Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Histoire, Biographies & Documents.

Fil des billets

dimanche, juin 15 2008

La Baronne de Feuchères - Pierre Cornut-Gentille

Le 27 août 1830 au matin, le valet de chambre venu réveiller Son Altesse Royale Louis-Henri, duc de Bourbon et dernier prince de Condé, trouvait le vieil homme pendu à l'espagnolette de la fenêtre de sa chambre, les pieds touchant terre. Le scandale fut énorme car on pensa d'abord au suicide.

... Mais pourquoi le vieux prince, qui avait eu le courage de survivre à l'assassinat de son fils unique, le duc d'Enghien, dans les fossés de Vincennes, sur l'ordre de Napoléon Ier, se serait-il suicidé à l'âge de soixante-quatorze ans, et après avoir paisiblement retiré de ses poches et déposé sur sa table de nuit tous ses menus objets personnels, tout à fait comme s'il comptait bien les rempocher le lendemain ? Sur le mouchoir du prince, on trouva un noeud qu'il avait fait vraisemblablement pour se rappeler quelque chose. Au reste, son confesseur affirma bien vite que "Monseigneur ne pouvait être tenu responsable de sa mort."

A l'extérieur, les langues allaient bon train, dans le peuple comme à la cour. La Monarchie de Juillet était toute neuve et Louis-Philippe avait eu beau accepter le trône en se proclamant humblement "roi des Français" et non plus "roi de France", il avait eu beau s'incliner devant le drapeau tricolore et affirmer qu'il n'y aurait aucun problème à ce qu'il demeurât celui de la France, il n'en était pas moins le fils du régicide Philippe-Egalité, le cousin de Louis XVI et le premier prince du sang qui, en aux sombres heures révolutionnaires, n'avait pas hésité à voter la mort du Roi.

De plus, Louis-Philippe et son épouse, Marie-Amélie - nièce de Marie-Antoinette et cousine de l'ex-impératrice des Français, Marie-Louise - n'avaient pas hésité à s'allier avec la maîtresse du prince de Condé, la baronne de Feuchères, afin que leur oncle rédigeât un testament en faveur de leur fils aîné, le duc d'Aumale. Bien entendu, la baronne n'était pas oubliée dans ce testament et devait percevoir la somme de 2 millions de francs et divers autres avantages au décès de son amant.

Très vite, le fameux "On" qui rôde dans tous les milieux et dans tous les siècles, décréta que la baronne de Feuchères avait assassiné le duc de Bourbon sur ordre de Louis-Philippe.

Dans de telles conditions, il devenait indispensable d'éclaircir l'affaire - ou de l'étouffer. Louis-Philippe choisit la seconde solution mais peut-être pas pour les motifs que lui prêtèrent ses contemporains.

La baronne de Feuchères était née simple fille de fermier, sur l'île de Whight. La jeune Sophie Dawes eut une enfance pauvre et, toute jeune fille, à la suite d'on ne sait trop quels avatars, se retrouva dans une maison close londonienne. Le duc de Bourbon, qui s'était exilé avec son père et son fils, lors de la Révolution de 1789, l'y rencontra et s'attacha à elle. Revenu en France, il l'y installa à ses côtés et, selon l'usage ancien, lui procura un mari de paille, le baron de Feuchères.

Pierre Cornut-Gentille a le mérite de ne pas trop charger la jeune femme, qu'il voit en personne de tête mais aussi en victime. Comme la majeure partie des historiens - comme certains contemporains, dont sans doute Louis-Philippe, qui connaissait bien son oncle - il pense que la mort du duc de Bourbon survint lors d'une stimulation sexuelle par pendaison, un jeu bien connu des adeptes du bondage et du sado-masochisme et qui doit être supervisé par un ou plusieurs "spécialistes" car celui qui s'y soumet y joue sa vie.

Par son métier, Sophie de Feuchères connaissait ses pratiques et, la libido de son amant en titre diminuant avec l'âge, sans doute y recourait-elle de plus en plus. Le dernier des Condé mourut donc par accident, à moins que Sophie, en accord ou pas avec Louis-Philippe, peut-être lassée par les exigences du prince, eût laissé passer la seconde fatidique où elle devait le libérer de la corde. Plus ou moins paniquée, elle monta alors, avec l'aide d'un complice, la scène du suicide.

Elle savait que, de toutes façons, personne n'avait intérêt à approfondir l'événement, les légitimistes parce que l'image du prince en fût sortie bien diminuée, les orléanistes par peur du scandale. Quant aux bonapartistes, ils ne possédaient plus la puissance qui leur eût permis de faire la lumière sur cette triste affaire.

Mesurée, solidement argumentée, la biographie de Pierre Cornut-Gentille se laisse lire sans passionner. Quand on la termine, on n'en sait en fait pas plus sur les sentiments réels ni sur les caractères des deux héros de cette tragédie. Mme de Feuchères et le duc de Bourbon baignent toujours autant dans une opacité qu'ils semblent avoir cultivée à plaisir, lui encore plus qu'elle. On perçoit cependant que la sympathie du biographe va certainement beaucoup plus à Sophie qu'à son amant - et le lecteur lui-même finit par comprendre à défaut d'excuser le comportement de la baronne. ;o)

mardi, juin 3 2008

Sexus Politicus - Christophe Deloire & Christophe Dubois

Bon, ce n'est pas un grand livre en ce sens que, en ce qui concerne leurs références en Histoire non contemporaine, les auteurs ont fait dans l'approximatif. L'image qu'ils donnent de Mme de Pompadour par exemple est d'un convenu décevant.

En revanche, question histoire des présidents de la Vème république - sans oublier quelques personnalités de la IIIème et de la IVème - ils ont plutôt fait dans le détail. Surtout en ce qui concerne nos bien-aimés derniers présidents : de Gaulle, Pompidou, Giscard, Mitterrand, Chirac et, assez brièvement - le livre est sorti avant son élection - Sarkozy.

Des aventures extra-conjugales du Général et de son premier ministre et successeur,/b il n'y a pas vraiment grand chose à dire. Tout au plus Deloire & Dubois sortent-ils de leur manche l'éternelle comtesse polonaise qui eut, dit-on, une liaison avec le capitaine de Gaulle et les appréciations générales, sur les jolies femmes, de Pompidou. Ils évoquent par contre les rumeurs qui coururent un temps sur Mme Pompidou et qui semblent avoir été inspirées par la malveillance générale.

En fait, tout commence avec Giscard. Même aujourd'hui, charisme ou pas, pouvoir ou pas, je me demande comment tant de femmes ont pu lui courir après. Mais enfin, la chose est sûre : avant que la mort brutale de Pompidou ne vînt le propulser dans la course à l'Elysée, il songeait à divorcer de la pauvre Anne-Aymone qu'il contraindra pourtant par la suite à l'assister "au coin du feu", dans ses voeux annuels aux Français.

Mitterrand, lui, était plus séduisant. Un petit défaut de prononciation, lui aussi mais beaucoup plus de charme - et beaucoup plus de culture, pour moi, ça n'a jamais fait un pli. Dès les années soixante, le couple Mitterrand passe un pacte : chacun pourra faire ce qu'il veut, sentimentalement et sexuellement, pourvu qu'il n'y ait pas scandale. Ainsi, le professeur de tennis de Mme Mitterrand, qui était aussi son amant à une certaine époque, aura-t-il chambre libre rue de Bièvre - jusqu'en 1981. La suite, tout le monde la connaît. Mais au passage, les auteurs nous dépeignent Mitterrand comme une véritable concierge, au courant de toutes les histoires d'alcôve non seulement parisiennes mais encore provinciales !

C'est, paraît-il, à Philippe Sollers que l'on doit la définition suivante du comportement sexuel de Jacques Chirac : "Dix minutes, douche comprise." Deloire & Dubois ne demandent pas à l'auteur favori de Josyane Savigneau quel est son score personnel et embrayent sur les frasques du Corrézien. __Effarant et mécanique--, ce sera mon seul commentaire.

Sarko, comme je l'ai dit, est ici très discret. Ses déboires cécilesques sont cependant examinés à la loupe. Et on s'arrête là.

Comme personnages secondaires, nous croisons un Dominique de Villepin qui aurait été au mieux avec les soeurs Bettancourt, Edgard Faure et son faible pour les pipes en tous genres, Raymond Barre surveillé de près par sa femme, Eve, un Rocard toujours très intelligent et terriblement lucide et enfin un Jack Lang soupçonné de pédophilie. Mention spéciale à Lionel Jospin qui, bien que ne dédaignant pas le flirt, est d'une fidélité au-dessus de tout soupçon.

Et puis, surtout, le choeur des Dames. De gauche ou de droite, ex-premières dames ou pas, journalistes et/ou épouses de ministres, de Bernadette Chirac à Clémentine Autain en passant par Ségolène Royal, elles sont toutes d'accord : les hommes politiques sont des mufles et, curieusement, pour chacune d'elle, les pires sont ceux de leur propre parti.

Un livre agréable et souvent incroyable dont le seul défaut est qu'il nous convaincrait de ne plus voter. ;o)

vendredi, mai 23 2008

Coroner - Thomas Noguchi & Joseph Dimona

Jaquette non répertoriée

Coroner Traduction : René Baldy

Thomas Noguchi est le médecin-légiste qui autopsia - entre autres - Marilyn Monroe, Janis Joplin, William Holden, Sharon Tate et John Belushi. Médecin minutieux, il fut souvent montré du doigt car, selon certains, il parlait trop librement aux journalistes. On lui reprocha également d'ailleurs de rechercher un peu trop la lumière des projecteurs.

Dans ce livre, Noguchi, en tous cas, ne prend pas de risques. ]On reste perplexe devant les explications qu'il donne des résultats de l'autopsie de Marilyn. Comme on le sait, la mort de Monroe fut officiellement causée par l'absorption d'une quantité extraordinaire de barbituriques. Mais on n'en a retrouvé aucune trace dans son estomac. Cela, allié au fait qu'on ne retrouva sur elle aucune trace de piqûre récente, imposa peu à peu l'idée que la drogue lui avait été administrée par voie rectale.

Pour expliquer cette absence de traces dans l'estomac de Monroe, Noguchi affirme que, vu son habitude de consommer cachet sur cachet, ceux-ci étaient si vite digérés qu'ils passaient très vite dans les intestins. D'accord, il est médecin. Mais tout de même ...

De plus, Noguchi ne fait pas mystère de la sympathie qu'il éprouvait envers la famille Kennedy, notamment envers les deux frères qui furent impliquées - à tort ou à raison - dans la mort de l'actrice, à savoir John et Robert.

Or, le hasard voulut que Noguchi procédât aussi à l'autopsie de Bob Kennedy. Bien que moins médiatisé - et pour cause - que celui de son frère aîné, le meurtre de Robert Kennedy est pour le moins aussi mystérieux. Tout comme il est clair aujourd'hui que Lee Harvey Oswald ne tira pas la balle fatale, il est tout aussi sûr que Sheran Sheran, même s'il a tiré sur Bob Kennedy, ne pouvait pas, physiquement parlant, se trouver à la fois face à sa victime et derrière elle, si près d'elle que la balle qui provoqua le décès fut tirée à 7 cm du crâne.

Là encore, l'explication de Noguchi est assez bancale - et même plus que dans le cas de Marilyn. En effet, il affirme que les témoins du meurtre n'ont tout simplement pas vu que Sheran, à un certain moment, se tenait bel et bien derrière Robert Kennedy.

Le reste du livre est à l'avenant. Rien que de très banal, quelques petites histoires qui prouvent la finesse d'analyse de Noguchi et puis c'est tout. Très décevant en fait. Tant pis. ;o)

Chinoises - Xinran

The Good Women Of China Traduction : Marie-Odile Probst

C'est alors qu'elle animait à Pékin une émission radiophonique intitulée "Mots sur la Brise Nocturne" que Xinran - très joli nom qui signifie "Avec plaisir" - a eu l'idée de faire un livre avec quelques uns - car ils sont des milliers - des témoignages de femmes qu'elle recevait au studio. Objectif : prouver que, en dépit des énormes mutations subies par la société chinoise lors du XXème siècle, la condition de la femme n'a guère évolué.

Xinran n'aura aucun mal à en convaincre ses lecteurs, à quelque sexe qu'ils appartiennent et sous réserve, bien sûr, qu'ils soient de bonne foi.

Le document s'ouvre sur une jeune fille qui, à onze ans, peu après ses premières règles, fut violée par son père. Quand sa mère l'apprit, elle fut d'abord choquée mais, presque instantanément, traita sa fille comme un objet de sacrifice et n'évoqua plus l'inceste. Pour échapper à la brute, l'adolescente n'eut bientôt plus qu'un seul moyen : l'auto-mutilation ou les infections sciemment contractées qui avaient au moins le mérite de l'envoyer dans un univers protégé, celui de l'hôpital. Encore son père se débrouilla-t-il un jour s'y introduire et abuser d'elle alors qu'elle était sous perfusion ...

La Chiffonnière, elle, est et restera une mère. Elle vit à Pékin, non loin des studios d'enregistrement de Xinran, dans une espèce de décharge où elle fouille la terre pour revendre au prix fort ce qu'elle y découvre. Elle s'est bâti une petite maison en carton, qui ne protège guère contre l'hiver. Mais, malgré sa misère, elle est toujours nette et sa façon de s'exprimer prouve qu'elle a reçu une excellente éducation. Xinran s'apercevra que cette femme a choisi ce mode de vie pour demeurer au plus près de son fils. Ce fils, elle l'a élevé toute seule et il est devenu un politicien en vue. Il s'est marié aussi et, pour préserver la bonne entente du couple, la mère s'est effacée. Elle regarde son fils aller et venir. De loin.

Dans "Chinoises", vous rencontrerez aussi la Femme dont le mariage a été arrangé par la Révolution. Tout semble lui avoir réussi : elle a un mari haut gradé, deux enfants installés et de l'argent. Dans son enfance et son adolescence, elle a reçu une solide éducation. Elle aurait pu même aller vivre à l'étranger car ses parents étaient très libéraux. Mais, entraînée par l'enthousiasme de la jeunesse, elle a voulu rejoindre les troupes de Mao. Elle a été intégrée et puis un jour, on lui a dit : "Tu es prête à accomplir une mission : tu dois l'accepter." Elle accepte, les yeux fermés. Dans le village où elle atterrit, elle est accueillie en tant que secrétaire du colonel local. Mais le soir-même, le colonel la suit dans son lit et la viole. Plus tard, il l'épouse : mariage décidé par le parti.

Enfin, je ne vous dirai rien de bla petite fille qui perdit la raison sous la Révolution culturelle et des femmes de Colline Hurlante /b- le nom d'un village perdu. Lisez, vous verrez bien.

"Chinoises", c'est tout cela et quelques histoires en plus. C'est écrit simplement et cela raconte des choses simples, tristes et malheureusement vraies. A l'aube du XXIème siècle, c'est même terrifiant. ;o)

Les Mille Et Une Vies de Billy Milligan - Daniel Keyes

The Minds of Billy Milligan Traduction : Jean-Pierre Carasso

Le 26 octobre 1977, à 9 heures du soir, une escouade de policiers fait irruption au domicile de William Stanley Milligan, 5673, Old Livingstone Avenue,à Reynoldsburgh, dans l'Ohio. Motif de l'arrestation : vol et viol sur au moins deux femmes. Milligan, un jeune homme qui paraît complètement à côté de la plaque bien qu'il n'ait apparemment consommé aucune substance illicite ou pas, non seulement nie les faits mais en plus affirme ne rien se rappeler. Très vite, les enquêteurs appelés à se pencher sur son cas vont se rendre compte qu'ils sont en présence d'un criminel vraiment très, très bizarre.

A ce jour et bien que l'abrutissement administratif le maintienne enfermé dans une prison non médicalisée, Billy Milligan représente un cas tout à fait singulier dans les annales criminelles des USA - et peut-être de la planète. Daniel Keyes, par ailleurs auteur du superbe "Des fleurs pour Algernon", s'est penché sur lui et nous relate ici, en quatre-cent-soixante pages, non seulement ses doutes et ses étonnements personnels mais aussi le long et terrible cheminement intérieur de Billy Milligan.

A ce jour, vingt-quatre "personnalités" ont été recensées, animant le corps de Billy au mieux de ses intérêts. Parmi elles, trois sont féminines : Christine, fixée à l'âge de 3 ans, et Aladama et April, fixées toutes deux à l'âge de 19 ans. Toutes les autres sont masculines et leur âge de fixation va de 4 à 26 ans. Toujours sur l'ensemble, seules dix d'entre elles étaient connues à la date du procès. Treize autres se sont "révélées" depuis lors - même si l'existence de certaines d'entre elles était suspectée par les psys. La personnalité qu'on peut dire "mère", la personnalité non-fusionnée, la primitive, est la seule à pouvoir répondre vraiment au nom de Billy. Au-dessus de toutes, y compris des plus douées, plane celle, omnipotente, du Professeur. Du même âge que "Billy" exactement, le Professeur se présente comme la fusion des 23 personnalités, qu'il appelle "les androïdes que j'ai fabriqués." Comme l'indique Keyes à la fin du livre, "sans le Professeur, cet ouvrage n'aurait pas pu être écrit."

A la base de cette floraison de personnalités, dont beaucoup sont brillantes, voire très brillantes : une enfance malheureuse, soumise aux brutalités en tous genres (y compris sexuelles) d'un parâtre ET un tempérament d'enfant vraisemblablement plus doué que la moyenne. Tout cela allié à une sensibilité peu ordinaire.

A l'épilogue, que l'on espère provisoire : une vie sabotée.

Le lecteur a deux possibilités : il adhère ou il rejette. S'il s'est déjà intéressé aux personnalités multiples, il sera sans doute séduit car l'affaire Milligan est vraiment emblématique de ce trouble psychique. Si c'est la première fois qu'il lit un ouvrage traitant de la question, il risque par contre de se sentir dépassé par cette succession de faits et de dialogues intérieurs entre les différentes personnalités. Il aura alors l'impression qu'on cherche à le tromper et il arrêtera sa lecture en refusant qu'on le prenne plus longtemps pour un pigeon. A moins qu'il ne poursuive jusqu'au bout tout en étant d'ores et déjà persuadé que Billy Milligan n'est qu'un simulateur - génial, soit, mais simulateur avant tout.

Peut-être - c'est le seul reproche que je ferai à ce livre - peut-être la méthode choisie par Keyes pour retracer le parcours de Billy n'est-elle pas la meilleure. Keyes - qui a évidemment approché Milligan de très près - partait convaincu d'office, parce qu'il avait vu et entendu. En foi de quoi, il introduit tout naturellement son lecteur, prévenu ou pas, dans les "cerveaux" des différentes "personnalités" (notamment Arthur et Ragen) discourant entre elles de la meilleure façon de protéger Billy. (Car - et cela reste logique si l'on considère que ces personnalités ne sont en fait que les mille-et-une facettes éclatées de la personnalité originelle - si l'on excepte un ou deux "indésirables" qui agissent sans réfléchir à ce dont demain sera fait, la grosse majorité de ces "invités" de Billy n'ont qu'un but : le protéger, l'empêcher de souffrir.) Pour ce faire, Keyes ne dispose bien entendu que d'un dialogue tout ce qu'il y a de plus banal et naturel, qui déconcerte bigrement, je puis vous l'assurer. :wink:

Toutefois, si l'on fait abstraction de ce défaut de composition (j'écris "défaut" tout en me demandant de quelle autre manière Keyes aurait pu s'en sortir, à moins de sombrer dans la manière romanesque, ce qui aurait présenté d'autres inconvénients), "Les Mille et une vies de Billy Milligan" reste un ouvrage passionnant dont la fin - hélas ! bien prévisible - a quelque chose de poignant et de déchirant.

A lire. ;o)

mercredi, avril 30 2008

La Bible Dévoilée - Israel Finkelstein & Neil Asher Silberman

The Bible Unearthed Traduction : Patrice Ghirardi

C'est sur une impression de tristesse et de malaise que j'ai refermé ce livre pourtant soigneusement composé et dont l'argument repose sur des bases solidement étayées.

Tristesse parce que ce livre confirme que plus de deux mille ans de notre civilisation ont été influencés par une morale bâtie sur des mensonges éhontés.

Malaise parce que ses auteurs, bien qu'authentiquement possédés par la fièvre archéologique et la passion, toute scientifique, de leur métier, se laissent rattraper par le poids de leur culture et parlent avec respect et admiration de pseudo-prophètes qui ne furent, en fait - ils l'affirment eux-mêmes mais pas en termes aussi brutaux que ceux que j'utilise - que des menteurs doublés de fanatiques religieux.

En effet, l'archéologie peut s'exprimer sur ce point avec une certitude absolue : les textes qui forment la Bible furent composés et compilés au VIIème siècle av. J. C., par les tenants religieux et politiques du royaume de Juda, lequel, depuis la chute du royaume nordiste d'Israel sous les assauts assyriens, s'estimait - et avec quelle satisfaction mesquine ! - seul élu par Jéhovah.

Jéhovah ... Ce dieu jaloux, irascible, cruel et pétri de contradictions, est partout dans ce livre. Et partout - j'ignore si les auteurs en avaient conscience au moment de la rédaction de leur texte - il est en concurrence avec d'autres divinités. Non pas cependant comme le seul dieu unique, le seul vrai dieu de l'univers mais bel et bien comme un dieu parmi tant d'autres ...

Les anciens Israélites eux-mêmes d'ailleurs adoraient d'autres dieux en parallèle de leur Jéhovah. La Bible elle-même rappelle - avec une horreur puritaine ;o) - le Veau d'Or que les compagnons de Moïse dressèrent pour l'adorer alors que leur chef s'en était allé sur le Sinaï recevoir les Tables de la Loi des mains (??) de Jéhovah. Mais bien plus tard, au temps de la dynastie des Omrides qui se trouva à l'origine du royaume d'Israël. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les monarques omrides ont été présentés sous des couleurs aussi épouvantables par les faussaires du VIIème siècle av. J.C. La malheureuse Jézabel par exemple - vous savez bien, la mère d'Athalie, qui a permis à Racine de composer son célèbre monologue : "C'était pendant l'horreur d'une profonde nuit/Ma mère, Jézabel, a mes yeux s'est montrée/Comme au jour de sa mort pompeusement parée ... - est dépeinte comme une traînée orgiaque et criminelle tout simplement parce que, aux yeux des Juifs qui firent la Bible, elle avait le tort irréparable d'être née princesse assyrienne.

Ah ! On en apprend, des choses, dans ce livre, je vous le certifie et, je le répète, sur le plan purement historique, les auteurs assurent d'une façon qui, parfois, paraîtra un peu ardue. Ils savent, en la ramenant à de justes dimensions politico-religieuses, rendre l'histoire de la Bible absolument palpitante.

Là où ça pêche, c'est lorsqu'ils semblent ne pas se rendre compte de l'orgueil immense avec lequel ils évoquent le peuple d'Israël. Pour eux, il est clair qu'il n'y aura jamais de peuple égal à celui-là. La Bible est - je cite : "un chef-d'oeuvre de la littérature" et peut-être même le premier. Les Juifs sont et resteront "le peuple élu par Dieu" et Jéhovah est, bien entendu, le seul dieu acceptable, le seul qui triomphe au bout du compte, le seul qui restera quand notre planète aura explosé.

Des horreurs engendrées par le culte monothéiste initié par la religion judaïque et plus ou moins adapté par le christianisme et l'islam, PAS UN MOT. "Ce n'était pas le propos du livre," direz-vous. N'empêche, vu le niveau de culture des deux auteurs ainsi que leur vision historique et professionnelle de la Bible, on aurait pu espérer mieux.

Ceci dit, maintenant que je m'attaque à cette relation de ma lecture, je me dis que, du fait même de leurs origines ethniques et religieuses, les auteurs n'ont peut-être pas osé aller jusqu'au bout, estimant que des notations en apparence innocentes comme celle-ci : "... Les rédacteurs de la Bible donnèrent Ur comme racines à Abraham parce que, à cette époque, tout le monde savait bien que la civilisation venait de Sumer* ..." passerait mieux sous le manteau de la dévotion traditionnelle à Jéhovah et au destin exceptionnel (???) promis par lui au peuple juif.

En tous cas, si vous lisez "La Bible dévoilée", n'hésitez surtout pas à venir nous confier vos impressions. Au reste, c'est un livre érudit, intéressant et aussi honnête que possible - vu les circonstances. ;o)

* : je cite de mémoire.

Pêcheurs à Islande - Philippe Leribaux & Christian Querré

"Pêcheurs à Islande", telle était l'expression dont se servaient ceux-là mêmes qui y participaient pour désigner la pêche morutière à Terre-Neuve et en Islande. Rude, très rude métier, accompli dans des conditions tout aussi, sinon plus rudes encore, que tentent de nous présenter dans ses grands points Philippe Leribaux, médecin généraliste passionné par la pêche en haute mer, et Christian Querré, enseignant pour malentendants.

En raison de leurs racines personnelles, les deux hommes ne s'attachent ici qu'à la pêche morutière qui partait de la Bretagne-nord, notamment de St-Brieuc, St-Malo, Lorient et, bien sûr, Binic. Mais, pour les marins normands qui la pratiquèrent eux aussi, durant le XIXème siècle et le début du XXème, les conditions étaient les mêmes.

Pour ce faire, ils nous présentent un grand, un "beau" livre, superbement illustré et scindé en huit parties.

La première nous présente très succintement l'Islande, cette terre de glace et de feu qui fut le berceau de Läxness, l'auteur de "La Cloche d'Islande", lequel choisit, quand il se convertit au catholicisme, le deuxième prénom de "Kevin", en raison des origines celtes de ses propres ancêtres.

La seconde fait un retour sur la France et nous expose les fondements de la pêche morutière, spécialement dans la région bretonne.

Puis _la troisième partie nous parle des chalutiers utilisés pour ce type de pêche particulièrement difficile parce que se déroulant dans des contrées très froides et exposées à des tempêtes glacées.__ Tout nous y est dit sur leur construction et sur les rapports ainsi tissés entre la côte et l'arrière-pays bretons. Attention ! C'est là que vous trouverez le plus grand nombre de chiffres et de statistiques, ce qui risque de vous rebuter quelque peu si vous n'êtes pas un véritable aficionado de la pêche morutière et de son histoire.

La quatrième partie raconte le départ des pêcheurs, le plus souvent pour une campagne de six mois, vers la mi-février. On ne manquait jamais de le faire précéder d'un "pardon" où, sous les cantiques dédiés à ces saints bretons qui n'ont jamais reçu l'estampille vaticane, transparaissaient, dans toute leur gloire, les croyances animistes des anciens Celtes. Ceux-ci prêtaient une âme à toute chose, à tout objet, alors la Mer, vous pensez ...

Dans la cinquième partie, nous sommes à bord, avec les pêcheurs et nous vivons dans des conditions absolument indignes : pas de toilettes (on se soulageait sur le pont), un peu d'eau sur le visage pour commencer la journée, à 5 heures du matin, trois repas tous arrosés d'alcool mais maigres en protéines, des réserves d'eau douce qui devenaient vite nauséabondes, une promiscuité harassante et, pour les jours où la tempête rendait la pêche impossible, très peu de distractions hormis les cartes et les dominos.

La sixième partie détaille les maladies et accidents qui guettaient les morutiers. Il y en avait un paquet : tuberculose, fièvre typhoïde, toutes sortes d'affections pulmonaires, scorbut (on s'en doute) mais aussi maladies de la peau et maladies articulaires sans oublier les méfaits de l'alcoolisme. Notons aussi les panaris et les engelures : ces dernières, mal soignées, se soldaient souvent par une amputation. Des hôpitaux de fortune étaient dressés en Islande et on finit par affréter des navires-hôpitaux sur lesquels plus d'un pêcheur mourut avant d'avoir revu sa Bretagne ou sa Normandie natale.

La septième partie nous rappelle que les armateurs s'occupaient des marins débarqués, leur assurant de petits travaux entre les périodes de pêche. Enfin, la dernière partie nous conte le déclin de la grande pêche, à la fin des années vingt.

Un livre passionnant et qui vous donne les bases de la pêche morutière telle qu'elle fut pratiquée. A ne réserver cependant qu'aux amateurs. ;o)

mardi, mars 25 2008

Jésus ou Le Mortel Secret des Templiers - Robert Ambelain

Dans les années soixante, Robert Ambelain, gnostique, martiniste et franc-maçon, passionné par l'ésotérisme, s'attaquait à une figure-clef de la civilisation occidentale, celle dont la date (estimée) de naissance décompte nos siècles et nos millénaires : Jésus de Nazareth.

D'emblée, Ambelain reconnaît l'existence de Jésus en tant que personnage historique et incontournable. Ce qu'il rejette, c'est évidemment sa filiation divine mais il va même plus loin puisqu'il lui dénie sa qualité de prophète essentiellement religieux. Toutes proportions gardées, Jésus fut, comme Mahomet, un chef politique. Mais, à la différence de l'illuminé de Médine, qui parvint à fédérer ses partisans et à fonder un gouvernement où le spirituel (ou prétendu tel) se mêlait au temporel. Cela, Jésus n'y parvint pas mais ses disciples, eux, allaient, en s'appuyant sur sa mort, transformer sa défaite en une victoire éclatante.

Dans la vie du Jésus historique, s'il y a bien une Marie qui fut sa mère incontestée (et qui était de souche davidique), il n'y a pas de Joseph. Ambelain soutient que le père de Jésus n'était autre que Juda de Gamala, reconnu comme le Messie par ceux qui, dans le peuple juif - et ils étaient nombreux - rêvaient de restituer son indépendance à la Palestine. Le père de Judas de Gamala, Ezéchias, avait lui-même reçu ce titre - et fut crucifié bien avant son petit-fils pour avoir, lui aussi, osé s'opposer à la toute-puissance romaine.

Ambelain affirme - et ses arguments ont du poids, je vous l'assure - que le fameux Simon Pierre était l'un des frères de Jésus et que le non moins célèbre Judas l'Iscariote, qui le trahit, était son neveu. Tant Simon que Judas étaient des sicaires - ainsi appelés du nom de la petite épée qui leur servait à se défendre ou à attaquer, la sica - sorte de garde rapprochée du chef politique, formée des membres les plus habiles et les plus impitoyables (les plus fanatiques aussi) de la secte des zélotes à laquelle, sans contestation possible, appartenait le fils de Marie.

Celui-ci serait né entre 16 à 17 ans avant la date fixée par le Vatican et aurait par conséquent approché de la cinquantaine à sa mort. Comprenant avec l'âge qu'il courait à l'échec politique, il aurait alors songé à rallier le peuple juif par le biais de la seule religion. Sa crucifixion la tête en haut - fait curieux dont Ambelain n'est d'ailleurs pas le seul à avoir parlé - prouve que, parmi les accusations portées contre lui, figurait celle de meurtre. Ce qui n'étonnera guère le lecteur à qui Ambelain a rappelé le passage de St-Luc - évangile pourtant "officiel" - où Jésus ordonne, de façon assez sibylline, d'égorger ceux qui se dressent contre lui.

En effet, s'il n'avait été qu'un rebelle séditieux et sans envergure, Jésus aurait été crucifié la tête en bas. La loi romaine, qui prévalait alors en Judée, est formelle sur ce point et on se demande bien pourquoi les Romains auraient changé leur façon de faire en faveur (!!!) de Jésus.

Il y a encore mille choses à dire sur ce livre foisonnant, passionnant, qui relève l'essentiel des contradictions dont est tissée l'histoire du christianisme et qui invite tout lecteur conscient de sa liberté de pensée à s'interroger encore, et encore, et encore, non pour se dresser contre les abus d'une religion (le christianisme n'est pas la première religion bâtie sur l'escroquerie et le mensonge) mais tout simplement pour avancer un peu plus dans la compréhension de soi-même et, qui sait, de l'univers.

Un grand livre. Lisez-le. ;o)

mercredi, février 13 2008

Le Fou & le Professeur - Simon Winchester

The Professor & the Madman Traduction : Gérard Meudal

En 1871, un samedi, peu avant deux heures du matin, George Merrett, qui travaille aux chaudières de la brasserie londonienne du "Lion Rouge", quitte son domicile pour assurer l'équipe de nuit. Mais alors qu'il arrive en vue de son lieu de travail, il entend un homme crier derrière lui. Il se retourne et voit l'homme se diriger vers lui en courant, visiblement furieux. Merrett prend peur et se met aussi à courir. Lorsqu'il regarde derrière lui, l'homme s'est arrêté et brandit un objet dans sa direction. Un coup de feu retentit : Merrett s'effondre. Les secours qu'on lui apportera pratiquement sur le champ, grâce aux soins d'un officier de police qui faisait sa ronde, ne pourront rien contre sa carotide béante et son épine dorsale endommagée. Il décède à l'Hôpital St Thomas.

Son agresseur, immédiatement arrêté par le sergent Tarrant, s'appelle William Chester Minor. Il n'a rien du malfrat classique. Bien au contraire, il a été officier dans l'armée de l'Union pendant la Guerre de Sécession où il a en outre exercé les fonctions de chirurgien, sa profession. Originaire de New Haven dans le Connecticut, il s'était installé à Londre un an auparavant et disposait de confortables revenus. Mais, de l'avis de ses logeurs et de ses rares relations londoniennes, il semble souffrir de troubles mentaux, notamment d'une manie de la persécution qui le fait fuir comme la peste tout homme susceptible d'être irlandais.

Reconnu légalement non coupable du meurtre de Lambeth Road mais mentalement dérangé, William Minor est enfermé à l'institution de Broadmoore. Pour s'occuper, il lit beaucoup et se propose pour collaborer à la confection de l'Oxford English Dictionary mis en chantier par James Murray.

Un jour, Murray, qu'enthousiament la clarté et la qualité des définitions envoyées par Minor, décide de lui rendre visite ...

Ce n'est pas un roman mais une espèce de biographie. L'auteur nous présente les deux protagonistes principaux avec un soin presque maniaque. Il nous dépeint ce qui les a menés l'un à être interné, l'autre à superviser la rédaction de l'Oxford English Dictionnary. Il nous rapporte leur première entrevue et celles qui suivirent, les relations qui finirent par s'établir entre eux et, certes, ce n'est pas dénué d'intérêt. Le problème, c'est qu'il n'y a ici ni flamme, ni passion et que, du coup, cet intérêt s'éteint à peine éveillé. Et ce n'est certainement pas le style, plat, uniforme, sans imagination, qui permettra au lecteur de s'impliquer un peu plus.

On a l'impression d'assister à tout cela de très loin. Le sang coule à Lambeth Road et, qui pis est, le crime est absolument gratuit mais on ne compatit ni à la mort de Merrett, ni à l'internement de Minor. On observe la chose avec une parfaite indifférence. Pour moi, ce fut comme si j'écoutais poliment quelqu'un qui me contait une histoire banale pendant qu'intérieurement, je me demandais quand diable cela prendrait fin.

Ce sentiment, je l'ai rarement ressenti mais plus souvent, sans doute, après la lecture de certaines biographies. Ce qui m'a conduite à constater que la biographie, le document étaient tous deux des disciplines littéraires à part entière qui ne sont malheureusement pas à la portée de tout le monde. ;o)__

Adèle, l'Autre Fille de Victor Hugo - Henri Gourdin

Adorateurs du Grand Victor, hugolâtres énamourés capables de prôner sans ciller la supériorité de la prose de votre dieu sur celle de Voltaire, c'est dès maintenant qu'il vous faut suspendre votre lecture. Car ce que j'ai à écrire dans ce billet ne vous plaira pas.

Non que Henri Gourdin se montre impartial envers le Poète auto-proclamé Génie Universel. La nature unique de notre Victor Hugo national, il ne la conteste absolument pas. Simplement, à cette stature de penseur à la Rodin enfermé dans un univers dont il est à la fois le créateur et la créature, le biographe d'Adèle Hugo oppose les faces moins connues de cette écrasante entité : le mari volage, le père absent, le dramaturge en vogue qui se fait surprendre en flagrant délit d'adultère et qui ne doit d'éviter la prison qu'à sa qualité de pair de France, enfin le littérateur engagé et exilé dont l'égocentrisme vampirise tous les membres de son entourage et façonne, avec quelques années d'avance, la légende de cette folie dans laquelle Adèle ne basculera en fait qu'assez tard.

Tant qu'ils furent dans leur âge tendre, ses enfants ne posèrent guère de problèmes au poète. Nul ne s'avisera de le nier : Hugo s'est toujours plu à jouer avec les petits et les tout-petits. On trouve même, chez lui comme chez sa femme, une manière extrêmement moderne de considérer les premiers jeux de l'enfance. Dès cette époque pourtant, il semble manifester une préférence - à vrai dire légère - envers l'aînée de ses filles, Léopoldine. Le drame (ou plutôt l'un des aspects du drame), ce sera que Léopoldine, morte noyée au lendemain de son mariage, sera donc portée en terre avec toutes ses qualités intactes et que l'amour que l'on voue en général aux disparus, surtout s'ils sont partis trop jeunes, empêchera à tout jamais Victor Hugo et sa femme de lui reconnaître le moindre défaut. Pas plus qu'Adèle ou ses frères, ils ne feront jamais le deuil de Léopoldine. Et un jour viendra où, sans même s'en rendre compte, l'écrivain intègrera tout naturellement cette mort à sa propre légende.

La première fêlure peut-être entre le père et les filles survient lorsque se pose pour elles la question de l'éducation. Sur ce plan, Hugo n'a rien du progressiste auquel on pouvait s'attendre : si ses garçons reçoivent une excellente instruction, celle des filles est limitée. C'est l'esprit du temps, l'esprit aussi de leur classe et le poète n'a pas encore à soigner son image de Penseur Universel tendance égalité pour tous, même pour les femmes.

La seconde fêlure, elle, ne concerne pas Adèle. Elle se montre lorsque Léopoldine décide d'épouser Charles Vacquerie, le frère d'Auguste, "fan" du poète avant la lettre que l'on suppose aussi avoir été l'amant de Mme Hugo mère, puis celui d'Adèle. Pour Victor Hugo, ce mariage symbolise l'éloignement inéluctable de sa fille préférée et, qui pis est, avec un homme autre que lui. (Oui, la famille Hugo aurait beaucoup intéressé Sigmund Freud. :wink: ) Cette réaction qui, dans le fond, est banale et se manifeste chez la plupart des pères, se complique chez le poète des exigences de son ego - un ego aussi formidable que son génie.

Après l'accident qui coûte la vie à Léopoldine et son époux, se précise la troisième fêlure : dans un transfert là aussi normal, Hugo va évidemment se rejeter sur Adèle. Mais Adèle, si elle aime son père, est d'une tout autre trempe que sa mère et sa soeur. A vrai dire, c'est elle qui, de tous les enfants Hugo, semble avoir hérité la force de caractère paternelle. Ses frères en effet ont tous fini par "se coucher" devant le patriarche et Léopoldine, elle, n'a pas eu le temps de se révolter. Adèle, elle, aura non seulement le temps de le faire mais aussi la volonté nécessaire pour y parvenir.

C'est durant l'exil de Hugo dans les îles anglo-normandes qu'éclatera la crise. La biographie de Henri Gourdin détaille crescendo les mille petits faits qui, à force de s'accumuler, vont acculer Adèle à la fuite loin d'un père psychopompe. Cela va de la solitude entretenue par le poète aux maximes typiquement "hugoliennes" - et parfois grotesquement solennelles - inscrites sur les murs de la salle à manger de Hauteville House, en passant par les fameuses "tables tournantes" où les esprits s'expriment comme écrit le maître des lieux.

Mais - et on ne peut en douter après avoir lu ce livre - lorsque Adèle quitte sa famille avec l'idée d'épouser le lieutenant Pinson, elle a toute sa tête. Seulement, pour son père, le coup est si terrible et surtout si inacceptable - quoi ! l'un de ses enfants (une fille, qui plus est) ose l'abandonner, lui, le Poète, l'Exilé sublime, l'Ennemi irréductible de Napoléon le Petit, lui, la Voix de la France républicaine - qu'il refuse de voir la vérité en face et que, à partir de ce jour, il parle, écrit et agit comme si Adèle s'était enfuie sous le coup d'une maladie mentale.

Ainsi, selon un schéma que l'on retrouve couramment chez les parents narcissiques dans leurs rapports avec leurs enfants, la situation se retourne : la Victime n'est plus Adèle mais bel et bien son père, que la mort de sa première fille avait déjà notoirement affecté. L'immense talent du poète et son narcissisme monstrueux vont faire le reste ...

Une biographie qui passionne et attriste tout à la fois. Elle passionne car son auteur, tout en s'attachant à son sujet, a veillé à se montrer impartial et à étayer ses dires. Elle attriste car les lecteurs - et plus encore les lectrices - ne peuvent que compatir à la sinistre destinée d'une femme qui fut jeune, qui fut belle, qui fut intelligente, qui se voulut, en parfait accord avec les idées professées par Hugo lui-même, une femme libre ... et qui, tout au long de son existence, se vit contrainte de rester toujours un pas derrière ses frères et deux derrière leur père.

Quand enfin, elle décida de briser effectivement les tabous que son père, ses frères et leur entourage n'entendaient en fait briser que symboliquement, la vie qu'elle avait menée jusque là l'avait déjà à demi brisée. De très longues années avant Zelda Fitzgerald, Adèle Hugo s'est peut-être laissée glisser dans la folie parce que, quelque part, la folie est aussi libération. ;o)

mardi, février 12 2008

Bohèmes - Dan Franck

Pour les amateurs d'Histoire vue par le petit bout de la lorgnette, voici six cents pages intégralement consacrées au renouveau culturel qui, entre les dernières années de la Belle-Epoque et la fin des années trente, émergea à Montmartre avant d'émigrer peut à peu vers Montparnasse.

Autrement dit, des dizaines et des dizaines d'anecdotes sur une faune essentiellement composée de peintres et d'écrivains. La fresque est grouillante de vérité.

Utrillo, qui peignait Montmartre d'après les cartes postales que lui rapportait sa mère, Suzanne Valadon ; Picasso, bien sûr, qui mangea de la vache enragée avant de réserver sa signature à toute une clique de snobs ; Henri Rousseau, dit "le Douanier Rousseau", maître sans prétention d'une peinture naïve qui parlera plus tard au coeur de Frida Kahlo ; Soutine qui transgressa la foi de ses pères pour gagner le droit de peindre, Soutine, toujours affamé et qui eut un jour ce mot sublime : "Je peins mieux quand j'ai faim" ; Modigliani, lui aussi d'origine juive mais italien par son père et qu'emportera la tuberculose ... voilà pour quelques uns des peintres ici rassemblés.

Côté écrivains et poètes, il y a, bien sûr, Guillaume Apollinaire pour qui Dan Franck exprime une tendresse profonde et un peu partiale sur les bords ... (Mais on pense comme Franck quand il affirme que, sans la grippe espagnole qui assassina ce prince des Poètes, Aragon aurait eu beaucoup plus de mal à s'affirmer comme incontournable.) Cocteau ne fait que passer et Max Jacob va de l'un à l'autre en attendant de mourir à Drancy, comme le juif qu'il n'était plus. Proust vit ses derniers étouffements et Alfred Jarry se laisse dévorer par Ubu. Verlaine lui-même fait, au tout début, une petite apparition, comme pour cautionner l'époque "folle" qui se dessine.

Sans oublier Kiki de Montparnasse, le modèle le plus couru de cette époque ;Foujita, le peintre japonais ; Jeanne Hébuterne, qui se jeta par la fenêtre de l'appartement qu'elle occupait avec Modigliani après la mort de celui-ci ; Raymond Radiguet, maussade et chafouin ; Robert Desnos ; les Surréalistes, prêts à emprunter le long et ténébreux couloir du communisme ; la perplexité de Picassolui-même devant ses "Demoiselles d'Avignon" ; les marchands d'art, le vol de la Joconde au musée du Louvre, et bien d'autres encore, êtres et objets qu'on ne peut citer tous tant ils fourmillent et réclament leur part de mémoire ...

Un document riche, joyeux et nostalgique qui vous fera passer un excellent moment en vous restituant un flamboiement culturel qui fut un peu de l'âme du XXème siècle. ;o)

jeudi, janvier 17 2008

Colette - Biographie critique - Claude Pichois & Alain Brunet

Avec Colette, j'ai toujours eu un problème. Je n'ai en effet jamais compris comment une femme qui affirmait - et on veut bien la croire - se battre tous les jours avec les mots ait produit des romans si légers et tous axés sur des histoires sentimentales basiques : duo ou trio, tu-me-trompes/je-me-venge, etc ... Je n'ai jamais compris non plus comment une femme qui savait si bien mener sa vie extérieure, une "femme forte" en somme et une femme qui se voulait libre, ne se soit jamais dévouée à une cause sociale.

J'ai lu les "Claudine", bien sûr et je ne conserve ma sympathie originelle que pour le premier volume : "Claudine à l'école." J'ai lu "La Chatte", histoire bien mince dont la seule originalité est de transposer la relation de jalousie habituelle sur un animal. J'ai lu la majeure partie des recueils autobiographiques de l'auteur et j'admets qu'elle savait comme personne évoquer les animaux et la sensualité de l'univers en même temps qu'elle croquait une scène.

A part ça, que reste-t-il pour moi de Colette ? Une vie tapageuse, des relations aussi clinquantes que celles qu'on reproche aujourd'hui à certain président de la république, une façon bien à elle de faire son trou dans des endroits confortables et de retomber toujours sur ses pattes. La seule grande affaire de sa vie fut, semble-t-il, son premier mariage avec Henry Gauthier-Villars, dit Willy. Pour l'avoir haï comme elle le fit après leur divorce, elle a dû l'aimer passionnément et sincèrement. Mais eut-elle un geste lorsqu'il était sur la fin et sans grandes ressources ? On me dira qu'il l'avait exploitée. Soit. Mais la marquise de Balbeuf, Missy, qu'avait-elle fait à Colette pour que celle-ci se montrât avec elle d'une telle ingratitude ? ...

Et ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres.

Colette, pour moi, est une égoïste narcissique et une primaire. Fine, intelligente, avec un sens rare de la terre et de ses nourritures mais justement : elle ne s'élève jamais au-dessus des pâquerettes.

La biographie critique de Pichois & Brunet tente - modestement - de déboulonner l'idole, soulignant ses trop nombreuses contradictions et se faisant un devoir de noter ses défauts sur le même plan que ses vertus. On peut même y apprendre que Colette jeta tout simplement le cadavre de sa chatte, Kiki-la-Doucette, par la fenêtre, estimant que c'était là la seule chose à faire. Si on se rappelle que Colette avait poussé les hauts cris en lisant "La Terre" de Zola et affirmé à l'époque (et aussi dans "Claudine à l'école" si mes souvenirs sont bons) que les paysans n'étaient certainement pas aussi noirs que ça, on est en droit de se poser beaucoup de questions sur sa sincérité ...

Mais cette biographie passe à mon avis à côté (volontairement ? involontairement ?) des vraies questions :

1) Colette envisageait l'écriture avec sérieux. S'il est un domaine où elle n'a jamais triché, c'est dans le style. Elle s'est attachée à donner le meilleur d'elle-même - ou ce qu'elle croyait être le meilleur. Pourquoi n'a-t-elle jamais appliqué pareille rigueur à ses sujets ? Pourquoi cette femme, qui prônait l'originalité en tout, oublia-t-elle d'être originale en ce domaine ?

2) Pourquoi Colette, qui a passé toute sa vie à enrichir, à travailler son style, n'a-t-elle jamais décollé de ses histoires de coucheries, légitimes ou pas ?

3) Pourquoi ne pas reconnaître que, plus qu'à son style, Colette doit sa réputation à ses relations dans les milieux littéraires parisiens (héritées de Willy) et à son anti-conformisme de bon ton ?

4) Pourquoi ne pas admettre que Colette ne se révolta jamais que pour elle-même - et jamais pour les autres ? ...

J'attends la biographie qui osera - enfin - dire cela de la "bonne dame du Palais-Royal" qui ne semble avoir eu, en fin de compte, pas grand chose de bon, si ce n'est un amour certain du beau style.

Mais est-ce suffisant ? ... ;o)

jeudi, décembre 20 2007

Une Amérique Qui Fait Peur - Edward Behr

Paru deux ans avant les événements de septembre 2001, "Une Amérique Qui Fait Peur" dut affronter les railleries de nombre de critiques qui n'hésitèrent pas pour l'occasion à affubler son auteur de l'étiquette de "réactionnaire."

Fait amusant - et ô combien intéressant : l'essentiel de ces critiques pensaient "à gauche" (ou, à tout le moins, l'affirmaient). En foi de quoi, très souvent, ils étaient (et sont restés) les premiers à hurler au loup devant les excès consuméristes et capitalistes des Etats-Unis.

En revanche, pas question pour eux de s'indigner aux récits des exactions - il n'y a pas d'autre mot : lisez ce livre et vous m'en direz des nouvelles - commises aux USA au nom de la "liberté" et dont Philip Roth nous a donné un éblouissant témoignage dans "La Tache."

Non, sur ce plan-là, ces mêmes critiques, qui pensent "bien" et sont d'ailleurs les seuls à le faire, sont les premiers à s'incliner devant le Moloch américain ...

Oui, les féministes complètement allumées des USA ont raison de déposer plainte et de faire des procès à des universitaires ayant osé (ce n'est qu'un exemple) déclarer qu'ils se sentaient traités comme des coupables parce que le règlement de maints campus universitaires permet à toute étudiante demandant une réunion de travail avec l'un de ses professeurs mâles d'exiger que, "pour la protéger", y soit présente une enseignante.

Oui, certains psychiatres peu scrupuleux ont mille fois raison de faire pression sur des enfants de 4/5 ans pour les amener à accuser d'attouchements incestueux l'un ou l'autre de leurs parents.

Oui, les médias américains - les mêmes si décriés pour la façon dont ils ont traité la dernière guère américano-irakienne - ont dix mille fois raison de traquer sans répit ces universitaires et parents obsédés par le sexe et qui, sans foi ni loi, s'acharnent à salir la Vertu Triomphante qui est l'apanage des vrais citoyens made in USA.

Oui, les médias américains ont cent mille fois raison de pointer du doigt la police (fédérale ou locale) lorsque celle-ci s'attaque, de façon ignominieuse, à des assassins multirécid... pardon ! à de pauvres victimes de la société qui dealent, violent et trucident non par méchanceté naturelle mais bel et bien, eh ! oui, parce que leur père buvait et les maltraitait.

Au cas où tout cela vous rappellerait quelque chose, n'hésitez pas à revenir aux sources du mal en vous plongeant dans ce petit livre brûlot qui en a mécontenté plus d'un mais qui dit tout haut ce que pense de plus en plus de monde, aux USA comme en France.;o)

Tigres & Tigresses - Histoire Intime des Couples Présidentiels Sous la Vème République - Christine Clerc

Une première partie de titre idiote et un peu "carpette" pour un livre qui, par contre, ne l'est pas tant que ça.

Je précise que ce volume, dédicacé à "la prochaine Première Dame de France", ne s'attarde pas sur le cas du couple Sarkozy. Christine Clerc semblait attendre beaucoup de l'ex-Mme Sarkozy mais nous savons aujourd'hui que le couple n'a pas dépassé l'investiture et que notre Président actuel en est réduit à des coups de pub auprès de Carla Bruni. ;o)

Sont donc passés au scanner les couples De Gaulle, Pompidou, Giscard, Mitterrand et Chirac. Une constante : l'ambition dévorante des éléments mâles desdits couples qui les conduira à briguer l'Elysée en dépit des réserves, souvent profondes, émises par leurs compagnes.

Le cas des De Gaulle demeure légèrement en retrait puisque Charles et Yvonne de Gaulle sont les seuls à avoir dû affronter une situation historique nécessitant l'apparition d'un "homme providentiel." Pour le reste, Christine Clerc insiste sur la vocation d'épouse, plutôt que de mère, qui semble avoir été celle de Mme de Gaulle. Il n'en reste pas moins vrai qu'être la femme du Général ne dut pas être simple tous les jours.

On est surpris d'ailleurs de constater que cet état de fait accompagne également les autres couples. Mme Pompidou, par exemple, qui se plaisait à Matignon, ne pouvait s'empêcher d'avoir des frissons lorsque ses obligations ou simplement le hasard l'amenaient à passer devant l'Elysée. Le scandale des "parties galantes" que lui prêta un temps la rumeur devait les laisser, elle et son époux, profondément blessés.

Mme Giscard d'Estaing avoue rétrospectivement son malaise face au poste remporté par son mari en 1974. D'autant que Giscard essaya par tous les moyens de lui imposer une certaine fonction auprès de lui, en tous cas pour la galerie.

Mme Mitterrand, quant à elle, voit son tout nouveau mari se lever au beau milieu du repas de noces et faire mine de quitter la salle. Effarée, elle lui demande où il compte aller. Il lui répond qu'il a une réunion de parti dans un café. (!!!) Femme de tête, elle obtient de l'y accompagner. Ceci dit, on ne peut pas dire que la chose était particulièrement romantique ...

Danièle Mitterrand, sans l'avouer, a toujours laissé dire que ses prises de parti en politique, toujours très à gauche et proches de l'extrêmisme, lui étaient plus ou moins inspirées par le comportement de son mari. C'était sa manière à elle de protester contre les manoeuvres politiques de Tonton - et ses innombrables aventures galantes.

Mais la moins gâtée - et la plus ahurissante - demeure incontestablement, si l'on en croit le livre de Christine Clerc, Bernadette Chirac qui semble vraiment avoir été épousée par raison. Ombre fidèle, elle épaule toujours un Jacques Chirac qui, bien qu'il ait vraisemblablement joui, en dépit de tout ce qu'on peut lui reprocher aujourd'hui, du plus fort capital de sympathie dont ait jamais disposé Président de la Vème, se conduit envers elle ni plus ni moins qu'un mufle insensible.

Un livre intéressant, où il y a sans doute à boire et à manger mais qui, malgré tout, démontre que, même à un certain niveau social, la femme continue à subir l'homme - même si elle aime celui-ci. ;o)

mardi, décembre 18 2007

Lord Byron - La Malédiction du Génie - Gilbert Martineau

Bien que solidement étayée par nombre de documents et visiblement composée avec amour, la biographie de Gilbert Martineau manque de cette flamme nécessaire à tout biographe.

Pourtant, de l'amour et de l'admiration, Martineau en éprouve envers son héros, George Gordon, sixième lord Byron, mort à 36 ans en 1824, après avoir combattu pour l'indépendance de la Grèce. Mais justement : trop d'amour, trop d'admiration tuent la biographie.

Martineau a le tort de représenter Byron comme un ange pratiquement pur de toute souillure. Ce qui ne peut évidemment être vrai puisque Byron lui-même ne prétendit jamais à la sainteté - l'idée même lui en répugnait.

Oui, l'indulgence de Martineau gêne, à plus d'un titre, son lecteur. L'ouvrage permet cependant d'apprendre une foule de choses sur celui qui demeure, avec raison, comme l'un des plus grands poètes de langue anglaise - si vous en doutez, puisez largement dans les extraits de ses poèmes en V.O. que nous livre Martineau et vous verrez bien.

Tout d'abord que Byron, comme tant d'autres, fut un enfant hypersensible et gravement perturbé par l'absence de toute image paternelle à ses côtés durant son enfance. (Ajoutez à cela qu'il souffrait d'un pied-bot et d'une tendance à prendre des kilos qui, l'un et l'autre, le pousseront toute sa vie à surcompenser ce qu'il tenait pour des faiblesses.) Certes, le petit garçon adorait sa mère, souvent dure pourtant avec lui tant la malheureuse craignait de retrouver en son fils les pires tendances de son père, John Byron, que ses camarades de régiment avaient sobrement surnommé : "Mad Jack." Mais il n'est pas facile, dans de telles conditions, pour une mère, de tenir à la fois le registre de la tendresse et celui de la sévérité. La bisexualité avérée de Byron devait trouver là ses plus fermes assises.

Enfant brillant, seul héritier d'un titre qui ne comportait plus la fortune adéquate, pair du Royaume-Uni en devenir, le jeune George fut encouragé très tôt dans la certitude qu'il était quelqu'un d'unique et de tout à fait particulier. Son orgueil naturel fit le reste et, toute sa vie, il s'appliqua, en effet, à vivre, parler et écrire comme nul autre avant ou après lui.

Même si on lui impute une préférence pour les jeunes hommes, Byron plaisait beaucoup aux femmes et ne rechignait pas à les satisfaire. Ses liaisons sont fameuses et il alla, nous l'avons vu, jusqu'à nouer une relation incestueuse avec sa demi-soeur, Augusta. Les dieux de la Grèce Ancienne n'agissaient-ils pas de même ? ... Pour ce Romantique qui croit encore aux idoles du classicisme finissant, une relation frère-soeur allait de soi. Il devait dédier à sa soeur des stances fameuses : "My Sweet Sister."

Son mariage par contre fut malheureux. Il faut dire que Byron l'Anti-Conformiste obéit sur ce plan aux règles en vigueur dans son milieu : il se maria plus pour des raisons financières que pour autre chose. Cependant, il eut le tort de s'imaginer qu'il pourrait forger l'esprit de son épouse comme il l'entendait et, surtout, la circonvenir suffisamment pour qu'elle renonçât à l'idée de le ramener ... à Dieu. Profondément dévote, Anabella, lady Byron, était de ces êtres qui rendraient la Vertu insupportable à Saint Pierre en personne. On assure qu'elle manquait également de tempérament. Plus certainement, son éducation l'avait-elle si inhibée qu'il lui était impossible de répondre à toutes les demandes charnelles de son mari - y compris, suppose-t-on, à celles relatives à l'amour anal.

Il y eut donc séparation de fait (pendant laquelle Anabella, réfugiée chez ses parents, tenta de faire interner son mari), puis séparation juridique. Lord Byron ne devait jamais revoir la fille qu'il avait eu de son mariage. Nous n'omettrons pas de la citer ici car Augusta Ada King, comtesse Lovelace et née Byron est reconnue comme l'une des pionnères de ... la programmation informatique. Eh ! oui. Voyez ici.

A partir de cette époque, Byron se replongea dans le tourbillon des voyages et des écrits qui devaient le guider jusqu'à Missolonghi où, alors qu'il s'apprêtait à attaquer les Turcs aux côtés des troupes gouvernementales grecques, il fut assailli par la fièvre des marais, le 9 avril 1824.

Un livre intéressant, donc, à consulter éventuellement, faute de mieux, mais qui soulève de nouvelles questions sur Byron et ne peut qu'inciter à se procurer de nouvelles biographies du personnage. Un très bon point cependant : en y lisant les extraits des poèmes de Byron, on n'a plus qu'une idée : se les procurer et les lire dans leur texte original. ;o)

mardi, octobre 2 2007

La Mort Mercenaire - Hans-Joachim Klein.

Von Einem der auszog und das Fürchten lernte oder Menschlichkeit, was ist das eigentlich ; dafür kämpften wir doch auch. Traduction : J. & B. Balard.

Ecrit sans fioritures par un rebelle authentique amené à l'activisme d'extrême-gauche par une conception exceptionnellement généreuse de l'existence ainsi que par le très lourd (trop lourd ?) sentiment de culpabilité qui pesa sur toute une génération en Allemagne, "La Mort Mercenaire" est un brûlôt acerbe, féroce et désenchanté contre la récupération d'un pouvoir arbitraire par de pseudo-militants politiques.

Hans-Joachim Klein faisait partie du commando qui, dirigé par Carlos, prit en otage à Vienne, en 1975, les ministres de l'OPEP réunis en congrès. Blessé au ventre, il fut hospitalisé sous la pression de Carlos et rapatrié dans l'avion affrété par le gouvernement autrichien et qui devait permettre au commando de s'envoler en toute liberté. Par la suite, convalescent, Klein eut largement le temps de voir et d'entendre pas mal de choses dans les différents pays arabes par lesquels il transita. Il croisa notamment le chef du FPLP (bras armé de l'OLP), Waddi Haddad, et bien d'autres.

Sans souci des menaces que faisaient peser (et que continuent à faire peser) sur lui à l'époque ses anciens "camarades", Klein raconte sa jeunesse difficile, sa révolte contre un ordre social inégal qui ne le satisfait pas, son adhésion à un système de pensée qu'il croit tout d'abord franc et généreux et qu'il verra peu à peu se désagréger sous ses yeux. Il raconte son désenchantement, son désespoir, sa fureur, son cynisme ... et aussi sa croyance en un monde meilleur qui, malgré tout, finira par émerger sans violence.

Au fil d'un long et cahotique périple, au fil de réflexions intenses et complexes qui sont tout à l'honneur d'un homme qui n'a pas eu, au contraire par exemple de Illitch Sanchez Ramirez, la chance de bénéficier d'une excellente instruction, Klein en est venu à considérer que, si le système était injuste et décevant, il n'était après tout qu'une chose sans vie et que l'Homme seul - de gauche comme de droite - en était responsable. Il en est aussi arrivé à estimer que la violence pour la violence, surtout cautionnée par des "investisseurs" comme le colonel Khadafi ou bien d'autres, n'est rien d'autre qu'une forme de Pouvoir, tout aussi arbitraire et injuste que le Pouvoir en place.

Certes, Klein ne propose pas - ou plutôt, il ne propose plus - de solution mais il veut continuer à penser que celle-ci existe, loin de toute violence.

Un livre dur, "brut de décoffrage" comme on dit qu'il faut lire, ne serait-ce que pour la sincérité de son auteur, lequel, plus de trente ans après les faits, n'hésite pas encore à affirmer : "Pour les trois morts de Vienne, je ne suis pas coupable : mais je suis responsable ..." ;o)

mercredi, septembre 19 2007

Janis Joplin - Jean-Yves Reuzeau.

Le 4 octobre 1970, aux environs d'1 heure et demie du matin, Janis Joplin décédait dans sa chambre de l'hôtel Landmark, à Hollywood, victime d'une overdose d'héroïne. Comme pour Jim Morrison, qui mourra un an plus tard dans son appartement parisien, on ne retrouva aucune seringue ou matériel de drogué sur les lieux : des "amis" bien intentionnés étaient passés par là.

On pense aujourd'hui que Joplin, qui avait replongé dans l'héroïne le mois précédent, sous la houlette de son amie et maîtresse, Peggy Caserta, s'était procuré de la drogue par son fournisseur habituel. Mais que, par un malheureux hasard, l'héroïne ainsi dispensée était exceptionnellement pure. L'organisme de la chanteuse, affaibli par l'alcool, les drogues et le stress, n'aurait pas supporté le choc.

Ainsi s'éteignait, à l'âge de 27 ans, celle que l'on surnomma de son vivant "la plus grande chanteuse blanche du blues."

Dans cette biographie qui se double d'un hymne vibrant à la gloire des sixties et d'une certaine culture, toute pétrie d'utopie et d'humanisme, Jean-Yves Reuzeau fait revivre avec un rare talent cette anti-conformiste par excellence qui eut le malheur de naître à Port-Arthur, au Texas. Passionnée par le dessin et la littérature, l'adolescente comprend très vite que son physique, lui aussi, n'est pas non plus dans les normes tolérées par la petite communauté où elle vit. Dès le secondaire, on lui fait comprendre qu'elle est laide, on la surnomme même - cruauté qu'elle n'oubliera jamais : "le mec le plus moche du campus."

Pour se donner de l'assurance - pour oublier ? pour rêver ? - Joplin se lie d'amitié avec celui qui l'accompagnera jusqu'à sa mort : le Southern Comfort, liqueur de whisky dont elle traînera des bouteilles et des thermos sur toutes les scènes qu'elle visitera. Dans les bars où elle effectue des descentes avec une bande de garçons eux aussi marginaux pour l'époque, il y a de l'alcool, des cigarettes, de la musique et même, dans certains, des lectures de poètes beatniks. Peu à peu, la musique, celle des notes et celle des vers, prend racine en elle et elle s'entraîne à imiter les grandes chanteuses de blues noires : Bessie Smith (qui restera sa référence suprême) et Odetta.

A partir de là, le destin de Joplin est tracé. Il serpente à travers mille petits bars et salles de concert jusqu'à la chambre de l'hôtel Landmark. Mais le succès ne vint pas tout de suite. Joplin l'atteignit en fait lorsqu'elle devint la chanteuse d'un groupe résolument hippie qui s'en cherchait désespérément une : "Big Brother and the Holding Company." Quand elle quitta "Big Brother ...", elle traversa à nouveau une période critique dont elle sortait manifestement - en partie grâce à Paul Rothchild qui fut également l'imprésario des "Doors" et avait l'habitude des personnalités "incontrôlables" - quand la Mort survint pour l'emmener.

Selon sa volonté, les cendres de Janis Joplin furent dispersées dans l'océan Pacifique le 13 octobre 1970. Le 26 du même mois, toujours pour respecter son testament, une fête était organisée à sa mémoire et, en février 1971, sortait son dernier album, "Pearl", considéré comme son chef-d'oeuvre.

Si, par un hasard extraordinaire, vous n'avez jamais entendu chanter Joplin, courez d'urgence vous procurer l'un de ses disques. Vous comprendrez alors pourquoi Jean-Yves Reuzeau l'évoque ici avec autant de tendresse, de pudeur et d'admiration. ;o)

dimanche, septembre 2 2007

Charles VI - Françoise Autrand. (III)

Prince raffiné et féru de lettres et de livres à un point tel qu'on peut voir en lui le précurseur des Humanistes et de la Renaissance, Louis d'Orléans s'intéressa aussi à l'alchimie et à la magie. En a-t-il usé contre son propre frère ? Les rumeurs de l'époque l'ont affirmé mais une chose est sûre : la mort du duc d'Orléans ne mit pas fin à la folie de Charles VI.

Toujours est-il que la relation existant entre les deux frères reste ambiguë - ce que souligne d'ailleurs Françoise Autrand. Si l'affection demeure, elle se mêle à la jalousie et à la haine. Et Charles ne se montra guère attristé lorsqu'on vint lui apprendre que son cousin, Jean de Bourgogne, avait fait assassiner le duc d'Orléans.

Pourtant, c'est bien cet assassinat, revendiqué avec hauteur par le duc de Bourgogne, qui se trouve à l'origine de la guerre civile entre les partisans du duc d'Orléans, menés par le comte d'Armagnac, et ceux du duc de Bourgogne, conflit que l'Histoire a immortalisé sous le nom de "guerre des Bourguignons et des Armagnacs."

Ce conflit ne trouvera son point final qu'avec l'entrée en scène de Jeanne d'Arc. Entretemps, le dauphin Charles aura fait à son tour assassiner Jean de Bourgogne, crime que justifiait la raison d'Etat puisque le duc avait amené le malheureux roi malade à s'effacer devant le roi d'Angleterre, lequel avait garanti de larges avantages territoriaux à la maison de Bourgogne.

C'est à la suite de cet assassinat que le futur Charles VII se verra déchu de ses droits à la couronne, par ordonnance royale signée par son propre père. Il se repliera sur Bourges où il organisera ce qu'il faut bien appeler la Résistance à l'occupant.

Charles VI mourra sans avoir revu son fils et héritier. Ce fut un Anglais, le duc de Bedford, régent de France pour le roi d'Angleterre, Henry VI, qui mena le deuil. Le souverain défunt laissait une France devenue terre anglaise mais seulement en théorie. Y germait déjà ce qu'il faut bien appeler l'esprit national.

C'est bien là le paradoxe du règne de Charles VI, que son peuple, aux pires jours de guerre et au plus fort de l'occupation anglaise, ne cessa jamais de surnommer : Charles le Bien Aimé. ;o)

Jean, duc de Bourgogne, fils de Philippe le Hardi, dit "Jean-sans-Peur" - Il avait pris pour emblème un rabot (que l'on voit brodé en fils d'or sur son habit) afin d'afficher clairement sa haine du duc d'Orléans qui, lui, avait choisi un bâton noueux en signe de ralliement.

Charles VI - Françoise Autrand. (II)

Car le drame qui va endeuiller le royaume pour longtemps - jusqu'à ce que Jeanne d'Arc vienne soutenir de sa prodigieuse aura le fils de Charles VI - est avant tout une histoire de famille.

Une histoire d'oncles, tout d'abord. Plus précisément, d'oncles paternels.

De ce côté-là, on trouve Louis d'Anjou dont le manque de parole avait contraint jadis le roi Jean II à retourner finir ses jours comme otage en Angleterre. Un personnage flamboyant et retors mais peu fiable et uniquement préoccupé de ses profits personnels.

Vient ensuite le duc de Berry, en demi-disgrâce il est vrai à la mort de son frère aîné mais qui revient aux affaires dès l'avènement du nouveau roi. Le malheureux Languedoc aura bien des raisons de le déplorer ...

Et puis, bien sûr, il y a le duc de Bourgogne, Philippe, qui doit son surnom de "le Hardi" au fait que, dans une célèbre bataille contre les Anglais, il se tint aux côté de son père, Jean le Bon et lui dit : "Père, gardez-vous à droite ! Père, gardez-vous à gauche ! ..."

Des trois, c'est ce personnage exceptionnel qui influencera le plus Charles VI.

Une histoire de frère ensuite.

Car Charles VI a un frère, Louis, duc d'Orléans. Avec lui et son titre - bien maigre à l'époque, surtout si on le compare aux riches apanages de ses oncles paternels - commence la longue saga qui fera presque systématiquement des porteurs de ce nom des ennemis et des comploteurs.

Les oncles passeront ce qu'il leur reste de leur vie à tenter - avec plus ou moins de succès - d'accaparer le pouvoir à leur seul avantage. Quant au frère - et bien que Françoise Autrand tente de minimiser ses responsabilités - il s'opposera si violemment à son cousin, Jean, fils de Philippe de Bourgogne, qu'il fera basculer celui-ci dans le camp des Anglais.

Philippe le Hardi, duc de Bourgogne - Il fut le maître d'oeuvre du mariage de Charles VI avec Elisabeth de Wittelsbach, dite Isabeau de Bavière.

Charles VI - Françoise Autrand. (I)

Le 5 août 1392, se nouait un drame qui allait amener au bord du gouffre le royaume de France. Ce jour-là, Sa Majesté Charles VI, fils aîné de Charles V dit "le Sage", père du futur Charles VII, le fameux "roi de Bourges" et grand-père de l'un de nos plus grands monarques, Louis XI, s'avançait avec son armée afin d'aller demander raison au duc de Bretagne de l'attentat perpétré par Pierre de Craon contre le connétable de France, Olivier de Clisson.

Ni le Roi, ni ses troupes ne dépasseront la forêt du Mans.

Ecoutons Michelet :

C'était le milieu de l'été, les jours brûlants, les lourdes chaleurs d'août. Le roi était enterré dans un habit de velours noir, la tête chargée d'un chaperon écarlate, aussi de velours. Les princes traînaient derrière sournoisement et le laissaient seul afin, disaient-ils, de lui faire moins de poussière. Seul, il traversait les ennuyeuses forêts du Maine, de méchants bois pauvres d'ombrages, les chaleurs étouffées des clairières, les mirages éblouissants du sable de midi.

Comme il traversait ainsi la forêt, un homme de mauvaise mine, sans autre vêtement qu'une cotte blanche, se jette tout à coup à la bride du cheval du roi, criant d'une voix terrible : "Arrête, noble roi, ne passe outre, tu es trahi !"

On lui fit lâcher la bride, mais on le laissa suivre le roi et crier une demi-heure.

Il était midi, et le roi sortait de la forêt pour entrer dans une plaine de sable où le soleil frappait d'aplomb. Tout le monde souffrait de la chaleur. Un pae qui portait la lance royale s'endormit sur son cheval, et la lance, tombant, alla frapper le casque que portait un autre page. A ce bruit d'acier, à cette lueur, le roi tressaille, tire l'épée, et, piquant des deux, il crie : "Sus, sus aux traîtres ! Ils veulent me livrer !" Il courait ainsi, l'épée nue, sur le duc d'Orléans. Le duc écahappa, mais le roi eut le temps de tuer quatre hommes avant qu'on pût l'arrêter. Il fallut attendre qu'il se fût lassé ; alors, l'un de ses chevaliers vint le saisir par derrière. On le désarma, on le descendit de cheval, on le coucha doucement par terre. Les yeux lui roulaient étrangement dans la tête, il ne reconnaissait personne et ne disait mot.

Charles VI finira par se remettre de cette première crise. Mais le Bal des Ardents, donné quelques mois plus tard à l'occasion du mariage de l'une des suivantes allemandes de la reine Isabeau de Bavière et où le roi parut déguisé en "homme sauvage", le fit à nouveau basculer.

Cette nuit-là, ordre avait pourtant été donné, par le roi en personne, de tenir les torches et les bougies soigneusement hors de portée des "hommes sauvages" dont les costumes étaient enduits de poix Louis, duc d'Orléans et frère du roi, qui avait pourtant donné le premier l'idée de cette mascarade, arriva en retard au bal et, sous prétexte de mieux voir les "hommes sauvages", fut aussi le seul à approcher d'eux une torche qui les embrasa immédiatement ...

Le drame de la forêt du Mans - Charles VI charge son frère, qui n'a que le temps de s'écarter.

- page 3 de 6 -