Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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Littérature made in USA.

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lundi, octobre 22 2007

L'Homme Aux Pistolets - James Carlos Blake. ( I )

The Pistoleer Traduction : Danièle & Pierre Bondil

Ce livre est une biographie romancée de la vie d'un hors-la-loi texan assez peu connu en France mais dont les fans de Bob Dylan ont peut-être entendu parler puisque le chanteur américain lui a consacré une chanson.

Il est intéressant de constater que sa naissance, le 26 mai 1853, à Bonham, au Texas, fait de John Wesley Hardin un Gémeaux : le livre de James Carlos Blake nous décrit en effet un authentique Janus, tour à tour tueur froid, proche de la psychopathie, et gentleman au grand coeur et à la vive intelligence, parfaitement capable de se reconvertir dans le droit après son séjour en prison, avant de rechuter après la mort de son épouse.

L'enfance de John Wesley fut heureuse. Son père était un prêcheur méthodiste (ce qui explique d'ailleurs le second prénom qu'il donna à son fils) qui cumulait également les fonctions de juriste, de maître d'école et éventuellement de conducteur de troupeaux. Comme tout père, James G. Hardin souhaitait voir ses enfants réussir mais on ne peut vraiment pas dire qu'il se montra violent ou trop sévère. Il aimait ses enfants et, jusqu'au bout, il soutint son cadet tout en déplorant sa violence.

La blessure dont serait issu l'étrange parcours de John Wesley serait plutôt un fait de génération : la Guerre Civile - en français, la Guerre de Sécession - qui allait creuser entre le Nord et le Sud un fossé qui, de nos jours, n'est pas encore comblé.

Chez les Hardin, on avait plutôt des sympathies sudistes mais on ne possédait pas d'esclaves et on ne faisait pas de propagande esclavagiste. Pourtant, en 1868, alors qu'il avait tout juste quinze ans, c'est un Noir qu'abat John Wesley. Il affirmera toujours l'avoir fait en état de légitime défense mais, même s'il disait la vérité, en cette terrible époque de Reconstruction, il n'avait aucune chance d'échapper à la corde, encore moins d'être jugé équitablement. Sa fuite s'explique donc de manière très logique. Dans la foulée, cet habile tireur tua quatre soldats nordistes en patrouille - dont deux Noirs - qui voulaient l'arrêter.

En 1871, on retrouve notre pistolero sur la fameuse Piste Chisolm, qu'arpentent les troupeaux de bestiaux en route vers Abilene. Là encore, Hardin dégaine un peu trop souvent et s'en prend, entre autres, à des Mexicains. (Il faut lire l'évocation qu'en donne James Carlos Blake : on se croirait chez Sergio Leone.)

John Wesley tenta cependant de se ranger : revenu au Texas, il se maria et eut trois enfants. Il chercha même à se faire fermier mais ...

Mais tout d'abord, c'était plus fort que lui. Ensuite, il faut bien convenir à sa décharge que son extraordinaire dextérité au pistolet lui faisait recevoir des propositions très avantageuses, comme celle que lui fit Jim Taylor, célèbre anti-Reconstructionniste texan. Il l'accepta, autant par intérêt que par goût personnel et ce fut ainsi qu'il entra dans la guerre de clans opposant les Sutton et les Taylor. D'où, de nouvelles morts sur sa conscience - si tant est qu'il en ait eu une.

Après le meurtre d'un shérif-adjoint à Comanche, en 1874, Hardin fuit à nouveau. Les Texas Rangers l'arrêteront trois ans plus tard et il sera condamné à 25 ans de prison. Après de multiples tentatives d'évasion, il finira par se résigner et par reprendre ses études. Quand il sort pour bonne conduite, en 1894, il est ... avocat et s'inscrit au barreau du Texas.

Après la mort de sa femme, il prend pour maîtresse l'une de ses clientes. Mais le mari de celle-ci s'insurge et ...

L'affaire semble assez obscure et la version retenue par James Carlos Blake n'est qu'une de celles qui ont couru sur l'affaire. Toujours est-il que John Wesley Hardin fut abattu par l'officier de policer John Selman, dans un saloon d'El Paso où il jouait aux dés. C'était le 19 août 1895, il avait quarante-deux ans.

samedi, septembre 29 2007

Berceuse - Chuck Palahniuk.

Lullaby Traduction : Freddy Michalsky

Quel drôle de petit roman ! Il part d'une intrigue fantastique : une berceuse qui, chantée à n'importe qui, petit ou grand, a le pouvoir de l'endormir à jamais, pour entraîner son lecteur dans une critique plutôt sombre des Etats-Unis - et, de façon générale, de la société de consommation.

Y croit-on ou pas ? Moi, hélas ! je ne suis pas parvenue à y croire.

A vrai dire, le lecteur est très vite désorienté. A l'origine, il a choisi ce livre parce que l'histoire de la berceuse maléfique et de la quête qui allait s'en suivre le tentait. Mais quand les événements et les personnages partent dans tous les sens, il a beaucoup de mal à se maintenir à leur hauteur.

Pour y parvenir, mieux vaut peut-être considérer ce roman comme un conte, une fable moderne, dont les personnages - Helen, le narrateur, Mona et Oyster, cette espèce de succédané baroque et vicieux du Christ en personne - sont des symboles et non des êtres vivants.

Là où ça achoppe, c'est quand on se demande : "Oui, mais que symbolisent-ils, justement ?"

J'avoue n'avoir pas saisi pleinement où voulait en venir l'auteur. Je le regrette et je ne désespère pas qu'un jour, peut-être ... ;o)

Fedora - Thomas Tryon.

Crowned Heads Traduction : Colette-Marie Huet

Le recueil "Fedora" regroupe, chez Albin-Michel, quatre longues nouvelles reliées par un fil conducteur : le destin de Fedora, une ancienne star du muet, passée au parlant avec succès et qui a stupéfié ses fans en paraissant conserver intactes sa jeunesse et sa beauté.

Rien de bien fantastique pourtant là-dedans, ainsi que le constatera le lecteur qui suivra le récit de Barry, biographe de la star qui, au début de la nouvelle, vient de décéder à plus de quatre-vingts ans.

Rien de fantastique mais une chute habile qui en surprendra plus d'un même si, sincèrement, l'exposition du récit est un tantinet longuette.

La deuxième nouvelle, "Lorna", conte l'histoire véritablement tragique de Lorna Dunne, vedette sur le déclin qui apparut justement aux côtés de Fedora dans le film qui remit celle-ci en selle après une courte éclipse dûe à des problèmes de santé. Lorna est en vacances au Mexique et revoit sa vie défiler devant elle. Elle boit, elle drague et elle ... Mais vous verrez bien.

La troisième nouvelle, "Babbitt", porte le nom d'une ancienne star-enfant, un petit garçon, qui, en grandissant, a évidemment cessé de présenter tout intérêt pour les magnats du cinéma. Au hasard de retrouvailles dans un parc avec celle qui, jadis, tint le rôle de sa gouvernante dans la série qui l'avait rendu célèbre, se dégage une personnalité brillante mais terriblement instable qui se gorge de mensonges pour ne pas sombrer dans l'abîme creusé par le Temps.

Quant à la quatrième et dernière nouvelle, "Willie", elle est, de loin, la plus cruelle. Je ne vous la résumerai pas mais je vous dirai, comme indice, qu'il se peut que, pour l'écrire, Tryon ait songé au drame de Cielo Drive, en 1969, quand Sharon Tate et ses amis périrent assassinés par la bande de Charles Manson.

__L'ensemble, de toutes façons, se place sous le signe de la cruauté. Non celle de l'auteur lui-même mais bel et bien de la cruauté du monde dans le quel il a travaillé si longtemps, celui du cinéma hollywoodien. A lire seulement si l'on s'y intéresse. ;o)

vendredi, août 31 2007

Moby Dick - Herman Melville.

Moby-Dick or The Whale Traduction (pour le Livre de Poche) : Lucien Jacques, Joan Smith & Jean Giono

En édition de poche (dont je n'ai pu retrouver la jaquette exacte), le roman de Melville fait près de 700 pages. Mais vous n'y recontrerez Moby Dick, en chair en en os, qu'à la 660ème page à peu près - pour un peu, c'était la 666ème ... ;o) Il faut dire que, à l'origine, le roman s'appelait : "La Baleine."

Moby Dick est une vieille et prodigieuse baleine blanche appartenant à l'espèce des cachalots. Elle est responsable de pas mal de naufrages de baleiniers battant toutes sortes de pavillons et, pis que tout, c'est elle qui a fait perdre l'une de ses jambes au capitaine Achab. Depuis lors, Achab n'a qu'un rêve : se venger de Moby Dick.

Dans ce but, à près de soixante ans et tout juste marié à une femme beaucoup plus jeune que lui, il accepte le commandement du Pequod, un navire-baleinier appartenant à ses vieux amis Peleg et Bildad.

C'est à bord du Pequod que Melville nous invite à grimper dès que son narrateur, Ishmael, un transfusge de la marine marchande curieux d'en apprendre plus sur la pêcherie baleinière, est parvenu à s'y faire engager en compagnie de Queequeg, un natif des Iles soupçonné de cannibalisme rituel mais à part cela, fort sympathique et qui, pour sa part, exerce la noble et dure profession de harponneur.

Si l'on excepte les vingt premiers chapitres de l'ouvrage - qui en compte 135 - l'intégralité de l'action se déroule sur le Pequod et sur la mer. Et quand j'écris "action", je suis vraiment très généreuse car, plus qu'un roman d'aventures, "Moby Dick" est surtout un manuel complet sur la pêche à la baleine au XIXème siècle et sur les baleines.

"Moby Dick" est, avant la lettre, un hymne écologique, vibrant et passionné à la Baleine, les différentes espèces qui la représentent, les mille et une qualités qui sont les siennes, les comportements logiques ou bizarres qui sont les siens, etc ... C'est une espèce de Bible en la matière et, de l'ouvrage originel, elle a hélas ! aussi les épuisantes longueurs et le style un peu trop redondant.

En matière de dialogues par exemple, Melville est un très mauvais artisan. Ou plutôt (mais peut-être n'est-ce qu'un effet de la traduction), il fait parler ses personnages de façon ampoulée et excessive, parsemant leur texte d'invocations terribles à Dieu, aux cieux, et à toute cette sorte de choses, comme diraient nos amis anglais. Si cela passait sans doute très bien dans l'Amérique du XIXème siècle, de nos jours, c'est absolument aussi indigeste qu'un grand bol d'huile de baleine. En outre, l'écrivain a jugé utile d'insérer dans son roman des espèces de scènes, d'ailleurs rédigées au présent, et qui tiennent plus de la saynette théâtrale que d'autre chose.

Pour user d'un tel procédé, il faut être un maître ès naturel, à l'exemple d'une Sophie de Ségur (eh ! oui) ou, bien plus tard, d'un James Joyce. Or, Melville et le naturel sont visiblement fâchés.

En revanche, les descriptions de la passion de l'auteur pour la Baleine, celles aussi qu'il donne des océans et de la vie que l'on mène à bord d'un navire recèlent des images et des comparaisons d'une beauté et d'une poésie exceptionnelles.

Tel quel, ce pavé, bien que fascinant, apparaît comme curieusement inégal. Les vingt premiers chapitres, par exemple, sont pleins d'humour mais à compter de l'instant où le Pequod prend la mer, plus rien - ou alors quelques pointes de gaieté forcée et presque grossière. On y voit entre autres Melville développer une saine vision de la religion et de ses méfaits éventuels.

Mais cette vision se trouble et sombre complètement, dès qu'il se met en tête d'expliquer le "cas" Achab. L'écrivain retombe dans un manichéisme outrancier, dans cet orgueil qui tue Achab bien plus sûrement que Moby Dick. Habité par l'idée de revanche, le capitaine, dont la personnalité est pourtant certaine, devient la marionnette d'un esprit supérieur dont on ne parvient pas à dire de quelle nature il procède. Ambiguïté qui se décline dans deux personnages, le vagabond Elie et le Parsi Fédallah qui semble avoir été placés là pour souligner l'hésitation de Melville : le premier voit partout le glaive d'une espèce de Jéhovah ; le second, plus subtil, laisse à penser que, derrière les dieux, il y a le Destin.

Si Melville avait consacré plus de temps et de pages à l'analyse de ses personnages, sans doute nous aurait-il éclairés sur ses volontés exactes. Mais on se demande parfois si les personnages et l'intrigue elle-même ne sont pas là tout simplement pour permettre à l'auteur de justifier tout ce qu'il nous apprend sur les baleines.

Certains, qui ont vu le film en tous points remarquable que John Huston retira de l'ouvrage, s'entêtent à désigner le capitaine Achab comme une espèce d'anarchiste américain qui se retient à peine de hurler dans le dos de Moby Dick, alors identifiée soit à Dieu, soit aux religions, un tonitruant : "Ni Dieu, ni maître !" Mais si l'on peut croire que tel était bien le souci du cinéaste, chez l'écrivain, rien n'est moins sûr. Idem, à mon avis, pour cette théorie qui veut voir dans la quête du Pequod celle de l'Humanité embarquée sur le navire de l'existence ...

La seule chose dont je demeure persuadée, après avoir lu "Moby Dick" de A à Z, c'est que Melville aurait pu, là encore s'il avait sauté le pas, comme Walt Whitman, se faire le chantre de l'homosexualité.

A part cela, "Moby Dick" m'aura apporté des descriptions marines absolument fabuleuses et toute une foule de renseignements sur les baleines, "petites" et grandes. Je le tiendrai désormais pour une oeuvre inaccomplie et maladroite, non dépourvue de charme (à condition qu'on s'intéresse à la mer, sinon, c'est cuit) et dotée de proportions aussi formidables et aussi intrigantes que celles de la baleine.

Finalement, la clef de l'ouvrage pourrait se résumer à l'idée que nous assène Melville lorsqu'il entreprend ses chapitres sur le squelette de la baleine : il y a une différence inconcevable entre ce que l'on voit de la baleine vivante et ce que donne sa carcasse récupérée sur une plage et soigneusement recomposée, côte par côte.

De même, il y a une différence pharamineuse entre ce que l'on croit savoir de "Moby Dick" d'Herman Melville sans l'avoir lu et ce que l'on apprend en s'y immergeant.

dimanche, août 26 2007

Chien Galeux - Don DeLillo.

Running Dog Traduction : Marianne Véron

C'est très curieux : ce livre, dont le style est beaucoup plus dépouillé et semble moins travaillé que celui d'"Americana", m'a beaucoup plus intéressée que ce dernier. Comme quoi, les mystères littéraires sont impénétrables ...

"Chien Galeux" est un livre triste, non pas véritablement noir mais profondément mélancolique. Quant à savoir qui est ce fameux chien, ma foi, on peut dire que tous les personnages du livre sont en droit d'avancer des prétentions au titre, depuis l'ingénieur travesti qui succombe dès le prologue jusqu'à Brian Selvy, "homme à tout faire" professionnel qui, lui, meurt dans les dernières pages. Encore ne doit-on pas oublier que le journal pour lequel travaille l'une des héroïnes du livre s'intitule lui-même "Chien Galeux", en souvenir du temps où, plus agressivement contestataire, il militait pour les Black Panthers et contre la guerre américaine au Viêt-nam.

Au centre d'une intrigue où les marchés sous-terrains de l'Art se croisent avec les voies ô combien tortueuses de la politique et de la finance, un film énigmatique qui aurait été tourné dans le bunker d'Hitler quelques jours avant la chute de Berlin.

Pour Lightsborne, le marchand d'Arts qui voudrait bien le vendre au plus offrant, il s'agirait d'un film pornographique, une espèce d'orgie nazie à laquelle aurait participé Hitler lui-même. C'est tout au moins ce qu'il suggère à ses clients, en s'efforçant avec plus ou moins de succès de paraître un peu sceptique sur les possibilité sexuelles qui demeuraient alors celles du Führer.

Moll Robbins, journaliste au "Chien Galeux", émet quant à elle pas mal de réserves sur la question. Brian Selvy partage son avis et le client privilégié de Lightsborne - un ponte du Sénat - reste tout aussi sceptique ...

En fait, le thème central du roman de DeLillo, c'est le Mensonge : tous, nous mentons pour survivre, semble-t-il vouloir nous dire et, ce qui est pire, l'Histoire nous ment parce que ce sont les vainqueurs qui l'écrivent.

Un livre original, extrêmement curieux et qui, je le pense, mérite une relecture afin de percevoir pleinement, sous le vernis de son dépouillement artificiel, les mille et une facettes de sa complexité et des angoisses qu'il recèle. ;o)

samedi, août 25 2007

un Appartement à New-York - Jane Smiley.

Duplicate Keys Traduction : Anne Damour

J'ai acheté ce roman au vu de sa quatrième de couverture et j'avoue en être sortie non pas déçue à cent pour cent mais ...

Oui, il y a un "mais" et pourtant, je ne saurais dire avec exactitude à quoi il tient - chose, vous l'avouerez, assez rare chez moi. ;o)

En cherchant bien cependant, je dirai que "Un Appartement à New-York" ne tient pas ses promesses. J'y attendais du piquant, de la férocité, du suspens également, puisque l'ouvrage se fonde sur un double meurtre et, si j'y ai bien rencontré tout cela, ce fut malheureusement sous une forme aseptisée. Il ne me reste donc qu'à me procurer "L'Exploitation" et à voir si vraiment - et selon mes critères personnels - son auteur méritait bien son Pullitzer.

Le thème ? Un appartement new-yorkais, dans un quartier relativement correct et dans les années 80/90. Il appartient à Suzan Gabriel, laquelle y vit régulièrement avec son compagnon, Dennis. Dans leur orbite, le frère adoptif de Dennis, Craig. Dennis et Craig sont tous deux musiciens et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'ils ont manqué le coche : leur meilleure période est derrière eux. Seul problème : Craig, qui est proche de la mythomanie, ne veut pas l'admettre et l'emprise qu'il exerce sur Dennis - et d'ailleurs sur l'essentiel de ceux qui l'approchent - est telle qu'eux aussi se refusent à voir la vérité en face.

La musique ne nourrissant pas son homme, Craig vient en plus de se compromettre en achetant une appréciable quantité de cocaïne qu'il entend bien revendre au prix fort.

Mais un jour, alors qu'elle vient arroser les plantes en l'absence de Suzan, Alice Ellis, sa voisine et amie - et notre héroïne - découvre les cadavres de Dennis et de Craig, une balle dans la tête chacun, encore assis dans le salon ...

Qui avait intérêt à abattre les deux hommes ? Un dealer non payé ? Un mari qui aurait pris ombrage des nombreux succès féminins de Craig ? Un proche ? Ou l'un de ces inconnus qui étaient susceptibles de débarquer dans l'appartement à toute heure du jour et de la nuit puisque, animés d'un esprit hippy complètement dépassé, Craig et Dennis en donnaient des doubles de clés au premier venu rencontré dans un bar un soir de concert ? ...

Les premiers chapitres passés, j'ai persévéré et tenté de m'intéresser coûte que coûte à une histoire qui me paraissait en fait très mal conduite. La découverte de l'assassin ne m'a fait ni chaud ni froid en ce sens que, renseignée par de nombreuses années de lecture de polars, j'avais pressenti son identité très tôt. Ses mobiles pourtant m'intéressaient mais, là aussi, j'ai été déçue : aseptisés et peu cohérents, voilà ce qu'ils étaient.

Donc, si vous voulez commencer à lire Jane Smiley en vous attanquant à "Un Appartement à New-York", sachez que vous risquez d'être fort déçu. "L'Exploitation", peut-être ? ... ;o)

vendredi, août 24 2007

Des Gens Comme les Autres - Alison Lurie.

Real People Traduction : Marie-Claude Peugeot

Plus qu'un roman, ce texte assez bref (un peu plus de deux cents pages) constitue surtout une réflexion personnelle de l'auteur sur le statut d'artiste et, plus précisément, sur celui d'écrivain.

L'héroïne qu'elle met en scène, Jane Belle Smith, et sur laquelle elle donne quelques légères indications physiques, pourrait être son double, à une certaine époque en tous cas. Chaque année, Jane a l'habitude de séjourner deux semaines au domaine d'"Illyria", que, dans les années 1900, Ondine Moffat voulut convertir par testament en une résidence payante où musiciens, peintres, sculpteurs, écrivains, etc ... pourraient trouver un havre où se livrer en paix - pour un temps - à leur activité favorite.

Comme chaque année, Jane retrouve un petit cercle d'amis, dont Kenneth, le peintre. Comme chaque année, les relations s'engagent, avec leurs hauts et leurs bas ... Mais, contrairement aux années précédentes, la fin de ce séjour verra une Jane Smith tout à fait transformée quitter "Illyria."

Pour vous inciter à lire ce petit ouvrage dont l'intrigue n'est pas essentielle, mieux vaut vous en citer - pour une fois - certains passages :

... Quoique je ressente, quelque part dans ma tête, l'écrivain est là, qui prend des notes, enregistre le dialogue. (Comme a dit un jour Philip Roth, paraît-il, "Notre chance a nous, c'est qu'il ne peut rien nous arriver de mal. Tout est bon à écrire.") Même ici et même en présence de quelqu'un d'aussi célèbre que Teddy Berg - dans un domaine qui n'est pas le mien, c'est vrai - je continue à avoir cette sensation. ...

... Je suis ici parce que je suis écrivain, or paradoxalement, c'est le seul endroit où je ne sois pas étiquetée comme "écrivain." Je peux être à nouveau quelqu'un d'ordinaire, au lieu de cette espèce de phénomène dangereux que j'ai été à Westford dans les six derniers mois.

Autrefois, dans ma naïveté juvénile, je croyais que ce serait merveilleux de devenir auteur. Il ne m'était pas venu à l'esprit que, si ça se réalisait, je cesserais en partie d'exister en tant qu'être humain, aux yeux de presque tout le monde. ...

... En fait, dans l'ensemble, les gens n'aiment pas vraiment l'idée qu'une femme puisse sérieusement être écrivain. Ils trouvent ça incongru. Ils préfèrent oublier l'un des deux, ou bien l'écrivain, ou bien la femme. ...

... A longue échéance, nous ne serons pas jugés sur notre vie privée, mais sur ce que nous aurons écrit. ...

Si cela vous interpelle ... ;o)

mercredi, août 22 2007

Le Bruit & la Fureur - William Faulkner.

The Sound & the Fury Traduction : Maurice-Edgar Coindreau

Avant d’aborder « Le Bruit et la Fureur », ami Lecteur, mieux vaut prendre vos précautions.

Sachez donc avant toute chose que vous mettez les pieds dans une chronologie bouleversée de fond et comble et que son auteur laisse, pantelante, derrière lui. Le roman comporte en effet quatre parties. Mais attention : sur ces sections, seule la dernière, qui se déroule le 8 avril 1928, occupe la place qui lui revient.

D'un point de vue strictement chronologique, la première partie du roman, qui décrit la folie croissante menant Quentin Compson au suicide, se situe le 2 juin 1910 mais Faulkner la place en seconde position dans son plan. Les événements du 6 avril 1928, qui ont pour héros principal Jason II Compson, l’un de ses frères, se situent quant à eux en troisième position. Enfin, ceux du 7 avril, qui révèlent la vision du monde de Benjy Compson, l’autre frère du suicidé, nous sont racontés d’entrée, dans la première partie.

Le lecteur averti voit déjà l’intérêt qu’il y a à lire « Le Bruit et la Fureur » tel que son auteur l’a conçu et puis, quelques mois plus tard, en remettant un peu d’ordre dans cette chronologie en apparence insensée mais qui se calque en fait sur l'esprit du "narrateur" principal : Benjy.

Autre embûche de taille, volontairement placée là par Faulkner : la confusion des prénoms. Qui a lu ne serait-ce que le très classique « Sanctuaire » sait déjà que l’auteur sudiste éprouvait un malin plaisir à semer le doute sur l’identité à laquelle se rapportent dans ses œuvres tel ou tel pronom personnel. Mais dans « Le Bruit et la Fureur », ce procédé atteint le summum.

Faulkner a pourtant opté pour un trompe-l'oeil des plus simples : il a pris deux prénoms, « Jason » et « Quentin », et les a donnés dans chacun des cas à deux personnages de génération différente.

Le premier Jason, c’est le père de la nichée, un père dont on entrevoit de temps à autre la silhouette accablée par les événements et volontiers tentée par l'alcool. Aristocrate sudiste, il a épousé une jeune fille de son monde et a eu d'elle quatre enfants : trois garçons et une fille.

Le premier Quentin est le fils qui doit aller à Harvard. Malheureusement, il a reçu de sa mère névrosée une tendance à se créer des mondes imaginaires un peu trop envahissants. Pour sauver sa soeur bien-aimée d'un mariage avec un homme qu'elle déteste, il a l'idée de se prétendre le père de l'enfant qu'elle a conçu de son amant. Mais son père, à qui il avoue un inceste non accompli mais qu'il appelle de tous ses voeux, ne le croit pas et le renvoie à ses études. Désespéré par le mariage-sauvetage de sa soeur, Quentin se suicide. La seconde partie du roman nous retrace son cheminement lent et obstiné vers la folie auto-destructrice.

Maurice était au départ un bébé comme les autres. Puis, la vérité atroce s'est fait jour : Maurice, le second fils, ainsi nommé en l'honneur du frère de sa mère, est en réalité un enfant handicapé. Alors, on le dépossède de son prénom , dont il n'est plus digne et on lui substitue celui de Benjamin (Benjy). Et puis on le laisse grandir, avec toujours un serviteur noir à ses côtés pour le surveiller. Au début du roman, Benjy a trente-trois ans et à la suite d'un incident avec une fillette, sa famille l'a fait castrer.

Jason, le troisième fils, est celui que l'on a sacrifié pour payer des études inachevées à Quentin et dénicher un mariage réparateur pour sa soeur. Aigri, fielleux mais responsable, il n'a plus qu'une passion - ou presque : l'argent. Personnage énigmatique à plus d'un titre, il exaspère le lecteur et l'attendrit pourtant car, qu'on le veuille ou non, Jason est bien une victime, au même titre que Benjy.

La fille, Candace, dite « Candy », qui était particulièrement attachée à son frère handicapé, a failli déshonorer la famille en se faisant faire un enfant par un amant dont elle refuse de livrer le nom. En 1910, elle se résoud à faire un mariage de convenance qui assurera un nom à son enfant mais divorce après la Grande guerre. Menant désormais une vie plus ou moins cosmopolite, elle se résigne à laisser sa fille - qu'elle a baptisée "Quentin" en souvenir de son frère disparu - à sa propre mère, à charge pour celle-ci de l'élever comme doit l'être une Compson.

C'est avec le personnage tout en bouillonnements et en révoltes de Quentin II que Faulkner nous dévoile l'autre passion de Jason, son oncle. Même s'il hait sa nièce au point de lui soutenir que sa mère ne s'intéresse pas à elle et ne participe en rien à son entretien (en réalité, il s'arrange pour encaisser les mandats envoyés par Candy ) Jason semble bien nourrir au plus profond de lui-même une attirance inexplicable pour Quentin - comme une ombre de la passion incestueuse jadis éprouvée par son frère Quentin envers leur soeur.

Une fois que le lecteur s’est familiarisé tant bien que mal avec cette valse du temps et des identités ainsi qu'avec le dédale des monologues intérieurs, il lui reste encore à affronter le personnage de Benjy qui, dans la première comme dans la dernière partie, nous conte l’histoire de sa famille, ces Compson si orgueilleux et si riches, peu à peu réduits à la portion congrue, mais vue par lui, l’handicapé mental. Une vision par conséquent fragmentée et kaléidoscopique mais non dépourvue de logique – pour peu, évidemment, qu’on n’ait pas trop de mal à suivre celle de Benjy.

Avec Benjy, Dilsey, la vieille servante noire qui assure l’intendance de la maison, demeure le personnage le plus touchant – le plus déchirant aussi. Pilier vivant de cette famille en pleine décomposition, elle veille à ce que nul n’abuse de cet innocent qui, à trente-trois ans, se révèle incapable d’exprimer les joies et les peines qu’il ressent autrement que par des grognements et des hurlements. Elle n’y parvient pas toujours mais au moins, elle s’y efforce. Et sa bonté résignée, qui ne comprend ni le pourquoi, ni le comment de cette malédiction pesant sur un être sans défenses, constitue la seule trouée de lumière de ce livre que William Faulkner plaça sous le patronage de la tirade désespérée de « Macbeth » :

« … La vie n’est qu’une ombre qui passe, un pauvre acteur Qui, son heure durant, se pavane et s’agite Et puis qu’on n’entend plus : un histoire contée Par un idiot, pleine de bruit et de fureur Et qui ne veut rien dire. … »

mardi, août 21 2007

La Crucifixion en Rose ( I ) : Sexus - Henry Miller.

Sexus : Book One of the Rosy Crucifixion Traduction : Roger Giroux (pour le Livre de Poche)

Plus construit - du moins est-ce l'impression que j'en ai retirée - que les deux "Tropique", "Sexus" est le premier volume de la "Crucifixion en Rose." C'est aussi une ode à Mara-Mona, c'est-à-dire à June, la seconde épouse de l'auteur, celle qu'il célèbrera d'ailleurs maintes fois dans son oeuvre.

Le premier chapitre s'ouvre d'ailleurs dans le dancing où, la veille même, le narrateur vient de rencontrer une hôtesse qui vend ses danses et sa compagnie aux hommes seuls.

A partir de là, Miller entraîne son lecteur dans une ronde de personnages dont il nous a déjà fait admirer certains specimens. Je ne citerai qu'un nom - qui se passe de tout commentaire : l'ineffable Kronski.

Mais Sexus, c'est surtout l'occasion pour Miller de peaufiner son personnage hyper-viril, capable de contenter toutes les femmes - ou presque. Qu'il soit avec Mara, laquelle, à un certain moment, demande "humblement" à Kronski si "elle est vraiment digne de Henry" (!!!), ne l'empêche pas de forniquer à droite et à gauche, et même avec son épouse légitime alors que tous deux ont pourtant entamé leur procédure de divorce. Le lecteur note tout de suite que c'est pratiquement Maude qui le lui demande.

Je crois à l'auteur américain beaucoup trop d'intelligence et de subtilité pour ne pas avoir brossé en vain de lui-même un portrait aussi peu flatteur. Parce qu'il s'attèle en profondeur au récit de sa vie - le fait qu'il enjolive nombre de détails ou les arrange en une perspective plus théâtrale n'enlève rien à cette profondeur - Miller sait qu'il ne peut plus reculer : cette fois-ci, il ne pourra pas se contenter d'effleurer le Miller gigolo, le Miller macho, le Miller lâche et fuyant qu'il fut aussi. Par conséquent, avec une habileté joviale et un talent qu'on ne saurait lui contester, l'écrivain dévoile alors tout ce qui, en lui, choque et scandalise comme jamais n'y sera parvenu le langage crû qu'il affectionne.

Le plus extraordinaire, c'est que, tout au long de ces 670 pages (en édition de poche), on ne songe pas un seul instant à planter là Henry, son sexe, ses blenmorragies, ses femmes, ses arnaques à l'argent, ses chantages aux sentiments, ses cuites et les invraisemblables amis qu'il traîne dans son sillage. Parfois, c'est vrai, on s'arrête, on s'interroge : voyons, ce funambule exhibitionniste qui, complètement saoul, nous fait des pieds-de-nez tout là-haut, sur cette corde qui a le tranchant d'une lame de rasoir, c'est vraiment le grand Henry Miller ? Incroyable ! Malgré tout ce qu'on savait déjà sur sa frénésie sexuelle, sur ses complications sentimentales et sur la vie d'homme entretenu qu'il mena par exemple auprès d'Anaïs Nin, on n'aurait jamais cru ça de lui ...

Et pourtant, malgré tout, on lui conserve une petite place tout au fond de notre coeur. Nul n'est parfait, se dit-on et au moins ne pourra-t-on taxer d'hypocrisie cet écrivain qui s'acharne à se peindre sous de telles couleurs.

Ultime clin d'oeil adressé au lecteur par le texte lui-même : l'anecdote que Miller rapporte sur Knut Hansum, l'un des auteurs qu'il aimait. Je vous laisse la découvrir, elle resssemble à la part d'ombre de Miller : agaçante, pitoyable, rusée, arrogante et cependant si naïve qu'on ne peut s'empêcher de sourire ainsi qu'on le ferait devant les frasques d'un gamin mal élevé mais brillant.;o)

mercredi, août 15 2007

Double Diabolique - Rosamond Smith, alias Joyce Carol Oates.

Starr Bright will be with you soon Traduction : Edith Ochs

Qui est la véritable héroïne de ce livre ? Sharon ou sa jumelle, Lily ? Au départ, on parierait pour la première que l'auteur nous présente d'emblée comme une malheureuse paumée, ex-top model, ex-effeuilleuse qui se fait violer par un macho alcoolique dans la chambre sordide d'un motel. Le lecteur est même tenté de l'absoudre du meurtre dudit macho car Sharon, qui se fait appeler "Clair d'Etoile", est si fragile, en fait ...

Mais quand on la voit débarquer chez sa soeur jumelle, Lily, heureusement mariée à Wes Merrick qui l'a épousée alors qu'elle était la mère célibataire de la petite Deirdre, on commence à se poser quelques questions. A travers le prisme Lily, on découvre en effet une Sharon dominatrice, rayonnante qui, plus d'une fois, à joué bien des tours à sa petite jumelle.

Pourtant, c'est certains, les deux soeurs s'aiment encore. Simplement, l'une aime plus que l'autre, de manière moins égocentrique et obsessionnelle.

En dire plus sur ce roman noir serait gâcher le plaisir du lecteur - surtout de celui qui n'a jamais entendu parler ni de Joyce Carol Oates, ni de Rosamond Smith. Une fois de plus, on se retrouve sur le fil du rasoir avec cet écrivain si particulier qui sait plonger magnifiquement dans les méandres de l'âme humaine. Personnages solides, construction irréprochable et chute inquiétante : tous les bons ingrédients sont à la bonne place. (A noter que le titre français est, comme trop souvent, inepte.) Vous voilà prévenus et bonne lecture ! ;o)

mardi, août 14 2007

Thomas C. Wolfe ( III ).

"L'Ange exilé" s'arrêt à la mort de Ben, quand Thomas-Eugène s'apprête à prendre son envol, "tout seul." Les années qui suivront, Wolfe les rapportera fidèlement dans trois autres romans, dont "Of Time and the River", paru en 1935 et traduit sous le titre "Le Temps et le Fleuve" - peut-on rêver plus "A la Recherche ..." ? Pour certains, il s'agit là de son meilleur livre.

A cette époque, il a rompu avec Mrs Bernstein et peut-être a-t-il enfin trouvé la figure parentale qu'il recherchait en la personne de Maxwell Perkins, son éditeur, qui fut aussi celui de Scott Fitzgerald et d'Hemingway. Perkins contraignait son poulain à une discipline, à une rigueur que dont cet écrivain-né mais brouillon ne comprit jamais très bien la nécessité. Hélas ! La paranoïa dont souffrait Wolfe et qu'il avait héritée en partie de son père - on la retrouvait aussi chez le frère aîné, Steve Gant pour "L'Ange exilé - le reprit et il rompit avec éclats avec Perkins et Scribners pour signer chez Harpers.

Ce sera donc cette maison new-yorkaise qui éditera toutes les oeuvres posthumes de Wolfe, dont "La toile et le roc" et bien entendu "L'Ange banni", tous deux en 1940.

En 1938,lors d'un voyage en Colombie britannique, l'écrivain avait en effet contracté une pneumonie qui révéla la tuberculose héréditaire et l'enleva à ce monde où, semblable en cela à son père, il n'avait cessé de se sentir "perdu." Asheville repentante accepta de le laisser dormir son dernier sommeil terrestre en son cimetière.

Outre ses quatre romans, Wolfe a écrit une foule de nouvelles dont on peut regretter qu'elles n'aient pas connu dans notre pays la diffusion qu'elles méritent. S'il avait vécu, qu'aurait-il été à même de produire ? Aurait-il continué en solitaire sur la voie qu'il s'était tracée ? Ou bien, rongé par l'alcool - comme son père et comme son frère aîné, Wolfe s'adonnait à la boisson et sa première "cuite", ainsi que les réactions consternées de sa famille, est abondamment décrite à la fin de "L'Ange exilé" - aurait-il fini comme Scott Fitzgerald ? ... Qui pourra bien le dire ? Et puis, cela a-t-il finalement une importance quelconque puisque l'oeuvre qu'il nous a laissée se suffit à elle-même ? ;o)

L'Ange Exilé - Thomas C. Wolfe.

Après le traditionnel voyage en Europe qu'il arrache à la bourse de sa mère en 1924, Wolfe rentre au bercail avec tous les textes qu'il a écrits. Il n'a pas pour rien obtenu sa maîtrise en études théâtrales à Harvard et c'est tout naturellement que, en août 1925, il tombe amoureux d'Aline Bernstein, une créatrice de costumes pour le théatre qui a le vent en poupe à New-York et qui est - comme toutes les amours de Wolfe de toutes façons - bien plus âgée que lui (20 ans de plus, très précisément.) Jusqu'à sa mort, il l'appellera "ma Juive" mais leur liaison sera aussi tourmentée que l'exigeait un personnage aussi talentueux mais aussi, il faut le dire parce que c'est vrai, aussi paranoïaque et aussi arrogant que l'était Wolfe.

C'est grâce à l'appui financier et moral de Mrs Bernstein qu'il parvient à rédiger "L'Ange exilé," roman autobiographique qui, après nombre de refus auprès des éditeurs, sera enfin publié par Scribners, à New-York, en octobre 1929. ("L'Ange exilé" est d'ailleurs dédié à Aline.) Le succès est fulgurant. Le scandale dans le Sud paisible, aussi.

Look homeward, Angel Traduction : Jean Michelet

__Il faut dire que Wolfe y mélange allègrement tendresse et férocité, indulgence et sévérité, évoquant tour à tour, avec la même rage, son amour pour son clan et pour son pays natal mais aussi la haine qu'ils lui inspirent parce que, toujours, il s'est senti "différent" d'eux tous et, par là même, rejeté par eux :__

"... ... Finalement, il s'avisa que ces gens-là ne lui avaient jamais fait aucun cadeau. (...), qu'il ne leur devait rien, et il résolut de le leur dire, et de retourner l'injure contre l'insolence. Ce qu'il fit. ... ..."

Plus tard, dans "L'Ange banni", Monk, autre double de l'auteur, tournera en ridicule les réactions furieuses suscitées à Asheville par le texte de "L'Ange exilé" :

"... ... Mon Dieu, comment peux-tu avoir ce crime sur la conscience ? Je viens de quitter ta pauvre et chère vieille tante Maggie, elle est alitée, elle est blanche comme un linge et elle ne se relèvera plus du lit où l'a envoyée ta plume criminelle ... Tu as assassiné et déshonoré tes amis ne reviens jamais ici c'est comme si tu étais mort pour nous tous nous ne voulons plus te voir ... ..."

Dans un souci d'impartialité, il faut bien reconnaître que, sous le talent incontestable de l'écrivain, ce roman qui pleure le Temps à jamais perdu de l'innocence, celui où le petit Eugène pouvait encore croire en un monde qui l'accepterait et le comprendrait, constitue aussi un réglement de comptes musclé et incisif avec l'idée non peut-être de la Famille mais du Clan. Le tour de force de Wolfe est de nous faire admettre l'ambivalence des sentiments qui le brûlent, malgré le recul apporté par l'écriture. Toutes celles et tous ceux qui ont eu maille à partir avec des parents et/ou des frères et soeurs à la fois aimés et haïs entreront de plein pied dans l'histoire mais quant aux autres, tout cela risque de paraître outrancier.

Et pourtant, après avoir lu "L'Ange exilé" - qui se lit en outre lentement en raison du style à la fois poétique, méditatif et parfois exaspérant parce que trop théâtral de son auteur - on comprend mieux pourquoi et comment Thomas C. Wolfe a eu tant d'emprise sur Jack Kérouac et sa génération. Faulkner lui-même déclara, dit-on, un jour, que Thomas Wolfe était l'un des auteurs américains les plus importants du XXème siècle et il ne fait aucun doute qu'il l'admirait.

Thomas C. Wolfe ( II ).

Thomas Clayton Wolfe naît à Asheville, en Caroline du Nord, en 1903. Son père, William Oliver Wolfe, (= W.O. Gant dans "L'Ange Exilé") d'origine pennsylvanienne, renvoyé à la dérive d'une existence insatisfaite par le décès de sapremière épouse, avait fini par s'établir dans ce Sud poussiéreux comme tailleur de pierre et marbrier. Il y avait épousé une fille du pays (= Eliza Pentland) qui, parce qu'elle avait enduré enfant la terrible guerre de Sécession et ses privations, en était sortie avec, au coeur, l'obsession de la fortune et des biens immobiliers.

__Ce penchant du caractère maternel, qui a pesé sur la vie du couple autant que l'alcoolisme violent et cyclique du père, fut vécu de façon ambiguë par leur dernier enfant (= Eugène Gant).__ C'était Julia qui payait ses études mais en même temps, son désir d'amasser - qu'elle partageait d'ailleurs en partie avec son mari - la fit, aux yeux de son fils, passer à côté de bien des devoirs maternels et conjugaux.

                  
         Julia et William Wolfe, les parents de l'"Enfant terrible" d'Asheville.

Elève probablement surdoué, il sera le seul, de tous les enfants Wolfe, à se voir ouvrir la voie royale des études universitaires, tout d'abord à l'université de Caroline du Nord et enfin à Harvard. Cette préférence lui sera durement reproché par ses frères et soeurs - même par Benjamin (= Benjamin Gant), le seul de la fratrie avec lequel, "L'Ange exilé" est là pour le prouver, il se sentit de véritables affinités de coeur et d'intelligence. Il ne se consolera jamais de sa mort (Ben était tuberculeux) et les dernières pages de "L'Ange exilé" rapportent un curieux dialogue entre Eugène et le spectre de son frère qui, par-delà la Mort, lui conseille d'aller de l'avant tout en lui laissant entendre que, de toutes façons, il ne retrouvera jamais ce qu'il a perdu ...

Thomas C. Wolfe ( I ).

Proust est mort en 1992, Katherine Mansfield en 1923 et c'est en 1924 que Virginia Woolf place l'intrigue de "Mrs Dalloway." Quel rapport entre ces auteurs et leur oeuvre d'une part, et celle de l'Américain Thomas C. Wolfe qui entre à cette époque dans l'enseignement ? La poursuite effrénée, désespérée du Temps qui passe et sa fixation éphémère par l'écriture.

Car Wolfe, qui ne fut révélé au public qu'en 1929 avec "L'Ange exilé", est littéralement hanté par le Temps et le regret de le voir défiler sans qu'on puisse en conserver le plus souvent autre chose que des souvenirs, bons ou mauvais. Certes, par le style, il n'a rien de Proust. On ne le reconnaît pas plus dans celui de Mansfield, encore moins dans celui de Woolf. Et pourtant, lui qui se perd si souvent dans de grandes envolées lyriques et théâtrales plus proches du Romantisme que de toute autre école, est bien un de leurs frères en écriture.

Le manque d'intrigue de "L'Ange Exilé" - près de 920 pages en édition de poche - se confond avec les vingt premières années de l'écrivain. Comme Wolfe, de surcroît, n'a fourni qu'un minimum d'efforts pour dissimuler les noms réels des personnes qui y apparaissent, conter ici les incidents qui émaillèrent son existence réelle, c'est en fait résumer son roman.

                
                Thomas C. Wolfe

lundi, août 13 2007

American Psycho - Brett Easton Ellis.

American Psycho Traduction : Alain Defossé

Certes, j'admets avoir "zappé" deux descriptions de vêtements !!!!! - et les dernières scènes de meurtres, j'avoue !!!!! Parce que, à la lumière du temps écoulé, j'ai compris - ou cru comprendre - que ces longues descriptions permettaient aussi au héros de se raccrocher à la réalité. A ceci près, ce livre m'a fait une très forte impression, non la première fois que je l'ai lu mais à sa relecture.

C'est vrai : Patrick Bateman est complètement fou. Il vit dans un univers schizophrénique absolu, le golden boy d'un côté, le psychopathe de l'autre mais est-il suffisamment courageux pour passer à l'acte ainsi qu'il le dit ? Ne fantasme-t-il pas en fait ? A un certain moment, on se demande comment il peut verser autant de sang dans son appartement sans que sa femme de ménage s'en émeuve (à la fin d'ailleurs, on voit cette brave dame ramasser les journaux poisseux de sang et les mettre dans la poubelle comme si de rien n'était, à tel point que Bateman lui-même se pose des questions ... )

Avec une très grande habileté, Ellis nous suggère que son personnage possède un loft dans un endroit isolé. Soit, mais il tue aussi dans son appartement et, à lire les descriptions aussi minutieuses qu'horrifiantes qu'il nous donne de ses crimes, il est clair que les murs sont éclaboussés par le sang et la cervelle. Alors ?

Alors, Ellis invente l'appartement de Paul Owen - autre golden boy porté disparu et que Bateman prétend avoir liquidé tout en conservant par devers lui ses clefs et son argent. Ce point de chute inattendu va lui permettre de tuer également ailleurs que chez lui. Mais toujours selon le même modus operandi, voilà le hic. Et lorsqu'on met en vente l'appartement d'Owen - eh ! oui ! on finit par le mettre en vente, il fallait s'y attendre - rien, il n'y a rien, pas une seule tache, pas un seul ragot sur ce qui s'y serait passé. Pire, l'agent immobilier - une femme - prend visiblement Bateman, venu badauder, pour un dément qu'il faut ménager mais non dénoncer à la police ...

Celle-ci d'ailleurs n'apparaît jamais. Il y a bien un détective privé venu enquêter sur la soit-disant disparition d'Owen mais il ne fait que passer. Dans les derniers chapitres, on peut croire qu'un chauffeur de taxi anonyme va se substituer à la Némésis urbaine pour régler son compte à Bateman mais, à y regarder de plus près, on se demande si ce dernier n'est pas finalement une victime qui se fait dérober tout son argent et ses objets de valeur par un individu qui joue de sa folie pour le culpabiliser un maximum.

Si la société américaine et le culte du profit sont mis en cause dans cette aliénation d'une personnalité, la famille est aussi montrée du doigt. On ne saura jamais pourquoi Bateman panique lorsqu'on lui suggère que sa coiffure ne pourrait pas être aussi nette qu'il le souhaite mais on constate, là encore à l'extrême fin du roman, que sa mère est elle aussi hantée par la bonne tenue de ses cheveux ...

Un livre à lire, c'est certain mais aussi à relire car une première lecture ne permet pas d'en discerner toutes les richesses.;o)

dimanche, août 12 2007

Tropique du Capricorne - Henry Miller.

Tropic of Capricorn Traduction : Jean-Claude Lefaure

Avec « Tropique du Capricorne », auquel il mit le point final en 1938, alors qu’il s’était installé en France, Henry Miller nous offre une œuvre qui, comme le « Tropique du Cancer », éclate et se disperse encore un peu dans toutes les directions, tel un magnifique feu d’artifice conçu par un pyrotechnicien à la fois génial et complètement « allumé ». Mais l’ensemble est déjà beaucoup plus structuré et l’on peut y lire l’un des hymnes les plus poignants, les plus sincères et les plus humbles qu’un écrivain ait jamais dédié à la Passion d’Ecrire.

Pourtant, si l’on s’en tient au titre donné par l'auteur à la première partiede son roman – qui est aussi la plus longue – on ne s’attend guère à ce qu’il y soit beaucoup question de l’acte d’écrire (ou de l’impossibilité dans laquelle on se trouve d'y parvenir). Intitulé en effet, en toute (fausse ;o)) candeur millerienne, « Sur le Trolley Ovarien », ce premier acte a surtout pour objet de nous décrire en long et en large les splendeurs et les misères qui présidèrent au passage de l’auteur à la "Compagnie Cosmodémonique du Télégraphe pour l’Amérique du Nord" : un mélange de Kafka et de Jarry, avec l'humour ravageur d'un Rabelais, et cette « patte » qui n’appartenait qu’à Miller lui-même.

« … Au bout de quelques mois, »confie-t-il au lecteur avec la jubilation que l'on devine, « je trônais place du Soleil-Couchant, engageant et saquant que c’en était de la démence. Un véritable abattoir, à Dieu ne plaise. Un pur non-sens, du haut en bas. Un gâchis d’hommes, de matériel, d’énergie. Une farce hideuse avec, en toile de fond, la sueur et la misère. Mais, tout comme j’avais accepté de servir de mouche, j’acceptai d’engager, de saquer et tout le tremblement …. »

Toutefois, au-delà son cynisme habituel, on sent bien la réelle tendresse que Miller portait à tant de pauvres bougres rencontrés à cette époque dans les locaux de la Compagnie. Quant aux bougresses … Non, nous laisserons au lecteur le soin d’apprécier les pages que leur consacre un Miller qui, comme d’habitude, ne se gêne pas pour appeler … un chat un chat. (!!!) Il le fait d’ailleurs avec un naturel si désarmant qu’on se demande bien pourquoi l’Anasthasie américaine eut si longtemps des vapeurs en déchiffrant sa prose.

Dans la deuxième partie, ou plutôt dans l’ « Interlude », l’écrivain donne libre cours à sa logorrhée scriptrice. Aux scènes de sexe toujours explicites mais jamais vulgaires - enfin, c'est mon avis et libre à vous de ne pas le partager ! ;o) - et aux évocations du Brooklyn de sa jeunesse, se mêlent désormais des digressions d’une beauté à vous couper le souffle sur ce qu’est Dieu ou sur ce qu’Il n’est pas, sur les mille-et-une tensions de cette créature éternellement rebelle qui s’appelle Henry V. Miller et qui L’injurie tout en niant Son existence, sur la Vie avec tout ce qu’elle comporte de merveilles et de hideurs, sur les livres bien sûr, sur l’écriture évidemment, sur le Temps … Se succèdent alors des passages extraordinaires comme celui-ci :

" …Si je me dresse contre la condition actuelle du monde, ce n’est pas en moraliste – c’est parce que j’ai envie de rire plus, toujours plus. Je ne dis pas que Dieu n’est qu’un énorme rire : je dis qu’il faut rire dur avant de parvenir à approcher Dieu. Mon seul but dans la vie est d’approcher Dieu, c’est-à-dire d’arriver plus près de moi-même. C’est pourquoi peu m’importe le chemin. Mais la musique est très importante. La musique est tonique pour la glande pinéale. La musique, ce n’est pas Bach, ni Beethoven ; la musique, c’est l’ouvre-boîte de l’âme. Calme terrible en dedans de soi ; conscience que l’être est doté d’un plafond et d’un toit… »

Ce « Tropique » se clôt enfin sur « Coda », troisième et dernière partie où un Miller enivré de sexe et d’amour évoque sa rencontre avec celle qui deviendra sa deuxième épouse, la fameuse June du film « Harry & June », et, poète toujours mais aussi drogué lucide, il a pour elle cette phrase sublime : « … Je t’accepte et te prends comme l’incarnation du Mal, la dévastation de l’âme, Maharani de l’ombre … »

Pour tous ceux qu’intéressent l’œuvre et la personnalité d’Henry Miller, il convient d’ajouter que c’est dans « Tropique du Capricorne » qu’il commence à s’étendre sur ses souvenirs d’enfance, tout particulièrement sur ses relations avec ses parents et avec sa sœur cadette. L'écrivain y reconnaît que, sans la "différence" de sa soeur, sans doute ne serait-il jamais devenu Henry Miller. ;o) __

samedi, août 11 2007

Des Amis Imaginaires - Alison Lurie.

Imaginary Friends Traduction : Marie-Claude Peugeot

A moins que vous ne préfériez emporter avec vous "Des Amis Imaginaires", le plus méchant, le plus rosse à ce jour des romans que j'ai lus de cet auteur. En plus - et comme d'habitude - Lurie fait à peine mine d'y toucher : un petit coup de griffe par-ci, une chiquenaude par-là ... mais, peu à peu, on se rend compte qu'elle peint au couteau.

Ses héros sont ici deux universitaires qui enseignent la sociologie. Tous deux sont fort imbus de la discipline qu'ils vénèrent et l'on comprend tout de suite que, à leurs yeux, sorti de là, il n'existe point de salut : à chacun sa chapelle, en somme.

Pourtant, comme le plus jeune d'entre eux, Roger Zimmern, nous prévient dès les premières pages qu'il va nous raconter ce qui est arrivé à son brillant aîné, le Pr Mc Mann, on se doute bien que, pour les deux chercheurs, l'aventure qu'ils ont vécue ensemble ne fut pas tapissée que de roses. De là à imaginer la fin prévue par Alison Lurie, il y a tout de même un gouffre ...

Bref, Mc Mann et Zimmern se mettent en tête d'étudier une petite bande d'illuminés parfaits, qui se sont auto-dénommés "Les Chercheurs de Vérité". Sous la conduite de Verena, une jeune fille qui entend des voix extra-terrestres, et dûment coachés par Elsie, la tante de Verena, les membres de cette modeste secte se persuadent peu à peu que le jour est proche où ils feront la connaissance de Vo et Ro, les deux "guides" spirituels de Verena. Mc Mann et Zimmern étant parvenus à les convaincre de leur désir de les rencontrer eux aussi, ceci dans le noble but d'édifier le milieu scientifique, voilà nos deux universitaires aux premières loges pour attendre le Jour J ...

Le reste ne se raconte pas. C'est un monument d'habileté, de cruauté aussi et d'ironie, qui achèvera de vous convaincre, je l'espère, qu'Alison Lurie est un grand écrivain. Elle démasque avec enthousiasme tous ses personnages, étale au vu de tous ses lecteurs leurs motivations les plus secrètes et les plus inavouables et, pirouette suprême, trouve le moyen de nous laisser un tout petit doute à l'issue de son roman. Qui dit mieux ? ;o)

vendredi, août 10 2007

Un Monde Vacillant - Cynthia Ozick.

Heir to the Glimmering World Traduction : Jacqueline Huet/Jean-Pierre Carasso

Il y a une quinzaine d'années, j'ai visionné le "Kafka" de Soderbergh, avec un Jeremy Irons tout bonnement fascinant. Décrire l'ambiance qui baigne ce film, directement inspiré du "Procès", est impossible. Disons qu'il ressemble à un rêve éveillé particulièrement glauque et brumeux. (Il est d'ailleurs, si mes souvenirs sont bons, réalisés en noir et blanc, ce qui contribua beaucoup à le faire échouer au box-office américain.)

Eh ! bien, l'atmosphère qui règne dans "Un Monde Vacillant" m'a beaucoup rappelé le film de Soderbergh. Non qu'il s'agisse d'un roman noir ou pessimiste : il n'y a même rien de kafkaïen là-dedans. Mais, bien que son action se déroule intégralement aux Etats-Unis, "Un Monde Vacillant" distille de façon déroutante un souffle venu de l'antique Europe de l'Est, celle qui s'abîma dans la guerre de 14.

Nous sommes pourtant en 1935 lorsque l'héroïne - qui est aussi la narratrice - du roman se voit contrainte d'entrer au service de Rudolf Mitwisser, un Juif berlinois que la prise du pouvoir par Hitler en Allemagne a jeté dans l'exil avec sa famille. Rose Meadows, tel est son nom, vient de perdre le seul parent qu'il lui restait : son père. Un père bien insouciant (et même indigne, si vous voulez mon avis !) qui la laisse seule et sans un sou, à la charge d'un cousin maternel (Bertram) certes sympathique mais qui songe à se marier ... Comme Rose, vaguement amoureuse de Bertram, n'apprécie guère celle qui prétend l'épouser, c'est avec soulagement qu'elle accepte l'offre des Mitwisser.

Du premier entretien, Rose a conclu que le poste proposé était un emploi de gouvernante pour les jeunes enfants Mitwisser. Mais elle va se rendre compte très vite que ses attributions sont beaucoup plus éclectiques.

Traumatisée par leur départ d'Allemagne, Mme Mitwisser - Elsa - est tombée dans une espèce de folie à éclipses qui la fait repousser Waltraut, la plus jeune de ses filles, presque un bébé pourtant, et passer toutes ses journées à faire des patiences, allongée sur son lit. Les rênes domestiques de la maison sont entre les mains de la fille aînée, Anneliese, d'un an plus jeune que Rose. Entre les deux filles, quatre garçons turbulents dont les prénoms changent tout le temps, s'américanisant au gré de leurs humeurs et semant le doute dans l'esprit de Rose.

Et puis, bien sûr, dans son bureau, le professeur Mitwisser qui parle un anglais si protocolaire qu'on en sourit bien souvent et qui travaille depuis une éternité sur un vaste ouvrage relatif à l'hérésie des Karaïtes, juifs qui affirmaient que la Torah devaient être lue (et observée) à la lettre.

Au coeur de cette étrange maisonnée qui donne très vite au lecteur l'impression étouffante d'un galop de chevaux déments dans un vase clos, Rose commence par se poser nombre de questions. Surtout celle-ci : qui assure les finances des Mitwisser puisque l'Etat américain ne les a jamais pris en charge ?

Ce roman, on pourrait aussi le comparer à un gros écheveau de laine, se dévidant interminablement mais sans lasser le lecteur curieux. La relativité de l'importance que nous accordons aux choses, les ravages provoqués par l'exil forcé en terre étrangère, l'impossibilité d'oublier le passé et, partant, l'obligation soit de l'intégrer à notre futur, soit de se laisser manger par lui ... voilà quelques uns des thèmes traités ici par Cynthia Ozick. Cela donne parfois l'impression d'un grenier en désordre où il faut, pièce par pièce, rassembler le puzzle de toute une existence mais, si l'on y parvient, on reste admiratif devant la technique de la romancière. D'autant que le livre présente une chute finale pour le moins inattendue.

J'ajouterai qu'Ozick a beaucoup d'humour : son récit de l'hérésie karaïte et des recherches du professeur Mitwesser réjouira tout le monde et tout particulièrement l'athée et l'agnostique.

Un auteur à lire, donc. La prochaine fois, je prendrai néanmoins l'un de ses premiers romans. Ce sera peut-être plus simple de s'y plonger car, je l'avoue, au début du texte, j'ai connu quelques difficultés. A bon entendeur ! ;o)

jeudi, août 9 2007

Virgin Suicides - Jeffrey Eugenides.

The Virgin Suicides Traduction : Marc Cholodenko

Premier roman de l'auteur, "The Virgin Suicides" est un roman au style incantatoire et lancinant que je conseille vivement de lire à voix haute. En apparence, il est moins touffu que "Middlesex" mais la longueur des paragraphes vient vite modifier ce point de vue. L'intrigue semble aussi plus reserrée, plus "locale" mais ce n'est là que faux-semblant car, à travers le destin des cinq filles Lisbon, c'est du mal dont souffre l'Amérique que traite Jeffrey Eugenides.

Si vous avez déjà vu le film de Sofia Coppola, vous connaissez plus ou moins le thème de ce roman. Sinon, imaginez une petite ville du Michigan, à la fin des années 70 ou au début des années 80, et, dans cette petite ville, un quartier aisé où il n'y a pas de Noirs. Le seul événement qui fasse marcher les langues, c'est la grève entreprise par les fossoyeurs locaux - elle durera plus de 400 jours mais nous ne le savons pas encore. Le détail, pourtant, vaut son pesant d'humour noir.

Mr et Mrs Lisbon, lui professeur de mathématiques au lycée du coin, elle mère au foyer, vivent tranquilles avec leur cinq filles : Thérèse, Bonnie, Lux, Mary et Cecilia. Les filles étant en pleine adolescence, les garçons du coin fantasment énormément sur elles et passent tout leur temps libre à les espionner. Jusqu'au jour où la dernière d'entre elles, Cecilia, fait une tentative de suicide ...

Le récit est fait par l'un de ces garçons, devenu depuis lors un homme bedonnant et sans doute un peu chauve, un chroniqueur qui nous apprend que, loin de faire s'évanouir leur attachement aux filles Lisbon et à leur tragique destin, le Temps a accru leur désir forcené de comprendre les raisons qui, un an à peu près après la mort de leur benjamine, poussèrent les survivantes à mettre fin à leurs jour.

S'il est en droit de penser que l'autoritarisme puritain de leur mère et la faiblesse chronique de caractère de leur père ont joué un rôle dans leur suicide quasi collectif, pour le reste, le lecteur - pas plus que notre chroniqueur - ne parviendra à démêler des fils il est vrai savamment emmêlés, et souvent par les filles Lisbon elles-mêmes.

Finalement, peut-être ce désir de mort était-il dans l'air du temps, comme un virus secret et imprévisible auquel le décès de Cécilia aurait rendu ses soeurs particulièrement sensibles. Après tout, lorsqu'ils découvriront son cadavre, dans son sac de couchage, les infirmiers constateront que Mary avait revêtu pour mourir une robe noire et un voile qui évoquaient la vision funèbre de Jackie Kennedy derrière le cercueil de son mari ... Peut-être les filles Lisbon ont-elles pressenti combien la vie, américaine ou non, est vaine et ont-elles préféré la quitter pour éviter que ce ne soit elle qui les quitte un jour sans leur demander leur avis ...

Un roman délicat, où chaque mot vous fait mieux apprécier les non-dits et les silences qui parsèment la vie des filles Lisbon - et de leurs parents. Un roman à savourer, comme on savoure un fruit un peu talé et un peu trop mûr, qui vous laisse dans la bouche comme un arrière-goût d'automne et de regrets diffus. ;o)

mercredi, août 8 2007

Le Sourire de l'Ange - Joyce Carol Oates.

Soul/Mate by Rosamond Smith. Traduction : Pierre Charras

Sans être un texte majeur de son auteur qui l'a publié sous son pseudo de romancière "noire", "Le Sourire de l'Ange" constitue une description convaincante d'une personnalité brillante mais instable qui, à la suite de l'accident de voiture qui a coûté la vie à ses parents (et dont on ne saura jamais s'il n'y a pas tenu un rôle autre que celui reconnu par les autorités, à savoir celui du vaillant petit garçon qui plonge et replonge pour arracher son père et sa mère à leur cercueil coulé), a basculé dans la psychopathie.

Dans une paisible petite ville de la Nouvelle-Angleterre, le séduisant et fragile Colin Asch - un nom qui évoque l'idée de cendres - débarque chez son oncle Martin et sa tante Ginny, alors que ces deux notables donnent une petite réception. Et c'est là qu'bil se prend d'une passion - toute platonique mais d'autant plus brûlante, justement - pour Dorothea Deverell qui, plus âgée que lui, symboliserait peut-être (peut-être) à ses yeux la Mère Parfaite que ne fut jamais la sienne.

Or Dorothea est en butte à une campagne de calomnies menée de main de maître par Roger Krauss, lequel désire lui souffler sa prochaine promotion au bénéfice d'un sien neveu. En outre, sur le plan privé, Dorothea est la maîtresse d'un homme marié dont l'épouse, Agnes, se refuse à divorcer.

Colin se met donc en tête de résoudre ces deux problèmes mais sans en parler à Dorothea.

On ne peut pas dire qu'il y ait suspens. On voit le meurtrier accomplir ses forfaits mais, surtout, on est dans son esprit lorsqu'il les accomplit. Oates-Smith, dans l'oeuvre de qui la gémellité, l'idée du double, sont des thèmes récurrents, nous fait percevoir avec habileté la seconde personnalité qui sommeille dans Colin et qui, selon lui, "l'empêche d'être bon." En usant d'ellipses et de suggestions, Oates amène ainsi son lecteur non pas à s'attendrir sur Colin mais à se poser effectivement la question : "Qu'en aurait-il été de lui si ... ?"

Bien entendu, la fin est tragique. Mais y en avait-il une autre pour Colin Asch ? Et, comme toujours chez Oates, le lecteur referme son roman avec la très curieuse impression que, finalement, ce héros asocial était tout de même plus sympathique que les protagonistes "normaux" qui l'entouraient ... ;o)

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