Le mariage du duc de Saint-Simon avec l'une des filles du maréchal de Lorges donne lieu à une description précise du rituel qui voulait que, le jour de leur présentation au Roi, les nouvelles duchesses "prissent leur tabouret."

En effet, rares étaient les courtisans qui avaient le droit de s'asseoir en présence du Roi. Pour les femmes, la seule exception était le titre de duchesse assorti d'un "tabouret", c'est-à-dire un siège sur lequel les malheureuses pouvaient enfin se reposer. Nous avons du mal à nous l'imaginer aujourd'hui mais assister aux cérémonies de Cour, c'était, pour une femme, se promener en grand décolleté, avec des jupes souvent très lourdes et un "corps" (= corset) toujours très rigide, le tout sur des talons plus ou moins hauts. C'étaient aussi des révérences innombrables et plus ou moins profondes, en fonction des personnes à qui elles s'adressaient. Oh ! certes, il y avait là-dedans beaucoup d'honneur mais la fatigue n'en était pas moins également au rendez-vous. Fatigue qui n'épargnait pas même les grands : il suffit, pour s'en convaincre, de lire la Palatine.

Mais revenons à la présentation officielle de la nouvelle Madame de Saint-Simon :

"... ... Nous couchâmes dans le grand appartement de l'hôtel de Lorge. Le lendemain, M. d'Auneuil, qui logeait vis à vis, nous donna un grand dîner, après lequel la mariée reçut sur son lit toute la France, à l'hôtel de Lorge, où les devoirs de la vie civile et la curiosité attirèrent la foule ; et la première qui vint fut la duchesse de Bracciano elle avait espéré voir Saint-Simo... avec ses deux nièces. Ma mère était encore dans son second deuil et son appartement noir et gris, ce qui nous fit préférer l'hôtel de Lorge pour y recevoir le monde. Le lendemain de ces visites, auxquelles on ne donna qu'un jour, nous allâmes à Versailles. Le soir, le Roi voulut bien voir la nouvelle mariée chez Mme de Maintenon où ma mère et la sienne la lui présentèrent. En y allant, le Roi m'en parla en badinant, et il eut la bonté de les recevoir avec beaucoup de distinction et de louanges. De là, elles furent au souper, où la nouvelle duchesse prit son tabouret. En arrivant à la table, le Roi lui dit : "Madame, s'il vous plaît de vous asseoir." La serviette du Roi déployée, il vit toutes les duchesses et princesses encore debout , il se souleva sur sa chaise et dit à Mme de Saint-Simon : "Madame, je vous ai déjà priée de vous asseoir" ; et toutes celles qui le devaient être s'assirent, et Mme de Saint-Simon entre ma mère et la sienne, qui étaient après elle. Le lendemain, elle reçut toute la cour sur son lit,(1) dans l'appartement de la duchesse d'Arpajon, comme plus commode parce qu'il était de plain-pied ; M. le maréchal de Lorge et moi ne nous y trouvâmes que pour les visites de la maison royale. Le jour suivant, elles allèrent à Saint-Germain, (2) puis à Paris, où je donnai le soir chez moi un grand repas à toute la noce, et le lendemain un souper particulier à ce qui restait d'anciens amis de mon père, à qui j'avais eu soin d'apprendre mon mariage avant qu'il fût public, et lesquels j'ai tous cultivés jusqu'à leur mort. ... ...

(1) : c'était l'usage du temps.

(2) : à la cour de Jacques II d'Angleterre.

    
         Madame de Saint-Simon