Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Tag - Joe R. Lansdale

Fil des billets

lundi, août 6 2012

Vierge de Cuir - Joe R. Lansdale (USA)

Leather Maiden Traduction : Bernard Blanc

Extraits Personnages

Bon, alors, déjà, sachez que le narrateur de cette histoire, Cason Statler, de retour d'Irak à peu près aussi dégoûté que l'étaient les vétérans du Viêt-nam à leur retour aux States, a retrouvé, ô miracle, un boulot de journaliste dans le journal de sa ville natale, Camp Rapture, dans l'East Texas. Pour les aficionados de Lansdale, signalons que Statler n'est autre que le petit-fils de Sunset Jones, qui fut, dans "Du Sang Dans La Sciure", la première femme-constable du district. Correctement traduit, cela signifie qu'il a de qui tenir - et quand on a lu le roman jusqu'au bout, on se dit que c'est heureux pour lui.

A la différence de sa grand-mère, qui n'avait pas une tendresse exagérée pour l'alcool, Statler aime à s'imbiber copieusement. Ca l'aide - comme tant d'autres - à calmer ses angoisses - et Bacchus sait qu'il en a, des angoisses, quand encore ce ne sont pas des hallucinations ! Cason a aussi une tendance un peu autistique aux idées fixes et supporte mal que son ex-petite amie l'ait plus ou moins rejeté lorsqu'il s'est engagé. A-t-il des amis ? A Camp Rapture, pas beaucoup - ce sont surtout ses parents qui constituent ici son point d'ancrage, et aussi son frère, Jimmy, avec qui il entretient une relation d'émulation plutôt déstabilisante. A part ça, du côté de Tulsa, dans un bar mal famé mais bien garni, il y a son pote Booger, un ancien de la guerre d'Irak lui aussi doublé d'un parfait sociopathe (un peu dans le genre du Bubba de la série Kenzie/Gennaro de Dennis Lehane), sur qui il sait pouvoir compter en toutes circonstances - surtout dans les pires d'ailleurs. Un ami véritable, quoi.

A Camp Rapture, bien que la drogue et la délinquance aient fait les progrès d'usage, on ne peut pas dire pourtant qu'il se passe beaucoup de choses. La rubrique des chiens écrasés est vite remplie. Et pour songer à des chroniques plus consistantes, attractives parce que bien sordides, il faut vraiment se lever tôt - ce que Statler n'apprécie pas vraiment.

Evidemment, il y a cette affaire de disparition : Caroline Allison, une étudiante belle comme une déesse antique et intelligente comme Marie Curie (ou presque), s'est volatilisée dans la nature plusieurs mois auparavant. On n'a retrouvé que sa voiture, abandonnée au bord d'une route, avec, à l'intérieur, ses chaussures et le plat à emporter qu'elle avait acheté dans un snack. Ce n'est pas mal, comme histoire, ça et ça pourrait faire une chronique digne de ce nom. Statler part en chasse.

"Vierge de Cuir" est un roman puissant, mené tambour battant et avec un humour décapant par un Lansdale en grande forme, qui sait user du gore sans en abuser et qui nous donne ici le fruit de ses réflexions sur la formation des tueurs en série. Apparemment, l'écrivain américain penche pour l'hypothèse d'une âme assassinée dans l'enfance par des parents ou des proches sans scrupules et dont la disparition laisse une coquille déshumanisée, totalement dépourvue de conscience.

Le seul bémol que je mettrai à cette partition de grand style concerne le mentor du tueur, lui-même assassin bien sûr mais dont, en définitive, Lansdale nous dit peu de choses - trop peu à mon goût.

Pour le reste, c'est de l'excellent polar. Allez-y de confiance mais n'oubliez pas que Lansdale ne mâche pas ses mots et que son style risque donc - parfois - de choquer les lecteurs délicats.

mardi, juillet 31 2012

Juillet de Sang - Joe R. Lansdale (USA)

Cold in July Traduction : Claro

Extraits Personnages

Que peut-il y avoir de pire que d'apprendre que son fils, cambrioleur sans envergure, s'est fait abattre d'une balle en pleine tête par le propriétaire de la maison dans laquelle il s'était introduit, de nuit et armé, pour commettre son forfait ?

Rien, pense-t-on presque tout de suite. Surtout que, ayant assisté à la scène - c'est celle qui ouvre le roman, eh ! oui, ce Lansdale-là démarre fort - le lecteur sait pertinemment que Richard Dane (celui qui a tiré) se trouvait en état de légitime défense, son cambrioleur ayant tenté de le trucider avant que lui-même ne trouve le courage de presser la détente de son .38.

Eh ! bien, si vous continuez la lecture de ce polar nerveux, où seul un humour déjanté permet de supporter une réalité plutôt crade, vous vous apercevrez que si, il y a quelque chose de pire. De bien pire.

Comme toujours chez Lansdale, qui a retenu toutes les règles des "grands" du roman noir, l'intrigue, sanglante et bien tordue, se double d'une réflexion personnelle. Sur la violence certes mais aussi sur l'hérédité, l'acquis et l'inné, et bien entendu sur les mille et un coups que le Destin passe votre vie à vous envoyer dans le foie - là où ça fait le plus mal, paraît-il. Sans oublier les interrogations sur la justice et son application dans certains cas.

Le style est simple, plus simple, plus direct, plus percutant que dans les polars classiques de l'auteur du style "Les Marécages" ou "Du Sang dans La Sciure." Le principe du narrateur unique est conservé mais ici, pas question d'évoquer l'enfance ou l'adolescence, moins encore un paradis perdu. Les personnages sont très typés - certains jugeront qu'ils font cliché - et si l'on devine en eux une certaine complexité, Lansdale ne s'y attarde pas : Richard Dane (le narrateur) est l'Américain moyen, honnête et sincère, qui respecte la Loi sauf lorsque celle-ci le prend pour un imbécile ; Freddy Russell (le père) est un vieux délinquant qui aurait certainement pu faire mieux dans sa vie s'il s'était posé dans sa jeunesse autant de questions qu'il s'en pose aujourd'hui ; quant à Jim Bob Luke, c'est une belle figure de privé atypique, à la fois tonitruant et discret, cynique et humaniste, et surtout très, très efficace.

Pour les méchants ... Je ne peux pas vous en dire grand chose : vous connaîtriez alors le noeud de l'intrigue et ce n'est pas le but recherché, n'est-ce pas ? Mais on se demande tout de même comment le principal d'entre eux, celui qui surclasse tous ces cogneurs par la noirceur de ce qui lui sert d'âme, en est arrivé là. Le fait qu'il n'ait pas eu de père pour l'élever n'explique rien. Et c'est bien d'ailleurs ce que nous laisse entendre l'auteur.

"Juillet de Sang" : un bon polar, avec un maximum d'action, des répliques qui font souvent mouche et une foule de petites questions bigrement irritantes - un polar parfait pour les vacances qui arrivent.

vendredi, juillet 20 2012

Sur La Ligne Noire - Joe R. Lansdale (USA)

A Fine Dark Line Traduction : Bernard Blanc

Extraits Personnages

Un garçon de treize ans, ayant accompli les menues taches confiées par son père, le propriétaire du drive-in local, va distraire son ennui dans la forêt voisine. En courant avec son chien, il trébuche et tombe ...

... Perdu. Ce n'est pas un cadavre cette fois-ci mais une boîte en métal toute rouillée, dont l'un des angles se régalait à l'avance, sous son tapis de feuilles, de la belle entorse dont il serait responsable.

Nous ne sommes pas dans le Missouri mais au Texas, et Stanley Mitchell n'est ni Tom Sawyer, ni Huckleberry Finn. Et pourtant, comme ceux-ci qui s'imaginaient en voir partout ou presque, Stan suppute avec ravissement les chances qui sont les siennes de voir un trésor se matérialiser dans la boîte qu'il vient de déterrer avec le plus grand soin. Rentré chez lui, il l'ouvre non sans mal et là, grosse, énorme déception : la boîte ne contient que des paquets de lettres, qui pis est enrubannées de rose, signe incontestable (en tous cas pour un garçon de treize ans), qu'elles sont l'oeuvre d'une femme amoureuse.

De fait, en approfondissant un peu sa lecture et avec l'aide de sa soeur aînée, Callie, Stan découvre que la scriptrice, qui ne signait que de l'initiale de son prénom, "M.", avait une relation semble-t-il passionnée avec un non moins énigmatique "J." Parce que, toujours pour un enfant de treize ans et dans une petite ville tranquille de l'Amérique profonde dans les années cinquante, "J." de son côté ne peut appartenir qu'au sexe prétendu fort. D'ailleurs, çà et là, "M." parle de la nécessité de faire face à une grossesse. Si ce n'est pas une preuve, ça ...

Mais enfin, grossesse ou pas, c'est tout de même bateau comme histoire. Et puis, après tout, ces gens-là doivent être vieux, maintenant ...

Mais voilà que diverses coïncidences amènent le frère et la soeur à faire le lien entre les lettres et l'assassinat de Margret, une jeune fille dont le cadavre a été retrouvé décapité, près de trente ans plus tôt, près de la vieille voie ferrée. Margret ... "M." ... Le plus inquiétant, c'est que, la même nuit, la jeune Jewel Ellen Stilwind, fille cadette de l'homme le plus important de la ville, mourait dans dans l'incendie de la maison familiale. Les pompiers n'ont retrouvé d'elle qu'un cadavre calciné, attaché aux restes de son lit. Jewel ... "J." ... Et deux crimes en une seule nuit ... Voilà de quoi donner à réfléchir.

Avec une patience de limier et l'aide bienvenue de Buster, le projectionniste du drive-in, un vieux Noir métissé de sang indien, Stan finira par obtenir le fin mot de l'histoire. Ce faisant, il gagnera en maturité et découvrira que l'âge adulte recouvre trop souvent des secrets innommables et des actes peu glorieux. Il perdra aussi - ou plutôt croira avoir perdu - son vieil ami Richard - l'un des personnages les plus touchants du roman - et, évidemment, il s'en fera au moins deux autres.

"Sur la Ligne Noire" est l'un de ces polars qui se doublent d'un voyage initiatique et aussi d'une critique sociale. Car, contrairement à ce que peuvent en penser certains, cette critique existe mais il faut bien se dire que, dans les années cinquante, une ville comme Dewmont recelait certainement beaucoup plus de Noirs comme Rosy Mae, la nouvelle femme de ménage des Mitchell, et Buster, que des activistes du style Malcolm X. De même, tous les Blancs ne se mettaient pas en chemise de nuit pour promener la nuit des croix de flammes et lyncher des malheureux qui n'avaient pas eu la "chance" de naître blancs. Et certains, sans le percevoir bien nettement, sentaient bien que la ligne de démarcation entre les deux mondes commençait à frémir.

Les personnages ne sont donc pas héroïques, ils se contentent d'être moyens mais ils ne sont jamais médiocres. L'intrigue est correcte, bien menée et, en dépit du genre, largement assaisonnée d'humour. L'ensemble baigne dans cette atmosphère inimitable, tour à tour étouffante et glaciale, inquiétante et naïve, qui signale à l'aficionado la "patte" de Lansdale quand celui-ci est dans son trip classique. En un mot comme en cent, "Sur la Ligne Noire" n'est peut-être pas un chef-d'oeuvre mais ses personnages restent dans la mémoire et dans le coeur, ce qui, au final, prouve, s'il le fallait, qu'il s'agit là de l'un des meilleurs livres de son auteur.

mercredi, juillet 18 2012

Les Marécages - Joe R. Lansdale (USA)

The Bottoms Traduction : Bernard Blanc

Extraits Personnages

Roman amer et nostalgique, axé sur deux des thèmes favoris de l'auteur, le temps qui file et la jeunesse qui ne reviendra jamais plus, "Les Marécages" débute au ralenti, dans la maison de retraite où le narrateur de l'histoire, Harry, vit les dernières années qui le séparent de la Faucheuse. N'ayant plus que cela à faire et y puisant ses joies ultimes, le vieil homme se remémore le passé et avant tout sa jeunesse dans le Texas des années trente, où la ségrégation raciale régnait comme si la Guerre de Sécession n'avait jamais eu lieu et où la vie s'écoulait avec cette lenteur étrangement sereine dont le monde moderne a fini par avoir la peau.

En ce temps-là, les bois étaient plus touffus, les animaux plus féroces, les chasseurs plus rares et les "viandards", carrément des exceptions. En ce temps-là, l'herbe était plus verte, l'eau bien plus pure, les brumes des marécages bien plus glauques et l'Homme-Chèvre y courait depuis des lustres sans que personne n'eût réussi à l'approcher. En ce temps-là, les parents gardaient souvent leurs enfants à la ferme pour les faire travailler à leurs côtés et l'instituteur, résigné, faisait contre mauvaise fortune bon coeur. En ce temps-là, c'était un autre monde. Tout simplement.

A cette époque, Jacob, le père de Harry, gère sa petite ferme tout en exploitant l'unique salon de coiffure de la ville. Avec sa femme et leurs deux enfants - Harry et Thomasina, dite Tom - cet homme paisible, qui n'a pas eu la chance de suivre un bon parcours scolaire mais n'a pas pour autant renoncé à penser par soi-même, est aussi heureux qu'on peut l'être. Sauf lorsque ses obligations de constable - la petite ville n'a pas encore de sherif - le contraint à enquêter sur un meurtre.

Soyons franc : c'est, Dieu merci, assez rare. Tout d'abord et même si Jacob la regarde d'un sale oeil, la Tradition veut qu'on laisse la communauté noire régler seule les morts illégales qui endeuillent ses membres. Si un Blanc s'en prend à un Noir, même topo : on n'a rien vu, on n'a rien entendu, on n'a rien à dire - et d'ailleurs, on n'était même pas là, monsieur le constable. En ce qui concerne maintenant les accrochages musclés entre Blancs, comme le constable ne perd pas une seconde à se demander s'il doit intervenir, il est clair qu'ils finissent rarement par un crime de sang. Enfin, quand un Noir s'attaque à un Blanc - ou si on le soupçonne seulement de l'avoir fait - la loi de Lynch s'applique sans discuter : quand la Loi - la vraie - arrive à son tour, c'est trop tard.

Beaucoup trouvent ces règles non seulement très simples mais en outre excellentes. Pas le père de Harry et l'on comprend que, dans un tel contexte, il ne soit pas précisément satisfait lorsque ses propres enfants découvrent, dans les terres marécageuses jouxtant la forêt, le cadavre d'une femme. Quelqu'un l'a attachée avec du fil de fer barbelé et en plus, c'est manifestement une Noire.

Evidemment, Jacob peut fermer les yeux et se contenter de faire inhumer la malheureuse. Mais voilà, le bonhomme a une conscience et c'est heureux car, si tel n'était pas le cas, nous passerions à côté d'un polar qui se double d'une critique virulente du racisme primaire. Y sont également stigmatisés les excès auxquels l'habitude des Blancs de sexe masculin de faire des enfants d'abord à leurs esclaves, puis à leurs domestiques noires a amené la société sudiste dans son ensemble, une société aux racines aussi inextricablement mêlées que celles de ces arbres qui poussent non loin des marais - une société dans laquelle le drame peut naître d'une toute petite révélation, faite aujourd'hui par hasard, par haine ou par simple bêtise, au détour de plusieurs lustres d'ignorance.

Les personnages, Blancs, Noirs, métissés, ont de la profondeur à l'exception, sans doute, des père et fils Nation ou encore de Doc Stephenson. Si je vous dis que leur intellect brille par sa ressemblance avec une petite bille de crasse malsaine et que, de surcroît, leur coeur se situe encore plus bas sur l'échelle de l'humanité, vous conviendrez que l'auteur ne pouvait pas grand chose pour eux. Le pire est sans doute que de tels personnages existent - mais c'est ainsi.

L'intrigue ... Le trait de génie de Lansdale est peut-être de nous la faire découvrir par les yeux du gamin qu'était alors Harry, avec ses naïvetés, ses révoltes et son solide bon sens. D'un autre côté, ce choix d'un jeune garçon qui, vu son âge et son statut social - sans oublier les idées de son père - peut côtoyer avec plus de facilité le milieu des Noirs, est tout à fait logique.

L'intrigue, disais-je. Eh ! bien, un tueur en série. Qui s'en prend aux femmes. Aux Noires et à des prostituées pour commencer, puis à une métisse et enfin, il fallait s'y attendre, à une Blanche. Selon la règle numéro une du genre, dans la vie de tous les jours, il est comme vous ou moi - il est même sacrément sympathique, si vous voulez mon avis. En d'autres termes, l'intrigue tient le coup.

Pour beaucoup, "Les Marécages" constitue le chef-d'oeuvre de Joe Lansdale. Je dirai, pour ma part, que c'est l'un d'entre eux. Et qu'il y en a d'autres. De quoi réjouir n'importe quel lecteur.