Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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Policiers, romans noirs & C°.

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mardi, mars 25 2008

Le Rameau Brisé - Jonathan Kellerman

Through the eyes of a child Traduction : Frédéric Grellier

En dépit de une ou deux coïncidences non pas tirées par les cheveux mais si "grosses" qu'on hésite parfois à les accepter - et pourtant, dans la vie de tous les jours, il est vrai qu'on tombe souvent sur quelque chose qu'il nous serait impossible d'admettre dans une fiction - "Le Rameau brisé" n'en demeure pas moins un excellent polar.

Kellerman en tire toutes les ficelles avec une maestria incomparable, conduisant son lecteur de surprise en surprise sans lui laisser un seul instant pour réfléchir ou pour s'étonner - sauf peut-être à la toute extrême fin où les événements s'enchaînent à une telle vitesse que, malgré tout, on voit (à moins qu'il ne s'agisse d'une illusion ?) la ficelle.

Bien que ce soit lui qui, comme d'habitude, vient demander l'aide de son ami, le Dr Delaware, l'inspecteur Sturgis est assez vite mis sur la touche par des supérieurs hiérarchiques qui s'avisent un peu tard du guêpier dans lequel sa perspicacité pourrait entraîner un certain nombre de notables distingués. Qu'à cela ne tienne bien sûr, en vacances de commande au Mexique, Milo n'en perd pas moins l'affaire de vue.

Cette affaire, elle a commencé d'une façon assez inattendue, par le double meurtre d'un psychiatre, Morton Handler, et de sa maîtresse, Elena Gutierrez, dans le bureau même du praticien. Seul témoin du carnage - car c'en est un, je vous épargne les détails : Melody Quinn, la fille de la gardienne de la luxueuse résidence où exerçait Handler.

L'enfant affirmant de bonne foi ne rien se rappeler du tout - ou alors, une mêlée très vague - Sturgis et ses chefs estiment qu'une ou deux séances d'hypnose pourraient peut-être leur permettre d'y voir plus clair.

Cela fonctionne si bien que la mère de Melody - une mère plutôt bizarre qui confié la santé de son enfant à un psy adepte des amphétamines et des traitements médicamenteux douteux - estime les séances trop violentes pour sa fille et, soutenu par le psy en question, le Dr Towle, refuse de poursuivre plus loin.

Mais bien des choses qu'il a pu observer, tant chez Mrs Quinn que chez Towle lui-même, ont éveillé la curiosité de Delaware. De plus, il est clair que l'équilibre de Melody est en jeu ...

Sous l'intrigue policière qui met en jeu une petite confrérie de pédophiles, Kellerman pose la question des méfaits accomplis par la richesse (tout d'abord sur ceux qui la possèdent) et nous brosse un portrait ahurissant d'une Amérique où tous les milieux sans exception remettent à des psys pas toujours très nets la responsabilité de régler les problèmes, grands et petits, de leurs rejetons.

On en frissonne d'autant plus que, de nos jours, cette mode déplorable a gagné l'Europe.

A lire bien tranquillement - pour ne perdre aucun fil de l'écheveau - un jour d'angoisses - les polars, ça apaise. ;o)

mardi, mars 11 2008

La Trilogie Lloyd Hopkins : La Colline aux Suicidés - James Ellroy

Suicide Hill Traduction : Fred Michalski

Dernier volume de la trilogie consacrée à Lloyd le Dingue, cette "Colline aux Suicidés" fait référence à une colline située dans la banlieue de L.A. et où, dans les années 60, les jeunes motards avaient pris l'habitude de se fixer des rendez-vous cinglés, dans le genre de celui qui permet à James Dean, dans "La Fureur de Vivre", de faire la preuve de son courage - et de sa folie suicidaire.

Seulement, dans le livre d'Ellroy, les motos doivent franchir un profond fossé donnant en chute libre sur les égouts de la ville. Certains y sont morts (la tradition voulait qu'on prît la précaution d'y jeter au préalable de chaque duel maints objets coupants et tranchants, style crocs de boucher ou baïonnettes) et ceux qui en ont réchappé n'ont plus jamais été les mêmes, d'autant que, dans cette marée putride, se confondent nombre de produits chimiques hautement toxiques. Qui pis est : il arrivait à beaucoup de ces jeunes "durs" de tomber quatre ou cinq fois dans le fossé !

A un bout du décor, Ellroy nous plante le sergent Lloyd Hopkins, toujours aussi tête brûlée et aussi adepte de pureté, que ses supérieurs hiérarchiques rêvent de mettre à la retraite anticipée en s'appuyant sur le faux témoignage qu'il a donné pour sauver la vie de Goff et de sa maîtresse, dans "A cause de la Nuit." Quand débute le roman, un expert psychiatrique vient de déclarer Hopkins inapte à poursuivre ses fonctions.

A l'autre bout, un trio de malfrats comme seul Ellroy sait les composer : Duane Rice, qui ne rêve que de retrouver la femme qu'il aime (et qui ne l'aime pas, mais il ne le sait pas encore), Bobby Garcia, un ancien boxeur complètement fêlé qui rêve de meurtres et de viols et Joe, son frère, un "éternel second", que leur enfance commune auprès d'un père violent semble avoir lié à tout jamais à Bobby.

Il y a aussi Meyers, un gardien de prison pour détenus souffrant de troubles psychiatriques, qui ne vaut pas mieux que ceux qu'il garde et qui finira trois balles dans le dos, sur le sol d'une banque, pour des raisons que je vous laisse à découvrir. Kopek, le G-man avec lequel Hopkins se retrouve en train d'enquêter sur le premier braquage commis par le Trio infernal. Et bien sûr le vieil ennemi de Lloyd, son supérieur hiérarchique Fred Gaffeney.

Et toujours, toujours, le spectre de la Rédemption, inlassablement poursuivi par l'un comme par l'autre ... L'atteindront-ils jamais ?

Des trois volumes de la saga Hopkins, j'ai un faible pour "Lune Sanglante" et c'est peut-être pour cela que je juge cette "Colline aux suicidés" un peu plus faible que d'habitude. Je me suis d'ailleurs laissé dire que la saga Hopkins, initialement prévue avec cinq titres, commençait à peser à son auteur justement à partir de ce tome. Et, à mon avis, ça se sent ...) Il existe d'ailleurs un quatrième manuscrit contant les aventures de ce "flic sans loi" mais Ellroy l'abandonna en cours de route pour se consacrer au "Dahlia Noir", son obsession.

L'intrigue n'en demeure pas moins passionnante. Cependant, __si vous voulez juger sur pièce - ce qui serait la meilleure solution - lisez les trois volumes dans l'ordre. ;o)

La Trilogie Lloyd Hopkins : A Cause de la Nuit - James Ellroy

Because the Night Traduction : Freddy Michalski

"A cause de la nuit" m'a presque aussi choquée que "Le Dahlia noir" bien qu'il soit radicalement différent. Peut-être est-ce en raison du hobby bien particulier du père de Havilland ...

Mais ce qui m'emporte, une nouvelle fois, chez Ellroy, ce sont la délicatesse et la tendresse avec laquelle il se penche, malgré tout, sur les plaies intimes de ses criminels. Sans son père, Havilland serait-il devenu "le Voyageur de la Nuit" ?

L'ennui, c'est qu'on peut aussi présenter le problème de la façon suivante : malgré son père, Havilland aurait-il pu ne pas devenir "le Voyageur de la Nuit" ?

Ce qui nous renvoie à ces "mauvais instincts" que Ellroy a confessé lui-même et qu'il a transcendés (et continue à transcender encore) dans ses écrits. A rapprocher de la fameuse et éternelle question : "Agatha Christie et les "reines du crime" sont-elles des assassins potentiels, c'est-à-dire des assassins qui caressent toujours l'idée de tuer, parfois plus par jeu intellectuel que pour l'argent ou le sexe ?"

En fait, le roman noir, le roman policier, le roman d'énigme dévide à l'infini, et sous une forme passionnante, la grande question du Bien et du Mal. Et il faut que cette question nous touche bien intimement pour que nous soyons si friands de cette sorte de littérature ... ;o)

vendredi, mars 7 2008

La Trilogie Lloyd Hopkins : Lune Sanglante - James Ellroy

Blood on the Moon Traduction : Fred Michalski

Je n'ai pas été déçue. Il y a de l'épique chez Ellroy et un sens de la rédemption qui doit, à mon avis, provenir de ses origines personnelles : irlandaises ou écossaises.

Ses héros qui sont aussi des anti-héros ont toujours quelque chose de mystique et de crucifié - même un Peter Bondurant dans "American Tabloid." Ainsi, son Lloyd Hopkins, dont on apprendra seulement à la fin de "Lune Sanglante" le drame qui, dans l'enfance, l'a amené à se transformer en une espèce de Super Flic dédaigneux de sa hiérarchie.

Parce que le petit James Ellroy a lui-même connu sa part d'horreur, les personnages qu'il invente ont presque tous connu une horreur similaire durant leur propre enfance. Une horreur où se mêlent chair et violence.

Sur la chair, sur l'amour lui-même, le regard d'Ellroy est-il heureux ? Difficile de répondre à cette question. Pour lui, la femme en tous cas est TOUT. Il n'y a pas de garces authentiques chez Ellroy - contrairement au credo du roman noir. Toutes ses femmes fatales sont à la fois mère, épouse, maîtresse, amie, compagne, confidente. Et toutes y parviennent même si certaines d'entre elles paient ce multi-rôle de leur vie.

L'amour fou qu'Ellroy continue à porter à sa mère tragiquement décédée - et sans doute victime du tueur du Dahlia noir - participe beaucoup à cette aura qui nimbe tous les livres du romancier comme autant de petits mausolées qui la rendent éternelle.

C'est d'ailleurs peut-être pour cela que le style pourtant masculin d'Ellroy et son univers de mecs qui flirte souvent avec l'homosexualité et la bisexualité demeurent pourtant aisément accessibles aux femmes. Il y a une tendresse prodigieuse envers le genre humain chez Ellroy, qu'il s'acharne à dissimuler sous un cynisme parfois écoeurant et toujours très glauque, au bord du désespoir. ;o)

Un Tueur Sur La Route - James Ellroy

Silent Terror Traduction : Freddy Michalsky

L'univers d'Ellroy est noir, noir, noir ... et pourtant, l'on ferme toujours ses livres en regrettant d'en être déjà à la dernière page.

C'est ce que j'ai pensé en achevant "Un Tueur sur la Route" qui nous conte, dans un style moins "cogneur" que celui du "Grand Nulle Part", le parcours d'un tueur en série américain nommé Martin Plumkett. Pour être plus exacte, c'est Martin lui-même qui se met en scène. Il vient d'être capturé et, à l'exception d'une déclaration faite devant le tribunal, il se refuse à expliquer quoi que ce soit autrement que par écrit. Aussi entreprend-il dans sa cellule de rédiger son histoire.

L'histoire d'un enfant vraisemblablement surdoué mais privé d'amour dès sa jeunesse et qui ne s'en remettra pas. L'histoire d'un homme qui sait que ses pulsions violentes sont dûes à un accident survenu dans son enfance mais qu'il ne pourra se rappeler qu'à l'extrême fin du roman. Une histoire où les frustrations sexuelles et la déresponsabilisation des parents pèsent de façon atroce sur la destinée de leur enfant.

Ellroy, qui a avoué lui-même que, sans l'exorcisme de l'écriture, il aurait persévéré dans la délinquance aggravée, ne cherche pas à défendre son héros. Par la voix de l'enquêteur du FBI qui finit par coincer Plumkett, l'auteur nous rappelle que très peu nombreux sont en fait les enfants privés d'amour dans leur jeunesse et qui finissent dans la peau d'un tueur. Du début jusqu'à la fin, Ellroy se veut neutre et réussit d'ailleurs à nous restituer le parcours intérieur de Plumkett, tout en froideur et en non-dits, en non-touchers mêmes. Et c'est bien cet équilibre qui lui permet de nous faire entrevoir ces étincelles d'humanité qui, de temps en temps, scintillent et puis meurent en Martin, nous rappelant au passage qu'il aurait pu connaître une vie bien différente.

Face à un personnage comme Ross Anderson et, de façon générale, face à l'Américain moyen décrit par Ellroy à grands traits cruels et sarcastiques, Martin Plumkett nous apparaît cependant doté d'une intégrité enviable. Il nous fait peur - les derniers mots qu'il écrit dans son journal sont carrément terrifiants - et en parallèle, il nous touche. Et on le quitte sans avoir réussi à trancher : est-il une incarnation du Mal ou ce Mal lui a-t-il été imposé par une force supérieure, les hasards de la génétique, le comportement de ses parents, la société américaine puritaine ?

A vous de voir mais c'est un livre qu'on ne regrette pas d'avoir lu. A noter la scène où Plumkett dit son fait à Charles Manson : l'un de ces moments où le lecteur ne peut s'empêcher d'admirer sa vision de la mort. ;o)

Un site excellent sur Ellroy.

Et une interview d'Ellroy chez Fluctuat.

Le Visage de l'Ennemi - Elizabeth George

In The Presence of the Enemy Traduction : Dominique Wattwiller

Les Français n'ont pas le triste apanage de s'interroger sur les membres de leur classe politique et, autant qu'un excellent roman policier, "Le Visage de l'Ennemi" constitue une réflexion glaçante sur la nature et les motivations intimes des hommes et des femmes de pouvoir.

Dennis Luxford, rédacteur-en-chef de "La Source", tabloïd d'obédience travailliste acharné à démasquer les mille-et-un défauts des Conservateurs qui, à l'époque, tiennent encore le haut du pavé en Grande-Bretagne avec John Majors, reçoit un matin une lettre anonyme le sommant de "reconnaître publiquement son premier-né" faute de quoi il arrivera malheur à sa fille, Charlotte.

Le problème, c'est que la mère de l'enfant n'est autre qu'Evelyn Bowen, redoutable député tory devenue entretemps secrétaire d'Etat au gouvernement. Si Ms Bowen n'a jamais caché avoir eu un enfant illégitime, elle s'est toujours farouchement refusée à révéler le nom du père. Difficile en effet, pour les électeurs britanniques comme pour leurs élus et leurs éligibles, de concevoir une semaine de sexe pur entre un extrêmiste travailliste, rédacteur, qui pis est, d'un torchon à la solde des Wigs, et une extrêmiste conservatrice qui ne rêve que de durcir encore un peu plus la position du pays face à l'IRA. Surtout si la semaine en question a pris place lors d'un congrès conservateur où nos deux héros, alors plus jeunes d'une dizaine d'années, étaient journalistes pour des feuilles concurrentes.

Dès le départ, Eve Bowen voit en cette lettre et en l'enlèvement de Charlotte la main malveillante d'un Luxford qui ne rêve, selon elle, que d'abattre sa carrière et porter à travers elle un nouveau coup au gouvernement. Pas question donc de faire appel à la Police. Il suffit d'attendre : cette canaille de Luxford se lassera avant elle.

Luxford a beau protester, rien n'y fait. Aussi se résoud-il à une intervention officieuse de Simon St-James, dont il connaît très bien le frère, David. Malgré toute la bonne volonté de celui-ci, de Deborah et d'Helen Hunt, également entraînées dans cette enquête non-officielle, l'inévitable s'accomplit ; malgré la décision de Luxford de reconnaître officiellement "son premier-né" à la une de son propre journal, le corps de la petite Charlotte est retrouvé dans une rivière du Wiltshire. Après avoir été endormie, la petite a été noyée.

Je passerai sur la seconde partie de l'histoire - le fils légitime de Luxford sera également enlevé et l'on s'apercevra peu à peu que ce n'était pas la femme politique, encore moins le gouvernement, que visait dans cette affaire le meurtrier - si ce n'est pour vous certifier qu'elle est menée tambour battant (malgré quelques petites longueurs çà et là) et que, à une première lecture, il est impossible de deviner qui est l'assassin. Je vous rassure également : si la petite Lottie, enfant non désirée et enfant mal aimée, ne ressuscitera évidemment pas, le jeune Leo aura la vie sauve - avec le sergent Barbara Havers qui aura découvert la sinistre cachette où il était enfermé.

Car ce qui demeure le plus frappant dans "Le Visage de l'Ennemi", c'est la description minutieuse et quasi clinique d'Eve Bowen dont l'égocentrisme forcené et la paranoïa politique chronique vont condamner sa fille à mort. Pas un instant - pas un seul - cette mère ne songe aux tourments que ressent l'enfant kidnappée. Pas une seule fois d'ailleurs elle ne songe aux émotions ressenties par autrui. Bien plus que l'assassin, cette femme fait peur : l'assassin en effet est fou mais Bowen, elle, est secrétaire d'Etat ...

A l'issue de l'histoire, on se demande d'ailleurs si, lorsqu'elle affirme avoir "tout perdu", elle y inclut sa fille assassinée.

Autre "mère" à qui son effarant narcissisme interdit toute compassion : celle du constable Robin Payne.

Si vous lisez "Le Visage de l'Ennemi", je serai curieuse de savoir laquelle, de ces deux femmes, vous aurez trouvé la plus monstrueuse. ;o)

Enquête dans le Brouillard - Elizabeth George

A Great Delivrance Traduction : Dominique Wattwiller

Encore une Américaine qui place l'action de ses romans policiers en Grande-Bretagne. Mais l'humour n'y a pas autant droit de cité que chez Grimes. Au contraire, l'oeuvre d'Elizabeth George est infiniment plus mélancolique.

Tout d'abord, il y a les liens sentimentaux qui unissent ses personnages, qu'il s'agisse de l'improbable inspecteur Thomas Lynley, qui arrive sur les lieux des crimes en Bentley car il possède un authentique et très ancien titre de lord, de sa maîtresse, lady Helen Hunt, elle aussi d'aristocratique naissance ou encore de bSimon St-James/b, membre éminent de la policie scientifique londonienne, qui a trouvé tout naturel d'épouser Deborah, la fille de son maître d'hôtel. (Pour être franche, dans certains épisodes, tout ça est à la limite du gnan-gnan, à mon avis.)

Dieu merci, Elizabeth George leur a adjoint le sergent Barbara Havers, une plébéienne pur-sang qui souffre d'un physique banal et de problèmes de poids et assume la garde de parents séniles. Havers étant un excellent élément malgré son caractère impossible, ses supérieurs, qui pensaient lui faire reprendre l'uniforme et la circulation, décident, dans cette "Enquête ...", de lui accorder une dernière chance en la faisant faire équipe avec Lynley.

Objectif : résoudre un crime plutôt atroce, le meurtre d'un paroissien-modèle, William Teys, retrouvé décapité dans sa grange. Auprès de lui, sa fille obèse, Roberta, et une hache. La jeune fille sanglote en affirmant que c'est elle qui a tué son père et qu'elle ne le regrette pas.

Seulement voilà, le père Hart, prêtre de la paroisse, ne semble pas croire à cette culpabilité affichée de manière pourtant si déterminée. Et il fait des pieds et des mains pour attirer l'attention de Scotland Yard.

C'est ainsi que Havers et Lynley, contraints de coopérer, vont se trouver plongés dans une enquête effectivement peu claire, de laquelle ne tardent pas à monter d'étouffants relents de pourriture : qui avait intérêt à assassiner William Teys ? celui-ci était-il réellement l'homme probe et charitable dont il donnait l'image ? pourquoi sa femme l'a-t-elle quitté un beau jour en lui abandonnant leurs deux filles ? et pourquoi sa fille aînée, Gillian, a-t-elle imité sa mère en s'enfuyant quelques années plus tard ? que dissimule la boulimie monstrueuse de Roberta ? et n'y aurait-il pas par hasard dans le paisible village du Yorkshire où se situe l'intrigue une personne qui, sans avoir encouragé le crime ni y avoir participé, en sait bien plus sur celui-ci qu'elle ne veut (ou ne peut ?) le dire ?

Un roman opaque qui tient le lecteur en haleine et laisse derrière lui une étrange saveur amère. ;o)

jeudi, mars 6 2008

87ème District : Souffler N'est Pas Jouer - Ed McBain

Lady Killer Traduction : Jacques Baudou

Tandis que la chaleur refait sa torride apparition à Isola, les inspecteurs du 87ème District sont confrontés à une lettre anonyme, apportée par un petit garçon tout aussi anonyme (en tous cas au début du roman). En lettres découpées dans des journaux du dimanche, l'inquiétante missive affirme :

"Je tuerai La Dame ce soir à 8 heures Qu'est-ce que vous pouvez faire ?"

Blague de mauvais goût ou préméditation de meurtre ?

Quoi qu'il en soit, l'histoire se lit comme une succession de voltes et de virvoltes sur des pistes à peine entrevues et qui peuvent être aussi bien vraies que fausses. Avec une adresse de prestidigitateur, l'auteur nous donne une solution un peu alambiquée mais qui demeure pourtant plausible. Ce n'est peut-être pas son meilleur ouvrage mais, comme tous ceux que je connais de lui jusqu'ici, il fait montre d'une technique et d'un sens du détail qui ne peuvent que séduire le lecteur. ;o)

87ème District : Crédit Illimité - Ed McBain

Killer's Payoff Traduction : Jacques Baudou

Ce roman débute par une scène qui aurait trouvé sa place dans le "Scarface" de Howard Hawks : un citoyen d'Isola est froidement abattu en pleine rue par une balle de fusil de chasse tirée d'une voiture passant en trombe. Cet homme, c'est Seymour, dit Sy Kramer et de son vivant, il exerçait la délicate mais très lucrative profession de maître-chanteur.

Avec une victime de ce genre, il est normal que les suspects se bousculent au portillon : un ancien mannequin ayant posé jadis pour des "photos de charme" mais qui s'est rangée des voitures en épousant un citoyen en vue d'Isola ; le directeur d'une société de jus de fruits poursuivi parce que l'un de ses clients avait découvert un mulot en décomposition dans une bouteille de jus de pamplemousse ; un expert-comptable qui a truqué quelques comptes et, pour tout dire, deux ou trois autres personnes.

Au milieu de tout cela, un mystérieux Phil Kettering, qui a disparu depuis plusieurs mois et qui pourrait être aussi bien l'assassin de Kramer qu'une autre victime ...

La solution de l'énigme, qui surprendra l'inspecteur Hawes, m'a rappelé celle qu'avait imaginée le belge Stanislas-André Steeman pour l'un de ses romans les plus célèbres. Là, je vous donne un indice de taille. Mais si ! mais si ! Quand vous aurez lu "Crédit Illimité", vous verrez que je disais vrai ... ;o)

87ème District : Victime Au Choix - Ed McBain

Killer's choice Traduction : Jacques Baudou

Le cadavre d'une belle jeune femme divorcée, Annie Boome, git dans une mare d'alcool, sur le sol de la boutique de Vins & Spiritueux qu'elle gérait pour son patron, Mr Phelps, lequel, dès son premier interrogatoire par l'inspecteur Meyer, fait preuve d'une étonnante dureté de coeur en se préoccupant plus des dommages matériels causés que de la mort brutale de son employée.

Cette fois-ci, c'est Albert Kling, le jeune agent sorti du rang pour devenir inspecteur de 3ème classe, qui s'y colle. De la mère de la victime à son ex-mari en passant par les hommes avec lesquels elle sortait au moment de sa mort, tous lui renvoient une image contradictoire de la disparue : à la fois sobre (pas plus d'un doigt de muscat, jamais) et alcoolique (fin saoûle dans un bar), très intelligente (tellement plus intelligente que son ex-époux, de l'aveu même de celui-ci) et pas très fine (selon l'opinion de la mère). Dans tout cela, qui était la vraie Annie Boone ? Et surtout, quelle Annie Boone a-t-on tuée ?

Ce volume voit la disparition de l'inspecteur Havilland, le "mauvais flic" des épisodes précédents, et l'apparition de l'inspecteur Hawes qui, issu du 30ème District riche et tranquille, met un certain temps avant de se faire à l'atmosphère du 87ème. ;o)

87ème District : Faites-Moi Confiance - Ed McBain

The Con Man Traduction : J. Péniguian

Tandis qu'une paire d'escrocs sévit à Isola auprès de gogos fortunés venus de province, Steve Carella se voit confier la résolution d'une affaire de cadavre retrouvé dans la Harb - le fleuve qui passe dans la ville.

Il s'agit d'un cadavre de sexe féminin, qui a séjourné pas mal de temps sous l'eau et qu'on ne reconnaîtra que par l'examen dentaire. Bien sûr, sur sa main droite, entre la base du pouce et de l'index, la jeune noyée possédait un tatouage, un petit coeur avec les initiales MAC à l'intérieur mais au départ, cela n'éclaircit pas vraiment les choses. Sans compter qu'un second cadavre est retrouvé dans les mêmes conditions, portant un tatouage identique à l'exception de l'inscription : NAC cette fois-ci.

Finalement, Carella retrouve le tatoueur, un Chinois fort sympathique, dénommé Charlie Chen mais que tout le monde surnomme "Charlie Chan." Et la vérité commence à se faire jour ...

En toile de fond de cette histoire, l'escroquerie. L'escroquerie aux capitaux , pratiquée en douceur ou alors avec violence. Une escroquerie qui se fonde dans les deux cas sur la naïveté de la proie avec, dans la seconde hypothèse, une odieuse escroquerie aux sentiments les plus privés de l'être humain.

A lire en s'étonnant une fois de plus de la finesse psychologique avec laquelle Mc Bain fait le tour du problème qu'il a pris pour thème central. ;o)

mardi, mars 4 2008

87ème District : Le Fourgue - Ed McBain

The Pusher Traduction : Henri Robillot

L'un des aspects les plus remarquables du "87ème District", c'est la façon absolument unique dont son auteur nous fait nous remémorer la vie que l'on menait dans les grandes villes américaines des années 50 et dont, pour peu que nous soyons un tant soit peu accros de cinéma, nous avons engrangé une incroyable mémoire visuelle par le biais des films de l'époque.

New-York sous la canicule dans "Sept ans de réflexion" ou encore dans "Fenêtre sur cour" (si l'on veut rester dans la catégorie policière ;o) ), c'est Isola dans "Du Balai !"

Le Sonneur qui donne son nom au deuxième volume de la saga évoque encore un New-York filmé dans les studios hollywoodiens par un Hitchcock ou un John Huston.

Mais avec "Le Fourgue", le parallèle qui s'impose est le suivant : Mc Bain dépeint une petite et une grande délinquance américaines qui, dans le sillage de la misère ou de la précarité, corrompt tout le tissu urbain en s'attaquant tout d'abord à ses bases : la jeunesse ; comme toujours, cela a mis du temps pour arriver en Europe mais enfin, en ce début des années 2000, ce phénomène est en train de se carrer bien douillettement dans nos propres grandes villes.

"Le Fourgue", c'est une histoire de dealers et de ratés. De petits dealers d'ailleurs. L'un d'entre eux apprend que le fils d'un officier de police se drogue à l'héroïne et le raconte à un compère. Le compère y voit une opportunité de faire chanter le policier. Mais, de fil en aiguille, rien ne marchera ainsi qu'il l'avait prévu et deux meurtres de sang-froid seront perpétrés avec une tentative de meurtre soldée par un échec à la clef ...

C'est net, ciselé, avec des dialogues qui épatent et un sens royal du détail qui fait vrai parce qu'il est vrai. L'émotion de Danny le Boiteux, l'indic de Carella, quand il apprend que le policier est entre la vie et la mort, est aussi authentique. En revanche, la "happy end" relative au fils drogué relève du plaqué.

Mais cette maladresse ne suffit pas à faire du "Fourgue" un mauvais roman. Lisez-le : vous verrez bien. ;o)

87ème District : Le Sonneur - Ed McBain

The Mugger Traduction : Jean Rosenthal

"Le Sonneur", tel est le surnom que les flics du 87ème District ont donné à un étrange escroc qui attaque les noctambules de sexe féminin pour leur arracher leur sac et s'enfuir avec son butin après leur avoir fait une espèce de salut digne d'un gentilhomme et leur avoir murmuré : "Clifford vous remercie."

Si le Sonneur cogne volontiers, il ne le fait jamais à mort. De même, il ne semble pas non plus porté sur le sexe.

Aussi Isola tout entier (le nom fictif de la ville où Mc Bain campe l'action de ses romans et qui évoque assez New-York) est-il stupéfait d'apprendre que le Sonneur a assassiné une jeune fille de 17 ans, Jeannie Paige. On a retrouvé sur les lieux du crime la moitié d'une paire de lunettes de soleil : car le Sonneur offre aussi la particularité de commettre ses agressions en portant des lunettes noires.

Le meurtre est évidemment confié à la Criminelle. Mais à la suite d'un concours de circonstances, l'agent Albert Kling, du 87ème District, va être amené à intervenir. Et c'est lui qui résoudra l'affaire.

Avec ce second volume, l'univers d'Isola et du 87ème, que Mc Bain nous avait présenté dans "Du Balai !" transpirant à grosses gouttes sous une canicule de cauchemar, s'infiltre un peu plus dans l'âme du lecteur. Si l'inspecteur Carella est en voyages de noces, Albert Kling, lui, n'est autre que le flic en tenue qui, à la suite d'un malentendu, avait reçu une balle de revolver à l'épaule, en lieu et place de Savage, le journaliste opportuniste de "Du balai !"

A l'arrière-plan, se précisent des personnages secondaires comme Hal Willis, le petit inspecteur qui ne paie pas de mine mais qui est en réalité un adepte redoutable des sports de combat ; Meyer, le policier d'origine juive, à qui son père n'avait trouvé rien de mieux à faire que de lui donner également Meyer comme prénom (!!!) ; le lieutenant Byrne qui, du fond de son bureau, supervise ses seize inspecteurs ...

En bref, on en redemande. ;o)

87ème District : Du Balai ! - Ed McBain

Cop Hater Traduction : Jacques Chabot

C'est en 1956 qu'Ed Mc Bain, de son vrai nom Salvatore Lombino, publie le premier opus des aventures de ses flics du 87ème District (87th Precinct) sous le titre : "Cop Hater", traduit en français de manière assez incongrue : "Du balai !".

Pour un premier contact avec Carella et consorts, c'est plutôt agréable. L'intrigue est simple : Mike Reardon, inspecteur du 87ème, se fait abattre vers les minuit, alors qu'il se rend à son travail pour prendre son service. A noter que Reardon est un inspecteur en civil et que, à moins de le connaître d'une façon ou d'une autre, nul n'aurait pu déduire de son apparence qu'il appartenait à la police.

Peu de temps après, c'est à l'inspecteur David Forster de se faire tuer, à peu près dans les mêmes conditions. Enfin, vient le tour de l'inspecteur Hank Bush (aucun rapport avec Dabelyou ... ;o) )

Mais avec Bush, le meurtrier commet une erreur et laisse au policier le temps de dégainer et de le blesser à l'épaule.

Au début, bien entendu, l'hypohèse d'un malfrat qui aurait pété les plombs et qui se serait décidé à passer à l'acte pour exorciser sa haine de la police est retenue. Mais, peu à peu, lentement, sûrement, Carella finit par flairer une autre possibilité ...

L'analyse psychologique du meurtrier m'a paru un peu négligée. Comme la scène où Carella se laisse piéger par l'un de ces journalistes complètement irresponsables dont la presse américaine paraît avoir le secret. Mais nombreuses sont sans doute les affaires criminelles où, en dépit de tous les soins qu'ils apportent à les résoudre, les policiers ne parviennent pas à faire admettre au tueur la raison exacte pour laquelle il a tué.

En revanche, je recommanderai les dialogues de Mc Bain à tout romancier désireux de travailler ceux qu'il prête à ses propres personnages. Secs, précis et surtout incroyablement naturels - le summum, en somme, que l'on retrouve, sous une autre forme, dans les mots qu'un Wodehouse mettait dans la bouche de ses héros.

Et puis, de façon générale, pourquoi le cacher ? J'ai aimé et je lirai prochainement le second tome de la série : "Le Sonneur."

Un site sur Ed Mc Bain.

La Clinique - Jonathan Kellerman

The Clinic Traduction : Robert Pépin

Hope Devane, séduisante et compétente universitaire diplômée en psychologie et auteur par ailleurs d'un best-seller sur les comportements sexuels, est retrouvée non loin de chez elle, saignée à blanc par trois coups de couteau : l'un au coeur, l'autre au vagin, le dernier dans le dos.

L'enquête, qui piétine, est confiée très vite au lieutenant Milo Sturgis, l'un des rares enquêteurs homosexuels de la planète Polar. Et comme de bien entendu, celui-ci demande un coup de main à son ami, le Dr Alex Delaware, psychiatre renommé.

Et voilà que la personnalité de la disparue commence à révéler quelques défauts. Elle avait par exemple obtenu de l'université où elle dispensait ses cours qu'un Comité fût créé afin que les étudiantes victimes de harcèlement sexuel vinssent y exposer leur situation. Si l'Administration y avait vu tout d'abord une initiative heureuse, destinée à panser les plaies et non pas à leur rajouter une couche de gangrène, elle avait dû déchanter : ces convocations entre étudiantes stressées à mort et étudiants niant les avoir harcelées de quelque manière que ce fût avaient vite tourné aux procès où, dès le départ, le défendeur se trouvait condamné.

Milo et Alex seraient partants pour imaginer un meurtrier issu de ces confrontations inhabituelles - et au demeurant illégales - mais ...

Mais survient le meurtre d'une call-girl, Mandy Wright, qui n'aurait rien de commun avec celui de Mrs Devane n'était un modus operandi, exactement semblable : trois coups de couteau, assenés dans le même ordre et dans les mêmes zones corporelles.

Comment diable rattacher la call-girl à Hope Devane ? C'est là que gît le noeud du problème.

__Un problème résolu de main de maître par les deux compères pour la plus grande joie de leur lecteur qui trouve ainsi dans "La Clinique" l'un des meilleurs romans de Kellerman. L'Amérique y est dépeinte avec son cortège d'ambiguïtés et le regard que l'auteur jette sur certains personnages secondaires et leurs agissements (comme la mère de Chenise ou Big Micky) n'est pas sans nous interpeller._

Idéal pour les vacances. Sous le soleil ou sous la pluie, vous passerez un bon moment. ;o)

lundi, mars 3 2008

Qu'Elle Repose En Paix - Jonathan Kellerman

The Murder Book Traduction : Marie-France de Palomera

Jonathan Kellerman, auteur américain d'origine juive, est probablement l'un des meilleurs techniciens du roman policier actuel : à de rares exceptions près parmi lesquelles je compte "Le Nid de l'Araignée" (intrigue prometteuse qui tourne court) et "Billy Straight" (un peu trop démago, à mon goût), Kellerman réussit toujours à mener son lecteur jusqu'au bout sans le laisser deviner le nom du coupable avant l'extrême fin du roman.

Dans ses romans policiers, on retrouve toujours le tandem Alex Delaware, psychiatre de profession, Milo Sturgis, lieutenant du LAPD ronchon et homosexuel. Sturgis est d'ailleurs à mon sens l'une des meilleures incarnations de l'homosexuel dans la police : il n'a rien à voir avec les clichés habituels et Kellerman le rend à la fois émouvant et crédible.

"Qu'elle repose en paix" s'ouvre avec un curieux classeur bleu rassemblant des photos de meurtres probablement dérobées aux dossiers originaux et adressé par un inconnu au Dr Delaware. Ca tombe bien, Delaware est pour la énième fois en porte-à-faux avec sa compagne Robin (cela, c'est l'aspect toujours un peu lassant de ces aventures mais on se résigne) et il ne demande qu'à se lancer une nouvelle fois à l'aventure. Ce psychiatre qui s'est lassé de sa clientèle de luxe n'aime en effet rien tant que de s'en aller patauger au milieu des énigmes policières les plus tordues.

Ayant montré le dossier à Milo, celui-ci lui apprend que l'une des photos se rapporte à un meurtre non élucidé dont il avait été chargé alors qu'il débutait : celui d'une toute jeune fille, dénommée Janie Ingalls (aucun rapport hélas pour elle ! avec la famille Ingalls de "La Petite Maison ..."), droguée et déboussolée, découverte morte et ayant subi de graves mutilations, sur une route de Los Angeles, alors qu'elle n'avait que 17 ans ...

Le plus rageant peut-être dans l'affaire, c'est que, à l'époque, Sturgis et son équipier, Pierce Schwinn, avaient été évincés de l'enquête. La chose était flagrante mais Sturgis n'avait rien pu faire. Bref, ce dossier étrange et cette photo macabre réveillent toute une foule de souvenirs chez Milo, et pas des plus agréables : il lui semble qu'une main venue de l'Au-delà s'est entremise pour que ce dossier lui parvienne, par l'intermédiaire de Delaware. A partir de là, les deux hommes vont tout faire pour élucider cette affaire étouffée dans l'oeuf.

Si vous aimez les bons policiers, bien dosés mais pas trop gore, allez-y de confiance : "Qu'elle repose en paix" ne devrait pas vous décevoir. ;o)

Les Quatre Coins de la Nuit - Craig Holden

Four Corners of the Night Traduction : Stéphane Carn & Catherine Cheval

Il était une fois, dans une petite ville perdue du Midwest, un petit garçon, juif par son père, catholique par sa mère et agnostique par conviction, qui avait atterri là sans beaucoup d'enthousiasme et qui se sentait bien seul. Le malheur voulait qu’il eût un faible inné pour les livres et le travail et qu’il n’eût de ce fait aucun mal à se faire bien voir de ses professeurs. Circonstances aggravantes, il portait des lunettes et souffrait d’allergies qui se manifestaient parfois à l’état de crises d’asthme. Très vite, et nul ne s’en étonnera, le jeune Max se voit donc en but à l’hostilité de certains condisciples, au nombre desquels un certain Gary Urbanoswski qui, un jour que l’enfant attend sa mère à la sortie de l’école, s’avance vers lui avec l’intention on ne peut plus visible de « s’amuser » un peu à ses dépens …

Mais voilà que, du bus de ramassage scolaire qui n’a pas encore pris le chemin du retour et à l’intérieur duquel la timidité de Max l’a jusqu’à ce jour empêché de monter, descend une espèce de petit taureau, du nom de Charles Arbaugh mais déjà connu sous le sobriquet de « Bank. » Urbanoswki préfère s’éclipser, Bank invite Max à l’accompagner dans le bus et c’est ainsi que débute une longue et solide amitié entre deux enfants issus de deux mondes différents : orphelin, Bank vit dans une famille d’accueil tandis que Max réintègre tous les soirs le foyer de ses parents.

A l’âge adulte, Bank et Max, qui répond désormais au surnom de « Big Mack », entrent tous deux dans la Police. Le premier est détaché à la brigade Anti-gang et montre vite un faible pour les patrouilles de nuit ; le second s’oriente vers les Personnes Portées Disparues. Par la suite, ils prennent l’habitude de patrouiller ensemble toutes les fois qu’ils le peuvent dans les méandres d’une ville où, en cette fin des années 90, la prostitution, le crack et les gangs de jeunes gamins, qu’ils soient noirs, blancs ou latinos, se montrent aussi actifs que dans n’importe quelle grande agglomération.

Quand s’ouvre le roman, nos deux héros déjeunent d’un sandwich bien gras arrosé de caféine lorsque la radio leur signale la disparition d’une fillette de 12 ans qui, partie tester la réparation de sa chaîne de bicyclette en faisant le tour du pâté de maisons où elle vit, s’est évaporée dans la nature en laissant son vélo derrière elle.

Les deux hommes se précipitent immédiatement sur les lieux et Max, qui est aussi le narrateur de tout l’histoire, commence à démêler pour le lecteur les fils d’une affaire qui, des années plus tôt, a démoli l’existence paisible que son ami Bank s’était faite auprès de Sarah, jolie jeune femme issue d’un milieu bourgeois et mère-célibataire de la petite Jamie. Cette fillette, dont Bank s’occupait comme un véritable père, avait elle aussi disparu un beau jour alors qu’elle se rendait à un entraînement de softball. Et, malgré tous les efforts de Bank – et Dieu sait s’il ne les avait pas ménagés ! – malgré tous ceux de ses collègues, directement atteints par ce coup infligé à l’un des leurs, jamais elle n’avait été retrouvée. On avait fini par la supposer morte ou disparue dans les anneaux d’un réseau de prostitution enfantine. Peu à peu, Bank et Sarah s’étaient éloignés l’un de l’autre et un divorce avait mis fin à une union qui avait pourtant été si parfaite.

L’enlèvement brutal de Tamara Shipley par, aux dires des témoins, contradictoires comme toujours, « deux Noirs dans une voiture marron » ou « deux Blancs dans une voiture violette », ouvre la porte toute grande aux spectres du passé qui, fidèles à eux-mêmes, n’attendaient évidemment qu’une telle opportunité pour s’en venir accabler Bank et tous ceux qui, avec lui, ont partagé les affres de l’incompréhensible disparition de Jamie.

Cependant, dans le drame de la famille Shipley, il semble très vite que se trouvent impliqués des gangs d’adolescents. Tandis que, au fur et à mesure qu’il ressasse ses souvenirs, Mack se désespère de trouver la solution à celui qui a mis fin à toute une partie de la vie de son ami.

Pourtant, peu à peu, des fils surgissent, des pistes s’entrecroisent …

Et la Vérité se fait jour : aussi effarante qu’incroyable.

Ames sensibles qui me lisez, vous pouvez aborder ce roman de Craig Holden sans craindre les horreurs sanglantes qu’assène un Ellroy impavide ou les frissons infernaux savamment distillés par Thomas Harris. Pourtant, si l’on doit établir une quelconque comparaison, c’est bien de la manière de Harris – ou de Dennis Lehane, spécialement dans son « Ténèbres prenez-moi la main » - qu’il faut rapprocher « Les Quatre Coins de la Nuit, » ouvrage superbe et sobre, cynique et ambigu, et malgré tout miséricordieux envers un monde d’où le manichéisme et sa rassurante simplicité sont fermement exclus. C’est aussi un « roman noir » unique en son genre, sur une humanité navrante et navrée qui n’est pas sans rappeler celle qui s’agite dans le « Chinatown » de Roman Polanski.

Preuve Vivante - John Harvey

Living Proof Traduction : Jean-Paul Gratias

Ce roman s'ouvre sur un homme qui court la nuit, ou plutôt qui fuit on ne sait trop qui ou quoi. Mais une chose est certaine : si l'on excepte la chaussette qu'il porte à son pied gauche, il est tout nu et il est blessé. Autre détail : il n'est pas le premier à se voir ainsi intégralement détroussé et pas mal "bousculé" au coeur de la nuit ...

"Preuve vivante" se fonde sur l'insatisfaction sexuelle que ressentent nombre d'hommes, mariés ou pas, et qui les conduit à quémander plus ou moins régulièrement les services d'une (ou d'un) prostituée. La précarité ne cessant de croître dans l'Angleterre des années 80, les prostitués des deux sexes sont nombreux, les "réguliers" comme les occasionnels qui ne recourent à ce style de vie que pour payer une échéance lourde ou inattendue.

Si la Mort est censée se déplacer avec les trois autres Cavaliers de l'Apocalypse, la prostitution, elle, est souvent accompagnée par les drogues et, parmi toutes celles-ci, le crack est l'une des plus rapides à détruire son homme ou sa femme, ne les poussant plus qu'à se préoccuper d'obtenir leur dose coûte que coûte.

Pour autant qu'il y ait réellement un ou plusieurs prostitués-tueurs, assoiffés d'argent et de sang, doit-on leur reprocher l'intégralité des agressions et surtout le meurtre, dans sa chambre d'hôtel, d'un représentant de commerce qui, par un curieux hasard, avait épousé une ancienne connaissance de Charlie Resnik ? ...

"Preuve vivante", je ne sais trop pourquoi, ne pas aussi convaincue que les autres volumes de la série. C'est pourtant avec la même intrépidité que l'auteur se penche sur les plaies qui affligent la société britannique moderne. Enfin, ce volume fait avancer l'intrigue pré-existante entre Resnik et Lynn Kellog. ;o)

Lumière Froide - John Harvey

Cold Light Traduction : Jean-Paul Gratias

Ce roman parlera à toutes celles et tous ceux qui, à l'une ou l'autre époque de leur existence, ont dû passer par un Centre communal d'action sociale pour y prendre des ordonnances gratuites ou encore quémander des aides sociales. L'un des suspects principaux dans l'affaire Nancy Phelam - une jolie jeune femme, qui travaille dans l'un de ces centres et qui est kidnappée par un inconnu lors d'une soirée de réveillon - est en effet l'un des habitués de ce genre d'endroits, du nom de Gary James.

Elevé dans un milieu précaire où la mère comme le père ne connaissait que la gifle et les coups pour faire marcher droit leurs enfants, Gary est tombé amoureux de Michelle. Mais, à l'inverse de tant de jeunes hommes dans le même cas, il est resté auprès de celle-ci lorsqu'elle lui a annoncé qu'elle attendait un enfant. Et, vaille que vaille, pendant près de quatre ans, il a tenu bon, se cramponnant à des travaux pour lesquels il n'était pas vraiment qualifié mais qui, tout de même, mettait un peu de beurre dans les épinards.

Depuis quelque temps cependant, dans cette Angleterre thatcherisée, c'est le chômage. Gary ronge son frein dans une maision insalubre où Michelle et lui, avec leurs deux enfants, grelottent régulièrement de froid : en dépit de leurs efforts et de leurs rappels, la société des HLM du coin ne se préoccupe guère de les reloger décemment.

Un jour, poussé à bout, Gary s'emporte au Centre social et s'en prend à Nancy Phelam qu'il a connu jadis alors que tous deux partageaient la même école. Rien de grave bien sûr mais suite à la disparition de la jeune femme, Gary est tout de même soupçonné.

Surtout qu'on le suppose violent. Son fils de trois ans, Karl, est périodiquement emmené à l'hôpital, à la suite de chutes qu'il aurait faites. Mais qui sait si le père n'est pas derrière cela ? ...

Pourtant, pour les agents de la brigade de Charlie Resnik, Gary James ne représente pas le suspect idéal en cette affaire qui semble bien avoir été préméditée. Celle-ci serait plus dans les cordes d'un tueur sexuel en série. Mais comment le débusquer ? ... ;o)

dimanche, mars 2 2008

Off Minor - John Harvey

Off Minor Traduction : Jean-Paul Gratias

C'est sous l'égide d'un morceau de Theolonius Monk qu'on dirait "joué avec ses coudes" que John Harvey a choisi de placer ce quatrième tome de sa série, qui introduit également un personnage que l'on retrouvera par la suite, Raymond, le jeune marginal acnéïque que tout le monde surnomme "Ray-O."

Le thème principal de l'intrigue, c'est la pédophilie avec la disparition de la petite Gloria Summers, six ans, dont Raymond justement et sa petite amie, Sara, retrouveront le cadavre quelques mois plus tard dans un terrain vague alors que disparaît une autre fillette, sensiblement du même âge, Emily Morrisson.

Thème délicat que Harvey aborde avec autant de délicatesse que de justesse en posant au passage l'éternelle question : "Pourquoi certains agissent-ils ainsi et pourquoi pas les autres ? ..."

La précarité de plus en plus présente dans les quartiers populaires de cette petite ville britannique, la violence qui monte à ses côtés, des policiers qui s'accoutument à porter des gilets pare-balles pour n'importe quelle opération, le problème des communautés qui ne se supportent plus et, bien sûr, les drames intimes des héros et des personnages secondaires : Lynn Kellogg voit les hommes s'enfuir dès qu'elle avoue son métier, Diptak Patel se voit refuser par le citoyen lambda le droit d'être à la fois d'origine pakistanaise ET représentant de l'ordre, Mark Divine est toujours aussi sexiste, Millington se pose soudain des questions sur la fidélité de son épouse, Charlie Resnik va et vient entre les horreurs de son métier, ses chats et son jazz et le pauvre Naylor est bien près de divorcer tandis que le divisionnaire Skelton suspecte sa fille Kate des pires turpitudes.

D'une façon éminemment anglaise, Harvey reprend un peu le flambeau d'un Ed Mc Bain. Mais il le fait dans une décennie où la violence se banalise et où personne, pas même un policier, ne peut s'étonner en conscience de voir un jeune homme trop boutonneux et snobé par les jeunes de son âge, préférer se munir d'un cran d'arrêt pour dissuader ceux qui auraient envie de s'en prendre à son visage.

Un constat inquiétant mais qui demeure humain si l'on excepte le personnage du pédophile ainsi que celui de Geoffrey Morrison, oncle de la petite Emily. Mais je ne vous en dirai pas plus : lisez, vous verrez bien. ;o)

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