Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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Histoire, Biographies & Documents.

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mercredi, juillet 21 2010

Il Etait Une Fois & Pour Toujours - Alison Lurie

Boys & Girls Forever Traduction : Emmanuelle Fletcher

Ce volume peut se lire comme un complément de "Ne Le Dites Pas Aux Grands." Lurie y a rassemblé les notes et les articles qu'elle n'avait pas réussi à placer dans le précédent ouvrage et c'est là également qu'elle étudie les quatre seuls cas européens qu'elle ait pris en compte : Hans-Christian Andersen, Carlo Collodi, Tove Jansson et Laurent de Brunhoff.

Au contraire de Moumine le Troll, création de la Finlandaise Tove Jansson, et de Babar l'Eléphant, imaginé par Jean de Brunhoff et repris par son fils, Laurent, l'oeuvre d'Andersen comme celle de Collodi affichent clairement les racines qu'elles plongent dans le monde adulte. Andersen lui-même était étonné de voir nombre de ses contes recommandés aux enfants. Quant à Collodi, l'intégralité de l'intrigue qu'il a imaginée, bien éloignée de l'ersatz (sympathique mais très édulcoré) mis en images par Walt Disney, s'apparente plus au roman noir teinté de fantastique qu'au conte pour enfants, fût-il du type "Barbe-Bleue." L'un des mérites d'Alison Lurie est non seulement de l'apprendre à ses lecteurs américains mais aussi de nous le rappeler, à nous autres, Européens.

Sinon, les auteurs anglo-saxons ont toujours la part belle dans ce second volume : Franck Baum, "papa" du Magicien d'Oz et de la petite Dorothy (ce que l'on ignore souvent, c'est qu'il n'y a pas une mais toute une foule d'aventures de Dorothy qui, toutes, se situent au Pays d'Oz), Louisa May Alcott et ses "Quatre Filles du Dr March", la "Boîte à Délices" de John Masefield, le Dr Seuss (Theodore Seuss Geisel, très connu aux USA), Salman Rushdie ("Haroun et la Mer Aux Histoires") et quelques autres encore.

Parmi eux, j'ai été assez surprise de découvrir Walter de La Mare, l'un des auteurs favoris de Lovecraft, auteur de nouvelles au fantastique subtil et d'un roman dont l'héroïne, Miss M., est une naine. Le chapitre que lui consacre Alison Lurie m'a laissée perplexe car elle non plus ne paraît guère convaincue.

Bien entendu, il est aussi fait mention ici d'un certain jeune sorcier nommé Harry Porter et de sa créatrice, J. K. Rowling. Bien que Lurie ait probablement fait paraître son livre avant la parution du quatrième tome, "Harry Potter et la Coupe de Feu", l'analyse qu'elle fait de la saga potterienne, opposée aux remugles bassement christianisés de Tolkien et de C. S. Lewis (auteur du "Monde de Narnia"), est remarquable de finesse - et de prescience.

Bref, un second volume indispensable pour tous ceux qui ont lu "Ne Le Dites Pas Aux Grands." ;o)

Ne Le Dites Pas Aux Grands - Alison Lurie

Don't Tell The Grown-Ups Traduction : Monique Chassagnol

Voici un essai de très grande qualité sur la littérature enfantine anglo-saxonne dont l'Européen continental ne connaît pas toujours les grands noms. Les quatre premiers chapitres traitent cependant du conte de fées et des histoires pour la jeunesse en général, ce qui explique les allusions aux frères Grimm et aux racines européennes de ces histoires que, avec le français Charles Perrault, ils furent parmi les premiers à rassembler.

Lurie saisit d'ailleurs l'occasion de nous rappeler que, à l'origine, beaucoup de ces contes comportaient ce que nous appellerions aujourd'hui des scènes gore et que personne ne semblait s'en émouvoir. (Sur ce plan, on pourra consulter de façon appréciable, mais sur un autre niveau, le très intéressant ouvrage de Bruno Bettelheim sur la psychanalyse appliquée aux contes de fées. Pour ses livres sur l'autisme, par contre, passez votre chemin. )

En effet, outre les marâtres qui, reines ou paysannes, finissent très mal parce que condamnées à cracher jusqu'à leur dernière heure crapauds venimeux, serpents, araignées et autres charmantes petites bêtes, on pense tout de suite à l'histoire si représentative de Hansel & Gretel, ces deux enfants qui - en état de légitime défense, certes - n'hésitent pas à pousser dans son four l'horrible sorcière-ogresse qui prétend les dévorer rôtis. Comme quoi, le monde de l'enfance et les récits qu'on s'y chuchote ont toujours fait montre d'une cruauté qui, hélas ! fait partie de la vie elle-même. Alison Lurie déplore d'ailleurs - et je partage son opinion - que, de nos jours, on tende à supprimer les fins atroces (mais très morales, somme toute) des contes de notre enfance sous le prétexte plus que douteux qu'il ne faut pas traumatiser les enfants.

Mais il y a plus étrange : ceux-là mêmes qui veulent à tous prix "protéger" les pauvres petits des horreurs prétendument distillées par les contes de fées ne semblent avoir aucun scrupule à les laisser béer devant n'importe quel programme télévisé ou jeu vidéo bien sanglant ... ;o)

A compter du cinquième chapitre, Lurie passe du général au particulier en évoquant les univers de Beatrix Potter, Frances Hodgson Bennett (créatrice du petit lord Fauntleroy et de bien d'autres petits héros), d'Edith Nesbit (auteur de la fin de l'ère victorienne qui fut la première, semble-t-il, en tous cas en Angleterre, à écrire sans condescendance pour les enfants), d'A. A. Milne (immortel auteur du non moins immortel Winnie l'Ourson), sans oublier James Barrie et son Peter Pan ainsi que le grand mais méconnu T. H. White, auteur d'une réécriture des chroniques arthuriennes à l'usage des enfants et des adolescents.

Lurie use d'un langage tout à fait accessible aux profanes, ne fait pas dans la pédanterie et nous fait partager sa passion pour un thème qu'elle maîtrise mais dont on regrette qu'elle ne puisse le traiter dans son intégralité. On rêverait par exemple de lire son avis sur la saga de Mary Poppins et à la vie de sa créatrice, Pamela L. Travers, ou bien encore nous confier ce qu'elle pense d'Enid Blyton et de ses séries "Mystère" et "Club des Cinq" à moins qu'elle ne préfère demeurer en terre américaine avec l'analyse des aventures de Nancy Drew-Alice Roy ou des Frères Hardy.

Mais enfin, tel qu'il est, "Ne Le Dites Pas Aux Grands" se révèle un ouvrage de tout premier ordre, à lire et à conserver. ;o)

lundi, juillet 19 2010

Le Jourde & Naulleau - Pierre Jourde & Eric Naulleau

Pour celles et ceux qui se plaignent de l'aridité de l'actuel paysage littéraire français, en tous cas tel que nous le révèlent les grandes maisons d'édition, ce "Précis de littérature du XXIème siècle", qui parodie avec verve le mythique "Lagarde & Michard" (en plusieurs volumes) de notre studieuse jeunesse, est incontournable.

Avec un sadisme et une allégresse que Voltaire ne renierait pas, Pierre Jourde et Eric Naulleau tirent à boulets rouges sur leurs têtes de turc favorites (essentiellement Christine Angot, BHL et Philippe Sollers) en leur adjoignant de nouvelles cibles, comme Philipe Labro, Patrick Besson, Anna Gavalda et Marc Lévy (entre autres).

"Répétitif", ont dit certains. "Réac'", en ont aboyé d'autres en montrant les dents (du moment qu'on s'attaque à la bien-pensance, en France et de nos jours, on est fatalement réactionnaire, c'est comme ça, tenez-vous-le pour dit. :crazy:) "Ah ! c'est facile, de se moquer !" a conclu le choeur des âmes généreuses (comme s'il y en avait au sein de ce qui s'autoproclame la "République" des Lettres.)

Mais dans ces conditions, pourquoi rit-on tellement en assistant à ces mises à mort où la gaieté le dispute à une cruauté bien réelle ?

Tout d'abord parce que Jourde et Naulleau ont du talent. De la première jusqu'à la dernière page, leur "Précis ..." en est bourré, serti dans une ironie dévastatrice de la plus belle eau et mis encore plus en valeur par une culture qui ne pourra que réveiller de doux souvenirs chez tout littéraire authentique.

Ensuite parce que l'écrasante majorité des auteurs cités arborent en public, et notamment sous la loupe grossissante des caméras de télévision, un "Moi" hypertrophié, la morgue insoutenable de la créature qui se croit d'élite sans l'être le moins du monde et l'incroyable condescendance du Monsieur ou de la Madame Je-Sais-Tout-J'Ai-Tout-Vu-Et-Vous-Etes-Des-Cloches. Ajoutez à cela que certains membres de ce noble aréopage se permettent d'enseigner ou d'avoir enseigné ... la littérature (consternant, n'est-ce pas ? ).

Enfin et surtout parce que, dans la culture de notre pays, la littérature, les livres et plus encore les romans relèvent du Sacré, de la Magie, de l'Intangible. Or, les auteurs (ou prétendus tels) abondamment cités par Jourde et Naulleau n'arrêtent pas de blasphémer. A la place de ce roman tant aimé, ils ont dressé cette idole infernale qu'ils nomment (pompeusement) "autofiction" et à laquelle ils ne sacrifient, sachez-le bien, que parce qu'il est beaucoup plus facile, quand on dispose d'un ego hyper-narcissique et de très peu d'imagination, d'écrire sur les frémissements de son nombril et les variations de son transit intestinal que d'imaginer une intrigue cohérente et passionnante, avec des personnages qui vous empoignent le coeur et ne le lâchent plus.

Alors, forcément, quand on voit tout ce beau monde, qui s'avance d'ordinaire sous la lumière des projecteurs à un train digne d'un chef d'Etat en visite protocolaire - quand on voit tout ce beau monde, disais-je, s'étaler dans la poussière du ridicule, quand on voit leurs énormes fautes de grammaire, leurs phrases "à la Duras", la tonne de clichés qu'ils offrent comme dialogue (ou monologue) à leurs personnages, l'allure de limande-sole des personnages en question (trois idées dans la tête mais pas plus : elle éclaterait), le tout saupoudré d'une auto-complaisance qui, en l'espèce, constitue le seul trait remarquable de leur oeuvre ...

... on rit. Parfois même aux éclats. Très souvent, l'envie irrésistible de faire partager sa joie est telle qu'on court chercher un ou plusieurs auditeurs et qu'on lui lit l'extrait du "Précis ..." qui a déclenché notre hilarité. On en arrive d'ailleurs à penser que Jourde et Naulleau devraient songer à une édition audio tout en regrettant que Pierre Desproges ou Claude Piéplu ne soient plus là pour nous la faire savourer dans sa plénitude.

Pour vous consoler, sachez que vous trouverez bientôt quelques extraits choisis de cet indispensable ouvrage dans notre rubrique adéquate. D'ici là, tâchez de vous le procurer : dans un siècle (et peut-être avant), "Le Précis de Littérature du XXIème Siècle", par Pierre Jourde & Eric Naulleau, vaudra beaucoup plus que l'édition la plus rare de Philippe Sollers, Madeleine Chapsal ou BHL. ;o)

samedi, juillet 17 2010

Hergé - Pierre Assouline ( II )

Non pas, il faut s'empresser de le dire, en raison des opinions religieuses ou politiques du personnage. Les premières ne regardaient que lui et il n'a jamais cherché à les imposer. Son héros d'ailleurs ne va pas à la messe ... ;o)

Quant aux secondes, contrairement à ce qu'on a pu affirmer, elles n'ont jamais été extrémistes. Scout catholique dans sa jeunesse, Georges Rémi fut logiquement amené à donner ses textes et ses dessins à un journal de droite ("Le Petit Vingtième") dirigé par un religieux à poigne, l'abbé Wallez. Même quand il conclut un contrat avec Casterman, il conserva de bons rapports avec l'abbé et après-guerre, lorsque ce dernier connut quelques problèmes pour avoir un peu trop affirmé son pangermanisme, Hergé refusa de l'accabler. Dans son esprit, Wallez lui avait mis le pied à l'étrier et une chose comme ça, ça ne s'oublie pas, surtout quand elle vous a permis d'atteindre à un succès européen.

Hergé eut d'autant plus de courage à l'époque que lui-même se trouvait en assez mauvaise posture. S'il n'avait jamais propagé les théories de l'Occupant, il avait travaillé pour "Le Soir", passé sous le contrôle allemand. C'est dans "Le Soir" que parurent en effet quelques unes des meilleures aventures de "Tintin", des aventures qui ignoraient la guerre et emmenaient le lecteur à la recherche du trésor de Rackham le Rouge après leur avoir soumis l'énigme de "La Licorne", le fier vaisseau du chevalier de Haddoque. Bref, à l'Epuration, Hergé faillit tout perdre et avant tout le droit de travailler.

Mais non, ce n'est pas cela qui choque dans cette biographie. Hergé s'est amplement expliqué sur la Seconde guerre mondiale et l'Occupation, il n'a jamais renié ceux qu'il tenait pour ses amis, il ne s'est pas renié lui-même. Au demeurant, pour ceux qui n'ont pas connu l'entre-deux-guerres et l'état d'esprit qui animait à l'époque aussi bien partisans du totalitarisme soviétique que partisans du totalitarisme fasciste, il n'est peut-être pas du meilleur goût d'épiloguer.

En revanche, on est en droit de ne pas adhérer à la façon qu'eut Hergé de refuser à ses collaborateurs (comme E. P. Jacobs ou Bob de Moor par exemple) le droit de co-signer les albums "Tintin." Certes, les Studios Hergé ont aidé quelques dessinateurs de renom à se former (outre Jacobs, inoubliable auteur de "La Marque Jaune" et du "Mystère de la Grande Pyramide", on citera Roger Leloup et sa "Yoko Tsuno") mais quand vint pour eux l'heure de prendre leur envol vers d'autres cieux, le Maître les regarda partir avec une sorte de jalousie qu'il cachait mal et qu'on comprend d'autant moins que le succès de Tintin ne s'est jamais démenti. Et surtout, contrairement au scrupuleux Franquin qui ne manquait jamais de le signaler ou encore à Michel Greg à la fin de sa participation effective aux albums d'Achille Talon, Hergé n'a jamais laissé indiquer au-dessus du cul-de-lampe de la seconde page un nom autre que le sien.

Cette mesquinerie - peut-on utiliser un autre terme ? - on la rencontre dans son rapport avec les femmes et aussi dans un très pénible événement qui se passa au temps où il était encore marié à sa première femme. Comme ils ne pouvaient avoir d'enfant, ils allèrent chercher une petite fille à l'Assistance publique. Mais l'enfant faisait trop de bruit et Hergé en vint très vite à ne plus la supporter. Alors, on ramena la petite à l'Assistance, ainsi qu'on l'aurait fait d'un objet sans âme.

Imagine-t-on ce qu'en aurait pensé et dit Tintin ? Tintin, si altruiste, si tourné vers l'Autre et si épris de justice ? ...

Certes, me fera-t-on observer, nul n'est parfait. Ce qui est rigoureusement vrai. Seulement, la mesquinerie est d'autant plus choquante qu'elle apparaît dans un grand créateur et, dans le cas d'Hergé, on peut écrire sans exagération d'un créateur de génie. Voilà pourquoi cette biographie, passionnante et passionnée, nous laisse avec un petit goût amer dans la bouche.

Mais finalement, peut-être Hergé partageait-il lui aussi cette amertume ? Avec un homme aussi secret, aussi introverti, qui saura jamais ? ... ;o)

Hergé - Pierre Assouline ( I )

Voici assurément l'une des biographies les plus complètes jamais produites sur Georges Rémi, dit Hergé, le père de Tintin. Même si son auteur manifeste évidemment de la sympathie pour son sujet, il évite de tomber dans l'hagiographie et n'hésite pas, bien au contraire, à pointer du doigt les défauts de l'homme derrière le créateur de génie.

Car Tintin et son univers en ligne claire, avec le capitaine Haddock anathémisant à tous vents, le Pr Tournesol toujours à côté de la plaque sauf s'il s'agit de construire une fusée destinée à alunir, Nestor, le majordome légué au capitaine par les anciens propriétaires de Moulinsart, la Castafiore, son grand air, ses caprices de diva et ses bijoux, le général Alcazar et son obsession révolutionnaire, Abdallah et son génie démoniaque pour les farces de très mauvais goût, sans oublier Séraphin Lampion, roi des casse-pieds belgicains et les Dupondt, champions incontestés du bafouillage et de la maladresse, en général, on les aime bien. Ils font partie de notre enfance et rouvrir les albums où ils se tiennent, toujours prêts à partir à l'aventure, c'est un peu rouvrir la boîte de nos meilleurs souvenirs.

Certes, il y aura toujours les champions efflanqués de la Bien-Pensance pour accuser Tintin et Milou de racisme, voir en l'infâme Rastapopoulos la preuve éclatante de leur antisémitisme (on notera que, en dépit de la consonance du patronyme, les Grecs n'ont pas encore intenté de procès à Hergé au prétexte de racisme anti-grec) et découvrir leur haine des Arabes dans l'intrigue de "Coke en Stock". Ce sont d'ailleurs les mêmes qui détournent la tête devant la prise de position pro-chinoise de Hergé dans "Le Lotus Bleu", devant sa haine des dictatures dans les albums où interviennent les pays bordure et syldave, ou encore devant son mépris railleur des dérives militaires dans les albums situés en Amérique du Sud (la fin de "Tintin et les Picaros", particulièrement cynique et désenchantée, est des plus révélatrices).

Mais mis à part pour cette poignée d'agités du bocal, on peut le dire et le répéter : Tintin et son petit monde ont droit de cité dans nos bibliothèques - et aussi dans nos coeurs.

Georges Rémi par contre, le lecteur moyen, si tintinanophile qu'il soit, a beaucoup plus de difficultés à le considérer avec bienveillance.

samedi, juin 26 2010

Feu Willy Avec & Sans Colette - François Caradec

Il s'appelait Henri Gauthier-Villars mais il préférait écrire "Henry". Des noms de plume, il en eut à revendre car il fut le maître d'oeuvre d'un véritable "atelier" d'écriture où des "nègres" aussi talentueux que Paul-Jean Toulet et Colette mirent en forme, pendant des années, les idées de romans, le plus souvent légers et très "Belle-Epoque", qu'il leur proposait. Deux de ces pseudonymes au moins sont passés à la postérité littéraire : "Willy", que l'on associe toujours à Colette, laquelle signa longtemps "Colette Willy", et "Maugis", personnage de papier celui-là, qui apparaît au moins dans deux "Claudine" ("Claudine à Paris" et surtout "Claudine s'en va") ainsi que dans "L'Ingénue libertine", remaniement des "Egarements de Minne." Pour les initiés, il subsiste également le pseudo "post-Colette", celui de "Robert Parville", qui succéda à Maugis comme alter ego de cet écrivain réel mais paresseux et désespérément tourné vers la gaieté, les bons mots et la superficialité d'une époque que fut Gauthier-Villars.

François Caradec lui consacre une biographie exigeante et affectueuse qui n'entend pas pour autant résoudre les mystères de l'homme. Il semble en effet prouvé que Willy - utilisons ce nom puisqu'il l'aimait tant - aima Colette et que celle-ci le lui rendit largement. Tout comme il est clair que, en dépit des terribles coups de griffes qu'ils échangèrent après leur séparation définitive, Colette, plus jeune, se révélant plus redoutable à ce petit jeu, aucun des deux ne cessa réellement de vouer une passion jalouse à celui qui l'avait quitté.

Car si Willy a existé sans Colette et si Colette a existé sans Willy, on ne peut évoquer l'un sans parler de l'autre. L'apothéose de leur destin personnel, c'est le couple qu'ils formèrent pendant de longues années. Un couple brillant, à la mode, toujours là où il fallait être vu, se répandant en bons mots et en rosseries, soignant sa publicité à coups de scandales, des petits, des moyens, des plus gros. De nos jours, on les dirait "people" et sans doute s'en féliciteraient-ils l'un comme l'autre.

Sous le masque se dissimulent deux écrivains. Le plus âgé, bon technicien et esprit beaucoup plus cultivé qu'il n'entendait paraître, apprit les ficelles du métier à la plus jeune, lui mettant le pied à un étrier qu'elle ne vida jamais au cours de sa chevauchée dans les lettres françaises - chevauchée qui fut longue et inégale. Car, sans Willy, y aurait-il eu une Colette ?

François Caradec ne nous apporte pas de réponse : au lecteur, en fonction des sentiments que lui inspire la romancière, de se faire sa propre opinion. Il observe simplement - et avec un regret que le lecteur partage - que, si Colette et Curnonsky (autre "nègre" de Willy) possèdent tous deux à Paris une rue qui porte leur nom, Willy, lui, n'a rien.

Sur cette note amère, adoucie par la citation de Colette qui disait : "Mais son nom est lié à un moment, à un cas de la littérature moderne, et au mien", se termine une biographie qui, sans sombrer dans une hagiographie qui aurait sans doute beaucoup amusé celui qui en était l'objet, nous restitue un Willy plus profond et plus sympathique que celui que les partisans de Colette - et Colette elle-même - ont tenté de faire passer à la postérité. ;o)

vendredi, juin 25 2010

Le Viol de Nankin - Iris Chang ( III)

Iris Chang divise son ouvrage en trois parties : le récit de l'invasion planifiée de la Chine orientale, et tout particulièrement de Nankin, du point de vue des Japonais de l'époque ; le Viol de Nankin vu par les Chinois qui survécurent ; le Viol de Nankin vu par les Occidentaux qui, contre vents et marées, s'entêtèrent à rester à Nankin pour tenter de préserver la population.

Parmi ceux-ci, Chang retient les destins d'un Allemand John Rabe, chef du parti nazi de Nankin, et de deux Américains, George Fitch, chirurgien qui ne cessa d'opérer et de soigner les victimes épouvantablement mutilées qui arrivaient dans son hôpital, et Minnie Vautrin, plus tard surnommée par ceux qu'elle avait aidés "la déesse de Nankin".

Tous officiaient dans ce que l'on appelait "la Zone de Sécurité", territoire interdit en principe aux soldats japonais mais qui dut cependant supporter bien des attaques, de jour comme de nuit, de la part de simples troupiers avides de femmes à violer comme de hauts gradés qui recherchaient eux aussi le sexe et le meurtre.

Que dire ici sur tous ces gens qui aimaient tellement la Chine et son peuple qu'ils risquèrent leur vie pour eux ? Simplement que Nankin ne les oublia jamais. Lorsque, après la guerre, les Nankinois apprirent que John Rabe, qui n'avait pas hésité à défendre leur cause auprès d'Hitler et avait, pour cela, basculé dans le collimateur de la Gestapo, était privé de tout pour cause de "dénazification", ils réunirent un maximum de fonds et expédièrent leur maire en Suisse où il se procura une foule de vivres qu'il fit remettre à Rabe et à sa famille.

Pourtant, en dépit de tous leurs efforts - tous, revenus dans leur pays, essayèrent de faire connaître les atrocités japonaises en diffusant notamment un film enregistré en partie par le Dr Fitch sur les horreurs dont ses malades étaient les bien fragiles rescapés - et encore aujourd'hui, en 2010, les atrocités commises par les militaires japonais, à Nankin mais aussi dans une grande partie de l'Asie, et cela avec très vraisemblablement l'aval d'Hiro-Hito, sont passées sous silence, voire complètement ignorées. En d'autres termes, l'Histoire enseignée en Occident (et au Japon) est une Histoire tronquée, qui ne tient pas compte des souffrances endurées par des victimes dont il faut rappeler le nombre : en huit ans, plus de trois millions de soldats et neuf millions de civils.

Faites vivre leur mémoire : lisez "Le Viol de Nankin" et faites-le lire. ;o)

Le Viol de Nankin - Iris Chang ( II )

Chiang Kaï-chek avait fait de Nankin la capitale de sa République nationaliste mais lorsque les Japonais arrivèrent en vue de la ville et qu'il devint évident qu'on ne parviendrait pas à les arrêter, les gouvernants prirent bien entendu le large. Chiang donna également l'ordre formel aux milliers de soldats qui restaient de se rendre à l'ennemi. Il escomptait sans doute que les Japonais prendraient en charge les prisonniers mais ce fut loin d'être le cas ...

Le Viol de Nankin fit entre 100 000 et 300 000 victimes. Parmi elles, il faut compter :

1) tout d'abord les soldats chinois qui furent rassemblés en un premier temps, puis séparés en plusieurs petits groupes et exécutés, souvent à la mitrailleuse, après avoir été forcés de creuser ce qui deviendrait leurs fosses communes ;

2) ensuite _les civils de sexe masculin, des vieillards aux petits garçons et aux bébés__, que les Japonais abattaient à vue dans les rues ou encore chez eux. Des concours de "décapitation" avaient lieu, dont je vous laisse découvrir par vous-même les circonstances exactes. Il en sera de même pour les tortures infligées ;

3) et enfin les civils de sexe féminin, là encore des vieilles femmes aux fillettes, qui furent violées de façon singulièrement atroce, souvent jusqu'à la mort. Très peu en réchappèrent et, parmi les rescapées, beaucoup se suicidèrent ...

4) A cela, on doit ajouter toutes celles qui furent emmenées comme "femmes de réconfort." Sur ce statut imaginé par les militaires japonais, vous en apprendrez un peu plus en lisant "Les Orchidées rouges de Shanghaï" de Juliette Morillot, une fiction certes mais qui a le mérite de s'intéresser à des faits trop souvent ignorés des Occidentaux, obnubilés par Hitler, les Nazis et les camps de concentration.

Signalons pour en terminer que les viols n'épargnèrent pas certains hommes et jeunes garçons.

Le Viol de Nankin - Iris Chang ( I )

__''++The Rape of Nanking : The Forgotten Holocaust of World War II Traduction : Corinne Marotte++''__

Passionné, douloureux, implacable, ce livre, signé par la petite-fille de Nankinois réfugiés aux USA par miracle, est absolument à lire par tous ceux qui, lassés de la vision réductrice que l'on donne et l'on redonne en Europe de ce que nous appelons la Seconde guerre mondiale, veulent en savoir plus sur la face asiatique de l'horreur qui s'abattit sur le monde à la fin des années trente. On le conseillera aussi aux autres, ne serait-ce que pour qu'ils puissent varier un peu leur sempiternel discours.

Pour la toute jeune République chinoise, dirigée, depuis 1930, par le chef du Kuomintang (ou "Parti nationaliste"), Chiang Kaï-chek, les hostilités avec le Japon, pays qui se posait comme le fédérateur d'une sorte de "Grande Asie" face à l 'Occident et surtout face aux Etats-Unis, avaient démarré, le 18 septembre 1931, lorsque l'armée impériale avait envahi la Mandchourie, terre natale de la dynastie Qing. Cette invasion n'était que le premier acte d'une tragédie qui allait ensanglanter une bonne partie de l'Asie, dont la Chine du Nord et de l'Est, jusqu'en 1945.

Pourtant, il est de tradition de placer le début de la Seconde guerre sino-japonaise le 7 juillet 1937, avec l'Incident du Pont Marco Polo (ou de Lugou) encore que le Japon n'ait déclaré officiellement la guerre à son voisin que le 7 décembre 1941, c'est-à-dire après l'attaque de Pearl Harbour. Mais peu importe la date retenue : ce qui est important, c'est que les Chinois, nationalistes ou communistes, vont résister avec rage à l'avance des troupes impériales et que ces dernières, convaincues par la propagande qu'elles n'auraient guère de mal à triompher de l'ennemi, vont en ressentir un tel dépit qu'elles arriveront à Nankin dans un état de frustration et de haine d'une rare intensité.

C'est cette explication que l'on donne en général non pour justifier mais pour expliquer les atrocités qui se déroulèrent à Nankin pendant six semaines à compter du 13 décembre 1937.

Histoire d'Angleterre - André Maurois

Un peu moins de quatre-cent-quatre-vingts pages pour retracer l'histoire de l'Angleterre, c'est un peu court, comme eût dir Cyrano. André Maurois y parvient tant bien que mal mais à quel prix ...

Certes, on ne peut dénier à ce livre de s'appuyer sur une documentation et des connaissances solidement assises. Mais à se vouloir résolument anglophile, l'auteur passe sous un pieux silence nombre de pages - pourtant décisives - du destin anglais.

En d'autres termes, ce livre, en outre fortement daté, est de parti pris.

Si l'on excepte la dent qu'il semble avoir conservé contre Edward III - fils d'Edward II et d'Isabelle de France, petit-fils de Philippe IV le Bel et prétendant au trône de France après la mort de Charles IV, en février 1328, sans héritier mâle, ce qui mettait ainsi fin à la branche des Capétiens directs - André Maurois ne voit, dans les monarques anglais, depuis les chefs bretons originels jusqu'à Sa Gracieuse Majesté Elizabeth II, que des gouvernants au mieux exceptionnels, au pire un peu trop statiques.

Il expédie en quelques paragraphes la figure, pourtant très controversée, d'Henry VIII, consacre trois lignes à peine à la Grande famine que traversa l'Irlande dans les années 1840 et pendant laquelle le gouvernement britannique préféra fermer les yeux sur la volonté génocidaire de la majeure partie des landlords,, s'extasie sur les bienfaits de l'Ere victorienne en oubliant de mentionner les horreurs sociales de l'époque et, sans se soucier du courage d'autres peuples, pris eux aussi dans le conflit mondial, entonne un Te Deum outrancier pour célébrer la courage anglais sous le Blitz. Et puis, bien entendu, rien, mais alors rien de négatif sur la colonisation anglaise ni sur la responsabilité britannique au Moyen-Orient.

En quelque sorte : "Sans l'Angleterre, point de salut."

Du coup - en tous cas aujourd'hui - Maurois obtient l'effet opposé à celui qu'il espérait : trop, c'est trop. Et pour un livre qui se veut livre d'Histoire, ça la f ... vraiment mal.

Cet ouvrage est donc à lire avec un recul indispensable. (Saluons en revanche les tableaux généalogiques par lesquels Maurois inaugure les divisions du livre : ils sont d'une rare clarté.) ;o)

mardi, avril 6 2010

Un Scandale d'Etat : l'Affaire Prince - Pierre Cornut-Gentille (III)

Avant toutes choses, je tiens à remercier les éditions Perrin qui, dans le cadre de l'opération Masse Critique de Babélio, ont mis gracieusement à disposition de certains lecteurs volontaires des exemplaires de cet ouvrage.

Ensuite, le mystère s'installe. Mais pas le silence et "l'affaire du Conseiller Prince" va prendre, dans la presse, la suite de l'affaire Stavisky dont elle constitue, pour beaucoup, un épilogue prévisible.

__Deux thèses s'affrontent - et continuent d'ailleurs à s'affronter de nos jours : celle des "suicidistes" et celle des partisans de l'assassinat politique.

Les premiers arguent que le conseiller était, somme toute, un homme complexe et émotif et que, se rendant compte de son "erreur" dans l'enquête de 1930, ce haut fonctionnaire modèle en aurait conçu un tel désespoir qu'il aurait préféré mettre fin à ses jours plutôt que de faire face à ses responsabilités. Néanmoins, pour éviter le déshonneur à sa famille, il aurait tout fait pour déguiser son suicide en crime. En attestent la présence, sur la voie ferrée où sera retrouvé son cadavre déchiqueté, d'un couteau Opinel ensanglanté et la cordelette qui lui enserrait les chevilles. On ne va pas jusqu'à prétendre que, redoutant un réflexe dû à l'instinct de conservation, Albert Prince__ s'est lui-même attaché aux rails mais ma foi, c'est tout comme ...

De l'autre côté, les partisans du meurtre trouvent tout cela bien invraisemblable et s'empressent de le réfuter. Justement, si le conseiller Prince était le fonctionnaire modèle dépeint par tous, il aurait eu à coeur de faire front. En outre, contrairement à ce qu'insinuent - sournoisement - les "suicidistes", il n'aurait eu aucune difficulté à monter un dossier qui accusait Pressard. Seulement, accuser Pressard, c'était se tourner à nouveau vers le monde des parlementaires, monde dans lequel Camille Chautemps n'était peut-être pas le plus impliqué dans les "protections" accordées à Stavisky. Pire : c'était se tourner vers le monde de la magistrature ...

Pour tenter d'éclairer l'affaire, Pierre Cornut-Gentille a demandé à un médecin-expert de se pencher sur les expertises faites à l'époque du drame. Que le lecteur garde ceci à l'esprit : jusque là, l'auteur du livre s'est montré assez critique envers tous les experts des années trente, marquant cependant une nette préférence pour la version, nous dirons "pro-suicidiste", des experts de la SNCF. En gros, ce qu'il nous a dit peut se résumer à ceci : avec les experts, on n'est jamais sûr de rien. Et combien d'affaires criminelles, pourtant bien plus récentes que l'affaire Prince, nous le prouvent encore aujourd'hui !

Et puis là, justement, paf ! Avec l'expertise du Pr Lecomte, le doute est levé ! Un vrai tour de magie !

J'en suis restée interloquée. D'autant que le raisonnement de Mme Lecomte, qui s'appuie sur des rapports d'expertises et non, bien entendu, sur une expertise "en chair et en os", si j'ose me permettre cette précision, s'avère, lui aussi, favorable au suicide.

Non, je n'ai pas été convaincue. Pas du tout. Pourtant, j'avais abordé ce livre parce que j'ignorais l'essentiel de cette affaire et sans a priori. Or, le livre de Pierre Cornut-Gentille - un auteur que, je tiens à le signaler, j'apprécie beaucoup, voyez d'ailleurs "La Baronne de Feuchères" sur ce même blog - me laisse dans une perplexité absolue et dans la certitude que, à moins de parvenir à faire revenir les morts (et il y en a eu beaucoup dans cette sombre histoire) parmi nous, on ne saura jamais avec certitude si le Conseiller Prince s'est suicidé ou a été assassiné.

Et assassiné d'une façon particulièrement lâche et odieuse puisque, dans cette hypothèse, on aurait anesthésié le malheureux dans l'espoir que le train de 19 h 36 faucherait son corps, couché sur les rails. Mais le train de 19 h 36 était un convoi de marchandises dont les roues, pour des raisons techniques, n'auraient pu toucher Albert Prince. Et celui-ci aurait commencé à se réveiller au moment même où fonçait sur lui le convoi de 20 h 44 ; en un sursaut compréhensible, il se serait redressé mais n'aurait pas eu le temps de se mettre à l'abri. Ce qui expliquerait pourquoi il semble acquis pour tous que le malheureux était, à l'instant fatal, en position semi-assise ...

Enfin, lisez "Un Scandale d'Etat" de Pierre Cornut-Gentille et, si vous voulez qu'on en discute, n'hésitez pas. ;o)

Un Scandale d'Etat : l'Affaire Prince - Pierre Cornut-Gentille (II)

Avant toutes choses, je tiens à remercier les éditions Perrin qui, dans le cadre de l'opération Masse Critique de Babélio, ont mis gracieusement à disposition de certains lecteurs volontaires des exemplaires de cet ouvrage.

Alors bien sûr, Stavisky mort, "Le Canard Enchaîné" titrant, avec son incorrigible sens de l'à-propos, "Stavisky se suicide par une balle tirée à 3 mètres de distance : ce que c'est, que d'avoir le bras long !" et tous les partis, de l'extrême-gauche à l'extrême-droite, se donnant pour une fois la main afin de conspuer les parlementaires radicaux au pouvoir et de faire chuter une fois de plus le gouvernement de la IIIème République, il est un peu normal que l'on s'empresse de remonter à la source de tous les silences, de tous les non-dits et de toutes les complaisances qui avaient permis à "Monsieur Alexandre" de mener grand train et de duper tout son monde.

Sur le chemin, on se heurte - entre autres - au ministère de la Justice et à l'enquête menée par le procureur Pressard, lequel a la malchance d'être aussi le beau-frère du président du Conseil, Camille Chautemps. Cette parenté est à elle seule suffisante pour que les grands tribuns de la presse de l'époque sonnent l'hallali et réclament la tête de Chautemps et de ceux qu'il est censé avoir protégés ou commandés.

Dès que la nouvelle de la mort de Stavisky est connue, dans l'après-midi du 8 janvier 1934, le premier président de la Cour d'Appel convoque Albert Prince dans son bureau./b Il y tombe nez à nez avec le procureur de la République, Georges Pressard, son ancien supérieur hiérarchique. Et, en dépit de l'affabilité du président Dreyfus, Prince comprend qu'on cherche à lui imputer, à lui et à lui seul, les cafouillages de l'enquête de 1930. L'attitude agressive de Pressard met le comble à son indignation et à ses angoisses, dont il ne parlera cependant qu'à la sortie du bureau de Dreyfus.__

A partir de là, il semble que le conseiller Prince ait tout mis en oeuvre pour retrouver tout ce qui pouvait plaider à sa décharge - en d'autres termes, tout ce qui pouvait charger Pressard. Quelques jours avant le mystérieux coup de fil qui lui demande de venir assister sa mère, hospitalisée à Dijon pour une occlusion intestinale, il dira les avoir enfin en main, tout prêts pour le rapport qu'il doit remettre, le 21 février, à Lescouvé, le premier président de la Cour de Cassassion, chargé par le ministre de la Justice de l'époque de diligenter l'enquête. Il les aurait emportés dans le train le menant à Dijon.

Un Scandale d'Etat : l'Affaire Prince - Pierre Cornut-Gentille (I)

Avant toutes choses, je tiens à remercier les éditions Perrin qui, dans le cadre de l'opération Masse Critique de Babélio, ont mis gracieusement à disposition de certains lecteurs volontaires des exemplaires de cet ouvrage.

Au matin du 20 février 1934, le cadavre d'Albert Prince, récemment nommé conseiller à la Cour d'Appel de Paris, est retrouvé sur une voie ferroviaire, non loin de Dijon, en un lieu poétiquement dénommé "la Combe-aux-Fées." Les rapports d'expertises - il y en aura deux séries, celle des experts judiciaires et celle des experts de la SNCF - se contrediront de toutes les manières sauf sur un point : bla locomotive peut être considérée comme le seul agent de la Mort.__

Un conseiller à la Cour d'Appel de Paris, voilà un cadavre assez encombrant. Surtout quand on découvre qu'Albert Prince avait, sous les ordres du procureur général Pressard, travaillé à l'enquête sur les agissements d'Alexandre Stavisky, le célèbre escroc qui s'était suicidé - ou avait été suicidé - un mois plus tôt, le 8 janvier.

L'enquête avait débuté en 1929, à l'initiative du ministre des Finances de l'époque, Henri Chéron, lequel avait demandé à son homologue de la Justice, Louis Barthou, de faire un maximum de lumière sur les agissements de la Compagnie foncière, dont le directeur n'était qu'un homme de paille de Stavisky. Stavisky, toujours suspecté, voire interpellé et mis en accusation (ce n'était pas la première fois qu'il montait une compagnie-bidon pour extorquer l'argent du contribuable fortuné et moins fortuné) mais jamais emprisonné et jamais jugé. Stavisky qui, murmurait-on depuis longtemps, savait se réserver les bonnes grâces des parlementaires ...

Au vrai, l'intervention d'Albert Prince dans cette enquête avait été assez modeste : il s'était contenté de parcourir, à la demande de Pressard, un rapport d'expertise relatif à la Compagnie foncière, rapport qui, selon lui, prouvait surtout que les infractions éventuelles ne relevaient pas du ministère de la Justice mais du ministère du Travail. Arriva ensuite sur son bureau le rapport Gripois, rédigé celui-là par un inspecteur des Finances, mais dont on ne peut prouver avec certitude que Prince le laissa sans suite sur ordre ou par négligence. Cependant, compte tenu du sérieux du conseiller Prince, cette dernière hypothèse paraît sujette à caution. Cornut-Gentille ne la soutient pas d'ailleurs - cf. p. 44.

Mais une chose est sûre : traité comme il se devait par le ministère de la Justice, le rapport Gripois aurait pu freiner les activités de Stavisky, et ce dès mars 1930.

samedi, mars 7 2009

Dictionnaire de Lascaux - Brigitte & Gilles Delluc

Découverte tout à fait par hasard, le 12 septembre 1940, par quatre adolescents qui recherchaient le chien de l'un d'entre eux, la grotte de Lascaux date probablement non pas du Magdalénien ancien, comme on l'a longtemps cru, mais du Solutréen, qui lui est antérieur. C'est-à-dire que nous remontons à 22 000-17 000 avant notre ère, période extrêmement froide et sèche pour notre planète, connue aussi sous le nom de Dernier Maximum Glaciaire.

On ne pense pas que la grotte ait jamais servi d'habitation. Les allées et venues de l'homme dans ses salles semblent avoir été dictées uniquement par ce qu'il pouvait représenter sur ses parois, à des fins sans doute religieuses.

Et des représentations, il y en a ! A un point tel que Lascaux est parfois surnommée "la Chapelle Sixtine de l'Art pariétal." (Quelques uns parmi les noms donnés aux salles qui la constituent font eux aussi référence à l'architecture religieuse.)

La grotte s'ouvre sur la "Salle des Taureaux", appelée également "Rotonde", ainsi nommée en raison des aurochs qui la décorent et dont vous trouverez les descriptions à l'entrée "Taureau" de ce merveilleux dictionnaire, que Brigitte et Gilles Delluc ont eu l'excellente idée de réaliser en un langage simple, dépouillé de tout jargon spécifique interdit au profane. Leur mérite est d'autant plus grand qu'ils sont eux-mêmes docteurs en Préhistoire.

Après la "Salle des Taureaux", vient le "Diverticule axial", espèce de galerie se terminant en cul-de-sac et qui contient le fameux Cheval renversé, et, à droite du "Diverticule axial", se trouve le "Passage", autre galerie celle-là d'une quinzaine de mètres qui débouche sur la "Nef", couloir élevé d'une vingtaine de mètres. C'est à l'entrée de cette "Nef" que se situait jadis une empreinte de main prise dans l'argile et qui, malheureusement, a disparu avec le temps, suite aux difficultés de conservation du site qui a été finalement fermé au grand public par André Malraux, en 1963.

La "Nef" se poursuit par une partie non décorée (apparemment, les parois ne s'y prêtaient pas) et par le "Diverticule des Félins", long d'une vingtaine de mètres environ.

A la jonction entre le "Passage" et la "Nef", se tient l'"Abside" avec le "Puits" , tout au fond.

Dans leur "Dictionnaire ...", Brigitte & Gilles Delluc passent tout cela au crible de leur savoir et de leur mémoire - car ils étudient Lascaux depuis 1975. Avec plus de six-cents entrées, enrichies d'autant de photographies et schémas et d'une bibliographie de quatre-cents titres, leur livre est un régal d'autant plus appréciable que, nous insistons sur ce point, il sait se mettre à la portée du profane. Une fois qu'on l'a achevé, on n'a plus qu'une idée : visiter les fac-similés réalisés de la grotte originelle.

En mettant à la disposition du grand public et en explicitant pour celui-ci toutes les merveilles artistiques de Lascaux, ce "Dictionnaire ..." a aussi le mérite d'attirer l'attention sur la nécessité absolue de protéger au maximum un site classé au patrimoine mondial de l'Humanité mais dont, en dépit des efforts fournis et parfois à cause d'eux, l'état de santé continue à se dégrader. ;o)

vendredi, mars 6 2009

Boni de Castellane - Eric Mension-Rigau

Ceux qui se rappellent leurs cours d'Histoire sont sans doute toujours à même de répondre à la question fameuse : "Quel phénomène fut à l'origine du déclin de la noblesse en France ?"

Evidemment, les réponses risquent d'être assez nombreuses. Certains répondront par exemple, en un choeur unanime : "Louis XIV !", assimilant ainsi le Roi-Soleil - dont les mânes en seront certainement flattées - à l'une de ces manifestations plus ou moins mystérieuses qui ont eu raison des dinosaures. D'autres, remontant légèrement dans le Temps, accuseront le cardinal de Richelieu. Les plus naïfs en tiendront la Révolution de 1789 et Robespierre pour seuls responsables tandis que les plus obtus (et les plus sournois) dénonceront les Francs-Maçons. Quant aux pragmatiques, ils évoqueront tout simplement la Grande guerre, ce gigantesque point final apposé à l'épopée de tout un monde.

Or, à l'exception de celle relative à la franc-maçonnerie, toutes ces thèses se défendent et ont, de fait, contribué à la déchéance de l'aristocratie dans notre pays. Richelieu, oeuvrant pour Louis XIII, a posé les bases de ce pouvoir absolu dont Louis XIV allait si bien user, assignant les nobles à l'oisiveté dorée de Versailles, de laquelle ils ne sortaient que pour aller au combat, et toujours dans l'ombre terrible et consumante du Soleil. S'avançant après les Lumières du XVIIIème et plus innocente qu'on ne le croit, la Révolution s'est bornée à faire le ménage dans cette classe sociale qui, déjà mais sans en avoir conscience, n'avait plus aucune raison de survivre à la modernité en marche, et la Grande guerre, en remettant pour longtemps les clefs de l'équilibre mondial aux Etats-Unis d'Amérique, n'a fait, en somme, qu'enterrer les derniers cadavres d'un ordre depuis longtemps zombifié.

Cependant, la cause véritable du déclin et de l'agonie de la noblesse, c'est avant tout la perte absolue de ses valeurs premières : valeurs guerrières mais aussi valeurs politiques vouées au service d'un suzerain, d'un royaume, d'un dieu et d'un certain idéal de vie. En y renonçant, l'aristocratie se condamnait, à plus ou moins long terme.

Minutieuse, se perdant parfois dans des préciosités qui conviennent à l'objet de son étude, un peu trop hagiographique à mon goût et pas assez critique, la biographie consacrée par Eric Mension-Rigau à Marie-Ernest-Paul-Boniface, comte de Castellane-Novejean, dit Boni de Castellane - le dernier sans doute des dandies de la IIIème République - n'affirme pas autre chose.

Né dans une antique famille dont le dernier comte-souverain avait affronté ni plus ni moins que Charles d'Anjou, propre frère de Louis IX (alias Saint Louis), pour la possession de la Provence, Boni avait pour grand-mère paternelle Pauline de Talleyrand-Périgord, que la rumeur publique disait fille non d'Edmond, duc de Talleyrand et duc de Dino, mais plutôt de l'oncle de celui-ci, le fameux Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, ex-évêque d'Autun, ambassadeur de la Première république française, puis ministre sous le Directoire et l'Empire avant de redevenir ambassadeur sous les deux Restaurations et la Monarchie de Juillet, l'indéboulonnable "Diable Boiteux" dont la trahison inspira à Napoléon Ier un mot aussi grossier que lapidaire.

C'est dire que Boni de Castellane avait ses entrées dans le monde particulier du Faubourg Saint-Germain. Son mariage avec Anna Gould, héritière du richissime financier américain Jay Gould, ne devait pas les lui fermer, bien au contraire : depuis longtemps déjà, les représentants de la noblesse avaient appris à survivre en vendant leurs quartiers.

Quand Anna, dont la fortune avait été largement entamée par son dispendieux époux, finit par demander le divorce, Boni se décida à "travailler", négociant cette fois-ci son goût, qui était infini et de bon ton, pour orner les châteaux et les hôtels particuliers de ses relations.

En dépit de l'activité diplomatique de Boni et de son intérêt pour la politique, c'est là une vie bien superficielle pour le descendant d'une si fière lignée, un personnage qui, par ses excès et son sens de la mise en scène, préfigure en un sens la "peoplisation" à tous vents si chère à notre société schizophrène.

Par un certain panache qu'on ne peut lui dénier, Boni de Castellane méritait un petit salut. Maintenant, son destin anémié méritait-il une si longue biographie, c'est une autre histoire. ;o)

dimanche, septembre 28 2008

Walt Disney - Marc Eliot

Walt Disney, Hollywood's Dark Prince Traduction : Philippe Loubat-Delranc, Yves Sarda & Jean-Luc Piningre

Ainsi que l'indique son titre, "Le Prince Noir de Hollywood" - inexactement rendu en français par "La Face cachée du Prince de Hollywood" - cette biographie de Walt Disney n'a pas reçu l'aval de ses héritiers. Elle n'a pourtant rien de bien scandaleux même si elle insiste très lourdement sur l'anti-judaïsme du personnage et sur sa haine des communistes.

Elle soulève également quelques points plus intéressants. Dont les doutes que le créateur de "Blanche Neige" aurait conservés toute sa vie sur ses véritables origines. L'auteur affirme que, si le jeune Walter était bien le fils d'Elias Disney, sa mère n'était autre qu'une Espagnole qui, par la suite, lui servit de gouvernante./b Je ne sais si la traduction est ici en cause mais la façon dont Eliot présente la chose paraît on ne peut plus rocambolesque, trop pour convaincre le lecteur et pas assez pour l'empêcher de rêver.

Seul fait certain : Walt Disney eut une enfance rien moins qu'heureuse, auprès d'un père particulièrement brutal. Petit garçon sensible et imaginatif, Walt s'évadait comme il pouvait, en dessinant. La religion unitarienne, à laquelle appartenait la famille, l'influença aussi durablement dans sa sexualité. Sur ce plan, il se montra toujours très discret - et les commères de Hollywood, Parsons & Hopper, avec lesquelles il eut toujours de bonnes relations, ont peut-être protégé cet homme avec qui elles partageaient les mêmes réseaux d'influence politique.

Autre certitude : contrairement à ce que Disney affirma toute sa vie, c'est bien le colérique et bouillant Donald Duck qui pouvait prétendre à lui servir d'alter ego, et non le doux et propret Mickey. La célébrissime souris fut d'ailleurs imaginée non par Disney - là aussi, la légende a du plomb dans l'aile - mais par son dessinateur et associé, Ub Iwerks. Ce dernier, inutile de le préciser, ne toucha jamais aucun droit sur sa création et finit par quitter l'usine Disney.

Walt Disney, un mauvais patron ? Analyse trop simple. Il était tout à la fois exécrable et charmant. Quand il planchait sur l'idée d'un film, quand il se mettait à "raconter" l'histoire, mimant chaque geste, donnant chaque intonation, jouant le jeu jusqu'au bout, ses employés étaient sous le charme. Quand il grappillait sur les salaires et parlait de mettre à la porte tous ceux qui tenteraient de rejoindre la Guilde des Cartoonistes, c'était évidemment une autre affaire ...

La biographie d'Eliot se lit bien mais elle laisse le lecteur sur sa faim. Il en sort en effet avec l'impression que l'auteur, aussi puritain que son modèle, s'empresse de grossir certains traits pour qu'on évite d'approfondir d'autres réflexions, d'autres détails. Ainsi, l'anti-judaïsme de Disney et ses convictions républicaines ne peuvent apparaître comme un scoop fabuleux à ceux qui s'intéressent à l'Histoire du cinéma américain. Plus étonnantes sont - entre autres - les semi-confidences sur la vie de recluse qu'aimait à mener l'épouse de Disney ou encore le rapport entre la sexualité de Disney et les "débordements" de Donald dans "Les Trois Caballeros."

Mais autant Eliot se montre prodigue de documents et d'explications quand il est question du FBI et des opinions politiques de Disney, autant il ne fait qu'effleurer la vie affective et sentimentale du personnage. Les précautions qu'il affiche pour amener le lecteur à faire le rapport entre la relation mère-fils chez les Disney d'une part et, d'autre part, la sexualité inhibée (à connotation homosexuelle ?) de leur célèbre rejeton sont même proprement risibles.

A lire donc comme une curiosité et faute de mieux en attendant LA biographie à la vraie mesure de Walt Disney, l'homme et l'artiste. ;o)

vendredi, août 1 2008

Derrick & Moi : Mes Deux Vies - Horst Tappert

Derrick und Ich : Meine zwei Leben Traduction : Isabelle Hausser-Duclos

Le nom de Horst Tappert vous est peut-être inconnu mais son visage, certainement pas. Respecté ou brocardé, il reste en effet celui de l'Inspecteur Derrick, héros d'une série télévisée allemande qui reste emblématique des années 1980 même si elle a débuté très précisément en 1974.

Son autobiographie se présente en deux grandes parties, "avant" et "après" Derrick. Car, avec Derrick, Tappert a fait prendre à sa carrière d'acteur de théâtre une voie définitive dont il ne se doutait pas qu'elle deviendrait la sienne le jour où il signa son contrat.

La série s'étale en effet sur près de trois-cents épisodes (deux-cent-quatre-vingt très précisément), à savoir vingt-quatre années de tournage. Très vite, elle s'est imposée, non seulement en Allemagne mais aussi dans notre pays, non seulement en raison de la qualité de ses enquêtes mais aussi - mais surtout, est-on tenté d'écrire - en raison de son atmosphère et du désir affiché par l'auteur des scénarii (le romancier Herbert Reinecker, qui créa le personnage de Derrick) de coller un maximum à la société et aux préoccupations de l'époque.

De fait, avec le recul des années et pour peu qu'on accepte de réfléchir par soi-même au lieu de laisser les autres vous imposer leur mode de pensée, on est bien obligé de constater l'incroyable richesse de la série. Tous les milieux y sont représentés, le manichéisme n'y est pas de mise, les personnages (y compris les assassins) sont très souvent complexes et, par là-même, très proches de nous et à peu près tous les thèmes propres aux intrigues policières, classiques ou non, sont abordés.

Evidemment, on a reproché à "Derrick" son absence de folles poursuites à l'américaine - d'ailleurs, ceux qui le lui ont reproché de la manière la plus agressive sont les mêmes qui reprochent aux séries made in USA leur naïveté, leur abus de poursuites et de bagarres et leur amour de la violence. On a aussi beaucoup reproché à Horst Tappert un jeu extrêmement sobre, voire minimaliste - en parallèle, on raillait ses airs de "chien aux yeux battus" sans songer un seul instant que des traits aussi singuliers limitent toujours les expressions.* Enfin, on a reproché à la série d'être regardée par les papies et les mammies dans les maisons de retraite - preuve évidente, aux yeux des moutons de Panurge qui peuplent notre pays, de sa ringardise.

En vain : trente-huit ans après sa naissance, "Derrick" se porte bien et se laisse revoir ou découvrir avec plaisir.

Pour en savoir un peu plus sur lui et sur le comédien qui lui a prêté ses traits et son jeu (et qui est loin d'être un idiot, croyez-moi), lisez cette courte autobiographie, l'une des rares que j'aie lues et qui ne soit pas bêtement auto-satisfaite. ;o)

  • : Bogart avait, lui aussi, le même genre de regard. Si grand acteur qu'il fût, la chose le limitait aussi ...

mercredi, juillet 30 2008

Maman, Je Vous Ecris ... - Jean-Marie Montali & Anne de Marnhac

"Maman" est, paraît-il, le mot auquel nous revenons tous lorsque vient notre dernière heure. Il n'est pas pourtant, peu s'en faut, le premier qu'un bébé prononce (en général, c'est "Non"' et puis "Papa", plus simples dans leur consonance). En tous cas, quand on est dans les ennuis jusqu'au cou et si on a eu la chance d'avoir une mère digne de ce nom, c'est en général vers celle-ci que l'on se tourne, dans l'espoir d'être consolé, pardonné, soutenu, aimé. Tous les psys du monde n'y pourront rien : eux-mêmes, au plus profond de leur intimité, sont tributaires de ce sentiment qui nous ramène à cette heure chaude et douce où, flottant dans une piscine privée et idéale, nous n'avions nul autre souci que de prêter notre oreille alors naissante à certains bruits bien mystérieux qui nous parvenaient de l'extérieur, cet Extérieur si lointain où, nous le pressentions déjà, plus jamais nous ne connaîtrions la sécurité.

Ce sont ces sentiments qui ont inspiré ce très beau livre de Jean-Marie Montali et Anne de Marnhac, publié chez La Martinière.

S'y trouvent rassemblées plus d'une centaine de lettres émanant de personnalités de la littérature (Flaubert, Cocteau, Léautaud, Faulkner, Proust, etc ...), de l'Art (Van Gogh, Mozart, Berlioz, etc ...), de la politique (De Gaulle, Bonaparte, Staline, etc ...) et enfin du quotidien (de nombreux anonymes des dernières guerres ...). Toutes adressées à leur mère. Leur mère réelle ou leur mère rêvée (pour Léautaud ou pour Simenon par exemple).

Comment résumer de tels textes ? La chose est impossible. Certains sont vifs et alertes, d'autres tendres et attentionnés. Dans beaucoup d'entre eux, se dessine le profil du petit garçon qui roulait des mécaniques devant sa mère et qui éprouve toujours et encore le besoin de l'éblouir par ses prouesses tout en lui faisant comprendre que, sous la brillante armure, survit - encore et toujours - le petit enfant qui avait peur dans le noir et qui aimait que sa mère le câline pour le consoler. La lettre, assez courte, que Staline signe pour sa mère de son diminutif, "Sosso", en est un exemple typique.

Parmi toutes ces lettres et extraits de lettres, les documents les plus émouvants (pour moi en tous cas) restent les lettres de Paul Léautaud à sa mère où l'écrivain révèle une soif d'amour telle qu'il serait prêt à tout endurer de la part de celle à qui il s'adresse pour en obtenir la plus minuscule des miettes ; celle - sublime de tendresse et de lucidité - de Georges Simenon à sa mère décédée ; celles, bourrées de tendresse, de timidité et du désir presque insoutenable de bien faire à tous prix, de Colette de Jouvenel à la grande Colette ; et bien sûr celles de tous ces hommes, de tous bords, de toutes époques, qui sont partis se faire tuer en suppliant leur mère de ne pas avoir de peine quand elle l'apprendrait.

Seul bémol : il y a très peu de lettres de femmes dans ce livre : Mme de Staël, George Sand, quelques autres ... Mais les femmes n'ont pas, c'est vrai, le même rapport avec la Mère. Les auteurs ont par contre exposé les réponses de Colette à sa fille et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elles sont édifiantes ... (!!)

Un livre rare, fort beau de surcroît, dont on peut déguster les innombrables friandises dont il déborde soit de manière chronologique, soit en les picorant de-ci, de-là, au gré de l'humeur du jour. ;o)

vendredi, juillet 18 2008

Histoire du Roman Populaire en France - Yves Olivier-Martin

Cet ouvrage, qu'il faudra compléter en se procurant un solide dictionnaire des auteurs de romans-feuilletons et romans populaires en France, réveillera une foule de souvenirs chez les passionnés de bouquineries. Les romans évoqués ici, on ne les trouve en effet que là ou sur des sites spécialisés : de nos jours hélas ! le roman populaire n'a plus la cote.

Evidemment, il y a les collections Harlequin mais quel rapport avec le roman populaire ?

Car le roman populaire, dont certaines racines puisent à la "Pamela" et à la "Clarissa" de Richardson, est, n'en déplaise à certains snobs, un art à part entière. Ne fait pas du roman populaire qui veut : même dans ce que l'on s'entête à considérer comme un sous-genre, il y a les obscurs, les sans-grades, les besogneux et puis les grands, les illustres et même les visionnaires. Les premiers, on les oublie ou alors on en rit, les seconds ont laissé dans la Littérature à majuscule des types et même des archétypes.

Archétype en effet qu'Arsène Lupin ou Fantomas. Archétype encore que le Bossu et ses deux compères, Cocardasse & Passepoil. Archétype inégalé enfin que Rocambole (qui faillit s'orthographier avec deux "l"). Et Delly ? Même lorsqu'il tirait sur sa fin, le roman populaire se débrouilla pour, sous cette signature, remettre au goût du jour des archétypes recensés pour la première fois par Perrault et les frères Grimm.

Le roman populaire est mystère et grâce. Certes, avec ses tirades ronflantes, avec ses bons sentiments qui larmoient pour attendrir Margot, avec ses situations convenues et les tics d'écriture de ses rédacteurs, qui tiraient à la ligne parce qu'ils écrivaient tout d'abord pour les journaux, il prête à rire et à sourire. Mais il suffit de dépasser le stade où l'on se sent un peu ridicule parce qu'on s'intéresse à lui pour saisir toutes les complexités qui l'unissent au tissu social (Eugène Sue, Daniel Lesueu) et politique (Ponson du Terrail, Charles Mérouvel).

Yves Olivier-Martin nous dresse un panorama complet de ce parent pauvre et décrié de la Littérature, de 1840 à 1980. Il nous raconte Paul de Kock (qui "ravissait" la Claudine de Colette et Willy), les critiques dont Karl Marx accablait le "roman social" d'Eugène Sue, les "grandes machines" de Ponson du Terrail, la manie qu'avait Decourcelle de placer plusieurs nègres sur une seule histoire, envoyant parfois jusqu'à trois versions d'une seule intrigue au directeur de journal qui n'en attendait qu'une, les accents cocardiers des romans de propagande qui fleurirent après 1870, l'érotisme discret mais non dépourvu de souffre qui nimbe l'essentiel de Delly et les grands tirages d'un Guy des Cars.

De temps en temps, un gros plan sur des francs-tireurs, des exceptions tels Frédéric Soulié dont on lit encore avec plaisir ses "Mémoires du Diable", fortement teintés de fantastique, ou Eugène Chavette, fils du restaurateur Vachette, dont les romans possèdent à la fois le style et la construction.

Bref, un livre passionnant qui pousse le lecteur à se faire son propre avis sur le roman populaire, sans tenir compte des opinions snobinardes et/ou intellos. ;o)

Autobiographie d'une Esclave - Hannah Crafts

The Bondwoman's narrative Edition établie, annotée et préfacée par Henry Louis Gates Jr Traduction : Isabelle Maillet

Cette autobiographie romancée est surtout remarquable par le fait que, selon les enquêtes effectuées, elle constituerait le premier document rédigé par une Noire avant la Guerre civile américaine. En effet, jusqu'aux années 1860, il y eut, bien entendu, des écrits (fictionnels ou non) rédigés par des Blancs oeuvrant en tant que Blancs ou se faisant passer pour Noirs, des textes pro-abolitionnistes comme pro-esclavagistes. Mais il semble bien que, jusque là, aucun Noir n'avait pris la plume pour raconter l'esclavage.

Les obstacles, on s'en doute, étaient évidemment légion pour le malheureux homme de couleur qui y aurait songé. Mais assez curieusement, ce n'est pas l'illettrisme et l'ignorance qui, selon Henry Gates, sont ici à mettre en cause : le fait qu'un Noir put exprimer tout simplement son opinion personnelle sur l'esclavage ne venait à l'esprit de personne, pas même dans le Nord abolitionniste.

Le manuscrit d'Hannah Crafts fut redécouvert au XXème siècle, lors d'une vente aux enchères spécialisée. Il se présente comme un hybride mêlant allègrement ce que nous appelons le roman populaire à une part autobiographique et à la fascination, très XIXème, pour les histoires gothiques.

Hannah Crafts - appelons ainsi cette femme dont nous ignorerons toujours l'identité réelle - était certainement une ancienne esclave qui, après mille avatars, était parvenue à s'enfuir dans le Nord et à s'y faire une vie libre. Enfant curieuse et douée, elle avait appris à lire et à écrire un anglo-américain tout ce qu'il y a de plus honorable, que renforce et égaie çà et là un sentiment poétique inné. Les prêches constituant à l'époque la seule ressource de l'esclave, les citations bibliques abondent - un peu trop - surtout en début de chapitre, de même que les sentences habituelles sur la sagesse divine.

Voilà pour le style. Côté intrigue et péripéties, Hannah Crafts a certainement lu pas mal de romans, des bons et des moins bons mais, comme elle réfléchissait à ce qu'elle lisait et possédait une grande sensibilité, elle a su en retirer la leçon. Elle a dû beaucoup apprécier Dickens et les grands romans gothiques à la Brontë et ce penchant lui a permis de développer une technique narrative qui, malgré quelques coups de théâtre, respecte la logique de la vie.

Les portraits qu'elle fait, des Blancs comme des Noirs, sont très vivants et pleins de ces petits détails qui "font" le personnage. Elle rappelle notamment que, parmi les Noirs eux-mêmes, une ségrégation puissante existait entre les esclaves des champs et les esclaves de maison, entre ceux qui avaient le teint vraiment sombre et ceux qui l'avaient plus clair. Avec un naturel qui, compte tenu des influences religieuses qu'elle a certainement subies, surprend assez, elle n'hésite pas à évoquer le douloureux problème de la sexualité entre maîtres et esclaves. Et l'on devine alors la femme de tête qu'elle fut sûrement, dans sa quête éperdue de dignité et de liberté, une femme forte et qui, tout en gardant sa foi dans un paradis céleste, a dû penser bien souvent : "Aide-toi, le Ciel t'aidera ..."

Le manuscrit fut-il remanié ? ... Voilà une autre énigme. Gates affirme ne pas y avoir touché et on peut le croire. Mais avant lui ? ... Les portraits des planteurs sont plutôt convenus et les abolitionnistes sont pour ainsi dire des anges. Enfin, l'un dans l'autre, cette "Autobiographie d'une esclave", si romancée qu'elle soit - un peu trop pour mon goût - se laisse lire et, surtout, incite à vouloir en savoir plus sur la scission entre le Sud et le Nord des Etats-Unis. ;o)

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