Silent Terror Traduction : Freddy Michalsky

L'univers d'Ellroy est noir, noir, noir ... et pourtant, l'on ferme toujours ses livres en regrettant d'en être déjà à la dernière page.

C'est ce que j'ai pensé en achevant "Un Tueur sur la Route" qui nous conte, dans un style moins "cogneur" que celui du "Grand Nulle Part", le parcours d'un tueur en série américain nommé Martin Plumkett. Pour être plus exacte, c'est Martin lui-même qui se met en scène. Il vient d'être capturé et, à l'exception d'une déclaration faite devant le tribunal, il se refuse à expliquer quoi que ce soit autrement que par écrit. Aussi entreprend-il dans sa cellule de rédiger son histoire.

L'histoire d'un enfant vraisemblablement surdoué mais privé d'amour dès sa jeunesse et qui ne s'en remettra pas. L'histoire d'un homme qui sait que ses pulsions violentes sont dûes à un accident survenu dans son enfance mais qu'il ne pourra se rappeler qu'à l'extrême fin du roman. Une histoire où les frustrations sexuelles et la déresponsabilisation des parents pèsent de façon atroce sur la destinée de leur enfant.

Ellroy, qui a avoué lui-même que, sans l'exorcisme de l'écriture, il aurait persévéré dans la délinquance aggravée, ne cherche pas à défendre son héros. Par la voix de l'enquêteur du FBI qui finit par coincer Plumkett, l'auteur nous rappelle que très peu nombreux sont en fait les enfants privés d'amour dans leur jeunesse et qui finissent dans la peau d'un tueur. Du début jusqu'à la fin, Ellroy se veut neutre et réussit d'ailleurs à nous restituer le parcours intérieur de Plumkett, tout en froideur et en non-dits, en non-touchers mêmes. Et c'est bien cet équilibre qui lui permet de nous faire entrevoir ces étincelles d'humanité qui, de temps en temps, scintillent et puis meurent en Martin, nous rappelant au passage qu'il aurait pu connaître une vie bien différente.

Face à un personnage comme Ross Anderson et, de façon générale, face à l'Américain moyen décrit par Ellroy à grands traits cruels et sarcastiques, Martin Plumkett nous apparaît cependant doté d'une intégrité enviable. Il nous fait peur - les derniers mots qu'il écrit dans son journal sont carrément terrifiants - et en parallèle, il nous touche. Et on le quitte sans avoir réussi à trancher : est-il une incarnation du Mal ou ce Mal lui a-t-il été imposé par une force supérieure, les hasards de la génétique, le comportement de ses parents, la société américaine puritaine ?

A vous de voir mais c'est un livre qu'on ne regrette pas d'avoir lu. A noter la scène où Plumkett dit son fait à Charles Manson : l'un de ces moments où le lecteur ne peut s'empêcher d'admirer sa vision de la mort. ;o)

Un site excellent sur Ellroy.

Et une interview d'Ellroy chez Fluctuat.