Red Leaves Traduction : Laetitia Devaux

Extraits Personnages

Les interrogations sur le passé, le passé qui vient détruire le présent et bloquer à jamais les perspectives d'avenir, la perte du petit monde stable et heureux que l'on croyait s'être bâti à jamais, tels sont les thèmes principaux de ce polar qui, à mon sens, sans être désagréable à lire, reste inférieur aux "Leçons du Mal."

Vous connaissez la chanson : un homme sympathique, en général professeur ou commerçant dans une petite ville provinciale mais de toutes façons membre de la bonne société du lieu, se voit projeté, avec sa famille, dans l'ouragan d'un meurtre dont on le suspecte, lui ou l'un de ses proches. A partir de là, l'auteur a en général deux options : ou bien les soupçons pèsent sur la bonne personne, à qui l'on donnerait pourtant le Bon Dieu sans confession, ou bien l'on se trouve en face d'une poignante erreur judiciaire. Parfois, la personne suspectée se contente d'être complice mais, que sa complicité soit le fait de mauvais instincts péniblement refoulés, ou que l'assassin l'ait contrainte à l'aider, cela suffit à la déconsidérer aux yeux de tous. L'homme sympathique ne résiste ni à la honte, ni au chagrin, sa famille implose et un exil loin de la petite ville tranquille est à prévoir en tant que fin inéluctable et programmée.

A quelques petits détails près, c'est ce qu'il se passe dans la famille Moore où je vous donne le père (Eric, qui tient un magasin de photographies d'art et d'encadrement plutôt prospère), la mère (Meredith, professeur de littérature anglaise au lycée du coin, une femme de tête), le fils unique (Keith, un ado grognon, renfermé, qui n'aurait aucun ami et encore moins d'amiEs), l'oncle (Warren, une espèce de "nounours" qu'une enfance difficile auprès d'un père qui l'humiliait sans cesse, a privé de toute confiance en lui et a rendu alcoolique) et le grand-père (le Grand Humiliateur, un sale type dont on est bien content d'apprendre qu'il n'a les moyens de s'offrir qu'une minable maison de retraite où, d'ailleurs, il doit empoisonner avec délectation la vie de tous, personnes âgées aussi bien que membres du personnel).

En ombres chinoises parce que depuis longtemps réunies au cimetière : la grand-mère (la mère d'Eric et de Warren et la malheureuse épouse de l'Abominable Retraité, qui a choisi de se suicider il y a déjà pas mal d'années parce qu'elle n'en pouvait vraiment plus) et la tante qui n'a jamais pu le devenir (Jenny, la soeur d'Eric et de Warren, décédée vers ses dix ans d'une tumeur au cerveau, la "petite fille adorable" qui reste à jamais dans le coeur de ses frères et tout spécialement dans celui de Warren).

Côté personnages secondaires, le confident de Keith (Delmot Price, fleuriste de son état, chez qui l'ado a un jour cherché à dérober la caisse), quelques collègues de Meredith au lycée, le psychologue de l'établissement (Stuart Rodenderry), l'avocat de la famille Moore (Leo) et le duo bon-flic, méchant-flic (Peak & Kraus__ ou vice versa).

Dans le rôle des parents éplorés, Vince et Kate Giordano. Dans celui de la victime, leur petite Amy - huit ans - elle aussi une "petite fille adorable."

Cook est trop bon conteur pour ne pas avoir cherché à mettre en valeur tout ce potentiel - et peut-être aurait-il fait mieux si le récit avait été plus long. Il n'y a rien à redire au suspense : la tension monte, monte ... et même si l'on sait que ça va mal se terminer, on s'intéresse tout de même à la manière dont ça va se passer. Malheureusement, côté personnages, ça pêche un peu : il y a trop d'incohérences, trop de zones floues aussi.

Par exemple, on n'acquiert jamais vraiment la preuve que Meredith trompe son mari. On la soupçonne, comme le fait Eric. Mais ce pourrait être un effet d'une sorte de "paranoïa du lecteur", devenu solidaire du personnage principal. La "réconciliation" entre Eric et son fils vient aussi de manière beaucoup trop abrupte, un peu comme si l'auteur la plaçait là uniquement pour lui permettre d'amener la solution de l'énigme - et de terminer son roman. Enfin, désagréablement plus visible à moins que j'ai loupé quelque chose au détour d'un paragraphe, que devient la fameuse voiture qui aurait accompagné Keith à la maison, la fameuse nuit durant laquelle Amy a disparu ?

Mais évidemment, un auteur ne peut écrire de chef-d'oeuvre chaque fois qu'il prend sa plume ou son clavier. (Sauf s'il s'appelle Marc Lévy, Guillaume Musso ou encore BHL. ) Thomas H. Cook se contentant, en toute humilité, d'être un sacré raconteur d'histoires noires et mélancoliques, il est donc tout excusé et on lira tout de même avec plaisir ces "Feuilles Mortes" couleur de sang.