Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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dimanche, juillet 1 2012

Delirium Tremens - Ken Bruen (République d'Irlande)

The Guards Traduction : Jean Esch

Extraits Personnages

Il m'a fallu pas mal de temps pour m'habituer aux chapitres très brefs, aux citations en exergue et, plus encore, au style de l'auteur : un style qui semble sautiller à la limite du coq à l'âne et qui privilégie les phrases courtes. Mais la férocité des répliques m'a fascinée dès la première que j'ai lue et m'a, je suppose, maintenue sur le chemin de la lecture.

"Delirium Tremens", premier opus de la série des enquêtes de Jack Taylor, est en effet avant tout ce que je nommerai un polar d'ambiance. L'intrigue policière constitue ici un fil rouge bien ténu dont, parfois, on a l'impression de perdre carrément la trace, ce qui ne peut que frustrer un lecteur déjà rendu perplexe par le style. Néanmoins je ne saurais trop recommander au néophyte de s'accrocher car, au fur et à mesure qu'on avance, non seulement le fil rouge devient plus évident en prenant carrément une direction à laquelle on ne s'attendait pas, mais le caractère du héros se précise à son avantage tandis que ceux qui gravitent autour de lui, eux aussi, prennent corps et relief.

Au départ, une mère dont la fille s'est officiellement suicidée s'en vient demander l'aide de Jack Taylor. Pour elle, la jeune fille a été assassinée. Mais pour rouvrir l'enquête, il faut bien entendu rassembler des preuves suffisantes pour convaincre la police. Entre deux répliques acérées et quatre gorgées de whisky, Taylor accepte la mission, plus par pitié que par réel enthousiasme.

Cette mission va l'entraîner aux quatre coins de Galway - l'action se situe dans la ville natale de l'auteur, pourquoi se compliquer la vie ? - et lui faire croiser toute une foule de gens dont certains n'ont pas vraiment de rapport avec son enquête. Du coup, pièce par pièce, voire par fragment de pièce, on commence à en apprendre pas mal sur Taylor lui-même - en particulier sur son amour des livres qui lui vient droit de son père et de son enfance. Comme toile de fond, une République d'Irlande où la frénésie affairiste des années quatre-vingt-dix ne parvient pas à dissimuler les laissés-pour-compte de la société. Toujours là, éternellement là, est-on tenté d'écrire, l'église catholique, idole à la fois adorée et vouée aux gémonies.

Autre constante du roman : l'obstination purement celtique avec laquelle notre privé irlandais essaie de tenir l'alcool à distance.

Au beau milieu de tout ça, mine de rien, Bruen nous assène quelques réflexions pas piquées des hannetons sur le sens de l'existence, une existence qu'il voit résolument vouée à la violence et à l'iniquité. C'est sans doute pour cela qu'il a créé Jack Taylor, pour rétablir un peu, de temps à autre, l'équilibre de la balance. Certains apprécieront, les pros de l'angélisme et de la bien-pensance crieront au scandale - vous verrez qu'un jour, si on les laisse faire, ils essaieront d'interdire le roman noir !

En tous cas, personnellement, j'ai beaucoup aimé. D'autant que Bruen a bien réfléchi à son sujet et qu'il ne fait pas l'impasse sur la possibilité du "justicier" se réduisant en fait à un assassin sadique comme les autres.

Bref, vous l'aurez compris, je lirai d'autres Ken Bruen, c'est certain. Et vous devriez faire comme moi.

Promenade Avec Les Dieux de L'Inde - Catherine Clément

Extraits

Il faut bien commencer quelque part. Pour ceux qui s'y intéressent mais n'ont que de très vagues notions de la religion hindoue, ce petit livre de Catherine Clément constitue un excellent b-a ba avant de passer à des oeuvres plus ardues. Et aussi infiniment plus touffues car le gigantesque panthéon hindou a de quoi décourager n'importe quel Occidental, croyant ou non, pour peu qu'il tente de l'inventorier de A jusqu'à Z.

Comme nombre de ces trois-cents millions de dieux - oui, il y en aurait trois-cents millions ;o) - ne sont que les avatars de l'un des dieux principaux, Catherine Clément évoque surtout ces derniers. Tout d'abord la fameuse trinité Brahma / Vishnou / Shiva, respectivement adorés comme le Créateur, le Préservateur - celui qui assure l'équilibre et l'harmonie de l'univers - et le Destructeur.

Malgré l'utilisation des mots "trinité" et "créateur", il n'y a rien ici qui rappelle un tant soit peu la façon de penser occidentale. Brahma, Vishnou et Shiva sont bien distincts l'un de l'autre et la fonction créatrice du premier est relativement modeste. Brahma est un peu comme le roi des échecs : on s'incline devant lui, on lui reconnaît le pouvoir de créer mais cette divinité en principe si puissante ne possède, dans toute l'Inde, qu'un seul temple qui lui soit dédié.

Plus qu'un créateur au sens où nous le concevons, Brahma se contente de guider une création initiée par Vishnou. Très souvent d'ailleurs, il apparaît sur une fleur de lotus naissant du nombril de celui-ci et on a bien l'impression que le Préservateur veille sur le Créateur - et non le contraire. Précisons en outre que Brahma possède cinq têtes - je laisse à Catherine Clément le soin de vous expliquer comment lui vint la cinquième et dernière.

Le plus souvent représenté allongé sur le Serpent d'Eternité, Ananta aux dix-mille têtes, et dormant d'un sommeil yogique - c'est-à-dire en méditation - Vishnou se reconnaît essentiellement à la haute tiare qui est la sienne et au tissu jaune qui lui ceint les reins. Sa peau est de couleur bleue et il possède en général quatre bras. Dans ses mains, il tient une conque, un disque dont il se sert comme arme - et elle est redoutable - une massue et enfin une fleur de lotus. Ce dieu, issu d'un dieu solaire védique plus ancien, est une divinité hautement bienveillante dont l'avatar le plus connu est Krishna.

A Shiva revient la charge de détruire ce qui est arrivé à son terme. Mais attention : cette destruction débouche inéluctablement sur une reconstruction. Dieu des ascètes et des yogi, il est représenté soit paré d'une peau de tigre, soit assis ou debout sur cette peau. On le reconnaît à sa longue chevelure auburn, généralement coiffée en chignon - c'est de là que s'écoule Ganga-le Gange, la Mère de l'Inde comme le Nil était le père de l'Egypte antique - à son trident, à son tambour à boules fouettantes et aussi au cobra qui se tord autour de son cou. Parfois, il foule du pied droit une sorte de démon qui symbolise l'ignorance. Comme Vishnou, il a plusieurs noms et, comme Vishnou, il peut être considéré comme le premier des dieux, ce qui provoque encore, on s'en serait douté, de sanglants affrontements entre les Vishnouïtes et les Shivaïtes. Ajoutons pour finir que Shiva est aussi adoré sous la forme d'une longue pierre dressée, le linga, censé symboliser le phallus du dieu.

Shiva est l'époux de Shakti, la déesse-mère, dont l'incarnation la plus célèbre est sans conteste Kâli. Toute noire et tirant une énorme langue rouge, Kâli arbore un collier de crânes.

Bon, quand vous en arrivez là, vous avez saisi les notions les plus basiques : vous pouvez passer à l'étape supérieure.

Le but de Catherine Clément n'est pas de vous y mener, simplement de vous fournir, de la façon la plus dynamique qui soit, avec énormément d'humour et de vivacité, les informations que vous devez retenir sous peine de passer pour un ignare absolu en matière d'hindouisme. Elle conclut en évoquant les grandes épopées de la littérature indienne, celles où interviennent les dieux : le "Mahabbarata" et le "Ramayana", histoires si connues et si aimées des Indiens que nombre de séries télévisées sont basées sur leurs péripéties. Après un petit clin d'oeil aux "Contes du Vampire", récits très appréciés également en Inde, elle évoque enfin les deux grands rivaux de l'hindouisme : le bouddhisme et le jaïnisme.

C'est donc un mini-tour de la religion en Inde mais un mini-tour très complet en son genre. En outre, avec ce style vif et plaisant, on ne s'ennuie pas une minute et ceux qui seraient tentés de penser que, justement parce qu'elle les évoque avec le sourire, Catherine Clément ne respecte pas les dieux hindous, s'apercevront très vite de leur erreur. Non seulement elle les respecte mais elle les aime et elle aime le pays où ils sont nés - ou qu'ils ont créé, allez savoir ...

samedi, juin 30 2012

Un Homme A Abattre - Contre-Enquête Sur La Mort de Robert Boulin - Benoît Collombat

Extraits

En dépit des hématomes prononcés sur le visage de la victime - notamment au niveau du nez - et d'une très grosse marque à la nuque, résultat vraisemblable d'un coup donné pour assommer, il n'y a pas eu d'examen de la tête lors de la première autopsie : le procureur de la République de Versailles avait bien insisté sur le fait que cela n'était pas nécessaire ...

Toujours lors de la première autopsie, aucune analyse anatomo-pathologique n'a été pratiquée. Elle seule pourtant aurait pu établir, par la découverte de micro-particules issues de l'étang Rompu dans les poumons, la certitude des causes de la mort du ministre ...

Aucune radiographie non plus pour rechercher les éventuelles fractures ...

Les traces de Valium retrouvées l'ont été dans le sang et les viscères mais pas dans l'estomac. Cela suggère clairement une injection des produits et non une ingestion, contrairement à la version retenue qui veut que le disparu ait absorbé des cachets avant de se rendre en forêt de Rambouillet pour se noyer dans soixante centimètres d'eau ...

Un habitué des salles d'autopsie, après consultation des pièces du dossier, estime que l'hématome enregistré au niveau du maxillaire supérieur gauche du ministre "résulte d'un coup, type crochet du droit" ...

Le poignet droit du corps porte une estafilade qui ne sera mentionnée dans aucun des rapports d'autopsies, qu'il s'agisse de la première ou de la deuxième ...

La position des lividités cadavériques prouve que la dépouille a été transportée aussitôt après la mort ...

Un embaumement clandestin a été pratiqué à l'Institut médico-légal, à l'issue de la première autopsie. Cet embaumement n'avait évidemment pas été demandé par la famille. On ne sait qui l'a pratiqué mais il l'a été. Cette pratique permet en général d'atténuer les traces de coups ...

Toutes les lettres par lesquelles le ministre annonce son suicide sont des photocopies : il n'y a pas un seul original ...

Le premier expert en écriture ayant authentifié les écrits du ministre en 1979 admet aujourd'hui qu'il "aurait très bien pu conclure autrement." Signalons que, entretemps, est survenue l'affaire Grégory et que cet "expert" est l'un de ceux qui ont également "authentifié" l'écriture de Christine Villemin comme celle du "Corbeau" ... Errare humanum est, certes mais perseverare diabolicum ...

Le papier à en-tête des lettres posthumes, pas plus que les enveloppes, ne correspond à celui utilisé au moment des faits par le ministre ...

Quelques heures avant sa mort, la victime a été vue postant des enveloppes demi-format et particulièrement épaisses. Rien à voir avec les seules lettres reçues, d'une épaisseur et d'un format normaux ...

Voici quelques éléments tirés de la passionnante - et inquiétante - contre-enquête de Benoît Collombat sur la mort de Robert Boulin, dont le corps fut retrouvé le 30 octobre 1979, dans la position dite "du mahométan en prière", dans l'étang Rompu, en forêt de Rambouillet.

Si, après l'avoir lue - car je sais que vous la lirez - vous estimez encore que Robert Boulin s'est suicidé, contactez un chirurgien du cerveau. Sinon, déchirez votre carte d'électeur : la sinistre déliquescence dans laquelle n'arrête pas d'agoniser notre Vème République s'enracine pour beaucoup dans cette triste affaire, précédée trois ans plus tôt par l'Affaire De Broglie et à laquelle l'Affaire Bérégovoy fera écho près de quatorze ans plus tard. Au pays des politicards, l'intégrité est bien LA valeur à abattre.

Retour A La Grande Ombre - Håkan Nesser (Suède)

Återkomsten Traduction : Agneta Ségol & Pascale Brick-Aïda

Extraits Personnages

Disons les choses franchement : je n'ai pas franchement accroché. J'ai eu l'impression - peut-être fausse - que, comme beaucoup d'autres, Nesser était comme paralysé par Henning Mankell.

J'avoue humblement que, dès qu'il est question de polar suédois contemporain, je crois voir Mankell au détour de chaque ombre, de chaque disparition, de chaque cadavre. Le succès international de l'écrivain et de son oeuvre y est sans doute pour beaucoup car, avouons-le, qui associe aujourd'hui les mots "polar" et "Suède" finit automatiquement par lancer le nom de Mankell : et si le lecteur ne peut pas y échapper, comment un romancier, arrivant en plus dans la profession quelques années après lui, pourrait-il y parvenir ?

Depuis Mankell et malgré quelques merveilleux opus comme "Le Guerrier Solitaire", "La Muraille Invisible" ou "Les Morts de la Saint-Jean" - le polar suédois est dominé par la tristesse et le désespoir et peine à retrouver l'humour qui, pourtant, était présent chez les Grands Anciens que sont Maj Sjöwall et Per Wahlöö. Chez Mankell, l'Auteur Engagé Par Excellence, l'humour n'est pas de mise. Il faut désespérer et se désespérer à bloc et affirmer ou laisser entendre à chaque chapitre que, dans cette société bassement capitaliste (comme l'est la société suédoise et, partant, toute la société occidentale), seule nous attendent décadence et déclin. Pas question de danser un bon rigodon et encore moins un rock échevelé issu des immondes U. S. au sommet de ce volcan en ébullition. Pas question de rire de sa fin prochaine ou de porter un ou deux toasts à celle-ci avant de s'égailler dans une dernière bacchanale : désespoir, rigidité, apocalypse (largement méritée), tel est le programme de Mankell.__

Comme c'est un excellent écrivain et qu'il est très doué pour planter son décor et créer des personnages et des intrigues crédibles, la recette a connu un grand succès. Dans ses conditions, vous diront ses confrères, pourquoi ne pas la suivre ?

Parce qu'il n'y aura jamais qu'un seul Wallander (le héros récurrent et pessimiste comme c'est pas permis de Mankell.) Et que le Désespoir, les méditations pseudo-existentialistes et le dégoût généralisé de la vie sans le moindre désir de la tourner en ridicule, poussés il est vrai à un rare degré d'intensité, sont ses marques de fabrique à lui, et à lui seul. Et puis parce que Wallander, à bien y regarder, il est sympa, on l'aime bien et on compatit - oui, on compatit parce que se poser autant de questions inutiles et se les reposer sans cesse, c'est une sorte de maladie - mais enfin, ce n'est pas Dieu.__

Dommage que la majeure partie des auteurs de polars suédois aient tant de difficultés à en prendre conscience. Tétanisés soit par la perspective des droits d'auteur qui doivent être ceux de Mankell, soit par l'angoisse de se rétamer honteusement s'ils tentent une autre recette, une autre sauce, ils n'osent plus bouger d'une virgule dans un paysage polardeux voué semble-t-il à ne plus abriter que les interrogations presque métaphysiques d'un policier indécrottablement dépressif.

Håkan Nesser, lui, a essayé. C'est déjà ça. Sa volonté de situer l'action de sa première série dans une ville qui pourrait être suédoise aussi bien que hollandaise ou allemande, le marque bien. Son héros, le commissaire Van Veeteren, tente aussi de se démarquer : il a la cinquantaine - dans ce roman d'ailleurs, il approche plus de la décennie suivante - entend vaincre un cancer des intestins qu'on vient de lui découvrir et, malade ou non, se plaint absolument de tout et de tout le monde. On suppose qu'il souffre, lui aussi, de la grande plaie ouverte de tous les héros de polars et de thrillers, quelle que soit leur nationalité, et qu'il a été malmené par la vie : à cinquante-sept ans, comment pourrait-il en être autrement ? Mais cela reste de bonne guerre.

Autre point très important : Nesser n'hésite pas à utiliser l'humour, fût-il noir. C'est assez timide mais au moins, c'est agréable.

Malheureusement, le trait reste assez mal assuré, la description du microcosme villageois où est née toute l'affaire est contrainte, les personnages ne vivent pas vraiment et l'intrigue générale, avec ses flash-backs, semble un peu tirée par les cheveux. D'autant que Nesser ne donne aucune explication sur le caractère de la victime - un caractère qui lui a pourtant permis d'accepter de passer près d'un quart de siècle en prison alors qu'il était innocent. Suffit-il de préciser que, dès l'enfance, l'homme en question était particulièrement renfermé et indépendant, pour justifier cette extraordinaire performance ? Dans la réalité, peut-être. Dans la fiction, certainement pas. Quant à l'analyse de l'assassin, elle est du même tonneau et laisse, là aussi, le lecteur sur sa faim.

Pour m'assurer qu'il s'agit bien là du dessein voulu par l'auteur et non d'une erreur d'aiguillage, je lirai sans doute l'un de ses autres romans. Mais pas tout de suite.

vendredi, juin 29 2012

L'Inde Où J'Ai Vécu - Alexandra David-Néel

Extraits

Bien que je me fusse souvent dit qu'il me fallait le faire, je n'avais jusqu'ici jamais lu Alexandra David-Néel. Cette première lecture n'a fait que me conforter dans ma résolution car "L'Inde Où J'Ai Vécu" est l'un de ces ouvrages qui vous poussent à coller un petit post-it au fond de votre mémoire afin de vous rappeler qu'il vous faut absolument en lire d'autres du même auteur.

Alexandra David-NéelDavid-Néel|fr] fut, rappelons-le, a première Occidentale à entrer à Lhassa. Elle le fit d'ailleurs déguisée en mendiante tibétaine et cela se fit en 1924. Cette seule indication suffirait amplement à révéler l'originalité innée de cette femme d'exception.

Comme tant d'autres avant elle, les Indes la fascinaient. A l'époque en effet, il s'agissait bien des Indes et non de l'Inde, création plus ou moins fictive issue de l'Indépendance du pays et destinée à susciter un immense mouvement nationaliste qui mettrait enfin le pays sur ses rails. Comme David-Néel écrit en 1951, elle se plie à cette nouvelle convention qui exige que l'Inde soit une et indivisible. Mais seulement dans le titre de son ouvrage.

Car dans ses pages, ce sont bien les Indes dans leur multiplicité et leur richesse qui, toutes deux, donnent le tournis, qu'elle fait revivre. Dans un style qui semblera un tantinet vieilli à certains mais combien passionné et vivant ! En dépit d'une érudition profonde, l'écrivain, qui a pourtant étudié les Veda auprès de quelques brahmanes plus ouverts d'esprit que leurs coreligionnaires et qu'impressionnaient sans doute la passion et la sincérité avec lesquelles cette Occidentale envisageait leur culture, nous initie à l'Inde et ses complexités en une langue simple, sans prétention, accessible à tous. "Initier" est le mot qui convient puisque, l'auteur le reconnaissait elle-même et ceux qui ont vécu un parcours similaire le disent eux aussi, quelle que soit la longueur du séjour que l'on fait en Inde, il ne sera jamais suffisant pour nous permettre, à nous, Occidentaux, d'appréhender pleinement - ou presque - cette civilisation millénaire et protéiforme qui reste le berceau des langues que nous appelons "indo-européennes."

Dans ce livre, tout parle, tout fait écho, tout intéresse. Mention spéciale cependant aux chapitres évoquant les religions du sous-continent indien. L'auteur nous propose un cours évidemment abrégé mais pourtant détaillé de leur histoire et de leur pratique, passée et actuelle. De toutes façons, la Religion - avec la majuscule - est présente partout en Inde : on n'y échappe pas à croire que l'Inde est la Religion.

N'allez pas imaginer pour autant que son amour pour l'Inde empêche __Alexandra David-Néel de percevoir ses défauts : les excès de la superstition, le sort fait aux femmes, l'ambiguïté du système de castes ... Son livre ne glorifie pas non plus l'Occident où elle naquit et revint pour mourir. C'est avant tout un document impartial, rédigé par une exploratrice qui veut aller au-delà des réalités géographiques ou historiques des civilisations afin de discerner les points communs où elles peuvent se rejoindre ou, en tous cas, établir une sorte de trêve.__

Et c'est surtout un récit éblouissant, érudit, passionnant. Si vous vous intéressez un tant soit peu à la civilisation indienne, ne le manquez pas et rassurez-vous : Alexandra David-Néel a beaucoup écrit.

Pleins Feux - Patricia Wentworth (Grande-Bretagne)

Spotlight Traduction : Patrick Berthon

Extraits Personnages

Ah ! Enfin, diront certains, un roman avec Miss Silver ! Eh ! bien, oui, et même l'un des plus réussis, selon moi.

Le décor qui s'installe très vite semble d'ailleurs imaginé pour elle : un vieux manoir nommé "La Grange", possession d'un homme d'affaires qui vient de se faire assassiner. Miss Silver n'y est pas appelée à proprement parler pour résoudre le crime mais bparce qu'elle avait eu l'occasion de rendre un signalé service à l'héritière du disparu/b et que celle-ci s'estime plus rassurée si la vieille demoiselle vient lui tenir compagnie pendant la durée de l'enquête.

Bien que sacrifiant à quelques traits classiques - la jeune fille sans emploi qui en déniche un au pied levé, le soupirant qui feint le cynisme mais l'aime en secret, etc ... - que l'on retrouve souvent chez Wentworth mais que l'on accepte de bonne grâce tant on veut "savoir la fin", l'intrigue de "Pleins Feux" est plutôt complexe. En fait, la victime, Gregory Porlock - dont ce n'était pas le vrai nom, soit-dit en passant - exerçait depuis des lustres le très vilain métier de maître-chanteur. Et il était doué. Mais tant va la cruche à l'eau qu'un jour ...

Provocateur dans l'âme, Porlock n'avait pas résisté au désir de réunir ce soir-là à sa table une dizaine de personnes qui, toutes, pour une raison ou pour une autre, avaient bien des raisons de lui en vouloir et de le redouter. De Dorinda Brown, qui le reconnaît immédiatement comme "le Méchant Oncle" de son enfance, celui qui, avant de l'abandonner sans tambour ni trompette, fit tant pleurer la tante qui l'avait élevée, à Mr et Miss Masterman, qui viennent tout juste d'hériter une somme astronomique de la part d'une vieille cousine morte intestat, se dévide l'intégralité de la gamme des suspects : le couple Oakley dont l'épouse manque s'évanouir devant le cadavre en appelant celui-ci du prénom de "Glen", Mr Tote qui a le temps de confesser à sa femme, un peu avant la soirée fatale, que Porlock le "tient" par une histoire de marché noir, la belle Moira Lane qui, pour satisfaire aux exigences de la vie mondaine, a dû se résoudre à dérober, puis à vendre un bracelet de grande valeur, et enfin Leonard Carroll, comédien de son état et, dans le fond, un aussi vilain monsieur que l'était son hôte.

Ajoutez à cela un majordome qui n'est en fait qu'un détective privé expédié chez Porlock par des particuliers qu'il faisait chanter et le tableau sera complet.

Pour résoudre l'affaire, la police officielle en la personne de Frank Abbott, ancien élève de Miss Silver, et son supérieur hiérarchique, l'inspecteur Lamb. Et Miss Silver, bien entendu.

C'est à la fois tranquille et inquiétant, aussi embrouillé parfois que l'un de ces écheveaux de laine qu'aime à défaire l'ancienne gouvernante ou, au contraire, si clair, si évident, semble-t-il, que l'esprit recule en se disant que cette solution-là est bien trop criante pour être la bonne. De toutes façons, cela constitue un excellent moment de lecture - et de relecture.

jeudi, juin 28 2012

Cache-Cache Avec Le Diable - Patricia Wentworth (Grande-Bretagne)

Devil in the Dark Traduction : Delphine Rivet

Extraits Personnages

"Devil in the Dark" est un roman où n'intervient pas Miss Silver, l'"armchair detective" prototype de la Miss Marple d'Agatha Christie et de quelques autres. L'atmosphère en est donc un tantinet différente, Miss Silver apportant avec elle son sens tout edwardien des convenances et de la réflexion. Les personnages comme Frank Abbott, inspecteur au Yard, et son supérieur, March, sont donc tout aussi absents et les aficionados de l'ex-gouvernante reconvertie dans les enquêtes privées - dont je suis, je l'écris sans honte - regretteront sans doute les "Mon cher Frank !" régulièrement adressés au premier par son ancienne institutrice. Car, qu'elle l'ait voulu ou non, Wentworth reste pour ses fans inéluctablement liée à Miss Silver.

Pour autant, "Cache-Cache Avec Le Diable" est loin d'être un mauvais roman. Assez bizarrement, il émane de lui un parfum hitchcockien et le suspense est rigoureusement maintenu pendant les deux tiers - voire un peu plus - de l'ensemble. Même s'il trouve que quelque chose ne colle pas dans cette histoire de frères dont deux sont morts et un troisième porté disparu, le lecteur ne cesse de changer d'opinion sur l'identité réelle du dénommé John Brown. L'aimable et flirteur Bertrand Darnac, une bonne connaissance pourtant de l'héroïne, en tous cas en principe, parvient également à exhaler çà et là quelques relents de souffre. A l'exception sensible de la tante Marina, tous les membres de la famille Hildred peuvent d'ailleurs être tenus pour suspects, à l'un ou l'autre moment.

L'intrigue tourne autour d'un héritage très important que, suite à la "disparition" de ses deux oncles, Henry et Maurice, et de la mort de son père, Jack, la jeune Lucilla recevra dans son intégralité à sa majorité. Par un tour de passe-passe notarié, l'oncle qu'il lui reste et qui est aussi son tuteur - avec la tante Marina - Geoffrey Hildred, pas plus que son fils, Richard, surnommé Dicky, n'y ont aucun droit.

Et bien entendu, toute une pléthore d'"accidents" étranges et susceptibles de se révéler mortels semblent prendre pour cible l'adolescente, sous les yeux de plus en plus inquiets de Sarah Trent, une jeune fille engagée par la famille pour lui servir plus ou moins de "demoiselle de compagnie."

Qui est à l'origine de ces "accidents" ? Le simple hasard ? Une personne malintentionnée ? Lucilla elle-même, atteinte de quelque trouble mental non diagnostiqué ? Après tout, alors qu'elle se trouvait en pension, un incendie a éclaté par deux fois dans sa chambre ...

Ici encore, un policier classique qui se savoure tranquillement. A réserver aux amateurs d'intrigues un peu désuètes mais bien agencées et aux amoureux d'une atmosphère qui n'existe pas dans nos polars et thrillers contemporains.

Le Bonhomme de Neige - Jo Nesbø (Norvège)

Snømannen Traduction : Alex Fouillet

Extraits Personnages

Attirée par la quatrième de couverture, j'ai fait avec ce livre ce que je ne fais jamais - ou presque jamais - j'ai entamé une série par l'un de ses derniers opus parus, en l'espèce l'avant-dernier. J'ai donc découvert un univers solidement planté dans la neige norvégienne et aussi singulièrement bien charpenté, à savoir : un inspecteur toujours prêt à jouer au franc-tireur, alcoolique, hanté par le souvenir de trop de morts non résolues (Harry Hole), sa petite amie qui l'a quitté parce que, comme la majeure partie des compagnes de policiers, légitimes ou non, en tous cas dans la fiction, elle ne supportait plus de voir Harry ne jamais "décrocher" de son travail (Rakel), le fils adolescent de Rakel (Oleg), qui voue un véritable culte à Harry, un inspecteur adjoint à la limite de la beaufitude (Magnus Skarre), un technicien des services scientifiques fan de la culture américaine des années cinquante (Bjørn Holm), un supérieur hiérarchique d'une rare ouverture d'esprit (Gunnar Hagen) sans oublier les figures secondaires des services de Police.

Si l'on s'en tient à la seule intrigue policière, il n'est évidemment pas nécessaire d'avoir lu les livres précédents pour en suivre les méandres - et ils sont nombreux ! Mais pour ceux qui veulent à tous prix de l'action dès le début, ceux qui, comme ils aiment à le clamer haut et fort, n'aiment pas "les longueurs" (enfin, ce qu'ils prennent pour des longueurs parce qu'ils n'analysent pas la démarche de l'auteur) et ceux qui, de façon générale, n'apprécient pas les personnages de flics complexes, mieux vaudrait, à mon avis, commencer par "L'Homme Chauve-Souris", premier volume des aventures de Harry Hole. Pour voir comment tout s'y installe peu à peu : ambiance, décor, personnages, leurs tics, leurs défauts, leurs qualités, et surtout pour vérifier si ça accroche ou pas. Mais qu'ils passent au large de ce "Bonhomme de Neige" qu'ils risquent de trouver tout ce qu'il n'est pas : lent, poussif et piloté par un héros bizarroïde ayant une tendance certaine aux états d'âme.

Tous les autres, les dingues de la complexité, les amoureux des flics atypiques, les amateurs de tueurs en série fictifs plus portés sur l'intellect que ne le sont en général leurs homologues américains (dans le style des romans de Richard Montanari, par exemple, vite lus, vite oubliés), il vous faut lire Jo Nesbø. Vous pouvez commencer par son "Bonhomme de Neige" si, comme ce fut le cas pour moi, le thème choisi - la disparition de mères de famille lorsque tombe la première neige à Oslo et l'édification de curieux bonshommes de neige dans leurs jardins respectifs - vous séduit particulièrement. Comme vous pouvez choisir "L'Homme Chauve-Souris" et respecter l'ordre de sortie des livres. Non, répétons-le, parce que les intrigues sont liées entre elles d'un livre à l'autre mais pour le plaisir et l'intérêt qu'éprouve tout amateur de bons romans - polars ou pas - quand il sait qu'il a découvert un auteur de qualité, capable de créer un univers original autour de thèmes pourtant ressassés, et de le lui faire partager.__

Pour ceux qui tenteront "Le Bonhomme de Neige" sans passer par "L'Homme Chauve-Souris", sachez que vous y retrouverez cette lenteur propre aux polars scandinaves et qui n'est pas, à proprement parler, de la lenteur mais la nécessité de prendre son temps, nécessité plus impérieuse sans doute en un monde où l'hiver est si long et le froid si pesant. Fidèle à la règle du bon écrivain de polars, Nesbø essaime çà et là quelques petits cailloux pour que nous suivions la piste. Mais il est roublard - son Bonhomme de Neige aussi - et il arrive qu'on suive les mauvais cailloux, ceux qui ne débouchent sur rien ou sur un mensonge. Pourtant, dans les trente premières pages du roman, un détail est fourni qui, si le lecteur le relie correctement à la grande scène du début, livre en fait l'identité du criminel ...

Oui mais voilà : on s'interroge beaucoup sur cette grande scène et, du coup, on n'a pas le raisonnement si aiguisé qu'on le voudrait ...

En tous cas, lisez "Le Bonhomme de Neige" et courez découvrir le reste de l'oeuvre de Jo Nesbø. Je suis sûre et certaine que ça vaut le déplacement. D'ailleurs, j'y vais, moi, de ce pas.

mercredi, juin 27 2012

Ultimes Rituels - Yrsa Sigurðardóttir (Islande)

Þriðja táknið Traduction : Marie de Prémonville

Extraits Personnages

Un premier roman policier extrêmement bien mené. En fait, c'est la manière dont toute l'action est amenée et guidée qui sauve l'intrigue. Non que celle-ci soit médiocre mais une fois de plus parce que, lorsqu'on lit beaucoup de policiers, on finit par repérer très vite les détails révélateurs, ces "petits cailloux du Petit Poucet" que l'auteur est bien obligé d'éparpiller çà et là faute de se voir reprocher par la suite d'avoir mené son lecteur en bateau.

Précisons-le tout de suite : on ne devine pas l'identité de l'assassin avant les dernières pages. En revanche, ce que l'on devine très vite, ce sont les raisons pour lesquelles la famille de la victime, et tout particulièrement son père et sa mère, entretenaient avec elle des rapports aussi glaciaux. Et cela soutient grandement l'intérêt du lecteur jusqu'au final, plus peut-être - mais je ne parle que pour moi - que le désir de connaître le nom de l'assassin.

Rappelons brièvement l'intrigue : un jeune étudiant en Histoire, Harald Guntlieb, issu d'une famille richissime de banquiers allemands, vient travailler en Islande sur une thèse consacrée à la mise en parallèle des exécutions de sorciers en Europe continentale et en Islande. En Europe continentale, ce sont les femmes qui ont constitué la majorité des victimes - et c'est en ce sens qu'on peut réellement parler de "chasse aux sorcières." En Islande au contraire, ce sont les hommes qui, en priorité, ont nourri les bûchers.

Harald connaît d'autant mieux la question que son grand-père ne s'est pas contenté de lui léguer un héritage qui le rend parfaitement indépendant sur le plan financier : il lui a aussi passé la marotte de tout ce qui concerne l'Histoire de la Sorcellerie et de ses rituels. Le jeune homme en a même conçu une telle passion qu'il a procédé - ou fait procéder - sur sa personne à toutes sortes d'opérations du style pearcing aggravé, gravures à même la peau, etc ... avant de couronner le tout par une opération destinée à rendre sa langue bifide, comme celle des serpents ...

Comment un tel personnage a-t-il pu se faire assassiner, et par qui ? Et qui, surtout, a trouvé bon non seulement d'apposer une dernière gravure sur le corps du défunt mais aussi de l'énucléer ? ... Pour quelles raisons ? ...

La résolution de l'énigme décevra peut-être : c'est qu'elle est si ... hum ... si banale, si bassement matérialiste. On a beau se dire que, traditionnellement, le Diable est reconnu comme étant "le Seigneur de la Matière", ça ne console pas.

Néanmoins, dans l'ensemble, on passe un bon moment de lecture, pas si gore qu'on pourrait le penser d'ailleurs. Et puis, l'auteur a eu l'excellente idée de préserver jusqu'au bout l'ambiguïté du caractère d'Harald. Certaines explications finales sur son enfance ne parviennent pas en effet à résoudre l'énigme ultime : était-il un enfant normal ou un psychopathe en puissance ?

Riz Noir - Anna Moï

Extraits Personnages

Ecrit à la première personne, ce roman d'un peu moins de deux-cent-quarante pages, paru chez Gallimard en 2004, expose le point de vue de deux soeurs nées à Saïgon et partisanes, comme tous les membres de leur famille, du Front National pour la Libération du Sud-Viêtnam, mené par le régime communiste institué par Hô-Chi-Minh, le 20 juillet 1954, dans le nord du pays sous le nom de République Démocratique du Viêtnam.

Malheureusement pour elles, les deux jeunes filles sont arrêtées et enfermées dans les cages à tigre du sinistre bagne de Poulo Condor, créé par l'administration coloniale française en 1862 dans l'île du même nom, dans l'archipel de Côn Đảo. Là, dans la moiteur étouffante de la jungle, entourée de prisonniers et de gardiens, elles se remémorent des scènes de leur enfance et de leur adolescence ainsi que les interrogatoires qui ont suivi leur arrestation.

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, ce n'est pas un livre "engagé." Anna Moï se contente de rapporter les faits tels qu'ils furent. Si elle ne nous épargne pas les actes de torture, elle laisse entendre que, de l'autre côté, ces scènes-là avaient également cours. Son but est surtout d'expliquer la résistance des Sud-Viêtnamiens qui voyaient à l'époque dans le régime d'Hô-Chi-Minh l'Etat qui avait chassé l'occupant français. Comme elle écrit sans haine, avec le simple besoin de comprendre et d'être comprise, il est facile de se mettre à sa place et de mieux appréhender ce point-de vue.

Un petit ouvrage modeste mais très bien fait et qui touche plus sûrement peut-être que ne le ferait le plus enragé des pamphlets. ;o)

dimanche, juin 24 2012

Pour Une Juste Cause & Vie & Destin - Vassili Grossman ( III )

Comme Stalingrad pour la Seconde guerre mondiale, cette découverte marque le tournant décisif dans l'oeuvre de Grossman. ]Mais il ne tombera pas dans le piège de l'auto-apitoiement, il fera beaucoup mieux : l'horreur imposée aux Juifs par les Nazis, il fait en sorte de la dépeindre comme un fléau universel, capable d'atteindre du jour au lendemain l'Humanité tout entière. Vous faut-il une preuve ? Le sort infligé à Sturm, alter ego vraisemblable de l'auteur dans le roman et physicien dont se détournent peu à peu, après la guerre, parce qu'il est juif, tous ses bons "camarades", qu'ils aient ou non leur carte au Parti, voilà cette preuve, froidement et presque cliniquement détaillée par un homme à qui les siens ont fait perdre ses dernières illusions.

On admirera l'ironie avec lequel l'effacement progressif de Sturm dans et par une société soviétique qui se soumet à l'antisémitisme stalinien est justement stoppé par un appel téléphonique du Coryphée suprême, désormais soucieux, en raison des progrès américains en la matière, des théories sur l'atome du physicien déchu ...

Sturm est sauvé, certes : mais les autres ? Les autres Juifs, bien sûr mais aussi tous les autres qui, sans être juifs, pourrissaient dans les isolateurs ou dans les camps de travail du régime ? ...

On ne peut que demeurer muet et admiratif devant l'humanité profonde qui a permis à Vassili Grossman non seulement de transcender ses chagrins personnels - en tant que fils, en tant que père, en tant que juif - et de trouver la force de faire si tôt le lien entre les deux grands totalitarismes du XXème siècle, mais aussi de refuser l'auto-apitoiement facile de ses pairs pour se préoccuper avant tout de la souffrance humaine universelle. Ce faisant, il faisait de "Vie & Destin", dont tous les exemplaires manuscrits furent, en principe, confisqués par le KGB en 1961, un livre lui aussi universel qu'il ne faut pas hésiter à lire. S'il y a un homme qui mérita un jour le titre si galvaudé à notre époque de "citoyen du monde", ce fut bien Vassili Grossman : lisez "Vie & Destin" - vous comprendrez.

Pour Une Juste Cause & Vie & Destin - Vassili Grossman ( II )

Correspondant de guerre pour "L'Etoile Rouge", Vassili Grossman eut tout le temps d'assister aux combats qui marquèrent le siège de Stalingrad et qui durèrent de juillet 1942 à février 1943. Il y puisa l'idée de "Pour Une Juste Cause" qui, on ne s'en étonnera pas, est avant tout une oeuvre très engagée, patriotique et nationaliste. L'auteur nous dépeint la lutte de géants qui opposa son pays à l'Allemagne nazie en nous présentant tout un lot de personnages plus ou moins attachants, dont les membres de la famille Chapochnikov. Si l'on excepte les absurdités administratives de l'armée, les instances soviétiques ne sont pas critiquées.

Sans être ennuyeuse, cette partie du livre dépasse rarement le niveau d'un honnête roman de propagande. Mais tout va changer avec "Vie & Destin."

Quand il s'attaque à cette deuxième partie, Grossman est un homme gravement ébranlé par la guerre : il y a perdu son fils aîné et il a été l'un des premiers à entrer à Treblinka. Pire encore : sa mère, à laquelle il dédiera "Vie & Destin", est morte dans un ghetto. En d'autres termes, ce Russe d'origine juive, qui ne parle pas le yiddish et qui a été élevé dans une famille non pratiquante, se voit appelé, pour la première fois, à réfléchir à son identité.

Pour couronner le tout, si l'on peut dire, la sortie, en 1952, de "Pour Une Juste Cause", et sa démolition en flammes par un critique empressé aux ordres du Généralissime, font comprendre à Grossman que ce socialisme soviétique pour lequel il s'est battu est en train de relever le flambeau hitlérien contre les juifs. Oh ! bien sûr, Grossman avait entendu parler des pogroms mais tout cela se passait sous le régime tsariste et était d'autant plus inconcevable dans l'URSS marxiste-léniniste de l'après-guerre que les Soviétiques d'origine juive s'étaient battus comme les autres contre l'envahisseur ...

Et pourtant ...

samedi, juin 23 2012

Le Postier - Charles Bukowski

Post Office Traduction : Philippe Garnier

Extraits Personnages

Pour les gens de ma génération qui, s'ils se sont intéressés aux livres dès leur berceau, y ont assisté en direct, Charles Bukowski, c'est avant tout 'extraordinaire numéro filmé par les caméras d'Antenne 2 le 22 septembre 1978, sur le plateau d'"Apostrophes", en présence d'un Bernard Pivot sidéré, d'une Catherine Paysan très gênée et d'un François Cavanna qui, tenta lui-même, à sa façon bien spéciale ("Ta gueule, Bukowski !"), de raisonner l'écrivain américain. Pour les hommes, Bukowski, c'est aussi un auteur qui, dans ses textes, appelle ... eh ! bien, un félin, un félin et qui, visiblement, se complaît à le faire - procédé qui, de tous temps, a soulevé l'admiration des messieurs, avouons-le, et a souvent fidélisé leur clientèle. Pour les femmes, l'effet est en général inverse et dans le sexe dit "faible", nombreuses sont celles qui tiennent Charles Bukowski pour un fameux pervers et un obsédé absolument dégoûtant.

Bien que de nature non bégueule et considérant qu'il faut de tout pour faire un monde, je me tenais jusqu'ici - aurais-je le courage de l'avouer ? - plutôt du côté féminin. Mais avec l'âge, on évolue et on se dit - surtout quand on a sur son forum un dénommé "Ignatius" , dont l'un des Dieux littéraires est justement Bukowski : "Pourquoi pas ? Essayons." Et bien entendu, j'ai essayé par ce qui fut le premier roman de Bukowski. Tout d'abord parce que je trouvais ça logique pour un auteur que je n'avais jamais lu. Ensuite parce que je me disais que, comme il s'agissait d'un premier opus, il y aurait peut-être dans ses pages un peu moins de félins appelés par leur nom.

Et alors là, mes amis, quelle surprise ! Et même quelle surprise plaisante ! Et quels fous rires aussi car, si vous lisez "Le Postier", vous ne pouvez vous empêcher ni de sourire, ni de rire même si, de temps à autre, notamment quand il évoque le décès de Betty, femme qu'il aima visiblement sincèrement, la tristesse de Bukowski vous atteint d'un trait sûr.

Dès la première page, j'ai eu l'impression - assez déconcertante et des plus rares - que l'auteur s'invitait à ma table et commençait à me raconter son histoire avec la familiarité tranquille de qui vous connaît depuis longtemps. Plus déconcertant encore, si possible : il me semblait avoir toujours connu Bukowski.

Pour réaliser ce tour de force, s'installer chez son lecteur, et un lecteur pas si bien disposé que ça après tout, dès les premières pages d'un livre, et sans lui donner un seul instant l'impression de s'imposer autrement que comme un ami, il faut déjà être un sacré bon écrivain. Pour tenir la route pendant près de deux-cents pages, sans que jamais l'intérêt ne retombe, et tout ça sans avoir écrit un thriller, il faut même être un très grand écrivain - un vrai. D'autant que, dans le cas de Bukowski, il y a, bien sûr, le problème de la traduction - je précise que j'ai trouvé celle de Philippe Garnier très réussie.

Car pour atteindre à cette simplicité si paisible, si évidente, il faut avoir un sens aigu du mot. N'importe qui ne peut pas faire ça : il faut beaucoup de travail pour y arriver même si l'on peut penser que la veine poétique de Bukowski l'a beaucoup favorisé.

"Le Postier" est, pour l'essentiel, le récit, insolite, drôlatique, émouvant, des tribulations de l'auteur, dissimulé sous son avatar d'Henry Chinaski, du temps où il travaillait pour la Poste des Etats-Unis - et il y a quand même bossé douze ans, au bout desquels il se plaignait d'ailleurs d'avoir pris je ne sais combien de kilos. Cela déborde d'un humour si féroce et en même temps si jovial que cela ne se raconte pas - ou alors très mal. Et en filigrane, allant et venant comme un requin rôdant dans les grands fonds, cet "A quoi bon ?" terrible de Bukowski s'interrogeant sur la nécessité même de l'existence, cet "A quoi bon ?" dont, pourvu qu'on sache faire preuve d'honnêteté envers soi-même, on sait bien que, certains soirs ou encore certains petits matins, dans les brumes du réveil sur une journée sans but, on perçoit en son coeur les échos lassés et pleins d'humeur.

Après ça, Bukowski, c'est pour ainsi dire un frère. Un frère souvent mal embouché et qui aurait dû boire un peu moins, un frère exaspérant et désespérant quand il se met à parler sexe, sexe et rien que sexe, mais un frère tout de même. Un frère doté d'un charme plutôt mélancolique mais indéniable qui explique sans doute en partie pourquoi cet homme plaisait tant aux femmes. Je vais peut-être me faire taper sur les doigts par Ignatius mais tant pis : il y a beaucoup de l'enfant, chez Bukowski, un enfant râleur, buté, toujours prêt à inventer la bêtise du jour et à poser les questions qu'il ne faut pas, mais aussi un enfant avide de tendresse et de compréhension. Et qui refuserait à cet enfant de s'asseoir à sa table, surtout quand celle-ci est bien garnie ?

Moi, en tous cas, je ne le ferai pas et désormais, Charles Bukowski aura table ouverte chez moi. Dans son intérêt, je garderai tout de même un oeil sur les bouteilles - il boirait n'importe quoi, ce petit ...

Effi Briest - Theodor Fontane (Allemagne)

Effi Briest Traduction : André Coeuroy Préface : Joseph Rovan

Extraits Personnages

Si le premier roman publié de Theodor Fontane se distinguait, paraît-il, par sa mièvrerie et par tout un ensemble de défauts dont le peu de stature des personnages et le style plat, "Effi Briest", l'un de ses derniers, constitue à l'opposé une vraie merveille de construction et de réalisme. A l'époque de sa parution, c'est-à-dire en 1894, le monde littéraire européen et américain était encore sous le choc du Naturalisme, que Zola, son créateur, avait pourtant baptisé ainsi près de trente ans auparavant. Fontane, comme tout un chacun à cette époque, a lu l'épopée des Rougon-Macquart - le roman "Nana" est même évoqué dans "Effi Briest". Mais les excès du Naturalisme ne sont pas pour lui. Il va simplement lui emprunter le regard sévère qu'il porte sur la société et, en en gommant la tendance au paroxysme, l'adapter à la raideur et aux conventions prussiennes. On en revient au réalisme, la base même du Naturalisme.

"Effi Briest" ressemble à un cours d'eau serpentant, avec douceur et tranquillité, à travers la Marche du Brandebourg et la Poméranie. Au début, ce modeste ruisseau est d'une clarté chantante. Mais, au fur et à mesure que l'héroïne avance dans sa découverte de la vie, des sentiments amoureux et de leurs conséquences, il se fait de plus en plus sombre avant, dans sa dernière partie, de retourner peu à peu à sa pureté originelle. Quand on évoque ce livre, on pense souvent à la "Mme Bovary" de Flaubert. Mais restons attentifs. L'univers dans lequel évolue la malheureuse Emma est beaucoup plus noir et peint d'un trait plus chargé, qui, avec un personnage comme Homais, peut même prétendre à la caricature. A se demander, après avoir lu le roman de Fontane, si Flaubert était si "réaliste" que ça ... Ou si sa recherche frénétique du mot juste ne relevait pas d'un désir profond d'éradiquer en lui les velléités flamboyantes et baroques qui font la grandeur et la faiblesse de "Salammbô."

Si réalisme il y a, celui de Flaubert est en tous cas marqué - nul ne pourra le nier - au coin d'un pessimisme puissant, qu'explique le caractère de l'homme. Celui de Fontane au contraire refuse de faire pencher la balance dans un sens ou dans l'autre. Pour le premier, le monde ne peut être sauvé (en vaut-il la peine, d'ailleurs ?), pour le second, on ne perd rien à essayer ... Quoi qu'il en soit, le Français et le Prussien se rejoignent en ceci que tous deux prennent fait et cause pour leur héroïne - Flaubert avec certainement plus d'agressivité.

L'héroïne de Fontane n'a que dix-sept ans quand elle épouse un ancien soupirant de sa mère, le baron von Innstetten, de vingt-et-un ans son aîné. J'aimerais pouvoir vous dire que cette différence d'âge, la rapidité avec laquelle se nouent les fiançailles - vingt-quatre heures - le fait aussi que le baron, jeune homme, ait courtisé la mère d'Effi, causent problème à un moment ou à un autre. Mais non : c'est admis dans les moeurs. Or, Effi est une jeune fille docile, élevée dans l'idée de faire un "bon" mariage, si possible avec un fonctionnaire impérial doté d'un bel avenir - et c'est le cas de son prétendant, qu'on voit déjà finir ministre. Elle l'épouse donc et le suit en Poméranie, dans une petite ville de province.

C'est un début banal, pour une histoire banale. La suite, bien sûr, c'est la liaison adultère entre Effi et le capitaine von Crampas. Une liaison aussi passionnée que secrète, à laquelle met fin la mutation de von Innstetten à Berlin. Puis vient la découverte, par le mari, de quelques billets doux conservés par la sentimentale Effi dans sa boîte à ouvrage et alors, le drame éclate ...

Six ans après, alors qu'il y a pour ainsi dire prescription, parce que le baron a des principes et tient à les faire respecter. Résultat : une vie gâchée, humiliée - renvoyée au néant.

L'intrigue, comme on le voit, est simple, pour ne pas dire classique. Les personnages s'incarnent lentement mais sûrement sans que l'auteur éprouve le besoin d'approfondir leurs états d'âme (Fontane suggère, il ne dit pas). Pour calmer les bien-pensants, il joue avec habileté avec la culpabilité qui mine la malheureuse Effi et la mène à sa perte - laquelle est aussi, à ses yeux comme pour ceux qui l'observent, sa rédemption. Mais au-delà, le lecteur ne manque pas de saisir la critique sévère portée sur une société capable non seulement de marier une innocente de dix-sept ans à un homme qui pourrait être son père, mais aussi de proposer ce genre d'unions comme LE modèle parfait. Le sacrifice que fait Innstetten de sa femme au nom des principes édictés par la société et pour conserver son rang, est aussi appelé au banc des accusés. Fontane n'oublie pas enfin de blâmer les parents d'Effi qui, en un premier temps, se refusent à donner asile à leur fille désormais divorcée : eux non plus ne veulent pas perdre leur rang et voir se détourner d'eux leurs amis. Ce n'est que lorsque la Mort est là, lorsqu'elle s'installe, bien décidée à ne pas repartir sans Effi, que les von Briest acceptent de reprendre leur fille.

Cet acte d'humanité, pour tardif qu'il soit, permet à l'auteur de poser une ultime question : ces parents pourtant affectueux et pour qui Effi avait tant d'amour ne sont-ils pas les premiers coupables de tout ce gâchis ? La question résonne d'autant plus juste que c'est celle qui, justement, semblait avoir en cette histoire un aussi grand amour des principes que le baron von Innstetten, la mère d'Effi, qui finit par l'exprimer devant la tombe de sa fille.



En fait, "Effi Briest" est l'histoire d'une jeune fille que ses parents eux-mêmes préférèrent immoler sur l'autel des conventions et des règles édictées par la bonne société prussienne. Avec un tel programme et les circonstances atténuantes que l'auteur prête (de très bon coeur) à son héroïne - en particulier la note terrible par laquelle il signale que "Innstetten n'était pas un amant" - on comprend que le livre ait paru subversif à nombre de ses contemporains.

jeudi, juin 21 2012

Mots de Tête - Robert Olen Butler

Severance Traduction : Isabelle Reinharez

Extraits Personnages

Avec ses cent-trente-quatre pages, "Mots de Tête" appartient à la catégorie des exercices de style. L'auteur s'est interrogé sur les dernières pensées qui pouvaient s'agiter dans une tête brutalement séparée de son corps, que cette séparation (Cf. le titre anglais) soit accidentelle ou volontaire.

Les décapités illustres ne manquent pas : Cicéron, exécuté sur l'ordre de Marc-Antoine, Messaline, épouse trop libertine de l'Empereur Claude, Jean-Baptiste, prophète bien connu pour, entre autres, s'être nourri exclusivement de miel et de sauterelles, Ann Boleyn, seconde épouse d'Henry VIII Tudor et sa cousine, Catherine Howard, qui en fut la cinquième et avant-dernière, Marie Stuart, reine d'Ecosse et, très brièvement, de France, Louis XVI, roi de France qui ne savait pas faire couler le sang du peuple, et son épouse Marie-Antoinette qui, si elle ne vécut pas toujours de cette manière, sut en tous les cas mourir en reine, Robespierre, l'un des rares hommes politiques de notre planète célèbre pour son incorruptibilité (d'où son surnom), André Chénier, poète de son état mais aussi Lacenaire et Landru, le poète-assassin et le séducteur à la barbe fleurie, l'écrivain japonais Mishima Yukio, qui pratiqua le seppuku, suicide dont le second acte, si l'on peut dire, réside en une décapitation dans les formes et Robert Olen Butler lui-même, probablement décapité par un éditeur en furie dans un avenir qu'il préfère ne pas trop préciser , voici quelques uns de ceux que vous croiserez dans ce petit livre à l'ultime instant de leurs pensées. Dans un louable souci démocratique, l'auteur y a ajouté plusieurs parfaits inconnus, une poule et même des créatures mythiques comme la Gorgone.

Bien que très sanguinolent quant à son thème, l'ouvrage se laisse lire, d'autant qu'il n'est pas dépourvu d'humour. Un petit moment agréable, mais rien de plus même si Olen Butler a, c'est visible, beaucoup et sérieusement réfléchi aux idées qu'il allait prêter à ses personnages.

Le Liseur - Bernhard Schlink (Allemagne)

Der Vorleser Traduction : Bernard Lortholary

Extraits Personnages

Avant toute chose, je tiens à dire que je n'ai pas compris pourquoi l'on n'avait pas traduit le titre tout simplement par "Le Lecteur." En effet, dans certains milieux, les dames de compagnie servaient aussi de "lectrices." Alors, pourquoi ne pas adopter ici le masculin puisque, effectivement, le héros sert bien de lecteur à sa maîtresse ? ... Enfin, passons.

Le style est simple, fluide, les chapitres ramassés et l'auteur va droit à l'essentiel. Mais alors, question personnages et surtout thèmes choisis, quelle complexité et plus encore quelle ambiguïté, mes aïeux !

Oui, l'on peut dire que l'auteur soulève ici la question de la perception des agissements du Troisième Reich par les générations qui n'ont pas vu les Nazis directement à l'oeuvre. Maintenant, soutenir qu'il s'agit là du seul thème traité avec, bien sûr, l'inévitable Shoah, c'est tout de même un peu fort de café ! Déjà, le jugement que porte sur les faits dont Hanna s'est rendue coupable l'homme qui l'a jadis aimée est plus qu'ambigu. Ces faits, il les réprouve, certes - qui ne les réprouverait ? - mais il laisse aussi la porte ouverte à un effort de compréhension de ces actes, compréhension qui ne les justifie en rien, cela va de soi. De temps à autre, comme il semble redouter, en tant qu'Allemand - et on le comprend ! - d'écrire un mot de trop ou de travers sur la question, Schlink sort une ou deux phrases hautement vertueuses et délaie consciencieusement sa sauce. Ca a pour principal effet de rendre son propos encore plus ambigu mais - à moins qu'ils ne soient complètement idiots ou naïfs - ça ne convaincra que ceux qui veulent bien se laisser convaincre.

C'est d'ailleurs en cela que "Der Vorleser" est intéressant et même, à certains moments - comme l'instant où Hanna demande au juge : "Et vous, qu'auriez-vous fait ?" - carrément passionnant - et oh ! combien dérangeant.

Pourtant, elle n'a pas l'air bien dangereuse, au premier abord, cette histoire d'amour entre un adolescent de quinze ans (Michael Berg], qui est aussi le narrateur) et une femme de trente-six ans (Hanna Schmitz.) Un jour, Hanna disparaît. Comme ça, brusquement, sans rien dire. Comme Michael commençait alors à s'intéresser à des filles de son âge, ça le soulage plutôt qu'autre chose : c'est la vie, pourrait-il dire.

La deuxième partie s'ouvre vraisemblablement au début des années soixante, à l'époque des derniers grands procès des anciens collaborateurs des Nazis. Michael, maintenant étudiant en droit et jeune Allemand conscient du fardeau qui pèse sur la génération de ses parents, assiste régulièrement à ces procès. Or, un jour, il aperçoit Hanna parmi les accusés. Une Hanna de quarante-trois ans maintenant, donc un peu plus lourde, un peu changée mais c'est bien elle tout de même. Au fil des audiences, le jeune homme apprend qu'elle a été gardienne dans divers camps de concentration.

Plus tard - une vingtaine d'années à peu près - Berg demandera à Hanna si, pendant leur liaison, dans ces moments où ils étaient dans les bras l'un de l'autre, il lui arrivait de penser à cette époque-là de sa vie. "Non", répondra-t-elle simplement.

C'est qu'Hanna n'a pas rejoint l'administration nazie par désir d'exercer son sadisme et sa méchanceté. Non, à l'époque, le responsable de l'usine où elle travaillait voulait la faire passer contremaître. Et Hanna a préféré laisser tout tomber et "se réfugier", en quelque sorte, dans cette carrière de garde-chiourme : tout ça pour ne pas avoir à avouer qu'elle était analphabète.

C'est là le grand, le terrible secret d'Hanna. C'est ce qui la poussait à demander à son jeune amant de lui lire à haute voix les livres que lui-même aimait et connaissait. C'est ce qui la poussait, dans les camps, à choisir, toujours parmi les plus faibles, parmi celles qui n'auraient pas résisté aux travaux forcés, une déportée capable de lui faire chaque soir la lecture.

Mais les juges ne le sauront jamais - Berg, qui comprend enfin durant le procès, ne sait comment en parler au président et, finalement, en dépit de sa conscience qui le tourmente, se résigne à ne rien dire. Impuissant et comme anesthésié - un mot qui revient souvent sous sa plume - il voit même Hanna accepter en silence d'endosser la responsabilité d'un rapport mensonger sur un crime de guerre alors que, ne sachant ni lire, ni écrire, elle aurait été bien incapable de le rédiger. Cet aveu, bien sûr, alourdira sa peine : dix-huit ans de prison.

Devant une intrigue apparemment si simple, le lecteur, qui ne s'y attendait guère, n'arrête pas de se poser des questions. Et la principale, la voici :

Le personnage d'Hanna, qu'on est parfois tenté de qualifier d'"animal" dans le sens de "sain, sans complication, naturel", symbolise-t-il l'Allemand moyen de sa génération, pas plus mauvais qu'un autre finalement mais qu'un concours de circonstances aberrantes, allié sans doute à l'instinct de conservation propre à l'être humain, a contraint à composer avec le gouvernement nazi en espérant que tôt ou tard, celui-ci chuterait ?

J'entends d'ici les arrogants, les sûrs d'eux, les pour ainsi dire parfaits, s'exclamer en un choeur vertueux : "Et le libre-arbitre, alors ?" Et ils auront raison : le libre-arbitre, ça existe ...

... Dommage que le juge qui va condamner Hanna n'ait pas finalement l'air si convaincu de cette existence ...

"Le Liseur" de Bernhard Schlink : un livre ambigu et qui pose les bonnes questions à ceux qui veulent bien ne pas se boucher les oreilles. Si vous êtes de ceux-là, lisez-le. Sinon, rendormez-vous sur votre confort moral : on vous réveillera au prochain arrêt.

mercredi, juin 20 2012

La Fin de Horn - Christoph Hein (Allemagne)

Horns Ende Nouvelle Traduction : François Matthieu

Extraits Personnages

Publié cinq ans après "L'Ami Etranger" mais achevé bien avant lui, "La Fin de Horn" permet à son auteur de donner la pleine mesure de son style avec un récit complexe et foisonnant, où chacun tente de fuir ou de ranimer ses souvenirs autour de la mort d'un homme. Qu'en est-il exactement des raisons de cette mort ? Pourquoi Horn est-il allé se pendre à un arbre, dans la forêt de Guldenberg ? Etait-ce une affaire personnelle ou politique ? Et la version officielle de l'histoire recoupe-t-elle bien les évènements ?

Hein aime à dénoncer les mille manières que peut avoir une société totalitaire pour étouffer, pour écraser un homme - et pour bâillonner les autres. Il pose ici la question de la falsification de la mémoire collective par des procédés dont celui - bien connu des staliniens pour ne citer qu'eux - qui consiste à gommer un tel ou un tel sur une photographie officielle reste le moins subtil. Il reste entendu que ce que l'on peut faire à l'échelle mondiale, est aussi possible dans une dimensions plus privée, lorsque les circonstances l'exigent.

Infime rouage administratif, envoyé pour une faute vénielle sur la voie de garage qu'est le musée de de Guldenberg, Horn est un homme réservé, qui se livre peu mais fait honnêtement son travail d'historiographe Jusqu'à ce qu'une nouvelle erreur de sa part, provoquée par cette partie de lui qui refuse de penser "selon la ligne", vienne réveiller les vieux démons et ramène à son domicile deux policiers d'un genre très spécial, qui lui rappellent fort à propos que sa soeur a quitté illégalement le pays et qu'on le suspecte d'entretenir des relations avec elle ...

Autour de Horn, une petite ville thermale assoupie sous les brumes de l'hiver ou sous l'entêtant soleil de l'été et où les jours s'écoulent avec une feinte insouciance. Et les narrateurs qui nous restituent leurs souvenirs fragmentés : Kruschkatz, le maire, qui aurait tant voulu que les choses ne se fussent pas déroulées ainsi ; le Dr Spodeck, un cynique qui gagne à être connu ; Gertrud Fishlinger, l'épicière, peut-être le personnage le plus attachant du roman ; Thomas qui, adolescent, a découvert le corps de Horn, pendu à un arbre dans la forêt, et puis, de temps à autre, Marlene, la fille "différente" mais chérie de M. Gohl, personnage qui nous rappelle l'une des pages les plus inhumaines de l'époque nazie. Tous ont connu Horn, tous ont vécu le drame et tous le déplorent. Certains regrettent de ne pas avoir su écouter, voir, prévoir ... Et d'autres regrettent d'avoir détourné le regard pour, justement, ne pas voir.

Un roman d'une grande richesse stylistique, qu'on a plaisir à lire à haute voix. Un roman bourré d'émotion mais qui ne tombe jamais dans le mélodrame. Un roman qui, mieux que "L'Ami Etranger", nous fait pénétrer dans l'univers de Christoph Hein, assurément l'un des plus grands auteurs allemands contemporains.

L'Ami Etranger - Christoph Hein (Allemagne)

Der fremde Freund Traduction : François Mathieu avec la collaboration de Régine Matthieu

Extraits Personnages

Bien que ce soit lui qui, en 1982, ait apporté le succès à Christoph Hein, ce n'est pas "L'Ami Etranger" que je conseillerai de lire pour faire connaissance avec cet auteur. "Der fremde Freund" est en effet l'étude, glacée quoique impeccablement détaillée, de la vie d'une petite fonctionnaire de la santé, dans l'ancienne R. D. A. Mais attention : si le système politique de la République Démocratique Allemande brille par sa froideur et sa volonté, typique du totalitarisme, de déshumaniser l'humain, on peut dire que, avec Claudia, l'héroïne ou plutôt l'anti-héroïne de ce roman, il n'a pas eu à se donner beaucoup de mal pour la faire correspondre au modèle rêvé du parfait citoyen est-allemand. Par nature, Claudia ne s'intéresse qu'à elle et, en dépit de la profession qu'elle a choisie - médecin - elle n'attache pratiquement aucune importance à l'Autre.

Sa relation, éphémère et dissoute dans la Mort, avec Henry, l'un de ses voisins, semble un temps parvenir à la rattacher à la vie normale par le biais de la jalousie. Mais elle se reprend bien vite : Claudia ne veut avoir aucun problème et, après tout, Henry est encore marié.

Le titre* du livre indique d'ailleurs suffisamment que son amant lui demeurera étranger jusqu'au bout. Il y a, chez cette femme à la personnalité pourtant affirmée - en apparence tout au moins - une véritable et tragique angoisse à l'idée de se démarquer de la masse, de se faire remarquer. Sa phrase favorite - sa règle d'or - qui apparaît de plus en plus au fur et à mesure que défilent les pages, c'est : "Ce n'est pas mon problème." Et, l'ayant prononcée ou pensée, elle se recroqueville sur elle-même dans son minuscule appartement où elle amasse des milliers et des milliers de photographies qu'elle prend et développe elle-même. Des photos de ruines ou de végétaux, en général rabougris ou desséchés : jamais un seul portrait, jamais un seul être vivant.

Claudia est-elle née ainsi ou son incapacité à "voir" l'Autre tel qu'il est, à s'intéresser à lui, à s'ouvrir à lui, est-elle le résultat de la pression exercée, sur elle et sur sa génération, par la société dans laquelle elle a vu le jour et où elle a toujours vécu ? Une société où, dans les écoles et dans les milieux étudiants, on conseille de rapporter à qui de droit les propos tendancieux ou "contraires à l'esprit socialiste" ? Une société où cet espionnage est chose courante dans tous les milieux, certains y sacrifiant par conviction, d'autres parce que la Stasi les tient d'une façon ou d'une autre ?

Hein n'évoque pas ainsi le problème. Il choisit de nous dépeindre la vie au jour le jour de Claudia - et c'est épouvantable. L'annonce de la mort, pourtant inattendue, de son amant la trouble à peine. Oh ! on sent bien que cela la touche tout de même un peu mais, presque instantanément et comme si sa propre vie en dépendait, elle transforme l'émotion ressentie en une forme de soulagement : maintenant qu'Henry l'a quittée sans aucun espoir de retour, maintenant qu'elle vient de fêter ses quarante ans, elle ne court plus aucun risque, elle peut, en toute tranquillité, se replier dans son cocon. Loin des problèmes. De tous les problèmes.

Le style de Hein est toujours aussi riche : l'homme aime à raconter. Mais le contraste entre ce style et ce qu'il nous dépeint - la routine glacée, les réflexions mesquines, l'égocentrisme affiché de son personnage - a quelque chose d'implacable. Le lecteur se cramponne pourtant à l'histoire, bataille, cherche avec désespoir à y trouver quelque chose qui sorte de l'ordinaire. Mais rien, il n'y a rien. Et si l'on pressent, à la page finale, que toute cette satisfaction d'une femme qui se retrouve enfin seule dissimule un degré d'amertume au moins égal à son égoïsme, on ne peut s'empêcher de se dire que c'est peut-être un effet de notre imagination ...

* : le titre est-allemand. En République Fédérale, le livre sortit sous celui de "Le Sang du Dragon", par référence à la "carapace" que l'héroïne se construit pour vivre et à laquelle elle fait référence comme un procédé similaire à celui employé par Siegfried dans les "Niebelungen", lorsqu'il se plonge dans le sang du dragon qu'il vient de tuer. A notre humble avis, le titre ouest-allemand est mieux approprié.

lundi, juin 18 2012

Trame d'Enfance - Christa Wolf (Allemagne)

Kindheitmuster Traduction : Ghislain Riccardi Postface : Danièle Sallenave

Extraits Personnages

Voici l'un des ouvrages les plus complexes que j'aie jamais lus. Non en raison de son style, qui demeure, en dépit de la traduction de l'allemand, largement accessible au lecteur moyen, mais en raison de ses thèmes principaux : la mémoire individuelle face à l'Histoire d'une part et, de l'autre, le choix de l'intervention chez l'être humain confronté à la dictature et enfin, bien sûr, la culpabilité. ("Trame d'Enfance" est même si complexe qu'il nécessitera certainement, à un moment ou à un autre, une relecture.)

Ce livre éveille chez son lecteur une profonde fascination. Fascination pour l'intelligence de celle qui écrit mais aussi fascination pour l'impossibilité dans laquelle Christa Wolf s'est trouvée, en dépit (ou à cause de) son intelligence, d'éviter la chape de plomb de la culpabilité qui s'est abattue sur l'Allemagne de l'après-guerre.

Avec ce sûr instinct de l'écrivain qui entend exprimer ce qu'il ressent avec un maximum d'intégrité, Wolf souligne - consciemment ou non, il est difficile de l'affirmer sans se tromper - cette contradiction en utilisant tour à tour les trois premières personnes du singulier pour évoquer son propre personnage. L'enfant qu'elle fut, celle qui vécut sous le nazisme puisqu'elle avait eu la malchance de naître en 1929 et dans une petite ville proche de la frontière germano-polonaise, elle l'habille d'une nouvelle identité et la baptise d'un nouveau prénom : Nelly. Et quand elle raconte Nelly, ses parents qui, comme tant d'Allemands, préféraient ne rien voir parce qu'ils ne pouvaient pas faire grand chose, et le cours de leur existence trop paisible si l'on considère les malheurs qui s'abattaient à l'époque sur tant de malheureux, Wolf préfère utiliser le "elle" : c'est la seule façon qu'elle a trouvée, nous explique-t-elle, pour avoir un recul acceptable.

Lorsqu'elle parle de son incarnation actuelle, c'est-à-dire la Christa Wolf écrivain, l'un des plus connus de la République démocratique allemande, elle n'a par contre aucune difficulté à utiliser le "Je". Mais le plus troublant - et ce que certains lecteurs jugeront déstabilisant - c'est le "Tu" qu'elle emploie pour s'adresser au fantôme de sa jeunesse et, de temps à autre, au "Je-Christa Wolf", ce qui lui arrive par exemple quand elle analyse son travail d'écrivain sur le présent manuscrit.

La forme de "Trame d'Enfance" n'est donc pas simple et risque d'occasionner quelques maux de tête à certains.

Le fond, maintenant : Christa Wolf, citoyenne de R. D. A. probablement revenue de certains aspects parmi les plus rebutants du communisme stalinien mais plaçant encore tous ses espoirs dans les théories socialistes, met en parallèle un voyage qu'elle fit dans les années soixante-dix, en compagnie de son mari et de leur fille, dans sa ville natale entretemps redevenue polonaise (Landsberg-an-der-Warthe, actuelle Gorzów Wielkopolski), et les souvenirs qu'elle a conservés de sa jeunesse sous les aigles nazies. La question centrale est, on le devine : pourquoi ?

Vu le contexte, ce serait une question banale si Wolf ne s'interrogeait en fait non seulement sur les motifs qui ont permis au national-socialisme de prendre son envol mais aussi - mais surtout et l'on est tenté d'écrire hélas ! - sur les raisons qui l'ont empêchée, elle ou plutôt Nelly, petite fille, puis adolescente et toute jeune fille, de s'opposer au régime totalitaire.

Le lecteur en reste ébranlé. Il aimerait pouvoir saisir l'écrivain par les épaules, la secouer et lui dire : "Mais vous n'étiez qu'une enfant ! "

Qu'est-ce qu'un enfant pouvait comprendre au monde des adultes ? Pour un enfant, si intelligent soit-il, les adultes détiennent la Vérité et l'enfant accepte leurs conclusions sans broncher : il se soumet - il ne peut rien faire d'autre. Et pour ce qui est de l'adolescence, bien sûr, bien sûr, Nelly-Christa aurait pu se révolter. A cela près que, de manière assez paradoxale, l'adolescence, c'est aussi la période de sa vie où l'on veut être le plus en phase avec les gens de son âge. Or, dans l'univers de l'époque, tous les jeunes appartenaient aux "Jeunesses Hitlériennes" et l'endoctrinement était puissant - tout-à-fait comme il l'était chez les Soviétiques, soit-dit en passant. Sophie Scholl elle-même appartenait au mouvement. Ce qui faisait la différence, c'était la solide éducation religieuse reçue par Scholl, éducation dont l'humanisme lui permit de réfléchir et de passer à l'acte, et bien entendu sa maturité : elle était de huit ans plus âgée que Nelly-Christa.

De ce "soutien passif" au régime national-socialiste, Christa Wolf ne s'est visiblement jamais remise. Cette femme, dont nul ne niera ni la profondeur de pensée ni les facultés de réflexion, a conservé, envers cette "faute", ce "péché" évidemment capital, le même sentiment ambivalent et trouble, fait de nausées et de jouissances, qui préside à la destinée de ceux qui aiment à se savoir coupables. Pas forcément coupables de quelque chose de déterminé d'ailleurs : rien que coupables.

Doit-on y voir la conséquence d'une enfance durant laquelle Nelly accompagna ses parents très régulièrement à l'église ? (Aller régulièrement à la messe ou au culte n'est pas toujours garant d'une bonne compréhension des valeurs premières du christianisme. Bien souvent, cela garantit même le contraire ... ) Ou du discours, culpabilisateur à outrances, qui, après la Défaite allemande, succéda à l'embrigadement hitlérien - discours qui, rappelons-le, est malheureusement toujours de rigueur pour trop de gens de nos jours ? Le passage sous la férule communiste de la République démocratique allemande, aux ordres de Staline et de l'URSS, y a-t-il tenu un rôle ? Y a-t-il un quelconque rapport avec cet incomparable esprit de discipline et de groupe qui reste l'une des caractéristiques du peuple allemand ?

Toujours est-il que "Trame d'Enfance" est LE roman de la Culpabilité allemande post-hitlérienne. Une culpabilité qui s'exerce essentiellement, et c'est en cela qu'elle est doublement inique, envers des innocents. Une culpabilité obtenue au prix d'une sorte d'effarant "lavage de cerveaux" qui n'aurait retenu que l'adage de l'Ancien Testament sur la malédiction du prétendu Eternel se déchaînant sur sept fois sept générations. Une culpabilité enfoncée dans le coeur et le cerveau pour paralyser, déprécier, humilier et faire souffrir au maximum en particulier ceux "qui n'y étaient pas." Une culpabilité contre laquelle Christa Wolf, convaincue pour on ne sait quelle raison du bien-fondé du châtiment, n'a pas cherché à se défendre.

Pour cette femme sensible et particulièrement intelligente, ce dut être un martyre. Mais toute médaille à son revers. Et cela nous permet, à nous, ses lecteurs, de réaliser combien cette manière de déclarer le peuple allemand, dans sa totalitéet, attention ! dans sa totalité passée, présente et à venir, coupable du nazisme revient à le charger d'une malédiction à vie - une malédiction à laquelle, comme visait à le dire Martin Walser|fr]dans le discours si controversé qu'il prononça à Francfort le 11 octobre 1998, il serait grand temps de mettre un terme.

Quoi qu'il en soit, lisez "Trame d'Enfance" et penchez-vous sur le reste de l'oeuvre de Christa Wolf : vous ne devriez pas le regretter.

Le Cabinet de Curiosités - Alfred Kubin (Autriche)

Aus meiner Werkstadtt Traduction : Christophe David

Extraits Personnages

Ce tout petit ouvrage, qui n'excède pas quatre-vingt-et-un page, est bâti carrément à l'envers. Son auteur tira de sa production dix dessins qui, sur le moment, l'inspiraient particulièrement et, autour de chacun d'eux, imagina une histoire, souvent de type philosophique comme "Le Franchissement du Col" ou "Le Sultan Fatigué", parfois fantastique ou mystérieuse comme "La Chasse au Vampire", plus rarement absurde comme "Un Pari" ou encore simplement humoristique comme "Deux Anglaises" - humour normal - ou "Le Dernier Vagabond" - humour noir.

Curieux exercice de style, réalisé en un style poétique et très fluide, par phrases courtes et simples, d'un étonnant naturel. Bien entendu, le lecteur comprend vite que l'histoire racontée n'est qu'une parmi les multiples qu'auraient pu inspirer encore la gravure à son auteur. L'imagination de Kubin s'est fixée sur celle-là plutôt que sur celle-ci mais on ne saura jamais pour quelles raisons exactes et l'auteur invite en quelque sorte son lecteur à plonger lui-même au coeur de l'image et à imaginer encore autre chose. En ce sens, le titre français est double puisqu'il fait référence à l'aspect insolite et curieux que revêtent certains de ses récits mais aussi aux "curiosités" que le lecteur, fouillant dans son imagination, pourrait à son tour dénicher et mettre en forme.

A lire pour le plaisir de découvrir le talent de Kubin - et par curiosité.

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