressements, proposa d'épouser sans dot, fit parler sur ce pied-là à Mme de Frémont et à Messieurs de Lorge et de Duras, chez lequel l'affaire fut écoutée, concertée, résolue, par cette grande raison de sans dot (2), au grand déplaisir de la mère, qui, à la fin, se rendit, par la difficulté de faire sa fille duchesse comme l'aînée, à qui elle voulait l'égaler. Phélypeaux, qui se croyait à portée de tout, la voulait aussi pour rien, à cause des alliances et des entours, et la peur qu'en eut Melle de Quintin la fit consentir avec joie à épouser le duc de Lauzun, qui avait un nom, un rang et des trésors. La distance des âges et l'inexpérience du sien lui firent regarder ce mariage comme la contrainte de deux ou trois ans, tout au plus, pour être après libre, riche et grande dame : sans quoi, elle n'y eût jamais consenti, à ce qu'elle a bien souvent avoué depuis.

Cette affaire fut conduite et conclue dans le plus grand secret. Lorsque M. le maréchal de Lorge en parla au Roi : "Vous êtes hardi, lui-dit-il, de mettre Lauzun dans votre famille ; je souhaite que vous ne vous en repentiez pas. De vos affaires, vous en êtes le maître ; mais pour des miennes, je ne vous permets de faire ce mariage qu'à condition que vous ne lui en direz jamais le moindre mot." ... ..."

(1) : les opérations guerrières menées par Louis XIV sur la frontière.

(2) : rappelons-nous le "Sans dot" d'Harpagon ...

samedi, juillet 21 2007

Le Mariage de Saint-Simon.

Le mariage du duc de Saint-Simon avec l'une des filles du maréchal de Lorges donne lieu à une description précise du rituel qui voulait que, le jour de leur présentation au Roi, les nouvelles duchesses "prissent leur tabouret."

En effet, rares étaient les courtisans qui avaient le droit de s'asseoir en présence du Roi. Pour les femmes, la seule exception était le titre de duchesse assorti d'un "tabouret", c'est-à-dire un siège sur lequel les malheureuses pouvaient enfin se reposer. Nous avons du mal à nous l'imaginer aujourd'hui mais assister aux cérémonies de Cour, c'était, pour une femme, se promener en grand décolleté, avec des jupes souvent très lourdes et un "corps" (= corset) toujours très rigide, le tout sur des talons plus ou moins hauts. C'étaient aussi des révérences innombrables et plus ou moins profondes, en fonction des personnes à qui elles s'adressaient. Oh ! certes, il y avait là-dedans beaucoup d'honneur mais la fatigue n'en était pas moins également au rendez-vous. Fatigue qui n'épargnait pas même les grands : il suffit, pour s'en convaincre, de lire la Palatine.

Mais revenons à la présentation officielle de la nouvelle Madame de Saint-Simon :

"... ... Nous couchâmes dans le grand appartement de l'hôtel de Lorge. Le lendemain, M. d'Auneuil, qui logeait vis à vis, nous donna un grand dîner, après lequel la mariée reçut sur son lit toute la France, à l'hôtel de Lorge, où les devoirs de la vie civile et la curiosité attirèrent la foule ; et la première qui vint fut la duchesse de Bracciano elle avait espéré voir Saint-Simo... avec ses deux nièces. Ma mère était encore dans son second deuil et son appartement noir et gris, ce qui nous fit préférer l'hôtel de Lorge pour y recevoir le monde. Le lendemain de ces visites, auxquelles on ne donna qu'un jour, nous allâmes à Versailles. Le soir, le Roi voulut bien voir la nouvelle mariée chez Mme de Maintenon où ma mère et la sienne la lui présentèrent. En y allant, le Roi m'en parla en badinant, et il eut la bonté de les recevoir avec beaucoup de distinction et de louanges. De là, elles furent au souper, où la nouvelle duchesse prit son tabouret. En arrivant à la table, le Roi lui dit : "Madame, s'il vous plaît de vous asseoir." La serviette du Roi déployée, il vit toutes les duchesses et princesses encore debout , il se souleva sur sa chaise et dit à Mme de Saint-Simon : "Madame, je vous ai déjà priée de vous asseoir" ; et toutes celles qui le devaient être s'assirent, et Mme de Saint-Simon entre ma mère et la sienne, qui étaient après elle. Le lendemain, elle reçut toute la cour sur son lit,(1) dans l'appartement de la duchesse d'Arpajon, comme plus commode parce qu'il était de plain-pied ; M. le maréchal de Lorge et moi ne nous y trouvâmes que pour les visites de la maison royale. Le jour suivant, elles allèrent à Saint-Germain, (2) puis à Paris, où je donnai le soir chez moi un grand repas à toute la noce, et le lendemain un souper particulier à ce qui restait d'anciens amis de mon père, à qui j'avais eu soin d'apprendre mon mariage avant qu'il fût public, et lesquels j'ai tous cultivés jusqu'à leur mort. ... ...

(1) : c'était l'usage du temps.

(2) : à la cour de Jacques II d'Angleterre.

    
         Madame de Saint-Simon

vendredi, juillet 20 2007

La Rancune de Louis XIV ne prend pas le Deuil.

La rancune de Louis XIV frappait les vivants par le biais des morts : récit de la mort de l'épouse du prince d'Orange et reine d'Angleterre, en janvier 1695, en sa capitale londonienne :

"... ... la cour n'en eut aucune part, et le roi d'Angleterre (1) pria le Roi qu'on n'en prît point le deuil, qui fut même défendu à Messieurs de Bouillon, de Duras, et à tous ceux qui étaient parents du prince d'Orange. On obéit et on se tut, mais on trouva cette sorte de vengeance petite. On eut des espérances de changements en Angleterre, mais elles s'évanouirent incontinent, et le prince d'Orange y parut plus accrédité, plus autorisé et plus affermi que jamais.

Cette princesse, qui avait toujours été fort attachée à son mari, n'avait pas paru moins ardente que lui pour son usurpation, ni moins flattée de se voir sur le trône de son pays, aux dépens de son père et de ses autres enfants. Elle fut fort regrettée, et le prince d'Orange, qui l'aimait et la considérait avec une confiance entière, et même avec un respect fort marqué, en fut quelques jours malade de douleur. ... ...

(1) : Jacques II Stuart, qui avait été chassé par la "Révolution glorieuse" au bénéfice de sa fille, Marie et de son gendre, Guillaume d'Orange.

             
                       Marie II d'Angleterre, princesse d'Orange.
             
         Jacques II, son père, petit-fils d'Henri IV et de Marie de Médicis, cousin germain de Louis XIV.

Marie II était la fille de Jacques II Stuart et de sa première femme, Ann, lady Hyde. Par voie de conséquence, elle était aussi l'arrière-petite fille d'Henri IV. Elevée dans la religion protestante comme l'avait voulu son oncle, Charle II, elle assista à la conversion officielle au catholicisme de son père et au remariage de celui-ci avec Marie de Modène, dont devait naître le dernier des prétendants Stuart à la couronne anglaise.

mardi, juillet 17 2007

Vie, Orgueil & Mort du Maréchal de Luxembourg (3)

La mort de M. de Luxembourg et son éloge funèbre, par Saint-Simon :

"...... A la fin, l'âge, le tempérament, la conformation le trahirent : il tomba malade à Versailles d'une péripulmonie, dont Fagon ( 1 ) eut tout d'abord très-mauvaise opinion. Sa porte fut assiégée de tout ce qu'il y avait de plus grand : les princes du sang n'en bougeaient, et Monsieur y alla plusieurs fois. Condamné par Fagon, Caretti ( 2 ), Italien à secrets qui avaient souvent réussi, l'entreprit et le soulagea ; mais ce fut l'espérance de quelques moments. Le Roi y envoya quelquefois par honneur plus que par sentiment, j'ai déjà fait remarquer qu'il ne l'aimait point ; mais le brillant de ses campagnes et la difficulté de le remplacer faisaient toute l'inquiétude. Devenu plus mal, le P. Boudaloue, ce fameux jésuite que ses admirables sermons doivent immortaliser, s'empara tout à fait de lui. Il fut question de le raccommoder avec Messieurs de Vendôme, que la jalousie de son amitié et de ses préférences pour Monsieur le prince de Conti avait fait éclater en rupture et se réfugier à l'armée d'Italie, comme je l'ai déjà dit. Roquelaure, l'ami de tous et le confident de personne, les amena l'un après l'autre au lit de M. de Luxembourg où tout se passa de bonne grâce et en peu de paroles. Il reçut ses sacrements, témoigna de la religion et de la fermeté. Il mourut le matin du 4 janvier 1695, cinquième jour de sa maladie, et fut regretté de beaucoup de gens, quoique, comme particulier, estimé de personne et aimé de fort peu. ... ..."

Le coup de griffe final est d'une très grande beauté.

( 1 ) : médecin du Roi.

( 2 ) : ou Caretto, médecin empirique.

vendredi, juillet 13 2007

Vie, Orgueil & Mort du Maréchal de Luxembourg (2)

Saint-Simon n'en avait pas encore fini avec M. de Luxembourg dont il fait ce dernier portrait :

"... ... Monsieur de Luxembourg ne survécut pas longtemps à ce beau mariage. ( 1 ) A soixante-sept ans, il s'en croyait vingt-cinq, et vivait comme un homme qui n'en a pas davantage. Au défaut de bonnes fortunes, dont son âge et sa fortune l'excluaient, il suppléait par de l'argent, et l'intimité de son fils et de lui, de Monsieur le prince de Conti et d'Albergotti, portait presque toute sur des moeurs communes et des parties secrètes qu'ils faisaient ensemble avec des filles. Tout le faix des marches, des ordres, des subsistances, portait, toutes les campagnes, sur Puységur, qui même dégrossissait les projets. Rien de plus juste que le coup d'oeil de M. de Luxembourg, rien de plus brillant, de plus avisé, de plus prévoyant que lui devant les ennemis ou un jour de bataille, avec une audace, une flatterie, et en même temps un sang-froid qui lui laissait tout voir et tout prévoir au milieu du plus grand feu et du danger du succès le plus éminent ; et c'était là où il était grand.

Pour le reste, la paresse même : peu de promenades sans grande nécessité ; du jeu, de la conversation avec ses familiers, et tous les soirs un souper avec un très-petit nombre, presque toujours le même, et, si on était voisin de quelque ville, on avait soin que le sexe y fût agréablement mêlé. Alors, il était inaccessible à tout, et, s'il arrivait quelque chose de pressé, c'était à Puységur à y donner ordre. Telle était à l'armée la vie de ce grand général, et telle encore à Paris, où la cour et le grand monde occupaient ses journées, et les soirs ses plaisirs. ... ..."

On admirera la cruauté du mémorialiste qui nous dit en substance non seulement que, lorsqu'on l'enlevait du champ de bataille, le maréchal de Luxembourg perdait toutes ses qualités mais aussi que même à l'armée, dès qu'il se livrait à ses plaisirs, il abandonnait nombre de ses charges au marquis de Puységur.

 

Jacques-François de Chastenet, marquis de Puységur et futur maréchal de Franc

( 1 ) : celui de sa fille avec un bâtard du dernier comte de Soissons, que Mme de Nemours fit appeler prince de Neufchâtel, un parti surprenant qu'avait déniché la soeur du maréchal, la duchesse de Meckelbourg.

mardi, juillet 10 2007

Vie, Orgueil & Mort du Maréchal de Luxembourg (1)

Emporté par son orgueil, le maréchal de Luxembourg, que nous avons déjà évoqué comme le vainqueur de Neerwinden et futur "Tapissier de Notre-Dame", commit un crime que Saint-Simon ne put jamais lui pardonner et qui nous vaut de voir le mémorialiste s'enfoncer pour la première fois dans les méandres d'une généalogie, en l'espèce celle des Luxembourg. Ce qui nous prend cinq pages de l'édition de La Pléiade, extrait d'arbre généalogique compris.

N'ayez pas peur : je ne m'y attarderai pas. ;o)

Retenons en gros que le maréchal-duc était, par sa naissance, un Montmorency, comte de Bouteville. Mais le prince de Condé, son protecteur (et plus encore celui de sa soeur), lui fit contracter mariage avec Madeleine de Clermont-Tonnerre, fille unique de la seconde union de Marguerite de Luxembourg (nous y voilà ! ), duchesse de Piney, avec Charles-Henri de Clermont-Tonnerre.

Ce duché de Piney, qui avait été accordé à François de Luxembourg en 1577, s'accompagnait d'une pairie, mais d'une pairie femelle, c'est à dire qu'elle ne pouvait se transmettre qu'aux femmes.

Or, dès son mariage, le futur maréchal de France s'empressa bien évidemment d'adjoindre les armes de la maison de Luxembourg à celles des Montmorency mais aussi - mais surtout - d'entamer une longue série de démarches afin d'obtenir le duché et la pairie de Piney.

Grâce à la protection du prince de Condé qui lui fit parvenir des lettres nouvelles d'érection pour le fameux duché, il y parvint et fut donc reçu duc et pair au Parlement le 22 mai 1662. Seulement, nous précise Saint-Simon, "il y prit le dernier rang après tous les autres pairs."

Si vous avez suivi jusqu'ici (ne vous inquiétez pas : il m'a fallu une demi-heure pour faire ce résumé généalogique), je passe au crime reproché par le mémorialiste à celui sous les ordres duquel il avait servi à Neerwinden.

"... ... M. de Luxembourg, fier de ses succès et de l'applaudissement du monde à ses victoires, se crut assez fort pour se porter du dix-huitième rang d'ancienneté qu'il tenait parmi les pairs, au second, et immédiatement après M. d'Uzès. ... ..."

Suit la liste des dix-sept pairs de France que le maréchal veut coiffer au poteau. Louis, du de Saint-Simon, y occupe quant à lui le douzième rang, entre le duc de Richelieu et le duc de La Rochefoucauld.

Et voici l'un de ces terribles portraits que savait si bien brosser Saint-Simon :

"... ... L'intrigue, l'adresse, et, quand il le fallait, la bassesse servait bien (M. de Luxembourg.) L'éclat de ses campagnes et son état brillant de général de l'armée la plus proche et la plus nombreuse lui avaient acquis un grand crédit. La cour était presque devenue la sienne par tout ce qui s'y rassemblait autour de lui, et la ville, éblouie du tourbillon et de son accueil ouvert et populaire, lui était dévouée. Les personnages de tous états croyaient avoir à compter avec lui, surtout depuis la mort de Louvois, et la bruyante jeunesse le regardait comme son père et le protecteur de leur débauche et de leur conduite, dont la sienne, à son âge, ne s'éloignait pas. Il avait captivé les troupes et les officiers généraux ; il était ami intime de M. le Duc ( 1 ), et surtout de M. le prince de Conti, le Germanicus d'alors ; il s'était initié dans le plus particulier de Monseigneur ( 2 ), et enfin, il venait de faire le mariage de son fils aîné avec la fille aînée du duc de Chevreuse, qui, avec le duc de Beauvillier, son beau-frère, et leurs épouses, avaient alors le premier crédit et toutes les plus intimes privances avec le Roi et avec Mme de Maintenon.

Dans le Parlement, la brigue était faite. Harlay, premier président, menait ce grand corps à la baguette ; il ( 3 ) se l'était dévoué tellement qu'il crut entreprendre et réussir ne serait que même chose, et que cette grande affaire lui coûterait à peine le courant d'un hiver à emporter. Le crédit de ce nouveau mariage venait de faire ériger, en faveur du nouvel époux, la terre de Beaufort en duché vérifié sous le nom de Montmorency et, à cette occasion, il ne manqua pas de persuader à tout le Parlement que le Roi était pour lui dans sa prétention contre ses anciens, lorsque, bientôt après, il la recommença tout de bon. Le premier président, extrêmement bien à la cour, l'aida puissamment à cette fourberie, de sorte que, lorsqu'on s'en fut aperçu, le plus grand remède y devint inutile : ce fut une lettre au premier président, de la part du Roi, écrite par Pontchartrain, contrôleur général des Finances et secrétaire d'Etat, par laquelle il lui mandait que le Roi, surpris des bruits qui s'étaient répandus dans le Parlement qu'il favorisait la cause de M. de Luxembourg, voulait que la compagnie sût par lui ( 4 ) et s'assurât entièrement que Sa Majesté était parfaitement neutre, et la demeurerait entre les parties, dans tout le cours de l'affaire. ... ..."

( 1 ) : en d'autres termes, Condé, protecteur de Luxembourg et amant de sa soeur.

( 2 ) : le Grand Dauphin, fils aîné de Louis XIV.

( 3 ) : il faut lire : M. de Luxembourg.

( 4 ) : "lui" est ici mis pour le président de Harlay.

dimanche, juillet 8 2007

Premier Portrait du Cardinal de Bouillon.

Emmanuel-Théodose de La Tour d'Auvergne, qui fut fait cardinal de Bouillon à l'âge de 26 ans, était fils de ce duc de Bouillon qui avait reçu le comté d'Auvergne en échange de la principauté de Sedan.

          

Or, le cardinal, dont l'orgueil était immense, se mit en tête d'obtenir le dauphiné d'Auvergne pour l'un des ses neveux. C'était pourtant un bien petit territoire, encore plus petit que le comté. Mais il offrait l'avantage de permettre à ceux qui le détenaient de porter le titre de "prince-dauphin." Voici toute l'affaire contée avec malice par Saint-Simon :

"... ... Le dauphiné d'Auvergne était échu à Monsieur par la succession de Mademoiselle ( 1 ), et aussitôt le cardinal en avait conçu une envie démesurée de l'avoir. Il en parla à Béchameil, qui était surintendant de Monsieur, au chevalier de Lorraine ( 2 ), et à tous ceux qui pouvaient avoir part à déterminer Monsieur à le lui vendre. A la fin, et à force de donner gros, le marché fut conclu, et Monsieur en parla au Roi, qui s'était chargé de son agrément comme d'une bagatelle* ; mais il fut surpris de trouver le Roi sur la négative. Monsieur insista et ne pouvait la comprendre : "Je parie, mon frère, lui dit le Roi, que c'est une nouvelle extravagance du cardinal de Bouillon qui veut faire appeler l'un de ses neveux prince-dauphin. Dégagez-vous de ce marché." Monsieur, qui avait promis et qui trouvait le marché bon, insista ; mais le Roi tint bon, et dit à Monsieur qu'il n'avait qu'à faire mander au cardinal qu'il (= le Roi) ne le voulait pas.

Cette réponse lui fut écrite par le chevalier de Lorraine, de la part de Monsieur, et le pénétra de dépit. Ce nom singulier et propre à éblouir les sots dont le nombre est toujours le plus grand, et un nom que des princes du sang avaient porté, avait comblé son orgueil de joie : le refus le combla de douleur. N'osant se prendre au Roi, il répondit au chevalier de Lorraine un fatras de sottises, qu'il couronna par ajouter qu'il était d'autant plus affligé de ce que Monsieur lui manquait de parole, que cela l'empêcherait d'être désormais autant son serviteur qu'il l'avait été dans le passé. Monsieur eut plus envie de rire de cette espèce de déclaration de guerre que de s'en offenser. Le Roi d'abord la prit plus sérieusement ; mais, touché par les prières de M. de Bouillon, et plus encore par la grandeur du châtiment d'une pareille insolence, si elle était prise comme elle le méritait, il prit le parti de l'ignorer, et M. de Bouillon en fut quitte pour la honte et pour s'aller cacher une quinzaine dans sa belle maison de Saint-Martin de Pontoise, qu'il avait, depuis peu, trouvé moyen de séculariser par des échanges, et de faire de ce prieuré un bien héréditaire et patrimonial. ... ..."

( 1 ) : la Grande Mademoiselle, duchesse de Montpensier.

( 2 ) : grand favori et amant de Monsieur.

  • : On note l'usage très latin, qui prévalait encore, de rejeter la relative loin du nom repris par le pronom relatif. Il faut lire : "Monsieur, qui s'était chargé de son agrément comme d'une bagatelle, en parla au Roi." Ce sont des procédés de ce genre ou encore comme celui-ci, où se mêlent les pronoms : "Le Roi dit à Monsieur qu'il n'avait qu'à faire mander au cardinal qu'il ne le voulait pas", où le deuxième "il" est mis pour Louis XIV, qui rendent parfois la lecture de Saint-Simon un peu périlleuse.

Mais quelle mine d'or ! Passer tout près d'elle sans s'y arrêter serait un crime impardonnable. La prose de Saint-Simon mérite qu'on se donne la peine d'aller à sa rencontre.

La Légitimation des Bâtards Royaux ( IV ).

Ayant trahi, il ne reste plus à Achille III de Harlay qu'à recevoir le prix de sa forfaiture :

"...... Ce fut alors que (Harlay) sut se servir de M. du Maine pour faire proposer au Roi sa récompense. Il avait déjà eu quelque sorte de parole ambiguë, mais qui n'était pourtant qu'une espérance, d'être fait chancelier, lorsque le Roi, voulant légitimer les enfants qu'il avait de Mme de Montespan, sans nommer la mère, dont il n'y avait point d'exemple, Harlay, consulté, lors procureur général, suggéra l'expédient d'embarquer le Parlement par (la légitimation) du chevalier de Longueville, qui réussit si bien. En cette occasion-ci, il se fit donner formellement parole par le Roi qu'il succéderait à Boucherat, chose qui le flatta d'autant plus que ce chancelier était alors fort vieux et ne pouvait le faire attendre longtemps.

Pour l'exécution de la déclaration (du rang intermédiaire créé pour le duc du Maine et le comte de Toulouse), le Roi en parla aux princes du sang qui ne crurent avoir que des remerciements à faire. Le Roi les pria de se trouver au Parlement et M. le Duc et monsieur le Prince de Conti de lui faire le plaisir de conduire M. du Maine en ses sollicitations. On peut juger s'ils le refusèrent. De là, le Roi fit appeler l'archevêque de Reims ( 1 ) : il lui fit part de ce qu'il avait résolu, lui dit que les pairs seraient plus convenablement invités par lui-même à cette cérémonie que par M. du Maine ; qu'ainsi, M. du Maine n'irait pas chez eux, mais qu'il priait l'archevêque de se trouver au Parlement, et lui ordonnait d'écrire de sa part une lettre d'invitation à chaque père. Un fils de M. Le Tellier était fait pour tenir tout à l'honneur venant du Roi : il lui répondit dans cet esprit courtisan, et de là s'en fut chez M. du Maine. Ce fut le seul de tous les pairs qui commit cette bassesse ; pas un ne dit un mot au Roi, ni à M. du Maine, pas un ne fut chez ce dernier, ni devant ni après la cérémonie. ... ..."

Chez Saint-Simon, l'ironie aussi est "Grand Siècle." M. le Duc comme le prince de Conti ne pouvaient que se faire un plaisir d'obéir aux ordres royaux : le premier était le propre beau-frère du duc du Maine et le second, de la branche cadette des Condé, était trop en défaveur auprès du monarque pour s'opposer à sa volonté.

Quant à ce "fils de M. Le Tellier" qui "fut le seul de tous les pairs" à se compromettre dans cette machination, comment aurait-il pu, lui, le bourgeois, fils de bourgeois, tout fraîchement ennobli par la faveur de son frère, comprendre toute la valeur du combat mené en cette affaire par les pairs issus de la noblesse ?

( 1 ) : Charles Le Tellier, frère de Louvois, le ministre tout puissant de Louis XIV.

      
           Louis III de Bourbon-Condé, petit-fils du Grand-Condé.
                

Louise-Bénédicte de Bourbon-Condé, sa soeur, duchesse du Maine. Elle était si petite qu'on la surnommait dans son dos : "la poupée du Sang."

Tous deux étaient les enfants de Henri-Jules de Condé, dont la santé mentale était si atteinte qu'il lui arrivait à date plus ou moins fixes de se prendre pour un chien et de se comporter comme tel. Avec cela, père indigne, véritable tyran domestique dont l'épouse, Anne-Henriette de Bavière, si noble qu'elle fût par ailleurs, n'était qu'une femme battue.

      
                   Henri-Jules, prince de Condé, dit "Condé le Fol."
       

Anne-Henriette de Bavière, princesse de Condé, son épouse.

samedi, juin 30 2007

La Légitimation des Bâtards Royaux ( III ).

"M. du Maine," nous dit encore Saint-Simon, "fut extrêmement satisfait de tant de distinctions au-dessus des pairs, et d'être si approché de celles des princes du sang, sans courir le risque de les blesser (1), et fut surtout fort touché de l'adresse avec laquelle ce rang intermédiaire était imaginé par le premier président pour lui assurer en tous temps la protection de tous ces avantages, par celui qu'on y faisait trouver aux princes du sang pour eux-mêmes. M. du Maine content, le Roi le fut aussi. Il ne fut donc plus question que de dresser la déclaration, que le premier président avait déjà minutée, et qu'il ne fit qu'envoyer au net pour être scellée."

Cet "en tous temps" laisse présager l'affaire du testament de Louis XIV. Les dernières volontés du Roi, il est vrai fort pressé par Mme de Maintenon et M. du Maine, avaient été de laisser la tutelle du jeune Louis XV ainsi que la Maison militaire à l'aîné de ses fils adultérins. Le premier acte politique de Philippe d'Orléans fut de faire casser ce testament inouï par le Parlement de Paris.

Louis-Auguste de Bourbon, duc du Maine.

(1) : en prévision de l'après-Louis XIV, mieux valait en effet, pour les bâtards, ne pas trop mécontenter les princes du sang ...

vendredi, juin 29 2007

La Légitimation des Bâtards Royaux ( II ).

"... ... Harlay fit entendre à M. du Maine (1) qu'il ne ferait jamais rien de solide qu'en mettant les princes du sang hors d'intérêt et en leur en donnant un de soutenir ce qui serait fait en sa faveur ; que, pour cela, il fallait toujours laisser une différence entière entre les distinctions que le Parlement faisait aux princes du sang et celle qu'on lui accorderait au-dessus des pairs, et former ainsi un rang intermédiaire qui ne blessât point les princes du sang, et qui, au contraire, les engageât à les maintenir dans tous les temps, par l'intérêt de se conserver un entre-deux, entre eux et les pairs ; que, pour cela, il fallait lui donner la préséance sur tous les pairs, et les forcer à se trouver à l'enregistrement de la déclaration projetée et à sa réception en conséquence, qui se devait faire tout de suite, lui donnant le bonnet (2) comme aux princes du sang, qui depuis longtemps ne l'est plus aux pairs, mais lui faire prêter le même serment des pairs, sans aucune différence de la forme et du cérémonial, pour en laisser une entière à l'avantage des princes du sang, qui n'en prêtent point ; et pareillement le faire entrer et sortir de séance tout comme les pairs, au lieu que les princes du sang traversent le parquet ; l'appeler par son nom comme les autres pairs, en lui demandant son avis, mais avec le bonnet à la main un peu moins baissé que pour les princes du sang, qui ne sont que regardés sans être nommés ; enfin le faire recevoir et conduire au carosse par un seul huissier à chaque fois qu'il viendra au Parlement, à la différence des princes du sang, qui le sont par deux, et des pairs, dont aucun n'est reçu par un huissier au carosse que le jour de sa réception, et qui, sortant de séance deux à deux, sont conduits par un huissier jusqu'à la sortie de la grand'salle seulement. ... ..."

(1) : fils aîné de Louis XIV et de Mme de Montespan.

(2) : Saint-Simon entend par là que, lorsque le premier président s'adressera à M. du Maine, il devra le faire en tenant son bonnet à la main mais un peu moins bas que s'il s'adressait à un prince du sang. Or, cela faisait beau temps que le premier président ne se découvrait plus devant les pairs, dont Saint-Simon fait partie. De même, les pairs ne sont pas raccompagnés jusqu'à leur carrosse, à la différence des princes du sang et, désormais, de M. du Maine et de son frère, le comte de Toulouse. Seule différence : si les princes du sang ont droit à deux huissiers, les bâtards du Roi ne pourront se glorifier que d'un seul.

Un esprit moderne trouvera certainement ces détails byzantins. Mais dans le monde clos de la Cour, ils ne l'étaient absolument pas. Au reste, à l'instar du degré d'abaissement du bonnet du premier président, les révérences de cour étaient, elles aussi, plus ou moins profondes et nombreuses en fonction de la qualité de la personne à qui on la faisait. Plus que la simple marque de politesse, il faut voir là la manifestation d'un code social et politique extrêmement rigide et structuré.

Aux yeux de Saint-Simon, la création de ce "rang intermédiaire", qui est lui-même un bâtard issu du rang de prince du sang et de celui de pair de France, est une authentique infamie. De toute la légitimité de sa lignée, de toute la fidélité au Roi manifestée par son père au mépris de ses propres intérêts, le mémorialiste se sent bien plus aristocrate que ne le seront jamais les enfants adultérins de Mme de Montespan. Sans doute était-il incapable de le formuler de cette manière puisque les bâtards, par leur père, touchaient à la fonction royale d'essence divine, qu'un homme comme Saint-Simon ne saurait attaquer. Mais le mémorialiste dispose de cette arme sans égale qu'est l'art du conteur pour nous faire part de sa révolte et, il faut bien l'avouer, nous faire rentrer dans son camp. Et il ne s'en prive pas.

jeudi, juin 28 2007

La Légitimation des Bâtards Royaux ( I ).

Il est paradoxal de constater avec quelle facilité Louis XIV, qui avait eu toute son enfance pour réaliser le danger qu'il y a à donner trop de puissance aux princes du sang et aux Grands, sombra dans l'erreur de renier ses principes par amour et orgueil paternels.

Son père avait dû lutter toute sa vie contre les complots de son frère cadet, Gaston d'Orléans, père de la Grande Mademoiselle. A cette époque, Gaston épaulait surtout leur mère, Marie de Médicis.

Devenue Régente, Anne d'Autriche avait dû subir elle aussi les folies de Monsieur, allié cette fois-ci aux Grands - dont les Condé.

Hantée par l'idée que son cadet, Philippe, pût un jour s'opposer à Louis, Anne, avec la bénédiction de Mazarin, fit d'ailleurs tout pour féminiser les goûts du plus jeune de ses fils. On sait qu'elle y réussit fort bien.

Dans la même optique, Philippe, que la mort de son oncle Gaston avait fait "Monsieur", fut toujours fermement invité à réfréner les qualités pourtant importantes qu'il semblait posséder quant à l'art de la guerre.

Pourtant, rien de tout cela ne devait empêcher Louis XIV de faire conférer à ses bâtards un rang et une puissance qui choquèrent les contemporains. Son instrument principal en cette affaire fut le président de Harlay.

mercredi, juin 27 2007

"Oh ! L'Insolente Nation ! ..." ( II )

                François-Henri de Montmorency, maréchal-duc de Luxembourg

Le vainqueur de Fleurus, de Steinkerque et de Neerwinden eut un parcours tout à fait atypique. Fils du comte de Bouteville, qui fut décapité sur l'ordre de Louis XIII pour s'être battu en duel avec Bussy d'Amboise, François-Henri de Montmorency passa tout d'abord à l'ennemi, en l'occurrence les Espagnols.

Mais le traité de Pyrénées lui fit à nouveau changer de camp. Malheureusement, il fut compromis dans l'affaire des Poisons et se retrouva embastillé pour un temps.

Sa valeur était telle que, un an plus tard, on le rappela à la tête des armées royales.

Avant la bataille de Neerwinden, il adressa à ses troupes ce mot célèbre : "Messieurs, souvenez-vous de l'honneur de la France !"

Sa victoire devant Guillaume d'Orange et les cinquante-cinq étendards et vingt-cinq drapeaux qu'il prit à l'ennemi lui valurent le surnom de "Tapissier de Notre-Dame" où ces dépouilles finirent entreposées comme autant d'ex-votos destinés à louer le Ciel de l'heureuse issue du combat.

Pour rendre compte de sa victoire à Louis XIV, Luxembourg, qui avait décidément le sens de la formule (et de la courtisanerie), lui envoya ce billet :

" Sire, vos ennemis ont fait des merveilles, vos troupes encore mieux. Les Princes de votre sang se sont surpassés.

Pour moi, Sire, je n'ai d'autre mérite que d'avoir exécuté vos ordres. Vous m'aviez dit d'attaquer une ville et de livrer une bataille ; j'ai pris l'une et j'ai gagné l'autre."

Classe, non ? ;o)

lundi, juin 25 2007

"Oh ! L'Insolente Nation ! ..." ( I )

Le mot est de Guillaume d'Orange qui qualifia ainsi la France lors de la bataille de Neerwinden, en 1693.

Saint-Simon était à Neerwinden, champ de bataille qui vit l'armée française, sous les ordres du maréchal de Luxembourg, vaincre la coalition menée par le prince d'Orange, connu également sous le nom de Guillaume III d'Angleterre. A noter que Neerwinden demeure la bataille la plus meurtrière du XVIIème siècle.

L'anecdote relatée ci-après est célèbre même si les livres d'Histoire actuels ne doivent plus la recenser - ce qui est dommage car c'est ainsi, à coup de petites phrases historiques et/ou assassines, qu'on inculque le goût de l'Histoire à des élèves au départ peu enthousiastes :

"... ... Le prince d'Orange, étonné que le feu continuel et si bien servi de son canon n'ébranlât point notre cavalerie, qui l'essuya six heures durant sans branler et tout entière sur plusieurs lignes, vint aux batteries en colère, accusant le peu de justesse de ses pointeurs. Quand il eut vu l'effet, il tourna bride, et s'écria : "Oh ! l'insolente nation !" ... ..."

             
      Guillaume d'Orange, devenu par son mariage avec Marie, fille de Jacques II, Guillaume III d'Angleterre

Ses portraits ornent encore les logis des "loyalistes" irlandais, ceux-là mêmes qui, sous le nom d'"Orangistes", défilent régulièrement chaque année, sous protection de la police britannique, pour célébrer la victoire de l'Angleterre anglicane sur l'Irlande catholique, à la bataille de La Boyne.

samedi, juin 23 2007

Caractère & Amours de Louis XIII. (II)

La sexualité de Louis XIII a fait beaucoup jaser - et ça continue, d'ailleurs. Certains ont même assuré que Louis-Dieudonné, son fils, n'était pas de lui.

Se référant à son intérêt pour les favoris, le duc de Luynes tout d'abord, puis Cinq-Mars, sans doute le plus célèbre d'entre eux en raison du complot qu'il fomenta contre son protecteur et qui le fit terminer sa vie sur l'échafaud, on a évoqué une possible homosexualité du monarque. Tallemant des Réaux, avec ses ragots, y a d'ailleurs beaucoup contribué, lui qui va jusqu'à dépeindre Louis XIII se faisant enduire le corps d'huile avant d'aller attendre Cinq-Mars au lit.

Mais Louis XIII aima aussi des femmes. Son épouse tout d'abord - même si ses échecs physiques auprès d'elle, puis les imprudences de la Reine lorsqu'elle était enceinte pour la première fois finirent par l'éloigner d'elle ; Melle de Hautefort et Melle de La Fayette. Anecdote de Saint-Simon sur la relation du monarque avec la seconde :

"...... Le Roi était véritablement amoureux de Melle d'Hautefort. Il allait plus souvent chez la Reine (1) à cause d'elle, et il y était toujours à lui parler. Il en entretenait continuellement mon père, qui vit clairement combien il en était épris. Mon père était jeune et galant, et il ne comprenait pas un roi si amoureux, si peu maître de le cacher, et en même temps qu'il n'allait pas plus loin. Il crut que c'était timidité, et, sur ce principe, un jour que le Roi lui parlait avec passion de cette fille, mon père lui témoigna la surprise que je viens d'expliquer et lui proposa d'être son ambassadeur et de conclure bientôt son affaire. Le Roi le laissa dire, puis prenant un air sévère : "Il est vrai, lui dit-il, que je suis amoureux d'elle, que je le sens, que je la cherche, que je parle d'elle volontiers et que j'y pense encore davantage ; il est vrai encore que tout cela se fait en moi malgré moi, parce que je suis homme et que j'ai cette faiblesse ; mais plus ma qualité de roi me peut donner plus de facilité à me satisfaire qu'à un autre, plus je dois être en garde contre le péché et le scandale. Je pardonne pour cette fois à votre jeunesse ; mais qu'il ne vous arrive jamais de me tenir un pareil discours, si vous voulez que je continue à vous aimer." ......"

Louis XIII a-t-il vraiment parlé ainsi à son jeune compagnon ? Saint-Simon est-il sincère ou n'a-t-il pas un peu arrangé les choses ?

En effet, on ne peut qu'être frappé par la condamnation implicite que le monarque disparu semble faire ainsi de la conduite de son fils, lequel eut trois favorites en titre dont une devint son épouse morganatique, une multitude d'aventures qui mettaient en rage la Montespan, et pas moins de six bâtards officiels qu'il pourvut magnifiquement et qu'il éleva peu à peu jusqu'à un rang équivalent à celui des Enfants de France. ;o)

(1) : Marie de Hautefort était dame d'honneur d'Anne d'Autriche.

                             
         Louis XIII, dit "Louis le Juste", détail du magnifique portrait de Philippe de Champaigne
                          
            Marie de Hautefort, que la Cour surnommait "L'Aurore."

vendredi, juin 22 2007

Caractère & Amours de Louis XIII. (I)

Le chapitre IV des "Mémoires" est presque entièrement consacré au père de Saint-Simon (et l'on peut parler d'hommage rendu à la mémoire paternelle par un fils qui était visiblement très fier des qualités morales de son géniteur) et, partant, à celui qui fit sa fortune, le roi Louis XIII. Saint-Simon y conte entre autres comment son père fut remarqué par le monarque :

"... ... Le Roi était passionné pour la chasse, qui était sans routes (1) et sans cette abondance de chiens, de piqueurs, de relais, de commodités, que le roi son fils y a apportés, et surtout sans routes dans les forêts. Mon père, qui remarqua l'impatience du Roi à relayer, imagina de lui tourner le cheval qu'il lui présentait, la tête à la croupe de celui qu'il quittait. Par ce moyen, le Roi, qui était dispos, sautait de l'un sur l'autre sans mettre pied à terre, et cela était fait en un moment. Cela lui plut : il demanda toujours ce même page à son relais, il s'en informa et, peu à peu, il le prit en affection. Baradat, premier écuyer, s'étant rendu insupportable au Roi par ses hauteurs et ses humeurs arrogantes avec lui, il le chassa et donna sa charge à mon père.__

(...) Mon père devint tout à fait favori, sans autre protection que la bonté seule du Roi, et ne compta jamais avec aucun ministre, pas même avec le cardinal de Richelieu, et c'était un de ses mérites auprès de Louis XIII. Il m'a conté qu'avant de l'élever, et en ayant envie, (le Roi) s'était fait sourdement extrêmement informer de son personnel et de sa naissance, car il n'avait pas été instruit à les connaître, pour voir si cette base était digne de porter une fortune et de ne retomber pas une autre fois. Ce furent ses propres termes à mon père, à qui il le raconta depuis, attrapé comme il l'avait été à M. de Luynes. (2) (Le Roi) aimait les gens de qualité, cherchait à les connaître et à les distinguer ; aussi en a-t-on fait le proverbe des trois places et des trois statues de Paris : Henri IV avec son peuple sur le Pont-Neuf, Louis XIII avec les gens de qualité à la Place Royale, qui de son temps était le beau quartier, et Louis XIV avec les maltôtiers dans la place des Victoires. Celle de Vendôme, faite longtemps depuis, ne lui a guère donné meilleure compagnie. ... ..."

"Maltôtiers" ... Nouveau coup de griffe à Louis XIV, coupable d'avoir donné le pouvoir à la Bourgeoisie pour mieux tenir les Grands en main. ;o)

(1) : sans sentiers.

(2) : Luynes, premier favori de Louis XIII, celui qui poussa l'adolescent à faire assassiner Concino Concini, le fameux maréchal d'Ancre, qui était lui-même, avec sa femme, Leonora Galigaï, le grand favori de la Reine-mère et Régente Marie de Médicis. Devenu à son tour favori, mais du Roi, Luynes épousa tous les travers du poste et Louis XIII ne le lui pardonna jamais.

jeudi, juin 21 2007

La Captation de la Plus Grosse Fortune de France : Louis XIV & la Grande Mademoiselle - (III)

Anne, Marie-Louise d'Orléans, duchesse de Montpensier et le portrait de son père, Gaston.

Après que Louis XIV eut repris la permission qu'il lui avait accordée, la grande Mademoiselle, dit-on, se maria tout de même en grand secret avec Antonin Nompar de Caumont, duc de Lauzun, marquis de Puyguilhem et comte de Saint-Fargeau (mais rien n'est prouvé) :

          

Il n'était pas beau, il était en outre assez petit, même pour son temps. Mais il était gai et avait beaucoup d'esprit. Il fut l'un des plus grands "tombeurs" de la Cour de Louis XIV. Au vu de ce portrait, fait il est vrai alors que Lauzun n'était plus tout jeune, on peut se poser la question : mais que lui trouvaient-elles ?

La Captation de la Plus Grosse Fortune de France : Louis XIV & la Grande Mademoiselle - (II)

Voici maintenant comment et pourquoi "les plus gros morceaux" de la fortune de Mademoiselle avaient échappé à la famille d'Orléans :

"... ... Les mémoires publics de cette princesse (1) montrent à découvert sa faiblesse pour M. de Lauzun, la folie de celui-ci de ne l'avoir pas épousée dès qu'il en eut la permission du Roi, pour le faire avec plus de faste et d'éclat. Leur désespoir de la rétraction de la permission du Roi fut extrême ; mais les donations du contrat de mariage étaient faites et subsistèrent par d'autres actes. Monsieur, pressé par Monsieur le Prince (2), avait pressé le Roi de se rétracter ; mais Mme de Montespan et M. de Louvois y eurent encore plus de part, et furent ceux sur qui tomba toute la fureur de Mademoiselle et la rage du favori, car M. de Lauzun l'était. Ce ne fut pas pour longtemps : il s'échappa plus d'une fois avec le Roi, plus souvent encore avec la maîtresse, et donna beau jeu au ministre pour le perdre. Il (3) vint à bout de le faire arrêter et conduire à Pignerol, où il fut extrêmement maltraité par ses ordres et y demeura dix ans.

L'amour de Mademoiselle ne se refroidit point par l'absence : on sut en profiter pour faire un grand établissement à M. du Maine, aux dépens de Mademoiselle elle-même et à ceux de M. de Lauzun qui en acheta sa liberté. Eu, Aumale, Dombes et d'autres terres encore furent données à M. du Maine, au grand regret de Mademoiselle ; et ce fut sous ce prétexte de reconnaissance que, pour élever de plus en plus les bâtards, le Roi leur fit prendre la livrée de Mademoiselle, qui était celle de M. Gaston. Cet héritier forcé lui fut toujours fort peu agréable, et elle était toujours sur la défensive pour le reste de ses biens, que le Roi lui voulait arracher pour ce fils bien-aimé. ... ..."

(1) : la grande Mademoiselle.

(2) : Louis II de Bourbon, dit le grand Condé.

(3) : Louvois.

Impitoyable Saint-Simon ... et rusé, trop rusé Louis XIV qui se livre là, par amour paternel mais tout de même ! à de bien curieux calculs de boutiquier. Pour ne rien dire du chantage fait à la pauvre Mademoiselle : "Donnez Eu, Aumale, Dombes et toutes ces terres à mon fils et M. de Lauzun recouvrera sa liberté," plus digne d'un bourgeois que d'un prince dans les veines de qui coulaient le sang des Bourbon et celui des Habsbourg.

Quant à la confiscation de la livrée de Gaston d'Orléans au bénéfice du duc du Maine, il ne s'agit que de l'une des très nombreuses stratégies par lesquelles Louis XIV s'efforcera en vain de faire reconnaître ses bâtards au même rang que ses enfants légitimes.

C'est d'un bon père. Mais est-ce le fait d'un roi qui se voulut le plus puissant et le plus noble du monde ?

mercredi, juin 20 2007

La Captation de la Plus Grosse Fortune de France : Louis XIV & la Grande Mademoiselle - (I)

Autre révélation de la nature intéressée du Roi : la captation de l'héritage de Melle de Montpensier, plus connue sous le nom de "la grande Mademoiselle."

Petite-fille d'Henri IV, elle était fille de Gaston d'Orléans, frère cadet de Louis XIII et, par conséquent, cousine germaine de Louis XIV et de Monsieur. Ses biens étaient considérables : elle était l'une des héritières les plus riches du royaume, si ce n'est la plus riche. Elle avait refusé nombre de prétendants qui, selon elle, n'étaient pas dignes du sang qui coulait dans ses veines. Il faut ajouter que Louis XIV, peu soucieux de voir ses terres passer en des mains étrangères, n'avait pas non plus encouragé ses velléités matrimoniales.

Mademoiselle n'eut en fait qu'un seul amour : le duc de Lauzun, une tête-folle de Gascon qui eut tantôt la confiance absolue du Roi (ce fut Lauzun à qui l'on remit le bébé dont venait tout juste d'accoucher Mme de Montespan pour qu'il le portât discrètement chez Mme Scarron, future Mme de Maintenon) et qui, tantôt, la perdit si bien qu'il se vit enfermé à Pignerol. Après avoir donné son accord pour que sa cousine l'épousât morganatiquement, Louis XIV, sur les instances de Mme de Montespan, se récusa et Mademoiselle dut s'incliner. Dès cette époque, le Roi et sa favorite caressaient le projet de voir la duchesse de Montpensier léguer l'essentiel de ses biens à leur fils illégitime, le duc du Maine.

Mais d'abord, place à Mademoiselle, vue par Saint-Simon :

"... ... Mademoiselle, la grande Mademoiselle, qu'on appelait ainsi pour la distinguer de Monsieur, ou, pour l'appeler par son nom, Melle de Montpensier, fille aînée de Gaston, et seule de son premier mariage, mourut en son palais de Luxembourg actuellement le siège du Sénat, le dimanche 5 avril, après une longue maladie de rétention d'urine, à soixante-trois ans, la plus riche princesse particulière de l'Europe. Le Roi l'avait visitée, et elle lui avait fort recommandé M. de Joyeuse, comme son parent, pour être fait maréchal de France. Elle cousinait et distinguait et s'intéressait fort en ceux qui avaient l'honneur de lui appartenir, en cela, bien que très-altière, fort différente de ce que les princes du sang sont devenus depuis à cet égard. Elle portait exactement le deuil de parents, même très-médiocres et très-éloignés, et disaient par où et comment ils l'étaient. Monsieur et Madame ne la quittèrent point pendant sa maladie. Outre la liaison qui avait toujours été entre elle et Monsieur, dans tous les temps, il muguetait sa riche succession, et fut en effet son légataire universel ; mais les plus gros morceaux avaient échappé. ... ..."

Très férue de ses hautes origines et obsédée par la généalogie et les rangs, la grande Mademoiselle ne pouvait que plaire à Saint-Simon. Il la dépeint en fait comme la dernière princesse du sang digne de ce nom, qui, si elle connaissait ce qui lui était dû, n'en oubliait pas pour autant les devoirs que sa noblesse lui imposait en parallèle envers "ceux qui avaient l'honneur de lui appartenir."

Le Mariage du duc de Chartres : les réactions.

Réaction de la Cour, immédiatement après que les principaux intéressés furent revenus de l'entrevue avec le Roi qui avait vu celui-ci arracher son consentement à Madame pour le mariage de son fils :

"...... Madame se promenait dans la galerie avec Châteautiers (1), sa favorite et digne de l'être ; elle marchait à grands pas, son mouchoir à la main, pleurant sans contrainte, parlant assez haut, gesticulant et représentant fort bien Cérès après l'enlèvement de sa fille Proserpine, la cherchant en fureur et la redemandant à Jupiter. Chacun, par respect, lui laissait le champ libre, et ne faisait que passer pour entrer dans l'appartement (2). Monseigneur (3) et Monsieur s'étaient remis au lansquenet. Le premier me parut tout à son ordinaire ; mais rien de si honteux que le visage de Monsieur, ni de si déconcerté que toute sa personne ; et ce premier état lui dura plus d'un mois. Monsieur son fils paraissait désolé, et sa future, dans un embarras et une tristesse extrême. Quelque jeune qu'elle fût, quelque prodigieux que fût son mariage, elle en voyait et en sentait toute la scène, et en appréhendait toutes les suites. La consternation parut générale, à un très-petit nombre de gens près. Pour les Lorrains, ils triomphaient. La sodomie et le double adultère les avaient bien servis en les servant bien eux-mêmes. Ils jouissaient de leurs succès, comme ils en avaient toute honte bue ; ils avaient raison de s'applaudir. ... ..."

Saint-Simon savait se faire vipérin. On notera qu'il ne s'attaque pas nommément à Louis XIV. En fait, il l'attaque par la bande - et avec quelle sévérité ! Le mémorialiste ne juge pas seulement le comportement de l'homme face à sa famille : il blâme le souverain et le politique d'avoir privilégié les princes lorrains, dont le Trône avait pourtant des raisons de se méfier depuis les complots fomentés par les Guise-Lorraine au temps des Guerres de Religion. Et ceci pour satisfaire des intérêts qui lui étaient strictement personnels.

Il y a là faute impardonnable. Pour nous comme pour le mémorialiste.

(1) : Anne, fille du comte de Châteautiers.

(2) : on appelait ainsi la réunion à laquelle les courtisans étaient tenus de se rendre, certains soirs, de 19 à 22 heures, pour jouer, écouter de la musique, se distraire ...

(3) : le Grand Dauphin, fils aîné de Louis XIV, qui ne régna jamais puisqu'il mourut avant son père.

lundi, juin 18 2007

Le Mariage du duc de Chartres, futur Régent.

Saint-Simon était extrêmement pointilleux sur tout ce qui était étiquette et préséances. Ce que n'apprécia pas toujours Louis XIV, lequel ne se gênait guère pour piétiner tout cela quand les intérêts de ses enfants adultérins étaient en jeu.

Saint-Simon ne pardonna jamais au Roi la préséance qu'il donna aux princes lorrains (le chevalier Philippe de Lorraine, amant et favori de Monsieur, frère du Roi, et Louis de Lorraine, frère du premier cité, Grand écuyer de France et connu de ce fait sous le nom de "Monsieur le Grand) sur les ducs et pairs dans la promotion à l'Ordre du Saint-Esprit en 1688.

"Du Diable !" me direz-vous. "Mais Saint-Simon n'avait alors que 13 ans. N'était-ce pas un peu jeune pour se soucier de tout cela ?"

Pas en cette société suprêmement hiérarchisée, pas à cette époque où les grands ne vivaient à l'aise que dans l'ombre du Roi. Et puis, de nos jours, un garçon de 13 ans n'est-il pas considéré déjà comme un "pré-ado", avec tout ce que cela implique de révolte envers les adultes ?

Devenu adulte et mémorialiste, Saint-Simon se vengera en révélant le pot-aux-roses, aux dépens d'un Louis XIV qui nous apparaît ici singulièrement peu glorieux :

... ... "Pour vaincre tant d'obstacles (1), le Roi s'adressa à Monsieur le Grand (2) qui était de tous temps dans sa familiarité, pour gagner le chevalier de Lorraine, son frère, qui, de tous temps aussi, gouvernait Monsieur. Sa figure avait été charmante : le goût de Monsieur n'était pas celui des femmes, et il ne s'en cachait même pas ; ce même goût lui avait donné le chevalier de Lorraine pour maître, et il le demeura toute sa vie. Les deux frères ne demandèrent pas mieux que de faire leur cour au Roi par un endroit si sensible, et d'en profiter pour eux-mêmes en habiles gens. Cette ouverture se faisait dans l'été 1688. Il ne restait pas au plus une douzaine de chevaliers de l'Ordre, chacun voyait que la promotion ne se pouvait plus guère reculer. Les deux frères demandèrent d'en être, et d'y précéder les ducs. Le Roi, qui, pour cette prétention, n'avait encore donné l'Ordre à aucun Lorrain, eut peine à s'y résoudre ; mais les deux frères surent tenir ferme : ils l'emportèrent, et le chevalier de Lorraine, ainsi payé d'avance, répondit du consentement de Monsieur au mariage, et des moyens d'y faire venir Madame et Monsieur le duc de Chartres. ... ..."

(1) : la résistance de Monsieur et de Madame au mariage de leur fils, Philippe, duc de Chartres, avec Melle de Blois, seconde fille de Louis XIV et de Mme de Montespan et donc bâtarde.

(2) : Louis de Lorraine.

Ci-dessous :

                     
                Philippe, duc d'Orléans et ancien duc de Chartres, futur Régent.
               
               Son épouse, la seconde Melle de Blois,
               fille illégitime de Louis XIV et de Mme de Montespan.

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