Extraits

Bien que je me fusse souvent dit qu'il me fallait le faire, je n'avais jusqu'ici jamais lu Alexandra David-Néel. Cette première lecture n'a fait que me conforter dans ma résolution car "L'Inde Où J'Ai Vécu" est l'un de ces ouvrages qui vous poussent à coller un petit post-it au fond de votre mémoire afin de vous rappeler qu'il vous faut absolument en lire d'autres du même auteur.

Alexandra David-NéelDavid-Néel|fr] fut, rappelons-le, a première Occidentale à entrer à Lhassa. Elle le fit d'ailleurs déguisée en mendiante tibétaine et cela se fit en 1924. Cette seule indication suffirait amplement à révéler l'originalité innée de cette femme d'exception.

Comme tant d'autres avant elle, les Indes la fascinaient. A l'époque en effet, il s'agissait bien des Indes et non de l'Inde, création plus ou moins fictive issue de l'Indépendance du pays et destinée à susciter un immense mouvement nationaliste qui mettrait enfin le pays sur ses rails. Comme David-Néel écrit en 1951, elle se plie à cette nouvelle convention qui exige que l'Inde soit une et indivisible. Mais seulement dans le titre de son ouvrage.

Car dans ses pages, ce sont bien les Indes dans leur multiplicité et leur richesse qui, toutes deux, donnent le tournis, qu'elle fait revivre. Dans un style qui semblera un tantinet vieilli à certains mais combien passionné et vivant ! En dépit d'une érudition profonde, l'écrivain, qui a pourtant étudié les Veda auprès de quelques brahmanes plus ouverts d'esprit que leurs coreligionnaires et qu'impressionnaient sans doute la passion et la sincérité avec lesquelles cette Occidentale envisageait leur culture, nous initie à l'Inde et ses complexités en une langue simple, sans prétention, accessible à tous. "Initier" est le mot qui convient puisque, l'auteur le reconnaissait elle-même et ceux qui ont vécu un parcours similaire le disent eux aussi, quelle que soit la longueur du séjour que l'on fait en Inde, il ne sera jamais suffisant pour nous permettre, à nous, Occidentaux, d'appréhender pleinement - ou presque - cette civilisation millénaire et protéiforme qui reste le berceau des langues que nous appelons "indo-européennes."

Dans ce livre, tout parle, tout fait écho, tout intéresse. Mention spéciale cependant aux chapitres évoquant les religions du sous-continent indien. L'auteur nous propose un cours évidemment abrégé mais pourtant détaillé de leur histoire et de leur pratique, passée et actuelle. De toutes façons, la Religion - avec la majuscule - est présente partout en Inde : on n'y échappe pas à croire que l'Inde est la Religion.

N'allez pas imaginer pour autant que son amour pour l'Inde empêche __Alexandra David-Néel de percevoir ses défauts : les excès de la superstition, le sort fait aux femmes, l'ambiguïté du système de castes ... Son livre ne glorifie pas non plus l'Occident où elle naquit et revint pour mourir. C'est avant tout un document impartial, rédigé par une exploratrice qui veut aller au-delà des réalités géographiques ou historiques des civilisations afin de discerner les points communs où elles peuvent se rejoindre ou, en tous cas, établir une sorte de trêve.__

Et c'est surtout un récit éblouissant, érudit, passionnant. Si vous vous intéressez un tant soit peu à la civilisation indienne, ne le manquez pas et rassurez-vous : Alexandra David-Néel a beaucoup écrit.