Le 27 août 1830 au matin, le valet de chambre venu réveiller Son Altesse Royale Louis-Henri, duc de Bourbon et dernier prince de Condé, trouvait le vieil homme pendu à l'espagnolette de la fenêtre de sa chambre, les pieds touchant terre. Le scandale fut énorme car on pensa d'abord au suicide.

... Mais pourquoi le vieux prince, qui avait eu le courage de survivre à l'assassinat de son fils unique, le duc d'Enghien, dans les fossés de Vincennes, sur l'ordre de Napoléon Ier, se serait-il suicidé à l'âge de soixante-quatorze ans, et après avoir paisiblement retiré de ses poches et déposé sur sa table de nuit tous ses menus objets personnels, tout à fait comme s'il comptait bien les rempocher le lendemain ? Sur le mouchoir du prince, on trouva un noeud qu'il avait fait vraisemblablement pour se rappeler quelque chose. Au reste, son confesseur affirma bien vite que "Monseigneur ne pouvait être tenu responsable de sa mort."

A l'extérieur, les langues allaient bon train, dans le peuple comme à la cour. La Monarchie de Juillet était toute neuve et Louis-Philippe avait eu beau accepter le trône en se proclamant humblement "roi des Français" et non plus "roi de France", il avait eu beau s'incliner devant le drapeau tricolore et affirmer qu'il n'y aurait aucun problème à ce qu'il demeurât celui de la France, il n'en était pas moins le fils du régicide Philippe-Egalité, le cousin de Louis XVI et le premier prince du sang qui, en aux sombres heures révolutionnaires, n'avait pas hésité à voter la mort du Roi.

De plus, Louis-Philippe et son épouse, Marie-Amélie - nièce de Marie-Antoinette et cousine de l'ex-impératrice des Français, Marie-Louise - n'avaient pas hésité à s'allier avec la maîtresse du prince de Condé, la baronne de Feuchères, afin que leur oncle rédigeât un testament en faveur de leur fils aîné, le duc d'Aumale. Bien entendu, la baronne n'était pas oubliée dans ce testament et devait percevoir la somme de 2 millions de francs et divers autres avantages au décès de son amant.

Très vite, le fameux "On" qui rôde dans tous les milieux et dans tous les siècles, décréta que la baronne de Feuchères avait assassiné le duc de Bourbon sur ordre de Louis-Philippe.

Dans de telles conditions, il devenait indispensable d'éclaircir l'affaire - ou de l'étouffer. Louis-Philippe choisit la seconde solution mais peut-être pas pour les motifs que lui prêtèrent ses contemporains.

La baronne de Feuchères était née simple fille de fermier, sur l'île de Whight. La jeune Sophie Dawes eut une enfance pauvre et, toute jeune fille, à la suite d'on ne sait trop quels avatars, se retrouva dans une maison close londonienne. Le duc de Bourbon, qui s'était exilé avec son père et son fils, lors de la Révolution de 1789, l'y rencontra et s'attacha à elle. Revenu en France, il l'y installa à ses côtés et, selon l'usage ancien, lui procura un mari de paille, le baron de Feuchères.

Pierre Cornut-Gentille a le mérite de ne pas trop charger la jeune femme, qu'il voit en personne de tête mais aussi en victime. Comme la majeure partie des historiens - comme certains contemporains, dont sans doute Louis-Philippe, qui connaissait bien son oncle - il pense que la mort du duc de Bourbon survint lors d'une stimulation sexuelle par pendaison, un jeu bien connu des adeptes du bondage et du sado-masochisme et qui doit être supervisé par un ou plusieurs "spécialistes" car celui qui s'y soumet y joue sa vie.

Par son métier, Sophie de Feuchères connaissait ses pratiques et, la libido de son amant en titre diminuant avec l'âge, sans doute y recourait-elle de plus en plus. Le dernier des Condé mourut donc par accident, à moins que Sophie, en accord ou pas avec Louis-Philippe, peut-être lassée par les exigences du prince, eût laissé passer la seconde fatidique où elle devait le libérer de la corde. Plus ou moins paniquée, elle monta alors, avec l'aide d'un complice, la scène du suicide.

Elle savait que, de toutes façons, personne n'avait intérêt à approfondir l'événement, les légitimistes parce que l'image du prince en fût sortie bien diminuée, les orléanistes par peur du scandale. Quant aux bonapartistes, ils ne possédaient plus la puissance qui leur eût permis de faire la lumière sur cette triste affaire.

Mesurée, solidement argumentée, la biographie de Pierre Cornut-Gentille se laisse lire sans passionner. Quand on la termine, on n'en sait en fait pas plus sur les sentiments réels ni sur les caractères des deux héros de cette tragédie. Mme de Feuchères et le duc de Bourbon baignent toujours autant dans une opacité qu'ils semblent avoir cultivée à plaisir, lui encore plus qu'elle. On perçoit cependant que la sympathie du biographe va certainement beaucoup plus à Sophie qu'à son amant - et le lecteur lui-même finit par comprendre à défaut d'excuser le comportement de la baronne. ;o)