Carpe Jugulum Traduction : Patrick Couton

Vingt-quatrième volume des "Annales du Disque-Monde", "Carpe Jugulum" nous rappelle tout d'abord que le sens politique du roi Vérence de Lancre risque de le conduire à la catastrophe plus souvent qu'à son tour. En effet, n'a-t-il pas commis la bévue - intolérable pour un monarque en charge d'un pays et de son peuple - de convier le comte Margopyr (et tout son clan) au baptême de sa fille ?

Or, le comte Margopyr est un vampire. Et tout le monde sait - sauf Vérence - qu'il ne faut jamais, mais alors là JAMAIS, inviter un vampire chez soi ...

Un vampire "nouvelle vague", soit. Mais en un sens, n'est-ce pas bien pire que le vampire classique ?

Aussi moderne mais bien plus pragmatique que le malheureux Vérence qu'il place tout de suite sous sa domination mentale, le comte entend transformer le royaume de Lancre en une espèce de vaste enclos à bétail (pour ses enfants, Vlad et Lacrymosa, dite "Cricri", les humains ne sont d'ailleurs que cela : du bétail) où lui et les siens viendront se servir ponctuellement. Pour ce clan draculesque, Lancre ne sera d'ailleurs pas la première réserve de nourriture de ce type : grâce à ses méthodes, totalement révolutionnaires pour un être de son espèce, il faut bien l'admettre, il s'est ainsi constitué tout un cheptel humain dont les files d'attente devant les vampires venus se restaurer ne sont pas sans évoquer certaines images historiques tristement précises.

C'est que, depuis que ses enfants étaient tout jeunes, le comte leur a appris à appréhender sans peur l'intégralité des moyens de défense classiquement utilisés contre ceux de leur espèce. Aussi les verra-t-on se gaver sans crainte aucune des petits friands à l'ail que Nounou Ogg, pour tenter de restreindre les dégâts, fera distribuer à la grande réception donnée en l'honneur du baptême de la petite princesse Esméralda de Lancre et où apparaissent pour la première fois les Margopyr.

Il n'est pas jusqu'à Nounou elle-même qui, en présence directe des vampires, ne finisse par les trouver charmants et respectables. Traînée hors du château cependant par une Agnès qui, elle, s'est vu courtisée par le fils aîné du comte, le séduisant Vlad Margopyr, Nounou retrouve bien entendu ses esprits. Mais que peuvent les deux sorcières, même assistées de Magrat, qui les rejoint avec la petite Esmé sous le bras, contre la puissance mentale des vampires "nouvelle vague" ?_

_Rien, ou pas grand chose bien qu'Agnès, toujours protégée en son for intérieur par son double, "Perdita", parvienne heureusement à conserver la maîtrise de sa volonté. Ah ! si seulement Mémé Ciredutemps était là ! ...__

Mais justement, Maîtresse Ciredutemps, ayant cru qu'on la méprisait désormais et qu'on ne lui avait envoyé aucune invitation pour le baptême (les pies envoyées en éclaireur par le comte Margopyr ont subtilisé la belle invitation dorée sur tranche que Shawn Ogg, homme à tout faire chez Vérence, avait coincé dans la charnière de la porte de la chaumière) s'est mise en route vers les montagnes pour s'y mettre en retraite.

Lancre est-il perdu ? Nounou Ogg se fera-t-elle vampiriser par les Margopyr ? Agnès succombera-t-elle malgré tout à la séduction de Vlad ? La reine Magrat et la petite princesse seront-elles sauvées d'un destin horrible ? ...

... Oui, bien sûr. Mais pas avant que leur créateur ne nous ait entraînés sur ses chemins favoris, nous présentant au passage Igor, le serviteur traditionnaliste des Margopyr, qui rouille soigneusement les gonds des portes pour qu'elles produisent les plus affreux grincements, et qui finira par descendre chercher l'ancien comte dans son caveau pour que celui-ci - le Vampire aristocrate et plein de panache de la légende - revienne dire leurs quatre vérités à ses neveux et nièces. (Des Igor - les Igor se ressemblent tous - on en retrouvera toute une tripotée dans "Le Cinquième éléphant.")

Autre personnage que Pratchett s'attache à nous faire connaître : le Tout à fait Révérend Rudement Lavoine, prêtre d'Om (le nouvel Om, celui d'après "Les Petits Dieux") qui finira par trouver sa voie après avoir soutenu Mémé Ciredutemps dans son long voyage vers l'Uberwald, patrie des Margopyr, qu'elle doit atteindre pour venir à bout des vampires.

Un livre époustouflant, qui gagne à être relu même si la gravité y est peut-être plus présente que partout ailleurs chez Pratchett. Il est vrai que, depuis le temps qu'il la connaît, le lecteur est si attaché à Mémé Ciredutemps que, chaque fois qu'elle souffre, il ne peut s'empêcher de souffrir avec elle. Et, dans "Carpe Jugulum", on frémit vraiment pour elle.

Bonne lecture ! Vous ne la regretterez pas. ;o)