Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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vendredi, novembre 2 2007

Fénelon, Mme Guyon & le Quiétisme (XLI et dernier).

Le dernier acte se jouera cependant à Rome. Saint-Simon nous le rappelle - et l'on sent le plaisir anticipé qu'il prend à mettre le cardinal de Bouillon de côté, pour de prochaines aventures :

"... ... La cour de Rome eut une extrême joie de se voir déférer cette cause à juger en première instance par les premiers prélats d'un royaume jusqu'alors si attachés à des maximes plus anciennes, et elle triompha de les tenir en suppliants à ses pieds. Cette affaire y fit grand bruit. Elle fut renvoyée à la congrégation qui examinait un ouvrage dogmatique du feu cardinal Sfondrat, abbé de Saint-Gall, qui avait été déféré au Saint-Siège, qui, sur cette même matière et sur d'autres, était, disait-on, fort étrange, mais que la pourpre de son auteur, quoique mort, protégea. Il faut les laisser travailler à Rome, et y arriver le cardinal de Bouillon, qui passa par Cluny et y emporta la coadjutorerie pour son neveu, qu'il fit confirmer à Rome. ... ..."

T comme Terrorisme et Terroristes.

Hans-Joachim Klein fit partie du commando de terroristes mi-palestiniens, mi-ouest-allemands, dirigé par Carlos, qui prit en otages les ministres de l'OPEP réunis à Vienne en 1975. Mais les morts qu'il laissa derrière lui commencèrent à entamer ses convictions. Dans le livre cité ci-dessous, il ne mâche pas ses mots et cet homme qui, viscéralement, est "à gauche", se dit lui aussi choqué par la politique du "un poids deux mesures" pratiquée par les membres de son camp :

... ... Les paroles de tel membre du "bras de la révolution arabe" à Vienne disant : "J'en ai buté deux," n'ont pas appelé de commentaire de la part de la gauche (1), du moins publiquement. Mais on me couvrit d'insultes tant et plus lorsque je me suis permis, en évoquant par la suite ces trois assassinats, de les désigner pour ce qu'ils étaient : des actes manifestant du cynisme, de l'insensibilité et tout simplement du mépris pour la personne humaine. L'opération de Vienne, puis son "analyse et exploitation" aussitôt après dans un camp d'entraînement arabe, et l'opération tout empreinte "d'amour et de solidarité" - et heureusement avortée - de Nairobi (2) m'amenèrent à la décison de me retirer dès qu'une chance s'offrirait pour cela. ... ...

(1) : en RFA, la "gauche" désignait le courant d'opinon se situant à la gauche du parti social-démocrate.

(2) : tentative d'attaquer un avion d'El-Al avec un missile SAM-7.

La Mort Mercenaire - Hans-Joachim Klein - Le Seuil.

H comme Hantise.

En bon Breton et, qui mieux est, élevé comme il le fut dans le sombre château de Combourg, Chateaubriand ne dédaignait pas les histoires de fantômes. Dans quelques fragments des "Mémoires de ma vie", ébauche des "Mémoires d'Outre-Tombe", il évoque les fantômes du château paternel :

... ...(Il y avait) quelques années (de ça), mes soeurs, alors fort jeunes, s'étaient trouvées seules, avec mon père, à Combourg. Une nuit, elles lisaient ensemble la mort de Clarisse ( * ); déjà tout émues des détails de cette mort, elles entendent distinctement des pas dans l'escalier qui conduisait à leur appartement. Epouvantées, elles éteignent leur lumière, et se précipitent dans leurs lits. On approche ; on arrive à la porte de leur chambre ; on s'arrête, comme pour écouter ; ensuite on s'engage dans un escalier dérobé qui communiquait à la chambre de mon père. Quelque temps après, on revient ; on traverse de nouveau l'anti-chambre, et le bruit des pas qui s'éloignent, se perd dans la profondeur du château.

Le lendemain, mes soeurs n'osaient parler ; (car) elles craignaient que le revenant ou le voleur ne fût mon père, qui les avait voulues surprendre. Il les mit à l'aise en leur demandant si elles n'avaient rien entendu. Il raconta qu'on était venu heurter (à la porte) <au guichet> de l'escalier secret de sa chambre, et qu'on l'eût (arraché) <enfoncé> sans un coffre qui se trouvait par hasard devant (cette porte.) Eveillé en sursaut, il avait saisi ses pistolets, car il était toujours armé. Le bruit cessant, il crut s'être trompé, et se rendormit. ... ...__

Cette histoire et quelques autres sont reprises dans l'édition du Livre de Poche, qui présente en première partie l'intégrale des "Mémoires de Ma Vie", qu'il est toujours intéressant de comparer au texte définitif des "Mémoires d'Outre-Tombe."

( * ) : il s'agit probablement de la "Clarisse" de Samuel Richardson.

Mémoires d'Outre-Tombe - T. 1 - François-René de Chateaubriand - Le Livre de Poche.

LF comme Les Femmes.

Voici une explication très intéressante de la condition féminine dans le monde. Qui mieux est, si on la doit à un psychanalyste, il faut noter que justement, il s'agissait d'un psy.

... ... Tous les êtres humains, dit Wilkie, sont, selon Winnicott, en proie à une peur inconsciente de la femme qui rend très difficile aux femmes elles-mêmes, naturellement, d'acquérir ou de manier le pouvoir social ou politique. Les gouvernants sont des parents de substitution, et les hommes et les femmes pareillement refusent d'accepter des femmes dans cette position parce que, dans leur inconscient, rôdent de monstrueuses et fantasmatiques figures féminines fantasmatiques. Selon Winnicott, cela explique la terrible cruauté à l'égard des femmes dans la plupart des cultures. Les gens ont peur de la femme parce qu'ils ont tous, un jour, au commencement, dépendu totalement d'elle, et qu'ils ont dû créer leur individualité en niant cette dépendance. Les dictateurs, selon Winnicott, nient cette terreur de la femme en prétendant maîtriser la femme et agir pour elle. C'est pourquoi ils exigent non seulement de l'obéissance, mais de l'amour. ... ...

La Vierge dans le Jardin - A.S. Byatt - J'Ai Lu.

Fandom - Alain Pelosato.

Alain Pelosato raconte sa vie de militant de l’édition et d’écrivain de 1993 à 2004. Il a rencontré beaucoup de personnalités qui constituent ce qu’on appelle le "fandom", c’est-à-dire les fans de science fiction en France et d’autres pays francophones. Ce témoignage vivant respecte scrupuleusement les noms de tous les acteurs de la politique et de l’édition qu’Alain Pelosato a rencontrés. (Sélection du Prix Alexandrie 2008)

Avant tout, je tiens à préciser que, à compter de la page 25, j'ai eu beaucoup de problèmes à lire le texte car les lignes se chevauchaient - avec des passages "normaux" intercalés çà et là. J'ignore si c'est dû à ma version d'Adobe - qui est pourtant à jour - ou bien à un problème inhérent à la mise en page. Dans le doute, je préfère tout de même signaler la chose. ;o)

L'auteur a un style de pamphlétaire qui, en ce qui me concerne, me ravit souvent mais dont je comprends qu'il soit mal accepté à droite comme à gauche. Il y a beaucoup de rage et d'émotions à fleur de peau là-dedans. Malheureusement - et c'est le propre du pamphlet - le recul n'existe pas.

Alors que, avec un peu plus de recul, beaucoup plus de froideur et de cynisme dans le ton et enfin (ce n'est qu'une suggestion) la retranscription de cette tranche de vie fortement épicée en fiction officielle et des changements de noms qui n'empêcheraient d'ailleurs nullement les personnes concernées de se reconnaître, tout changerait à mon avis pour ce manuscrit.

Le "politiquement incorrect" d'Alain Pelosato, je suis pour, férocement pour. Il ne pense ni n'agit ni ne parle comme le tout-venant à notre époque et il aime envoyer des coups de pieds dans les fourmilières. C'est très bien. Mais il faut non pas "policer" ce "politiquement incorrect" : simplement le polir, le faire briller un peu plus tout en lui conservant ses arêtes les plus coupantes. Pour l'instant, tel qu'il est (il faut aussi revoir les répétitions et les concordances de temps), il fait trop brutal, trop effrayant. Il faut supprimer la brutalité pour ne garder que le caractère effrayant. ;o)

PS déposé après la réponse de l'auteur : quand, dans une phrase, l'imparfait pour un premier verbe, le passé simple pour le second et l'imparfait à nouveau pour le troisième - ce que vous faites souvent mais qui est peut-être dû à des fautes de frappe - il s'agit pour moi d'un problème de concordance de temps.;o)

A télécharger sur Alexandrie.

jeudi, novembre 1 2007

Fénelon, Mme Guyon & le Quiétisme (XL).

""Exit"" donc l'archevêque de Cambray qui s'était cru si près du pouvoir :

"... ... M. de Cambray ne demeura que deux jours à Paris. En partant pour Cambray, il laissa une lettre à un de ses amis, qu'on ne doutât pas qu'il fût M. de Chevreuse, et qui incontinent après devint publique. Elle parut une espèce de manifeste d'un homme qui, d'un langage béat, épanche sa bile et ne se ménage plus parce qu'il n'a plus rien à espérer. Le style, haut et amer, en est d'ailleurs si plein d'esprit, et, à tout événement, d'artifice, qu'elle fit un extrême plaisir à lire, sans trouver d'approbateurs : tant il est vrai qu'un sage et dédaigneux silence est difficile à garder dans les chutes. ... ..."

Quant à Jeanne-Marie Bouvier de La Motte-Guyon - puisque tel était l'Etat-civil officiel de celle qui est restée dans l'Histoire sous le nom, plus simple, de "Mme Guyon - elle restera encore sept longues années à la Bastille.

M comme Mort.

La Mort est belle, elle est notre amie, néanmoins, nous ne la reconnaissons pas parce qu'elle se présente à nous masquée, et que son masque nous épouvante.

Mémoires d'Outre-Tombe - T. 1 - François-René de Chateaubriand - Le Livre de Poche.

R comme République.

En exergue d'un chapitre, Stendhal place cette citation de Napoléon Ier, choisie dans le "Mémorial de Sainte-Hélène" :

...La république - pour un, aujourd'hui, qui sacrifierait tout au bien public, il en est des milliers et des millions qui ne connaissent que leurs jouissances, leur vanité. On est considéré, à Paris, à cause de sa voiture, et non de sa vertu. ... ...

Toujours d'actualité, non ? ;o)

Le Rouge & le Noir - Stendhal - Le Livre de Poche.

A comme Angleterre & Anglais.

Au retour d'une mission que lui a confiée M. de La Mole en Grande-Bretagne :

... ... - "Primo," dit Julien, "l'Anglais le plus sage est fou une heure par jour ; il est visité par le démon du suicide qui est le dieu du pays. 2°) L'esprit et le génie perdent vingt-cinq pour cents de leur valeur en débarquant en Angleterre. 3°) Rien au monde n'est beau, admirable, attendrissant comme les paysages anglais. ... ...

Le Rouge & le Noir - Stendhal - Le Livre de Poche.

Eclipse etc ... - Jean-Christophe Heckers.

En forme de triptyque, ce recueil vint refermer quelques saisons poétiques. Y règnent l’éclatement, l’émiettement, la dislocation, dans un souci d’urgence irrépressible. La muse prit ensuite la fuite, pour longtemps, et n’osa qu’à peine revenir… (Sélection du Prix Alexandrie 2008)

"Il pleut, il pleut, il pleut ..." Pour moi, qui ne suis pas née pour rien en Bretagne, c'est toujours un plaisir que de lire cela car j'y associe sans problème brumes, mélancolie et douceur. ;o)

Mais trêve de plaisanteries. Il ne suffit pas qu'ils me parlent de pluie pour que des vers me plaisent. J'ajouterai qu'on pourrait ici se livrer à un jeu de mots (au demeurant stupide) sur le sens du vers poétique et du ver qui ronge dans la tombe. Cette "Eclipse, etc ..." a en effet des parfums qui évoquent les décadences des charniers.

Il y a de très belles images comme ces "aiguilles osseuses de l'Horloge" par exemple, tout un fourmillement qui rappelle pêle-mêle Poe, les romantiques allemands et - pour moi, en tous cas - les délires poétiques d'un Jim Morrison. Le tout avec des éclairages, des indications parfois coupées qui sentent par contre le cinéma. Et puis, bien sûr, nombreux sont les passages marqués par une écriture qui paraît semi-automatique.

Personnellement, j'ai aimé d'autant que, sous tout cela, gît le problème que peut poser l'homosexualité - à soi et aux autres. Mais mon avis demeurera, totalement subjectif, celui d'une profane car - la Honte soit sur moi ! - je ne m'y connais absolument pas en matière de technique poétique.

N'empêche que j'ai aimé l'ensemble. ;o)

A lire sur Alexandrie.

mercredi, octobre 31 2007

Fénelon, Mme Guyon & le Quiétisme (XXXIX).

Mais Fénelon n'aura pas le temps de savourer ce regain de popularité : Saint-Simon nous montre la cabale qui se tient dans l'ombre et surtout la décision de Louis XIV qui frappe sans prévenir et Fénelon, et son élève :

"... ... il ne jouit pas longtemps de cette petite prospérité ; elle fit peur à ses ennemis ; ils irritèrent le Roi, qui, sans le vouloir voir, lui fit dire de s'en aller sur le champ à Paris, et de là dans son diocèse, d'où il n'est jamais sorti depuis.

En envoyant cet ordre à M. de Cambray, le Roi envoya chercher M. le duc de Bourgogne, avec lequel il fut longtemps seul dans son cabinet, apparemment pour le déprendre de son précepteur, auquel il était fort attaché et qu'il regretta avec une amertume que la séparation de tant d'années n'a jamais pu affaiblir. ... ..."

M comme Mérite.

... ... Un homme a-t-il du mérite à vos yeux ? mettez obstacle à tout ce qu'il désire, à tout ce qu'il entreprend. Si le mérite est réel, il saura bien renverser ou tourner les obstacles. ... ...

Le Rouge & le Noir - Stendhal - Le Livre de Poche.

R comme Roman.

Voici un avis violemment anti-romans, exprimé par une militante communiste américaine :

... ... (Ninel) était en colère contre tous les romans. Les romans, comme les films, n'étaient qu'ombres et faux-semblants ; ils ne posaient pas le diagnostic du monde tel qu'il était en réalité.

- "Des béquilles," disait-elle, "du divertissement. Et pendant ce temps-là, les richards et leurs chiens de garde bouffent les pauvres. ... ...

Et Ozick - qui s'amuse beaucoup - de conclure :

... ... Pour Ninel, la seule invention pire que les romans et les films était la religion. ... ...

Un Monde Vacillant - Cynthia Ozick - Points.

A comme Affabulation.

Le père de l'héroïne d'Ozick est un professeur buveur, vantard et joueur qui aime prendre beaucoup d'aises avec la vérité, jusque dans la date de la mort de sa femme qu'il associe à la naissance de sa fille alors que celle-ci n'a perdu sa mère que plusieurs années après. Dans ces cours aussi, il falsifie la vérité et se fait sermonner par son supérieur hiérarchique :

... ... - "Voyons, Jack, qu'est-ce que c'est que cette histoire d'Euclide et des Hébreux ?

- En parlant de la Méditerranée comme d'une mer," dit mon père, "nous lui conférons quelque chose d'infranchissable. Mieux vaut y songer comme à une espèce de mare, n'est-ce pas ?"

Il avait adopté son ton professoral le plus serein.

- "Dans l'Antiquité, les navires qui la traversaient et la parcouraient d'un bout de l'année à l'autre ne transportaient pas seulement des marchandises ...

- Au nom du ciel," tonna le principal, "qu'est-ce que vous avez raconté pendant votre cours de géométrie à onze heures, ce matin ?"

Mon père poursuivit benoîtement :

- "J'ai dit que ce n'étaient pas seulement des marchandises qui étaient échangées. C'étaient des connaissances, de l'information, du savoir.

- Ce que vous avez dit, c'est que le roi Salomon a inventé la géométrie ! Vous avez dit aux élèves qu'Euclide avait tout reçu des Hébreux, du roi Salomon !

- C'est parfaitement possible," dit mon père.

Il était plein d'entrain ; content de lui ; s'attendant à ce qu'on l'admire, sinon à ce qu'on abonde dans son sens.

- "Toutes sortes d'idées traversaient la mare. Certes, nous ne pouvons avancer la date avec exactitude ...

- Tenez-vous-en au manuel ! Tenez-vous-en aux problèmes du manuel ! Au théorème de Pythagore ! Je vous préviens, Jack, si vous me refaites un coup pareil, vous pourrez chercher un autre emploi !" ... ...

Il y a bien eu un livre où deux prétendus scientifiques israéliens affirmaient qu'Aménophis IV était juif ...

Un Monde Vacillant- Cynthia Ozick - Points.

mardi, octobre 30 2007

Festival du Livre de Carhaix 2007.

Quelques blogs qui en parlent :

Chaperlipopette

Majanissa

Le Bibliomane

Sylire

La Bibliothèque du Dolmen

et le blog d'Yvon, bien sûr.

Allez donc y jeter un coup d'oeil ! ;o)

lundi, octobre 29 2007

Fénelon, Mme Guyon & le Quiétisme (XXXVIII).

Fénelon pourrait perdre courage mais il a tellement d'adversaires que, curieusement, l'opinion publique commence à se retourner en sa faveur :

"... ... Rien de plus adroit, de plus insinuant, de plus flatteur que la lettre (au Pape) de M. de Cambray. L'art, la délicatesse, l'esprit, le tour y brillaient, et, tout en ménageant certains termes, trop grossiers pour l'honneur de l'épiscopat et des maximes du Royaume, il y fit litière de l'un et de l'autre sous prétexte de modestie et d'humilité personnelle. Elle ne laissa pas, par cela même, de faire pour lui un bon effet dans le monde. En général, on est envieux et on n'aime pas l'air d'oppression. Tout était déclaré contre lui : ses parties, devenues ses juges par le renvoi de son livre à leur examen ; elles (1) venaient de profiter des vacances (2) de M. de Metz. On lui passa donc les flatteries de sa lettre en faveur du tour et de la nécessité, et il vit une lueur de retour du public. ... ..."

(1) : les parties adverses.

(2) : le cordon bleu et la place de Conseiller d'Etat d'Eglise dont nous avons vu que Louis XIV en avait fait bénéficier deux ennemis jurés de Fénelon.

L comme Lucidité.

A la fin de l'ouvrage cité plus bas, Klein se lance dans une extraordinaire tirade sur l'Homme dont l'extrait ci-dessous résume à merveille l'amertume, l'ironie ... et la tristesse furieuse :

... ... Je ne crois plus à LA révolution à laquelle j'ai cru autrefois.

A une société socialiste, communiste ou anarchiste dans laquelle tout un chacun est heureux et satisfait. Au sein de laquelle tous sont égaux, où il n'y a plus d'injustices, pas de corruption, pas de haine, pas de jalousie, pas de domination, pas d'exploitation de l'homme par l'homme, pas de meurtres ni d'assassinats, pas de criminalité, pas de taules, pas d'oppression, pas de racisme. Où il n'y aura plus toutes ces choses qui sont contenues dans les douze lettres du mot IMPERIALISME. Ce sont là des articles de foi comme peuvent les professer des Témoins de Jéhovah, qui pensent qu'ils pourront un jour connaître tout ça en entrant au Ciel. (Ici, cela vaut en plus pour tous les animaux sauvages.) ... ...

La Mort Mercenaire- Hans-Joachim Klein - Le Seuil.

E comme Ecrire.

La mode est aux ateliers d'écriture sur lesquels, par l'intermédaire de l'un de ses personnages, écrivain qui a accepté d'en diriger un pour un an dans une ville universitaire, Alison Lurie n'hésite pas à donner un avis plutôt musclé :

... ... Le cycle de conférences se déroule assez bien. J'ai renoncé à être extraordinairement brillant à chaque fois et je me contente de bavarder sur le roman que (les élèves])sont censés lire. Quand je veux les réveiller, je lance l'un des aphorismes de ton David. Mais le cours d'écriture de nouvelles est pire, pire, cent fois pire que tu ne l'avais prédit. J'étais tellement ravi au départ d'en trouver deux ou trois raisonnablement intelligents que j'ai oublié à quoi ressemblaient les autres. Dire que, heure après heure, semaine après semaine, je suis contraint à continuer à parler à treize idiots incurables qui ont déjà abondamment prouvé qu'ils ne seront jamais capables de construire une phrase, sans parler d'un récit. C'est comme d'être condamné à aller, trois fois par semaine, pendant des mois, à la pire soirée que l'on ait jamais connue, sans la moindre possibilité de s'isoler dans un coin avec les quelques personnes fréquentables qui s'y trouvent. ... ...

Les Amours d'Emily Turner - Alison Lurie - Rivages Poche.

Carpe Jugulum - Terry Pratchett.

Carpe Jugulum Traduction : Patrick Couton

Vingt-quatrième volume des "Annales du Disque-Monde", "Carpe Jugulum" nous rappelle tout d'abord que le sens politique du roi Vérence de Lancre risque de le conduire à la catastrophe plus souvent qu'à son tour. En effet, n'a-t-il pas commis la bévue - intolérable pour un monarque en charge d'un pays et de son peuple - de convier le comte Margopyr (et tout son clan) au baptême de sa fille ?

Or, le comte Margopyr est un vampire. Et tout le monde sait - sauf Vérence - qu'il ne faut jamais, mais alors là JAMAIS, inviter un vampire chez soi ...

Un vampire "nouvelle vague", soit. Mais en un sens, n'est-ce pas bien pire que le vampire classique ?

Aussi moderne mais bien plus pragmatique que le malheureux Vérence qu'il place tout de suite sous sa domination mentale, le comte entend transformer le royaume de Lancre en une espèce de vaste enclos à bétail (pour ses enfants, Vlad et Lacrymosa, dite "Cricri", les humains ne sont d'ailleurs que cela : du bétail) où lui et les siens viendront se servir ponctuellement. Pour ce clan draculesque, Lancre ne sera d'ailleurs pas la première réserve de nourriture de ce type : grâce à ses méthodes, totalement révolutionnaires pour un être de son espèce, il faut bien l'admettre, il s'est ainsi constitué tout un cheptel humain dont les files d'attente devant les vampires venus se restaurer ne sont pas sans évoquer certaines images historiques tristement précises.

C'est que, depuis que ses enfants étaient tout jeunes, le comte leur a appris à appréhender sans peur l'intégralité des moyens de défense classiquement utilisés contre ceux de leur espèce. Aussi les verra-t-on se gaver sans crainte aucune des petits friands à l'ail que Nounou Ogg, pour tenter de restreindre les dégâts, fera distribuer à la grande réception donnée en l'honneur du baptême de la petite princesse Esméralda de Lancre et où apparaissent pour la première fois les Margopyr.

Il n'est pas jusqu'à Nounou elle-même qui, en présence directe des vampires, ne finisse par les trouver charmants et respectables. Traînée hors du château cependant par une Agnès qui, elle, s'est vu courtisée par le fils aîné du comte, le séduisant Vlad Margopyr, Nounou retrouve bien entendu ses esprits. Mais que peuvent les deux sorcières, même assistées de Magrat, qui les rejoint avec la petite Esmé sous le bras, contre la puissance mentale des vampires "nouvelle vague" ?_

_Rien, ou pas grand chose bien qu'Agnès, toujours protégée en son for intérieur par son double, "Perdita", parvienne heureusement à conserver la maîtrise de sa volonté. Ah ! si seulement Mémé Ciredutemps était là ! ...__

Mais justement, Maîtresse Ciredutemps, ayant cru qu'on la méprisait désormais et qu'on ne lui avait envoyé aucune invitation pour le baptême (les pies envoyées en éclaireur par le comte Margopyr ont subtilisé la belle invitation dorée sur tranche que Shawn Ogg, homme à tout faire chez Vérence, avait coincé dans la charnière de la porte de la chaumière) s'est mise en route vers les montagnes pour s'y mettre en retraite.

Lancre est-il perdu ? Nounou Ogg se fera-t-elle vampiriser par les Margopyr ? Agnès succombera-t-elle malgré tout à la séduction de Vlad ? La reine Magrat et la petite princesse seront-elles sauvées d'un destin horrible ? ...

... Oui, bien sûr. Mais pas avant que leur créateur ne nous ait entraînés sur ses chemins favoris, nous présentant au passage Igor, le serviteur traditionnaliste des Margopyr, qui rouille soigneusement les gonds des portes pour qu'elles produisent les plus affreux grincements, et qui finira par descendre chercher l'ancien comte dans son caveau pour que celui-ci - le Vampire aristocrate et plein de panache de la légende - revienne dire leurs quatre vérités à ses neveux et nièces. (Des Igor - les Igor se ressemblent tous - on en retrouvera toute une tripotée dans "Le Cinquième éléphant.")

Autre personnage que Pratchett s'attache à nous faire connaître : le Tout à fait Révérend Rudement Lavoine, prêtre d'Om (le nouvel Om, celui d'après "Les Petits Dieux") qui finira par trouver sa voie après avoir soutenu Mémé Ciredutemps dans son long voyage vers l'Uberwald, patrie des Margopyr, qu'elle doit atteindre pour venir à bout des vampires.

Un livre époustouflant, qui gagne à être relu même si la gravité y est peut-être plus présente que partout ailleurs chez Pratchett. Il est vrai que, depuis le temps qu'il la connaît, le lecteur est si attaché à Mémé Ciredutemps que, chaque fois qu'elle souffre, il ne peut s'empêcher de souffrir avec elle. Et, dans "Carpe Jugulum", on frémit vraiment pour elle.

Bonne lecture ! Vous ne la regretterez pas. ;o)

Le Dernier Continent - Terry Pratchett.

The Last Continent Traduction : Patrick Couton

Le Bibliothécaire de l'Université de l'Invisible est malade ! Le Bibliothécaire a la grippe ! Et forcément, c'est une grippe un peu bizarre puisque le virus qui l'a provoquée n'a pu échapper aux émanations thaumiques* de la Bibliothèque. Ce qui explique pourquoi, outre la goutte au nez et la fièvre habituelle, le malheureux Bibliothécaire, à chaque éternuement, trouve le moyen de changer de forme. Tantôt il se mue en fauteuil, tantôt en livre (normal, pour un bibliothécaire, me direz-vous ;o) ) mais il parvient tout de même à conserver sa couleur rousse et même sa fourrure.

Comme le fait remarquer l'archichancelier Mustrum Ridculle, avec son bon sens si caractéristique : "C'est déjà ça !"

De discutaillage en prise de bec, les mages finissent par tomber d'accord : le seul moyen de faire retrouver sa forme originelle au Bibliothécaire, c'est de se livrer à quelques petites manipulations magiques. Mais, pour ce faire, il est impératif de posséder le nom du patient. Or, le Bibliothécaire s'est depuis si longtemps transformé en orang-outang (Cf. "La Huitième Couleur" du même auteur) et tant de mages sont morts depuis cette lointaine époque (dans leur lit ou pas) que personne, dans l'Université actuelle, ne sait plus quel était ce nom.

En fait, le seul mage qui pourrait le révéler, ce fameux patronyme, c'est ... Rincevent. Or, ainsi qu'il a été expliqué dans "Les Tribulations d'un Mage en Aurient" (toujours du même auteur ;o) ), un mauvais calcul établi par ses collègues de l'UI a expédié le pauvre Rincevent de l'Empire agatéen, où il avait superbement tenu son rôle de contre-héros, au continent XXXX. Du moins les mages le supposent-ils. Plus ils regardent dans leur boule de cristal le malheureux se débattre au sein d'un désert de sable rouge et brûlant, plus ces messieurs sont convaincus qu'il s'agit bien du Dernier continent. Du coup, à près de deux heures du matin, ils partent se renseigner sur le continent auprès de l'un de leurs confrères, spécialisé en géographie.

Mais la chambre de ce dernier est vide, pour l'instant. Vu les bruits natatoires (comme dirait Achille Talon) qui sortent de sa salle-de-bains, on peut penser qu'il se détend un peu. Perdant patience comme toujours, Ridculle ouvre la porte de la salle-de-bains et ...

Et ainsi s'ouvre l'un des voyages dans le temps et l'espace les plus farfelus qui aient jamais été écrits. Les amateurs du "temps en boucle" apprécieront tout particulièrement. Quant au lecteur ... Ma foi, en ce qui me concerne, ça passe mieux quand je le lis à haute voix. Sinon, j'ai un peu l'impression de ne pas suivre aussi allègrement que d'habitude. Certes, l'humour est toujours là, faisant alterner des trouvailles étincelantes (les interventions de Mme Panaris, le Bagage en travesti par allusion au très beau "Priscilla, folle du désert" et sans doute le premier dieu carrément athée de l'Histoire de la Littérature universelle) avec des plaisanteries un peu plus banales et parfois plutôt lourdes (la tonte des moutons en Australie et l'intermède à la "Mad Max").

En tous cas, si Rincevent s'embarque bel et bien à la fin de l'ouvrage avec tous ses collègues pour regagner (enfin !) l'UI, il aura dû promettre au Bibliothécaire, entretemps guéri et bien résolu à conserver sa forme anthropoïde, de ne jamais révéler le nom qui fut jadis le sien. ;o)

* : le thaum est l'unité de mesure de la Magie. Il est courant pour un mage de se promener avec un thaumomètre plus ou moins déglingué dans sa poche.

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