Running Dog Traduction : Marianne Véron

C'est très curieux : ce livre, dont le style est beaucoup plus dépouillé et semble moins travaillé que celui d'"Americana", m'a beaucoup plus intéressée que ce dernier. Comme quoi, les mystères littéraires sont impénétrables ...

"Chien Galeux" est un livre triste, non pas véritablement noir mais profondément mélancolique. Quant à savoir qui est ce fameux chien, ma foi, on peut dire que tous les personnages du livre sont en droit d'avancer des prétentions au titre, depuis l'ingénieur travesti qui succombe dès le prologue jusqu'à Brian Selvy, "homme à tout faire" professionnel qui, lui, meurt dans les dernières pages. Encore ne doit-on pas oublier que le journal pour lequel travaille l'une des héroïnes du livre s'intitule lui-même "Chien Galeux", en souvenir du temps où, plus agressivement contestataire, il militait pour les Black Panthers et contre la guerre américaine au Viêt-nam.

Au centre d'une intrigue où les marchés sous-terrains de l'Art se croisent avec les voies ô combien tortueuses de la politique et de la finance, un film énigmatique qui aurait été tourné dans le bunker d'Hitler quelques jours avant la chute de Berlin.

Pour Lightsborne, le marchand d'Arts qui voudrait bien le vendre au plus offrant, il s'agirait d'un film pornographique, une espèce d'orgie nazie à laquelle aurait participé Hitler lui-même. C'est tout au moins ce qu'il suggère à ses clients, en s'efforçant avec plus ou moins de succès de paraître un peu sceptique sur les possibilité sexuelles qui demeuraient alors celles du Führer.

Moll Robbins, journaliste au "Chien Galeux", émet quant à elle pas mal de réserves sur la question. Brian Selvy partage son avis et le client privilégié de Lightsborne - un ponte du Sénat - reste tout aussi sceptique ...

En fait, le thème central du roman de DeLillo, c'est le Mensonge : tous, nous mentons pour survivre, semble-t-il vouloir nous dire et, ce qui est pire, l'Histoire nous ment parce que ce sont les vainqueurs qui l'écrivent.

Un livre original, extrêmement curieux et qui, je le pense, mérite une relecture afin de percevoir pleinement, sous le vernis de son dépouillement artificiel, les mille et une facettes de sa complexité et des angoisses qu'il recèle. ;o)