Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Tag - Ken Bruen

Fil des billets

mardi, juillet 31 2012

Toxic Blues - Ken Buren (République d'Irlande)

The Killing of the Tinkers Traduction : Catherine Cheval & Marie Ploux

Extraits Personnages

Pour tenter d'oublier une énième déception amoureuse, Jack Taylor, Irlandais pur-sang, a eu l'idée suicidaire de monter se noyer dans le grand bain londonien. Il n'a - évidemment - pas pu se dénicher l'appartement qu'il souhaitait à Bayswater, a dû, à la place, s'accommoder d'un studio minable et, finalement, s'est résolu à regagner son Galway natal. L'accueil est unanime - c'est la phrase traditionnelle pour les brebis qui rentrent au bercail : "Tu es revenu." Car contrairement à ce qu'affirme le grand Thomas C. Wolfe en exergue du roman ("Vous ne pouvez pas revenir."), en Irlande en tous cas, on peut.

Compte tenu de l'éclectisme pour le moins prononcé des connaissances de Jack, Bruen consacre quelques uns des premiers chapitres à nous suggérer avec malice les diverses intonations de ce "Tu es revenu !", à commencer par le classique et très catho : "Jésus ! Marie ! Joseph ! Regardez qui c'est qu'est revenu !"

Oui, Jack Taylor est revenu et reprend ses vieilles habitudes, à savoir chercher les embrouilles et écluser un maximum. Nouveauté issue de l'expérience londonienne : il aime bien désormais se faire un ou deux petits rails pour se remettre les idées en place.

Aurons-nous, cette fois-ci, une véritable intrigue policière ? Eh ! bien, contrairement à ce qu'il se passait dans "Delirium Tremens", c'est oui : le titre anglais le révèle d'ailleurs en toutes lettres. En fait, Taylor est embauché par Sweeper, un tinker, afin d'élucider une histoire de meurtres dans la communauté.Il faut savoir que les tinkers sont des nomades spécifiquement irlandais, qui se sont mis à vaguer de-ci, de-là, à l'époque de la Grande Famine du milieu du XIXème. Ils n'ont aucun lien de parenté avec les roms, gitans, manouches et autre bohémiens. Ils n'en sont pas plus aimés par la population sédentaire qui, comme partout en ce monde, voit d'un oeil suspicieux ces gens désormais incapables de s'attacher à une terre qu'on leur a jadis volée et qui se sont vus contraints de s'adapter à un monde qui les livrait sans pitié à la grande main crochue de la Faim.

Et une fois de plus, à l'instar de tant de ses confrères du polar international, Taylor va se tromper d'assassin. Ce qui vaudra au malheureux une fin atroce. A peine aura-t-il réalisé sa terrible erreur, que Taylor met un contrat sur le véritable meurtrier. Mais cela rétablit à peine l'équilibre et on peut craindre à juste titre l'état dans lequel on va le retrouver dans le troisième tome de la série, "Le Martyre des Magadalènes."

Une fois encore, Ken Bruen nous donne un polar d'ambiance : un mélange de glauque et de noir, des moments de franche hilarité qui basculent sans prévenir dans l'absence d'espoir, la souffrance conjuguée sur tous les tons (celle de Jack, qui a fait de lui, dès l'enfance, un écorché vif mais aussi celle de ses amis Jeff et Cathy qui viennent d'avoir un adorable petit bébé malheureusement atteint de trisomie 21), de la violence là encore à toutes les sauces, de la plus légère à la plus grumeleuse, des personnages corsés et dont la majorité reviennent pour le deuxième acte et des dialogues toujours aussi incroyables. Sans oublier la poésie - parfaitement, la poésie ! - et le défilé des auteurs, souvent inconnus du lecteur francophone, qui sont les favoris de Jack.

C'est sûr : ça ne plaira pas à tout le monde. Mais ce n'est pas grave : Jack Taylor détesterait l'idée que le premier venu puisse l'aimer.

dimanche, juillet 1 2012

Delirium Tremens - Ken Bruen (République d'Irlande)

The Guards Traduction : Jean Esch

Extraits Personnages

Il m'a fallu pas mal de temps pour m'habituer aux chapitres très brefs, aux citations en exergue et, plus encore, au style de l'auteur : un style qui semble sautiller à la limite du coq à l'âne et qui privilégie les phrases courtes. Mais la férocité des répliques m'a fascinée dès la première que j'ai lue et m'a, je suppose, maintenue sur le chemin de la lecture.

"Delirium Tremens", premier opus de la série des enquêtes de Jack Taylor, est en effet avant tout ce que je nommerai un polar d'ambiance. L'intrigue policière constitue ici un fil rouge bien ténu dont, parfois, on a l'impression de perdre carrément la trace, ce qui ne peut que frustrer un lecteur déjà rendu perplexe par le style. Néanmoins je ne saurais trop recommander au néophyte de s'accrocher car, au fur et à mesure qu'on avance, non seulement le fil rouge devient plus évident en prenant carrément une direction à laquelle on ne s'attendait pas, mais le caractère du héros se précise à son avantage tandis que ceux qui gravitent autour de lui, eux aussi, prennent corps et relief.

Au départ, une mère dont la fille s'est officiellement suicidée s'en vient demander l'aide de Jack Taylor. Pour elle, la jeune fille a été assassinée. Mais pour rouvrir l'enquête, il faut bien entendu rassembler des preuves suffisantes pour convaincre la police. Entre deux répliques acérées et quatre gorgées de whisky, Taylor accepte la mission, plus par pitié que par réel enthousiasme.

Cette mission va l'entraîner aux quatre coins de Galway - l'action se situe dans la ville natale de l'auteur, pourquoi se compliquer la vie ? - et lui faire croiser toute une foule de gens dont certains n'ont pas vraiment de rapport avec son enquête. Du coup, pièce par pièce, voire par fragment de pièce, on commence à en apprendre pas mal sur Taylor lui-même - en particulier sur son amour des livres qui lui vient droit de son père et de son enfance. Comme toile de fond, une République d'Irlande où la frénésie affairiste des années quatre-vingt-dix ne parvient pas à dissimuler les laissés-pour-compte de la société. Toujours là, éternellement là, est-on tenté d'écrire, l'église catholique, idole à la fois adorée et vouée aux gémonies.

Autre constante du roman : l'obstination purement celtique avec laquelle notre privé irlandais essaie de tenir l'alcool à distance.

Au beau milieu de tout ça, mine de rien, Bruen nous assène quelques réflexions pas piquées des hannetons sur le sens de l'existence, une existence qu'il voit résolument vouée à la violence et à l'iniquité. C'est sans doute pour cela qu'il a créé Jack Taylor, pour rétablir un peu, de temps à autre, l'équilibre de la balance. Certains apprécieront, les pros de l'angélisme et de la bien-pensance crieront au scandale - vous verrez qu'un jour, si on les laisse faire, ils essaieront d'interdire le roman noir !

En tous cas, personnellement, j'ai beaucoup aimé. D'autant que Bruen a bien réfléchi à son sujet et qu'il ne fait pas l'impasse sur la possibilité du "justicier" se réduisant en fait à un assassin sadique comme les autres.

Bref, vous l'aurez compris, je lirai d'autres Ken Bruen, c'est certain. Et vous devriez faire comme moi.