Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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Tag - Seconde guerre mondiale

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dimanche, juin 24 2012

Pour Une Juste Cause & Vie & Destin - Vassili Grossman ( II )

Correspondant de guerre pour "L'Etoile Rouge", Vassili Grossman eut tout le temps d'assister aux combats qui marquèrent le siège de Stalingrad et qui durèrent de juillet 1942 à février 1943. Il y puisa l'idée de "Pour Une Juste Cause" qui, on ne s'en étonnera pas, est avant tout une oeuvre très engagée, patriotique et nationaliste. L'auteur nous dépeint la lutte de géants qui opposa son pays à l'Allemagne nazie en nous présentant tout un lot de personnages plus ou moins attachants, dont les membres de la famille Chapochnikov. Si l'on excepte les absurdités administratives de l'armée, les instances soviétiques ne sont pas critiquées.

Sans être ennuyeuse, cette partie du livre dépasse rarement le niveau d'un honnête roman de propagande. Mais tout va changer avec "Vie & Destin."

Quand il s'attaque à cette deuxième partie, Grossman est un homme gravement ébranlé par la guerre : il y a perdu son fils aîné et il a été l'un des premiers à entrer à Treblinka. Pire encore : sa mère, à laquelle il dédiera "Vie & Destin", est morte dans un ghetto. En d'autres termes, ce Russe d'origine juive, qui ne parle pas le yiddish et qui a été élevé dans une famille non pratiquante, se voit appelé, pour la première fois, à réfléchir à son identité.

Pour couronner le tout, si l'on peut dire, la sortie, en 1952, de "Pour Une Juste Cause", et sa démolition en flammes par un critique empressé aux ordres du Généralissime, font comprendre à Grossman que ce socialisme soviétique pour lequel il s'est battu est en train de relever le flambeau hitlérien contre les juifs. Oh ! bien sûr, Grossman avait entendu parler des pogroms mais tout cela se passait sous le régime tsariste et était d'autant plus inconcevable dans l'URSS marxiste-léniniste de l'après-guerre que les Soviétiques d'origine juive s'étaient battus comme les autres contre l'envahisseur ...

Et pourtant ...

lundi, juin 11 2012

Chronique de La Ville de Pierre - Ismaïl Kadare (Albanie)

Kronikë në gur Traduction : Edmond Tupja

Extraits Personnages

Après la raideur compassée du "Général de l'Armée Morte", après l'errance blafarde, parmi les brumes du petit jour et celles, plus malignes, du crépuscule, de ces deux protagonistes principaux pour ainsi dire anonymes, après la boue froide du sol albanais, transformé par les pluies en une gangue qui rechigne à restituer les os des soldats étrangers morts depuis plus de vingt ans - après les tâtonnements d'un auteur à ses débuts, conscient de la valeur du sujet choisi mais aussi du traitement délicat qu'il lui impose, après ces phrases courtes, qui piétinent et hésitent, aussi désorientées semble-t-il que les deux héros, après ce texte prometteur mais qui réclame du lecteur constance et même entêtement ...

... cette "Chronique de la Ville de Pierre" constitue une surprise des plus agréables. Optant cette fois pour la fraîcheur de l'enfance, Kadare réveille, pour nous conter cette vision de la Seconde guerre mondiale s'invitant dans l'Albanie profonde, le petit garçon qu'il était à l'époque. Du coup, s'il ne peut éviter les scènes d'horreur dont il fut le témoin, il lui est par contre loisible d'adoucir un peu les angles en faisant preuve de cette gaieté, de cet humour que l'on recherche en vain dans son "Général de l'Armée Morte."

Une ville bâtie à flanc de montagne, où l'ivrogne qui glisse dans une rue peut fort bien se retrouver le lendemain à cheval sur un toit, un peu plus bas ; un monôme de femmes tout de noir vêtues et commérant de porte en porte en s'arrêtant à chaque perron pour déguster le café traditionnel ; des hommes qui répondent à leurs lamentions en pérorant de leur côté, de manière considérée comme plus "virile", au café du coin ; des jeunes gens qui traînent en ayant l'air d'attendre quelque chose (mais quoi ?) ; des occupants qui changent souvent de nationalité, Italiens le matin avec le commandant Arcivocale à leur tête et Grecs l'après-midi, sous la houlette du commandant Katantzakis en attendant les Allemands qui entreront, à la nuit tombée ou au petit jour, avec leur chef Kurt Vollersee ; des collaborateurs et des maquisards qui rongent leur frein en épiant et en dénonçant ; quelques sorcières ou qui se prennent pour telles ; les Grandes Vieilles qui, parce qu'elles ont dépassé le siècle d'existence, énoncent, lorsqu'elles se risquent au soleil, des oracles dignes de l'Antiquité ; des éxécutions qui ressemblent à des règlements de compte et des règlements de compte qui ressemblent à des exécutions, et la vie quotidienne qui continue à mener parmi tout cela son petit train d'indifférence, voilà tout ce que voit, se rappelle, vit et commente le jeune narrateur.

Il le fait avec la naïveté de ses onze ans préservés qui, en même temps, découvrent le monde des adultes, un monde perturbé par une guerre que personne, dans la ville de pierre, pas même les lâches, ne considère comme une guerre pour l'Albanie. Tous patientent, tous courbent la tête, attendant la fin de celle-ci et le départ des étrangers pour passer enfin à la seule guerre qu'ils accepteront : celle qui rendra l'Albanie libre et indépendante.

Ayant posé sa main dans celle de l'enfant-narrateur, le lecteur le suit avec confiance et une sorte de fascination, tant dans ses vagabondages personnels (son béguin contrarié pour Maguerite et ses rêves avec Suzanne) que dans ceux qui intègrent les siens et ses concitoyens. A son tour, le lecteur redevient enfant et jette, sur cette mini-société remuante et conformiste, où les filles n'ont d'autre espoir que le mariage, un regard étonné, amusé ou réprobateur mais curieusement dénué des a priori de l'âge adulte. C'est que, sous la plume de Kadare, il découvre en fait une Albanie plus complexe qu'il ne l'imaginait, avec des personnages hauts en couleur et très bien campés - peut-être aussi un peu idéalisés mais sans excès - des personnages incroyablement vivants avec lesquels il ne détesterait pas faire connaissance. Pour autant, l'auteur ne fait pas l'impasse sur les défauts de son peuple comme ce désir de vendettaqui tourne ici à la maladie pure et simple ou encore cette éternelle minorité qui est le lot de la femme albanaise.

"Chronique de la Ville de Pierre" remporte donc une double victoire : avant tout, il incite à découvrir d'autres ouvrages de Kadare mais il pousse également son lecteur à s'interroger sur l'Albanie et à tenter de voir au-delà de l'image sociétale, à la fois réactionnaire, figée et machiste, qu'elle a malheureusement tendance à donner d'elle.

mercredi, juillet 28 2010

Le Grand Elysium Hotel - Timothy Findley (Canada)

Famous Last Words Traduction : Bernard Géniès

De Timothy Findley, j'avais lu, il y a une dizaine d'années, un "Chasseur de Têtes" qui m'avait beaucoup marquée par l'art avec lequel son auteur rendait un hommage onirique à Joseph Conrad, et un "Pilgrim" qui, je l'avoue, m'avait laissée plutôt dubitative. Avec "Le Grand Elysium Hotel", je renoue avec mon impression première.

Le roman se fonde sur deux interrogations historiques : 1) Hitler se contenta-t-il d'apparaître au bon moment et au bon endroit ou fut-il le produit, d'ailleurs prévisible, d'une succession de circonstances qui aboutirent au sinistre paroxysme que l'on sait ? 2) Du côté de l'Axe, certains ont-ils songé à faire de l'ex-roi d'Angleterre, Edward VIII, le pivot d'un ordre pan-germanique totalitaire qui succèderait à Hitler et ses sbires lorsque ceux-ci auraient accompli le "sale boulot" ?

Dans un respect absolu de l'Histoire, Findley ressuscite, à travers le récit gravé par son héros sur les murs des chambres de l'Elysium Hotel, dans les Alpes autrichiennes, ce volcan en ébullition que fut l'Europe, du début des années trente jusqu'à la chute du IIIème Reich en 1945.

Le héros, c'est Hugh Mauberley, romancier américain à succès qui, dans les années vingt, se lie d'amitié avec son compatriote, le poète Ezra Pound, ainsi qu'avec celle qui n'est encore que Wallis Spencer et qu'il rencontre à Shanghaï. Deux attirances qui révèlent déjà un peu l'orientation idéologique de Mauberley, orientation que Findley a la sagesse de présenter dans le contexte de l'époque : d'un côté, le triomphe de la révolution bolchevique qui menace de s'étendre à l'Ouest, pour la plus grande méfiance et la plus grande horreur de ceux que les idées communistes ont toujours fait frissonner, et, de l'autre, la réplique conservatrice à ce totalitarisme révolutionnaire : le totalitarisme fascisme, puis national-socialiste.

Fuyant les troupes soviétiques et américaines qui libèrent l'Europe occupée, Mauberley vient se réfugier à l'Elysium Hotel, où il a conservé de bons souvenirs mais où l'attend la Mort. Avant d'être assassiné par une Némésis engendrée par son passé et tout ce qu'il a pu y voir et y entendre, et pressentant peut-être que ses carnets de notes ne lui survivront pas, il prend la précaution de graver l'essentiel de ce qu'il sait sur les murs des quatre chambres qui forment sa "suite." Ceci pour l'édification des deux officiers américains qui découvriront son cadavre : le colonel Freyberg, obsédé par ce qu'il a vu à Dachau, et le lieutenant Quinn, qui était lui aussi à Dachau mais qui, esprit plus complexe, refuse malgré tout de manichéiser les choses et les êtres.

Les phrases de Findley ont la fluidité et la limpidité d'une rivière. Et pourtant, derrière le premier plan qu'elles nous montrent, elles nous laissent deviner un paysage hachuré d'ombres et de brouillards. Sans doute, en l'espèce, le lecteur passionné d'Histoire trouvera-t-il ici plus facilement son compte puisque le romancier canadien met en scène des personnages comme le duc et la duchesse de Windsor, von Ribbentrop, Rudolf Hess, et quelques autres, les reliant à des événements qui se sont réellement passés mais sur lesquels planent encore de nos jours beaucoup de ténèbres (l'assassinat de Sir Harry Oakes aux Bahamas, les projets d'enlèvement du couple Windsor par les nazis, l'étrange départ de Rudolf Hess vers l'Angleterre et la folie dans laquelle il sombra ...).

Cependant, avec "Le Chasseur de Têtes" - que je relirai prochainement - "Le Grand Elysium Hotel" constitue l'une des portes les plus étonnantes et les plus intéressantes pour pénétrer dans l'univers de ce grand romancier que fut Timothy Findley. ;o)