Saint-Simon était extrêmement pointilleux sur tout ce qui était étiquette et préséances. Ce que n'apprécia pas toujours Louis XIV, lequel ne se gênait guère pour piétiner tout cela quand les intérêts de ses enfants adultérins étaient en jeu.

Saint-Simon ne pardonna jamais au Roi la préséance qu'il donna aux princes lorrains (le chevalier Philippe de Lorraine, amant et favori de Monsieur, frère du Roi, et Louis de Lorraine, frère du premier cité, Grand écuyer de France et connu de ce fait sous le nom de "Monsieur le Grand) sur les ducs et pairs dans la promotion à l'Ordre du Saint-Esprit en 1688.

"Du Diable !" me direz-vous. "Mais Saint-Simon n'avait alors que 13 ans. N'était-ce pas un peu jeune pour se soucier de tout cela ?"

Pas en cette société suprêmement hiérarchisée, pas à cette époque où les grands ne vivaient à l'aise que dans l'ombre du Roi. Et puis, de nos jours, un garçon de 13 ans n'est-il pas considéré déjà comme un "pré-ado", avec tout ce que cela implique de révolte envers les adultes ?

Devenu adulte et mémorialiste, Saint-Simon se vengera en révélant le pot-aux-roses, aux dépens d'un Louis XIV qui nous apparaît ici singulièrement peu glorieux :

... ... "Pour vaincre tant d'obstacles (1), le Roi s'adressa à Monsieur le Grand (2) qui était de tous temps dans sa familiarité, pour gagner le chevalier de Lorraine, son frère, qui, de tous temps aussi, gouvernait Monsieur. Sa figure avait été charmante : le goût de Monsieur n'était pas celui des femmes, et il ne s'en cachait même pas ; ce même goût lui avait donné le chevalier de Lorraine pour maître, et il le demeura toute sa vie. Les deux frères ne demandèrent pas mieux que de faire leur cour au Roi par un endroit si sensible, et d'en profiter pour eux-mêmes en habiles gens. Cette ouverture se faisait dans l'été 1688. Il ne restait pas au plus une douzaine de chevaliers de l'Ordre, chacun voyait que la promotion ne se pouvait plus guère reculer. Les deux frères demandèrent d'en être, et d'y précéder les ducs. Le Roi, qui, pour cette prétention, n'avait encore donné l'Ordre à aucun Lorrain, eut peine à s'y résoudre ; mais les deux frères surent tenir ferme : ils l'emportèrent, et le chevalier de Lorraine, ainsi payé d'avance, répondit du consentement de Monsieur au mariage, et des moyens d'y faire venir Madame et Monsieur le duc de Chartres. ... ..."

(1) : la résistance de Monsieur et de Madame au mariage de leur fils, Philippe, duc de Chartres, avec Melle de Blois, seconde fille de Louis XIV et de Mme de Montespan et donc bâtarde.

(2) : Louis de Lorraine.

Ci-dessous :

                     
                Philippe, duc d'Orléans et ancien duc de Chartres, futur Régent.
               
               Son épouse, la seconde Melle de Blois,
               fille illégitime de Louis XIV et de Mme de Montespan.