The Minds of Billy Milligan Traduction : Jean-Pierre Carasso

Le 26 octobre 1977, à 9 heures du soir, une escouade de policiers fait irruption au domicile de William Stanley Milligan, 5673, Old Livingstone Avenue,à Reynoldsburgh, dans l'Ohio. Motif de l'arrestation : vol et viol sur au moins deux femmes. Milligan, un jeune homme qui paraît complètement à côté de la plaque bien qu'il n'ait apparemment consommé aucune substance illicite ou pas, non seulement nie les faits mais en plus affirme ne rien se rappeler. Très vite, les enquêteurs appelés à se pencher sur son cas vont se rendre compte qu'ils sont en présence d'un criminel vraiment très, très bizarre.

A ce jour et bien que l'abrutissement administratif le maintienne enfermé dans une prison non médicalisée, Billy Milligan représente un cas tout à fait singulier dans les annales criminelles des USA - et peut-être de la planète. Daniel Keyes, par ailleurs auteur du superbe "Des fleurs pour Algernon", s'est penché sur lui et nous relate ici, en quatre-cent-soixante pages, non seulement ses doutes et ses étonnements personnels mais aussi le long et terrible cheminement intérieur de Billy Milligan.

A ce jour, vingt-quatre "personnalités" ont été recensées, animant le corps de Billy au mieux de ses intérêts. Parmi elles, trois sont féminines : Christine, fixée à l'âge de 3 ans, et Aladama et April, fixées toutes deux à l'âge de 19 ans. Toutes les autres sont masculines et leur âge de fixation va de 4 à 26 ans. Toujours sur l'ensemble, seules dix d'entre elles étaient connues à la date du procès. Treize autres se sont "révélées" depuis lors - même si l'existence de certaines d'entre elles était suspectée par les psys. La personnalité qu'on peut dire "mère", la personnalité non-fusionnée, la primitive, est la seule à pouvoir répondre vraiment au nom de Billy. Au-dessus de toutes, y compris des plus douées, plane celle, omnipotente, du Professeur. Du même âge que "Billy" exactement, le Professeur se présente comme la fusion des 23 personnalités, qu'il appelle "les androïdes que j'ai fabriqués." Comme l'indique Keyes à la fin du livre, "sans le Professeur, cet ouvrage n'aurait pas pu être écrit."

A la base de cette floraison de personnalités, dont beaucoup sont brillantes, voire très brillantes : une enfance malheureuse, soumise aux brutalités en tous genres (y compris sexuelles) d'un parâtre ET un tempérament d'enfant vraisemblablement plus doué que la moyenne. Tout cela allié à une sensibilité peu ordinaire.

A l'épilogue, que l'on espère provisoire : une vie sabotée.

Le lecteur a deux possibilités : il adhère ou il rejette. S'il s'est déjà intéressé aux personnalités multiples, il sera sans doute séduit car l'affaire Milligan est vraiment emblématique de ce trouble psychique. Si c'est la première fois qu'il lit un ouvrage traitant de la question, il risque par contre de se sentir dépassé par cette succession de faits et de dialogues intérieurs entre les différentes personnalités. Il aura alors l'impression qu'on cherche à le tromper et il arrêtera sa lecture en refusant qu'on le prenne plus longtemps pour un pigeon. A moins qu'il ne poursuive jusqu'au bout tout en étant d'ores et déjà persuadé que Billy Milligan n'est qu'un simulateur - génial, soit, mais simulateur avant tout.

Peut-être - c'est le seul reproche que je ferai à ce livre - peut-être la méthode choisie par Keyes pour retracer le parcours de Billy n'est-elle pas la meilleure. Keyes - qui a évidemment approché Milligan de très près - partait convaincu d'office, parce qu'il avait vu et entendu. En foi de quoi, il introduit tout naturellement son lecteur, prévenu ou pas, dans les "cerveaux" des différentes "personnalités" (notamment Arthur et Ragen) discourant entre elles de la meilleure façon de protéger Billy. (Car - et cela reste logique si l'on considère que ces personnalités ne sont en fait que les mille-et-une facettes éclatées de la personnalité originelle - si l'on excepte un ou deux "indésirables" qui agissent sans réfléchir à ce dont demain sera fait, la grosse majorité de ces "invités" de Billy n'ont qu'un but : le protéger, l'empêcher de souffrir.) Pour ce faire, Keyes ne dispose bien entendu que d'un dialogue tout ce qu'il y a de plus banal et naturel, qui déconcerte bigrement, je puis vous l'assurer. :wink:

Toutefois, si l'on fait abstraction de ce défaut de composition (j'écris "défaut" tout en me demandant de quelle autre manière Keyes aurait pu s'en sortir, à moins de sombrer dans la manière romanesque, ce qui aurait présenté d'autres inconvénients), "Les Mille et une vies de Billy Milligan" reste un ouvrage passionnant dont la fin - hélas ! bien prévisible - a quelque chose de poignant et de déchirant.

A lire. ;o)