Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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Littérature made in USA.

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samedi, octobre 25 2008

J'Ai Epousé Un Communiste - Philip Roth

I married a communist Traduction : Josée Kamoun

"J'ai épousé un communiste", tel est le titre qu'Eve, épouse en instance de divorce d'Ira Ringold, donne à l'ouvrage-vengeance qu'elle fait paraître au beau milieu des années cinquante et du maccarthysme galopant. Immédiatement ou presque, soutenu par les critiques du couple Grant, l'ouvrage s'envole vers la première place des best-sellers du mois.

C'est qu'il ne fait pas bon être communiste aux Etats-Unis en cet après-guerre suspicieux qui redoute les renseignements soviétiques et voit d'un très mauvais oeil l'URSS se doter, elle aussi, de la bombe nucléaire. Au demeurant, on n'a même pas besoin d'être officiellement encarté pour avoir des ennuis : il suffit d'une rumeur, d'un soupçon ou de simples opinions dites "de gauche" mais non extrémistes.

Or, communiste, Ira Ringold l'est. Et depuis longtemps. Il peut mentir au tout jeune Nathan Zuckerman et lui garantir qu'il n'a pas sa carte au Parti, le fait est là : Ira est communiste.

Comme nombre d'activistes des deux camps, Ira n'est pas vraiment devenu communiste : en fait, il n'avait pas de bases et tout juste quelques racines bien malades ; alors, il s'est accroché à une idéologie qui, par ses structures, lui donnait l'illusion de la sécurité familiale qu'il n'avait pas eu la chance de connaître. Eût-il été plus porté sur la chose par l'éducation reçue qu'il serait devenu un fanatique religieux ...

Fidèle à sa méthode, Philip Roth nous fait revivre cette période troublée de l'Histoire des USA en nous proposant le récit fait par un proche d'Ira - son frère, Murray - des événements qui ont contribué à l'ascension et à la chute de son frère. S'y mêlent les propres souvenirs de Zuckerman qui, alors adolescent, avait été séduit par les idées "progressistes" et la faconde indéniable d'Ira tandis que celui-ci, on peut le penser, voyait dans le garçon le fils qu'il n'avait pas eu.

Contrairement à "Pastorale américaine", dont la fin abrupte et "ouverte" sans l'être peut faire tiquer son lecteur, "J'ai épousé un communiste" bénéficie d'une construction impeccable qui ne laisse aucun détail au hasard. Le seul problème qui se pose touchera celles et ceux qui ne se sont jusque là jamais intéressés (ou alors très peu) à la Guerre froide, au maccarhysme, à Hoover, au communisme et à sa propagande, etc ... dans le contexte très particulier des Etats-Unis, pays super-capitaliste par excellence.

Je crains personnellement que ceux-là ne se s'ennuient un peu à la lecture de ce roman que, pour ma part, j'ai beaucoup aimé même si aucun de ses personnages, pas même le pauvre Ira, ne possède ni la chaleur rayonnante d'un Seymour Levov, ni l'énergie vengeresse d'un Coleman Silk.

C'est la seule réserve que j'émettrai. "J'ai épousé un communiste" ne m'a donné qu'une seule envie : persévérer dans Philip Roth. La preuve : je me suis procuré le premier roman où apparaît Zuckerman, "L'Ecrivain des Ombres." Je vous tiens au courant. ;o)

vendredi, octobre 24 2008

Pastorale Américaine - Philip Roth

American Pastoral Traduction : Josée Kamoun

Peu de personnages de papier et d'encre atteignent, en littérature, le degré d'humanité qui est celui du héros de ce livre, Seymour Levov, dont la traduction française de l'ouvrage de Philip Roth nous garantit que son prénom, Seymour, rime avec "amour." Au contraire du Coleman Silk de "La Tache" par exemple qui, en vrai battant, est capable d'accommodements terribles avec le ciel pour garantir sa survie dans une Amérique multi-ethnique, Seymour Levov est incurablement bon et, par là même, cherche toujours à faire plaisir à ceux qu'il aime - au détriment de son propre bonheur et de ses goûts personnels.

Il n'y a guère que pour son premier mariage, avec une Irlandaise catholique prétendante au titre de Miss New Jersey, qu'il ne suit pas tout-à-fait la voie que souhaitait lui voir emprunter son père. Car Seymour, comme les héros de Philip Roth, est né juif.

De son héritage sémite, son physique n'a pourtant retenu aucun trait : grand, blond aux yeux bleus, les traits réguliers, l'allure athlétique du joueur de base-ball made in America, il s'est d'ailleurs vu surnommer très jeune "le Suédois" par ses condisciples - et le surnom lui est resté.

Nathan Zuckerman, s'entretenant avec lui autour d'une bonne table au tout début du livre, non seulement l'appelle mais le voit toujours ainsi, comme le séduisant "Suédois" dont tout le monde savait déjà, alors qu'il n'avait pas dix ans, que la vie lui sourirait jusqu'à l'Eternité.

Pourtant, au fur et à mesure que Zuckerman s'enfonce au coeur du destin du Suédois, il va découvrir que les beaux sourires du Destin n'étaient que des leurres et que les cartes distribuées au Suédois étaient faussées pratiquement dès sa naissance.

Tout s'est joué pendant son premier mariage, une parfaite réussite tout d'abord, l'union de deux jeunes gens beaux et charismatiques, couronnée par la naissance d'une adorable petite fille, mais qui, à l'adolescence de celle-ci dans une Amérique divisée par la question du Viêt-nam, va virer au cauchemar ...

Ce livre dense et superbement écrit m'a maintes fois donné ces sensations à la fois exaltantes et angoissantes que l'on ressent lorsqu'on lutte contre un vent trop puissant : on se sent prêt à décoller du sol, à se fondre dans la tempête qui rôde, on n'a plus de souffle et on ne sait pas si on le retrouvera.

Dans cette "Pastorale américaine" et dans l'histoire de l'enfant perdue de Seymour Levov, palpite cette grandeur simple et noble qui est l'apanage des tragédies grecques, shakespeariennes ou encore raciniennes. Le poids de l'Histoire y fracasse l'individu et, sorti de la tourmente, celui-ci ne sera plus jamais le même : il restera à jamais amputé. Quand l'individu en question est un prince ou un politique, le lecteur peut se dire qu'il s'agissait là des risques de la fonction. Mais quand il s'agit d'un être aussi dépourvu d'égoïsme que Seymour Levov, son calvaire devient le nôtre. ;o)

jeudi, octobre 23 2008

Effacement - Percival Everett

Erasure Traduction : Anne-Laure Tissut

Thelonius Ellison est noir. Mais il y a plus grave - on ne le lui dit pas mais on le pense si fort que, de toutes façons, il l'a compris depuis longtemps : son grand-père était médecin, son père l'était aussi, sa soeur et son frère le sont. Enfin, en ce qui concerne sa soeur, Lisa, très rapidement, on peut utiliser l'imparfait car la malheureuse est assassinée par un militant anti-avortement particulièrement fanatisé. Ce qui n'est pas sans causer beaucoup de problèmes à Thelonius - surnommé "Monk" ou "Monksie", devinez pourquoi ;o) - car Lisa s'occupait activement de leur mère, laquelle commence à perdre la mémoire et, lentement mais sûrement, bascule vers Alzheimer.

Le problème n'est pas pécuniaire. Le Dr Ellison a laissé suffisamment d'argent pour couvrir les soins de sa veuve. Et puis, on peut toujours vendre la maison - ce à quoi Monk se résoudra à la fin du roman.

Le problème, c'est que Monk se voit mal s'occuper à plein temps et à domicile d'une femme que, deux fois au moins dans le roman, on voit s'enfermer dans sa chambre ou dans la maison et ne plus reconnaître ceux qui l'entoure quand elle ne les menace pas carrément d'un pistolet chargé.

"Artiste de la famille" comme disait déjà son père, Thelonius a choisi la voie de la littérature. Et pas n'importe laquelle, s'il vous plaît puisqu'il s'agit d'un ersatz de ce que nous autres, Français, avons produit dans les années soixante : le Nouveau Roman.

Ecrire dans le style "Nouveau Roman", ça prend du temps mais ce n'est pas précisément porteur. Comme le dit si souvent Yul, son agent, au malheureux Monk : "Ecoute, tu n'écris pas assez Noir ! Quel rapport y a-t-il entre le Nouveau Roman et la culture afro-américaine ? Les lecteurs ne peuvent pas comprendre ça ! ..."

Monk, bien sûr, s'offusque. "Donc, si l'on est noir, réplique-t-il en substance, non seulement on n'a pas le droit de s'intéresser à "Ulysse" (par exemple) mais en plus, il est d'ores et déjà certain qu'on sera incapable d'y prendre goût et moins encore de comprendre ce que voulait dire Joyce ? Eh ! bien, je ne suis pas d'accord !"

Un jour, l'esprit occupé par ses problèmes familiaux, Monk aperçoit, dans une gondole de supermarché, un livre, écrit par une Noire, et intitulé "Not'vie à nous dans le ghetto." Il s'arrête, l'ouvre, lit quelques paragraphes et, comme tout littéraire digne de ce nom, Noir ou pas, manque s'évanouir d'horreur : syntaxe, dialogues, style au ras des pâquerettes. Evidemment, on a supprimé les fautes d'orthographe - mais enfin, c'est tout juste. Quant à l'image du Noir américain véhiculée par ce livre qui sera bientôt recommandé par Oprah Winfrey (qui est noire d'ailleurs) lors de son fameux talk-show, eh ! bien, c'est toujours la même : misère, drogue, stupidité, haine, délinquance, etc, etc ...

Pris de rage, Monk décide d'écrire, lui aussi, son roman à la Richard Wright. Ce sera "Ma Pataulogie", qu'il réintitulera plus tard "Putain !" Le héros, Van Go, est un jeune Noir qui n'a même pas besoin de se droguer pour agir comme un fou furieux. Accro au sexe, il a déjà, à vingt ans, quatre enfants naturels - de quatre mères différentes, bien entendu. Il traîne dans le ghetto, ne se lave pas, bref, passons les détails ... De toutes façons, Everett vous a inséré "Ma Pataulogie" dans "Effacement" : donc, vous ne perdrez aucune miette, rassurez-vous.

C'était couru d'avance, à peine l'agent de Monk a-t-il envoyé ce nouveau manuscrit à Random House (Random House, eh ! oui !) qu'il reçoit des propositions alléchantes. Seul problème : Ellison ne peut pas bien sûr - et d'ailleurs, il ne veut pas - endosser officiellement une aussi douteuse paternité. Pour l'occasion, il se crée donc l'identité de Stagh Lee et se voit bientôt invité au show d'Oprah Winfrey - toujours elle et toujours noire - sur je ne sais plus quelle chaîne ...

Grinçant, subtil, ce roman de Percival Everett est une réflexion d'une profondeur rare sur la nature et les diktats du racisme. L'écrivain pointe évidemment du doigt les Blancs avides des livres à la Stagh Lee mais il se montre encore plus sévère envers les Noirs qui cautionnent cette image de leur peuple. Sans nier les problèmes vécus par certains dans les ghettos noirs, Ellison soutient en parallèle qu'on peut - et que l'on doit - briser le cercle vicieux.

Mieux encore, Ellison démontre que, en refusant à leurs frères le droit d'accéder à la littérature, au savoir, à la connaissance, certains Noirs se montrent aussi racistes que les plus enragés des klansmen. Pour eux, qu'un Noir réussisse dans la société blanche, en utilisant les meilleures des armes mises au point par les Blancs, cela reste une trahison. Raisonnement d'une stupidité sans commune mesure, raisonnement suicidaire également que Monk - et Ellison derrière son personnage - rejette avec vigueur.

Bon, pour être franche, je n'ai pas trouvé le style particulièrement transcendant même si le contraste entre les extraits "Nouveau roman" de l'oeuvre d'Ellison et l'intégrale de "Ma Pataulogie" est une réussite absolue. Mais "Effacement" vaut largement le détour. C'est un livre qui interpelle (comment peut-on être noir ou conserver son identité, quelle qu'elle soit, sans se voir contraint, y compris par les siens, d'effacer ce qui, finalement, en soi, fait sa personnalité ?) et qui, j'en suis d'ores et déjà certaine, est de ceux que l'on relit tôt ou tard. ;o)

lundi, octobre 20 2008

Trois Fermiers S'en Vont Au Bal - Richard Powers

Three farmers on their way to a dance Traduction : Jean-Yves Pellegrin

Richard Powers a eu l'idée de répartir son intrigue sur trois plans. D'où les longueurs et l'impression parfois poussive de ce roman constituant par ailleurs une réflexion des plus intéressantes sur l'Histoire et son implication dans la vie des particuliers.

Le premier plan, par lequel débute le roman, est le point de vue du narrateur. Celui-ci, en escale à Detroit entre deux trains, se rend à l'Institut d'Art moderne de la ville où il contemple, dans toute sa gloire, la fresque impérissable commandée par Henry Ford à Diego Rivera. Alors qu'il s'en revient vers la sortie, son regard tombe sur une photo, celle de trois jeunes Européens sur leur trente-et-un et fixant l'objectif par un jour de mai 1914.

Pour on ne sait trop quelles raisons précises - mais on se doute que le phénomène est relié au "portrait" de Detroit peint par Rivera et à celui d'Henry Ford lui-même, s'affichant dans un coin de l'oeuvre du grand peintre mexicain avec, sur le visage, comme Powers prend bien garde de le spécifier, une expression "de bienveillance et de cupidité." Désormais, le narrateur n'aura de cesse de retrouver les personnages de la photo et, à défaut de les retrouver réellement dans les archives conservées, de recréer leur histoire, indissolublement liée à l'intense accélération technologique qui, en bien comme en mal, a marqué le XXème siècle.

Le deuxième plan nous plonge directement dans la photographie elle-même, ou plutôt dans cet après-midi de mai 1914 où les trois jeunes gens rencontrent sur une route du Westerwald, dans le Limbourg, le photographe August Sander, lequel, en fixant leur image sur la pellicule et en leur remettant une épreuve de ses tirages, va si bien leur permettre de survivre à la tempête de l'Histoire qu'il y aura un jour, à l'aube du XXIème siècle, un écrivain américain désireux d'improviser à leur sujet un touffu pavé de plus de cinq cents pages.

En les suivant dans leurs pérégrinations au-delà de cet après-midi de mai, nous en verrons disparaître deux, avalés et digérés par le conflit. Le dernier - le personnage central de la photo d'ailleurs - qui est aussi le plus cynique, le plus amoral, finira par nous mener à Henry Ford.

Quant au troisième plan, il nous ramène justement à l'époque contemporaine, où Peter Mays, rédacteur technique pour une revue traitant surtout d'informatique, est fasciné par la silhouette anachronique d'une jeune femme rousse, habillée comme on l'était dans les années 1910 et brandissant, semble-t-il, une clarinette, qu'il distingue sur un char du défilé organisé à New-York pour célébrer les anciens combattants de la Grande guerre.

Littéralement obsédé par la chevelure rousse de la dame, Mays va mettre tout en oeuvre pour la retrouver et sa recherche aboutira, elle aussi, à Henry Ford tout en lui révélant, de façon inattendue, beaucoup de choses sur sa propre famille.__

Bien qu'un peu lente, la mécanique se révèle solide et suit un tracé d'une logique convaincante. Les moments où Powers - qui, soit-dit en passant, fait preuve d'une connaissance de l'Europe bien rare chez un auteur américain - détaille l'Histoire de la Grande guerre et l'assortit d'une réflexion passionnante sur le développement des différentes technologies modernes, sont ceux que j'ai préférés. En effet, aucun des personnages ne m'a vraiment "accrochée." Pour moi, ils sont là pour la démonstration de l'auteur et rien de plus. Peter Schreck m'a même paru très antipathique.

Un premier roman qui, malgré sa lourdeur et ses maladresses perceptibles, donne envie de lire autre chose de Richard Powers - un premier roman qui, par conséquent, a fait son travail mais que je ne pense pas relire jamais. ;o)

dimanche, septembre 28 2008

La Maison des Feuilles - Mark Z. Danielewski

House of Leaves Traduction : Claro

Réflexion que l'on peut qualifier d'abyssale sur les apparences et ce que nous percevons de la réalité aussi bien par l'oeil que par l'oreille, "La Maison des Feuilles" se présente sous l'aspect, assez innocent à première vue, de deux récits, le second surlignant le premier. De temps à autre, les notes de "l'Editeur" viennent éclairer ou assombrir le second texte.

C'est un vieillard étrange et retrouvé mort depuis peu dans une chambre qu'il avait pris soin de calfeutrer contre la lumière du jour et, de façon générale, contre l'extérieur, qui a rédigé le premier texte. Son nom était Zampano - comme le héros de "La Strada" de Fellini. Et son récit d'ailleurs concerne le cinéma puisqu'il n'y est question que du film réalisé par Will Navidson sur les aberrations spatiales qu'il a enregistrées au coeur de la maison qu'il venait d'acheter loin de New-York. Titre du film en question - devenu film-culte, nous l'assure Zampano : le "Navidson Record."

A la mort de Zampano, son "héritage", ce manuscrit biffé et raturé en tous sens, ce pavé énorme et où s'exprime toute l'érudition et la passion de celui qui l'a écrit, a atterri bentre les mains de Johnny Errand, un trentenaire au roman familial assez corsé et qui, depuis un temps qui ne sera pas indiqué au lecteur, vivote comme il peut en travaillant pour un salon de tatouage. Quand il ne travaille pas, Johnny Errand le bien nommé ("La Maison des Feuilles" est bourrée de clins d'oeil du même type) fait la bringue et abuse de l'alcool et de toutes les substances, licites ou pas, qui permettent d'oublier la réalité - ou de la faire reculer, tout simplement. Et puis, bien sûr, il y a le sexe. Mais peu à peu, au fur et à mesure qu'il avance dans la lecture du manuscrit de Zampano, Johnny va remplacer tout ça par l'incroyable, la prodigieuse histoire du "Navidson Record".

Au début, le lecteur trouve inutiles et même carrément superflus les notes et apartés de Johnny. Jusqu'au moment où il se rend compte que, tout comme elle a permis à Zampano d'aller jusqu'au bout de lui-même, l'affaire du "Navidson Record" est destinée à faire atteindre à Johnny une nouvelle dimension de son être.

"La Maison des Feuilles" se vit comme une forme de voyage initiatique à travers bien des choses : d'abord la maison elle-même mais aussi la culture de l'image qui est la nôtre, l'imaginaire fantastique que nous nous sommes formé en visualisant toutes sortes de films d'horreur (ou plutôt en acceptant que soient mis en images les bons vieux mythes avec lesquels la littérature nous avait déjà fait faire connaissance ) et, encore plus profond, nos angoisses personnelles les plus profondes (l'image des parents, la sexualité, la Mort et, pire que la Mort, le Néant ...), le terrible sentiment de solitude qui nous accable d'autant plus pesamment que nous vivons en groupes de plus en plus importants, la quête de Dieu, de ce qu'il est, de ce qu'il n'est pas, de ce qu'il ne peut pas être (qui nous fait revenir à la quête de la vie intra-utérine, la maison des Navidson pouvant symboliser la matrice originelle), l'espoir, le désespoir, le ... la ...

D'une construction exemplaire, "La Maison des Feuilles" ne demande en fait à son lecteur que quelques minuscules efforts (s'adapter à son format, suivre les instructions qui nous recommandent de consulter l'annexe tant et non pas celle qui la précède chronologiquement, se poster devant la glace pour lire certains textes en écriture-miroir, mettre notre livre la tête en bas ou sur le côté pour suivre la progression du récit, etc ...) pour lui faire partager ses fabuleuses richesses - que les amateurs de livres et de cinéma devineront peut-être plus rapidement que les autres cependant.

En bonne logique, toute personne née dans les cinquante dernières années du XXème siècle devrait se sentir concernée par "La Maison des Feuilles" et y reconnaître l'essence même de ce siècle entièrement dominé par l'emballement des technologies, la précipitation des événements et le galop déchaîné des images s'annulant l'une l'autre avant de se réunifier pour former à nouveau, et dans la plus totale, la plus absolue des contradictions, une réalité à nouveau cohérente.

"La Maison des Feuilles", c'est moi, c'est vous, c'est votre voisin, c'est la fin d'un siècle qui allait trop vite et le début d'un autre qui prend la même direction, c'est une vision à la fois débridée et concise de la société où nous sommes nés et où nous mourrons, c'est toute notre culture occidentale ...

... et c'est aussi un roman fantastique, un film d'épouvante, une réflexion philosophique, un film mystique, un documentaire sur le rôle déterminant de l'image dans notre civilisation, une boîte de Pandore, une bibliothèque qui n'en finit pas, un escalier qui n'en finit pas ...

... et, plus simplement, un sacré bon roman. ;o)

La Conquête du Courage - Stephen Crane

The Red Badge of Courage Traduction : Francis Viellé-Griffin & Henry D. Davray

Où que l'on aille, ce court roman est toujours présenté comme traitant de la Guerre de Sécession. Peut-être le créneau est-il porteur. Mais dans le cas de "La Conquête du Courage", cet étiquetage est erroné. Certes, l'action met bien en scène des soldats de l'Union combattant ceux de la Confédération mais la chose n'est mentionnée que de très rares fois, par la couleur d'un uniforme ou les termes "rebelle" et "Yankee" utilisés çà et là.

En fait, "La Conquête du Courage" parle surtout de la guerre et plus encore de la terreur qui accable le combattant lorsque sonne pour lui l'heure du corps à corps. Car la guerre, même à notre époque hautement technologique, cela reste le corps à corps : l'égorgement de certains soldats français par les talibans, l'a encore récemment prouvé en Afghanistan.

Stephen Crane utilise ici une intrigue et des personnages minimalistes : une ligne de front, dont on ne sait pas très précisément où elle se trouve et qui est d'ailleurs si mouvante que le héros, Henry Fleming, le plus souvent désigné sous le nom de "le jeune homme" comme pour bien souligner et son caractère banale et l'universalité paradoxale de sa quête du courage, se perd pour commencer parmi les rangs confédérés ; et quelques personnages qui, y compris les généraux, tiennent plus de la silhouette et de l'ombre que du héros solidement charpenté.

A maints endroits, "La Conquête du Courage" évoque ces films qui, documentaires ou fictions, ont cherché à fixer sur la pellicule les brumes hantées de la Grande guerre. Une silhouette se dresse, comme sortie de nulle part, elle dit ou balbutie sa peur, sa détresse, son refus de la Mort, et puis elle disparaît. A Henry de faire avec leurs blessures, leur hébétude, leurs radotages - leur dissolution. A Henry - et au lecteur - de leur survivre.

D'abord hébété, puis bien près de prendre ses jambes à son cou et de déserter sans autre forme de procès, Henry est stoppé net dans son élan lorsque l'un de ses camarades, avisant du sang sur son uniforme, s'imagine à tort qu'il a été blessé dans le feu de l'action. La honte alors l'accable et son poids s'accentue au fil des rencontres après la bataille, tous ces hommes qui saluent son prétendu courage ou pire, qui passent à son côté sans le voir, comme si le choc reçu au combat les avait privés de toute raison. Parce qu'ils ne lui ont pas tourné le dos, au combat : ceux-là y sont allés ...

Et c'est cette honte qui va provoquer chez Henry un retournement complet du caractère. Il va s'exciter, se pousser lui-même à la colère, déchaîner la violence en lui afin de pouvoir retourner au front et parvenir, cette fois, à se conduire en guerrier. Voilà comment il finit par conquérir le courage qui lui a fait si gravement défaut et, comme l'indique le titre, plus précisément, "l'insigne rouge", la blessure qui prouve son courage.

Minimaliste jusque dans son style et sa technique, Crane emploie des mots simples et des personnages réduits à une ou deux émotions essentielles pour analyser les différentes étapes par lesquelles passe son héros. Celui-ci étant lui-même une nature simple, l'effet obtenu est encore plus impressionnant.

Pas de charges, pas de grandes scènes de bataille à la Tolstoï, donc. Margaret Mitchell fait mieux dans son "Autant en emporte le vent." "La Conquête du Courage" est, à bien y regarder, un roman plus abstrait qu'on ne le pense - qu'on ne le définit. ;o)

jeudi, août 28 2008

La Physique des Catastrophes - Marisha Pessl

Special Topics in Calamity Physics Traduction : Laetitia Devaux

Je viens de sortir de ce livre, absolument bluffée par la maîtrise avec laquelle son auteur parvient à mener le lecteur jusqu'au bout de l'intrigue sans qu'il soupçonne la fin qu'elle lui a concoctée.

Pourtant, j'avais eu quelques difficultés à m'habituer au style de Marisha Pessl. Toutes ces références, à des films, à des livres, à des articles d'encyclopédie, etc ... m'ont, au début, plutôt agacée. Puis j'ai adopté le point de vue donné par le titre original de cette "Physique des Catastrophes" :

1) après tout, il s'agit d'un dossier dont le thème central est axé sur un universitaire veuf, ayant tenté d'inculquer un maximum d'érudition à sa fille unique et l'ayant gavée pour ce faire dès l'enfance d'un nombre ahurissant de lectures au-dessus de son âge.

2) En outre, toute l'action se situe sur des campus - qu'il s'agisse de l'action passée, à l'Age d'Or de l'activisme gauchiste aux USA, ou de l'action présente, puisque Blue, la narratrice, entame son année de Terminale avant de postuler avec succès à Harvard.

3) Enfin, élève exemplaire et tête de classe, il est clair que, pour mettre à plat les mystères qui l'accablent en cette année décisive, Blue ne saurait concevoir une autre façon de procéder : rédiger un récit solidement étayé, littéralement hanté par l'esprit de son père (cet amour, cette manie des citations, c'est Gareth Van Meer plus que sa fille) et qui analyse point par point les différentes étapes d'un parcours qui, on s'en rend compte à la toute fin du livre, a commencé bien avant la naissance de la jeune fille.

Si l'on conserve tout cela à l'esprit, les citations finissent par ne plus causer problème, surtout que Marisha Pessl s'est amusée à en imaginer de fausses ainsi que des auteurs tout à fait fantaisistes - mais très pontifiants. Un reproche que je maintiendrai, par contre - mais il est léger - c'est que l'on a parfois l'impression d'une violence faite au style pour le rendre brillant à chaque mot. C'est oublier qu'Oscar Wilde lui-même s'autorisait des moments de répit qui ne font que souligner le naturel de ses mots d'esprit./b Il y a donc, çà et là, des images un peu forcées, qui se promènent sur le fil de rasoir et que le lecteur verrait sombrer dans le néant sans en éprouver la moindre peine. Mais, bd'un autre côté, ce style ressemble tellement à celui que Gareth Van Meer aurait souhaité voir sa fille adopter ...

Venons-en maintenant à l'intrigue. Les premiers chapitres sont évidemment des chapitres d'exposition, il faut donc patienter un peu avant de se retrouver au coeur de l'histoire. Mais on ne regrette pas d'avoir eu cette patience.

Gareth Van Meer, veuf (depuis 1992, la date a son importance) et ayant la charge de sa fille unique, Blue, avec laquelle il vit une relation quasi fusionnelle (sur le plan intellectuel seulement, il n'y a ici aucun parfum d'inceste, peut-être un complexe d'Electre de la part de Blue mais typique de son âge, 17 ans, et de son statut d'enfant sans mère), décide de planter leur tente dans la petite ville de Stockton pour la dernière année de collège de sa fille.

Bien qu'habituée à changer de ville à chaque rentrée scolaire, Blue a toujours autant de mal à se faire des amis. Mais cette fois-ci, le professeur en art cinématographique de son collège, Hannah Schneider, lui favorise la chose en conseillant à quelques uns de ses élèves préférés, qu'elle reçoit régulièrement à sa table chaque dimanche, de nouer connaissance avec Blue.

D'abord réticents, les membres du petit cercle d'Hannah, que le reste du collège surnomme "le Sang Bleu", intègrent Blue parmi eux. Pour faire passer la pilule à Gareth, qui n'apprécie pas les teenagers dont le niveau intellectuel semble inférieur à celui de sa fille, Blue lui raconte qu'ils l'ont en fait invitée à participer à un groupe de travail sur l'"Ulysse" de Joyce.

En réalité, ils s'amusent comme on peut le faire à cet âge-là, surtout que leurs parents ont les moyens. Un soir, mécontents de constater que Hannah ne les a pas conviés à une fête "entre adultes" qu'elle a organisée chez elle, les adolescents se faufilent chez leur professeur bien-aimée et un fâcheux incident se produit : l'un des invités est retrouvé mort dans la piscine ...

Peu à peu, Blue, qui réfléchit beaucoup (trop), sera amenée à se poser des questions non seulement sur cette mort mais aussi sur son père, qu'elle a cru apercevoir à la soirée, puis sur Hannah Schneider.

Quand elle obtiendra les réponses, elle sera passée de l'autre côté : elle sera devenue adulte.

Un roman riche, foisonnant, superbement maîtrisé, que je vous conseille de lire avec le plus grand soin. Car finalement, toutes ces citations ne seraient-elles pas là dans le but de détourner l'attention du lecteur agacé de ce qui, dans le texte, est réllement important ? Réfléchissez-y et bonne lecture. ;o)

mardi, juillet 15 2008

America - T. C. Boyle

The Tortilla Curtain ''Traduction : Robert Pépin'

Souffle, réalisme, rigueur et humanité sont les principales qualités de ce livre qui reçut, en 1997, un Prix Médicis Etranger largement mérité.

Boyle y traite de l'immigration mexicaine clandestine aux USA et des différentes conséquences que cela peut avoir sur les communautés WASP. Pour ce faire, il a choisi comme héros deux hommes qui, bien que de culture différente, ont beaucoup de points communs. L'un de ces points - le principal, peut-être - c'est qu'ils feraient tout, y compris l'impensable, pour la femme qu'ils aiment.

Le premier, l'Américain, Delaney, est un écrivain amoureux de la Nature, de tendance démocrate et écolo. Blanc et protestant, il est né du bon côté de la barrière et sa situation sociale est solidement assise, au sein de la Résidence de l'Arroyo Blanco, où il possède une jolie maison ultra-moderne qu'il partage avec Kyra, sa seconde épouse, et le fils de celle-ci, Jordan.

Le second, Candido, est un Mexicain sans qualification, né pauvre parmi les pauvres et qui, pour gagner sa vie et celle de sa famille, a toujours dû s'exiler dans "el Norte", chez les Gringos. Comme Delaney, lui aussi a été marié une première fois mais sa femme l'a quitté pour plus riche et, quand commence le roman, il se retrouve de l'autre côté du Rio Grande, avec sa seconde épouse, America, qui est enceinte de lui et qui croit - désespérément - que, aux Etats-Unis, elle pourra, elle aussi, prétendre à une vie tranquille.

Rien évidemment ne va se dérouler selon les plans prévus tant par l'un que par l'autre. Ainsi, après avoir accidentellement renversé Candido avec sa voiture et avoir cherché à le mener chez le médecin, Delaney, qui comprend bien que l'autre est en situation irrégulière, finit par lui donner vingt dollars et par reprendre la route, persuadé que son chemin ne croisera plus jamais celle du Mexicain. De son côté, Candido doit faire face à trop de soucis (échapper à la "Migra", la police de l'immigration, retrouver santé et travail, nourrir América et surtout la protéger des prédateurs qui rôdent) pour penser à cet étranger brièvement entrevu.

Seulement, entre eux deux, se dressent les mondes auxquels ils appartiennent : des voisins de Delaney, décidés à tout pour obtenir la construction d'un mur qui freinera les vols et les agressions dans leur lotissement, et des brebis galeuses mexicaines qui, elles, sont bien décidées à s'introduire dans le lotissement pour s'y livrer à un pillage en règle.

Ainsi, de chaque côté, montent l'incompréhension, la colère, la peur, puis la haine, jusqu'au clash final qui emporte Delaney et risque fort d'emporter aussi Candido.

Le tour de force de T.C. Boyle, c'est que, à aucun moment, il ne tombe dans le parti-pris. A une particularité de caractère ou de raisonnement chez Delaney, en correspond une autre chez Candido. De même, le patron blanc d'América fait des avances à celle-ci mais ne cherche pas à la violer : ce sont deux Mexicains qui abusent d'elle en l'absence de Candido. Rien n'est tout blanc, rien n'est tout noir - et surtout rien n'est simple au fond. La peur et la colère de Delaney peuvent se justifier car il y a eu, effectivement, agression et pillage. Mais la révolte de Candido se justifie de son côté par le fait que le système lui refuse le droit de vivre en homme digne de ce nom.

Un grand roman, qui donne envie de lire d'autres ouvrages de son auteur et qui fait parfois penser à Steinbeck, au meilleur de sa forme. Car la morale d'"América" - si morale il y a, en tous cas, je vous rassure : elle est sous-entendue - c'est que Delaney & Candido auraient pu, en d'autres temps, en d'autres lieux, sympathiser au moins un peu ...

dimanche, juin 15 2008

Les Chutes - Joyce Carol Oates

The Falls Traduction : Claude Seban

Voici, sans aucun doute possible, l'un des romans les plus achevés de Joyce Carol Oates. A le lire, surtout si l'on s'est déjà fait une idée du reste de l'oeuvre, on comprend que la romancière a décidé il y a longtemps, consciemment ou pas, de laisser le tableau le plus net qui soit de la société américaine du XXème siècle et que, en ce sens et compte tenu de son exceptionnelle prolixité, elle peut, en effet, être comparée à notre Balzac national.

Héroïnes inavouées mais omniprésentes, tour à tour superbes, indifférentes ou maléfiques, les chutes du Niagara forment le théâtre à la fois grandiose et inquiétant où s'animent et se débattent les personnages de ce roman-fresque, doublé d'une réflexion impitoyable sur la responsabilité des USA dans la dégradation de l'écosystème planétaire.

Au début des années cinquante, quand le pasteur Gilbert Erskine, tout frais marié de la veille, court se jeter dans les Horseshoe Falls, l'une des sections les plus violentes des Chutes, pour y noyer à jamais son dégoût de la femme et son homosexualité inavouée, la région est encore éclatante et saine. Peut-être les racines du mal palpitent-elles déjà, quelque part sous le quartier de Calvin Heights, à Niagara Falls mais rien ne laisse soupçonner leur existence.

Erskine laisse derrière lui sa jeune épouse, Ariah, celle que l'on surnommera "la Veuve Blanche des Chutes", et dont tombe presque immédiatement amoureux un avocat local, Dirk Burnaby. Au bout de quelque temps, ils se marient - ce qui scandalise leurs familles respectives - et ont un enfant (Chandler), puis un deuxième (Royal) et enfin une troisième, la petite Juliet dont on ne saura jamais très bien si c'est elle qui tient le rôle de la narratrice du roman.

Intelligente, hypersensible, nerveuse et caractérielle, Ariah avait tout pour être heureuse, malgré tout, avec Dirk. Mais un jour, celui-ci accepta de se charger d'une affaire que la presse finit par surnommer "l'affaire de Love Canal."

Une affaire que tous ses confrères de la région avaient refusée, une affaire de morts inexpliquées, d'odeurs chimiques répugnantes, de boue noire à fleur de terre dans la cour de l'école maternelle, tout là-bas, dans ce quartier modeste de Calvin Heights.

Une affaire où, à sa grande horreur, Dirk Burnaby va constater que sont impliqués nombre de ses amis de toujours à moins que ce ne soit leurs pères. Une affaire de gros sous et d'expérimentation de produits chimiques à la Swan Company où son propre père possédait des actions.

En dépit des pressions, l'avocat mène à bout sa mission. Mais lâché par tout le monde, y compris par ceux qui se prétendaient ses amis les plus fidèles, il perd non seulement sa réputation mais aussi la vie dans des circonstances qui, pour le lecteur, seul témoin de la chose, sont visiblement criminelles.

Elevés dans l'ignorance du passé par leur mère, Chandler, Royal et Janet arrivent à l 'âge adulte. Et c'est Royal, le préféré pourtant de sa mère, qui n'avait que quatre ou cinq ans à l'époque des faits, qui va mettre les pieds dans le plat et réclamer la vérité.

"Les Chutes" demeure l'un des meilleurs romans de Oates. La figure d'Ariah Burnaby constitue également l'un de ces portraits de femme puissants et complexes dont la romancière américaine détient le secret. Quant à la trame du récit, elle est travaillée au petit point, si l'on veut bien me passer cette expression, sauf, peut-être, en ce qui concerne l'épilogue, qui survient un peu trop rapidement.

A lire. ;o)

vendredi, mai 16 2008

La Famille Dispersée - Pearl Buck

A House Divided Traduction : S. Campaux

Ici, le foisonnement réapparaît - ce qui soulage le lecteur - et même s'universalise. Car le héros du dernier volume de la trilogie, Yuan, fils unique et bien aimé de Wang le Tigre et de sa concubine, est destiné à voir du pays.

Dénoncé comme révolutionnaire communiste par une jeune condisciple qui était tombée amoureuse de lui, il est en effet contraint à l'exil aux Etats-Unis. Il y restera six ans, assez pour réaliser que si tout, dans la civilisation occidentale, n'est pas à rejeter, lui-même sera à tout jamais un Chinois. Moderne, certes mais chinois avant tout. Pearl Buck profite d'ailleurs de l'occasion pour apprendre au lecteur ce qu'elle pensait du désir forcené de convertir le peuple de l'Empire du Milieu qui caractérisa tant de missionnaires - et sans doute ses propres parents.

Mais "La Famille dispersée", c'est avant tout la peinture d'un monde en pleine mutation, dans lequel, peu à peu, les anciennes coutumes se voient mises à l'encan par une génération qui rêve de connaître enfin la liberté : liberté de penser, liberté de ressentir, liberté d'aimer, liberté de vivre pour soi sans avoir à se préoccuper de l'opinion du clan familial. Pour atteindre à ce résultat, certains, parmi ces jeunes gens, fanatisés à mort par la politique maoiste, iront jusqu'à tuer de leurs mains leur père ou leur mère, voire les deux.

Au passage, sont révélées au grand jour les magouilles de Wang le Marchand, qui n'a cessé de prêter en suffisance à son frère cadet jusqu'à ce que le vieux seigneur de guerre ne puisse pas le rembourser. Ainsi, Yuan, diplômé de l'université étrangère et, en tant que tel, fort coté désormais sur le marché du travail chinois, sera l'esclave de son oncle et sera en quelque sorte contraint de se sacrifier pour sa famille.

Dans l'esprit de Wang le Marchand, ce n'est là que justice mais Yuan ne va pas l'entendre de cette oreille ...

Même s'il retient mieux l'attention du lecteur, ce troisième et dernier opus n'atteint pas la puissance de "La Terre Chinoise." A ne réserver donc, là encore, qu'aux inconditionnels. ;o)

Les Fils de Wang Lung - Pearl Buck

Sons Traduction : Théo Varlet

Ce deuxième tome de la trilogie "La Terre Chinoise" est certainement le plus faible de l'ensemble. Non en raison de sa construction mais parce que l'intrigue tourne pratiquement tout entière autour d'un personnage unique : Wang le Tigre, le dernier des fils de Wang Lung.

Le personnage est pourtant ce que l'on appelle un personnage fort. En lui se sont unies la puissance de concentration, l'endurance hors de pair de sa mère, O-len, et l'ambition, la ruse de son père. Le problème, c'est que, succédant au foisonnement de caractères et à l'agitation de "La Terre Chinoise", cet ouvrage fait au lecteur l'effet d'un silence trop brutal et même gênant.

Sinon, cette histoire d'un garçon amibitieux qui, suite à sa première déception sentimentale - il était tombé amoureux de la deuxième concubine de son père - quitte la maison familiale sans aucun désir de retour pour rejoindre les troupes de l'un de ces seigneurs de la guerre qui sévirent en Chine après l'effondrement de la dynastie mandchoue, s'avère intéressante. Elle a aussi le mérite de dépeindre un aspect important de l'Histoire de la Chine au temps de la république nationaliste.

Wang le Tigre est un personnage tragique et passionné. Tout d'une pièce, il ne sait pas composer et, de toutes façons, il n'y tient pas. Après sa seconde grande aventure amoureuse qui se solde de manière tragique, il renonce définitivement à aimer une femme, quelle qu'elle soit. Il demande à ses frères, Wang l'Aîné et Wang le Marchand, de lui trouver une épouse afin que lui aussi puisse avoir un fils. Et c'est sur ce fils, Yuan, qu'il reporte toute sa passion possessive.

A réserver cependant aux inconditionnels de Pearl Buck. ;o)

dimanche, mai 11 2008

La Terre Chinoise - Pearl Buck

The Good Earth Traduction : Théo Varlet

A vingt ans, j'étais passée, je m'en rends compte aujourd'hui, complètement à côté de ce roman qui est un grand roman, un roman fort. Son auteur s'y est en outre essayée à un style à la fois simple et rythmé, un peu lancinant parfois, plus en rapport, selon elle, avec la culture chinoise qui constitue le thème central de l'ouvrage.

Ce livre est le premier tome d'une trilogie, communément appelée "Trilogie de la Terre chinoise" en français et destinée à retracer l'histoire d'une famille d'origine paysanne sous trois générations.

Aux racines, ainsi qu'on le constate dès la première page, Wang Lung, le héros, n'est qu'un pauvre paysan qui, orphelin de mère, s'occupe activement de son vieux père, désormais trop peu valide pour aller cultiver avec lui le maigre champ qu'il possède près de leur maison en terre.

Mais, pauvre ou pas, dans la Chine ancienne, un fils se doit de procréer à son tour au moins un fils, afin que le culte des ancêtres soit sauvegardé. Et Wang Sr s'est entremis auprès de la grande famille Hwang afin que son fils puisse obtenir comme épouse l'une des esclaves de cuisine de la vaste demeure. Il l'a exigée laide car, selon lui, un paysan n'a pas besoin d'une jolie femme qui ne se préoccuperait que de ses toilettes et de sa beauté là où il lui faudrait plutôt tenir la maison, faire la cuisine, etc ... enfanter, bien sûr, et même travailler la terre aux côtés de son mari. Après un court moment de révolte, Wang Lung s'est incliné et, le jour où débute le roman, il s'apprête pour aller chercher sa future femme.

Celle-ci, O-Len, hommasse, courageuse et taciturne, constitue l'autre pilier de ce livre. En elle, Pearl Buck a amassé tous les malheurs susceptibles de s'abattre en Chine sur les femmes, surtout si elles ne pouvaient compter sur leur beauté pour s'en sortir. Pourtant, dans la première moitié du roman, Wang Lung se montre bon pour sa femme qui, il faut bien le dire, le soutient dans les épreuves telles que la misère, la famine et l'exil avec un courage exemplaire. C'est même grâce à sa connaissance des us et coutumes des riches qu'il parviendra à acquérir suffisamment d'argent pour acheter sa première terre.

Mais avec l'opulence, vient l'oisiveté. Certes, Wang Lung, paysan avant tout, voue à la terre une passion telle qu'il ne peut s'en éloigner plus d'une demi-journée mais comme son ascension sociale le contraint à avoir désormais plus d'ouvriers agricoles qu'il n'en peut compter, il arrive qu'il soit abandonné à lui-même. Et c'est alors que, regardant pour la première fois son humble épouse comme un homme regarde une femme, il se prend de dégoût pour elle et se met en tête d'avoir une concubine.

Cette concubine, Lotus, il va la chercher là où, à l'époque, se recrutaient en général beaucoup de "secondes épouses" : la maison de thé la plus proche. Très vite, il l'installe chez lui mais - il en loue le ciel lui-même - elle n'a pas d'enfant susceptible de créer des bisbilles avec ses enfants du premier lit et s'enfouit douillettement dans le confort de sa vie de femme mariée et honorable.

Wang Lung ne saisira la profondeur des liens qui l'unissaient malgré tout à O-Len que lorsque celle-ci, rongée par une "maladie d'entrailles" qui fait penser au cancer, s'éteindra. Il la fera enterrer somptueusement, ainsi qu'il convient à la Première épouse d'un propriétaire foncier, en compagnie de son vieux père, décédé peu après sa belle-fille.

Et c'est alors que l'ancien paysan pauvre et timide, devenu, par la puissance de son travail et une bonne dose de chance, le nouveau propriétaire de l'ancienne maison des Hwang, prend conscience du temps qui s'écoule, lent, inexorable ...

Même si l'on connaît déjà l'histoire - notamment si l'on a vu le film "Visages d'Orient", avec Paul Muni et Luise Rainer - on ne décroche pas un instant de ces pages où l'action se déroule sans un seul temps mort et pourtant sur un rythme paisible n'ayant rien à voir avec nos habitudes. Au premier plan, bien sûr, l'ascension de Wang et des siens, une histoire somme toute intimiste. Mais en arrière-plan, planté de manière à nous restituer la manière qu'avait un paysan chinois de cette époque de se représenter le monde qui l'entourait, un décor social où germent et tremblent les grands bouleversements qui vont transformer la Chine à jamais.

Signalons que "La Terre Chinoise" a obtenu le Prix Pullitzer 1932.

dimanche, février 17 2008

Pavillon de Femmes - Pearl Buck

Pavilion of Women Traduction : Germaine Delamain

Si Pearl Buck s'est toujours battue pour les droits de la femme, c'est peut-être parce que, dès l'enfance, elle avait pu observer le sort de soumission réservé aux femmes en Chine. Epouse ou concubine, il n'y avait pas trente-six solutions, la femme non-mariée qui ne se sentait pas de vocation ecclésiastique étant considérée comme une charge inutile.

La condition féminine est donc, avec la Chine le plus souvent, le maître thème de son oeuvre et, dans ce "Pavillon de Femmes", c'est en Mme Wu et dans son entourage féminin qu'elle s'incarne.

Mme Wu est l'épouse unique d'un riche propriétaire foncier. Elle a donné à son époux quatre fils et a donc, selon l'usage, rempli plus que largement son devoir envers les Ancêtres de la maison où elle entra jeune mariée. Cette maison, elle la dirige avec douceur et fermeté mais, le jour de ses quarante ans, elle prend la décision de cesser tout rapport sexuel avec son époux. En compensation, elle entend lui choisir une concubine.

Mme Wu a une nature si bien trempée que, après avoir un peu regimbé, son mari se soumet. Sa belle-mère aussi. Ses fils et leurs femmes sont plus réservés car nous sommes alors dans les années trente, époque de grand trouble pour les traditions de l'Ancienne Chine. Rulan, l'épouse du second fils, qui a étudié dans les écoles étrangères, est cependant la seule à reprocher à sa belle-mère, qu'elle tient pourtant pour une femme naturellement compatissante et à l'esprit plutôt ouvert, de se plier à une coutume désormais dépassée.

Mme Wu n'en maintient pas moins sa volonté. En parallèle, elle souhaite marier son troisième fils, Fengmo, à la fille cadette de l'une de ses amies. Mais Linyi - c'est le nom de la jeune fille pressentie - se refuse à épouser un homme qui ne connaît pas l'anglais. Pour parvenir à ses fins, consciente également que cet apprentissage apportera sans doute un plus à son fils, Mme Wu demande alors à un prêtre d'origine italienne mais parfaitement polyglotte, Frère André, de venir enseigner son fils.

La relation qui se noue entre Mme Wu et le franciscain que l'Eglise de Rome elle-même tient pour un rebelle (il respecte à la lettre le voeu de pauvreté et, en Europe, n'a jamais cessé de ruer dans les brancards d'une Eglise trop tentée par les ors et les pompes du temporel) est au coeur du roman. Certes, elle est appelée à rester platonique mais elle va permettre à Mme Wu, autre rebelle mais qui s'ignore comme telle, de comprendre bien des choses ...

J'ai toujours eu un faible pour ce roman intelligent, parfaitement construit, aux personnages solides, possédant chacun une personnalité bien déterminée, et où éclatent à chaque ligne la tendresse et le respect que Pearl Buck portait à la terre où elle avait grandi. Plus que "La Terre chinoise", au style volontairement plus épuré, il constitue un excellent premier pas dans la connaissance de l'oeuvre de la romancière sino-américaine. ;o)

lundi, février 11 2008

L'Incendie de Los Angeles - Nathanael West

The Day of the Locust Traduction : Marcelle Sibon

Ce court roman, qui fut pratiquement le dernier de son auteur, doit son titre français à la grande toile que peint son personnage principal. En revanche, la traduction française a respecté le titre du film qu'en tira John Schlesinger en 1975 : "Le Jour du Fléau", avec Donald Sutherland et Burgess Meredith, sur un scénario - étroitement taillé sur le roman, ce qui est assez rare, plus encore dans une production hollywoodienne - de Waldo Salt, scénariste de "Indiscrétion" et de "Macadam Cowboy."

J'ai écrit "son personnage principal" mais est-on en droit d'utiliser cet adjectif pour un personnage qui tient plus du fil rouge que du héros ? La tragédie des personnages de "L'Incendie ...", c'est que, justement, aucun d'eux ne sera jamais le personnage principal de la vie qu'il espère.

Symbole de cet échec, qu'elle pressent sans vouloir l'admettre, Faye Greener, fille d'un artiste de music-hall déchu et d'une ichorus-girl/i disparue dans la nuit peu après sa naissance. Faye est jolie et porte la toilette avec beaucoup d'élégance mais, à Hollywood, toutes les jolies filles en font autant comme toutes rêvent de devenir une star, voire "LA" Star.

Si Faye s'absorbe dans son rêve en parasitant tous les hommes qui le veulent bien - surtout le pauvre Homer Simpson (oui, c'est bien son nom ! :wink:), ceux qui l'entourent ne sont guère plus lucides. Et, quand ils le sont, ils se révèlent d'un cynisme et d'une indifférence qui ne sont, en sorte, que les reflets ténébreux de Hollywood lui-même.

Par phrases froides, d'une sobriété calculée, Nathanael West peint par petites touches le tableau d'un monde qui n'est pas seulement en décomposition mais qui est la décomposition incarnée. Si d'aventure un sentiment d'amour ou de simple sympathie tente - bien timidement - de montrer le bout de l'oreille, il est immédiatement pris en chasse, traqué, acculé et mis à mort : les personnages principaux ne peuvent s'autoriser des sentiments nobles que s'ils vivent sur grand écran.

Pour certains lecteurs, "L'Incendie de Los-Angeles" méritera peut-être une seconde lecture. L'ensemble, par sa retenue et son côté glacial - à l'image des personnages représentés - a beaucoup d'une épure et est susceptible de ne pas plaire au premier coup d'oeil - surtout si l'on ignore tout du film. ;o)

Contes du Far-West - O. Henry

??? Traduction : Daniel Boussac (Livre de Poche)

En dépit de l'enthousiaste préface d'Antoine Blondin, il m'a été impossible de trouver dans ces nouvelles - qui, pourtant, constituaient une relecture - tout ce qui, affirment les initiés, fait le charme des textes de O. Henry - "l'un des maîtres américains de la nouvelle" comme l'affirme la couverture de l'édition de poche des années 72/73 que j'ai sous les yeux.

Certes, la mécanique du genre s'applique ici de façon correcte avec, çà et là, une chute qui fait sourire et/ou émeut. Mais ... comment dire ? ... Tout d'abord - mais cela vient peut-être d'une erreur des éditeurs - il n'y a ici que quelques thèmes, qui se ressemblent tous : le mauvais garçon de l'Ouest (il aime surtout cambrioler les banques) qui finit par se racheter ; le cow-boy amoureux de la fille de son employeur, un propriétaire de ranch qui ne veut évidemment que le meilleur pour sa fille ; etc, etc ...

En un mot comme en cent, j'ai eu l'impression de relire souvent la même nouvelle. Ce qui revient à dire que, sur les dix-sept textes qui composent ce recueil, nous avons à peu près cinq nouvelles vraiment originales.

Les personnages ne m'ont guère paru en outre jouir d'une profondeur psychologique digne de ce nom : ils ressemblent plus à des silhouettes plus ou moins bien typées qui viennent réciter leur texte - plus ou moins le même, lui aussi - à quelques moments-clefs (ou prétendus tels) d'un récit passe-partout.

Mais enfin, peut-être que je n'aime pas le Far-West ... (Côté cinéphilie, pourtant, c'est loin d'être le cas ...) Enfin, lisez ces "Contes" et vous verrez bien si vous partagez ou non mon avis. ;o)

jeudi, janvier 17 2008

L'Inspecteur de Nuit - Frederick Busch

The Night Inspector Traduction : Nadia Akrouf

Sobre et tranquille, "L'Inspecteur de Nuit" dérange. Son titre fait référence au personnage de M., qui n'est autre que le romancier américain Herman Melville, autrefois auteur connu et encensé dans les journaux américains mais désormais oublié et qui subsiste avec sa famille en tant qu'inspecteur des douanes dans le port de New-York.

Le narrateur, lui, s'appelle William Bartholomew. Pendant la guerre civile, il était tireur d'élite (ou sniper, comme vous préférez) pour l'armée de l'Union. Il a traqué, il a tué. Un jour, la chance a tourné. Un confédéré l'a visé, l'a raté mais a fait éclater le magasin de son fusil - un fusil utilisé aussi pour tirer le bison. L'explosion l'a défiguré à tout jamais mais il a survécu. Depuis la fin de la guerre - nous sommes en 1867 - il s'est créé ne position en spéculant à New-York. Il a peu d'amis - il ne fait pas confiance. De plus, il porte désormais un masque de porcelaine blanche, avec deux trous pour les yeux mais aucun pour la bouche. Quand il veut manger en public, il pose un voile sur sa tête et alors seuleement, il enlève son masque ...

Et malgré tout ça, malgré son enfance, aux mains d'un oncle pédophile qui avait mis le marché entre les mains de sa mère : "Ou tu couches avec moi, ou je viole ton fils", malgré un certain nombre de choses que l'on apprend peu à peu, on se prend d'affection pour cet homme en apparence si froid mais d'une intégrité morale exemplaire. Car on peut aimer à tuer et être honnête.

Bartholomew a une maîtresse, une prostituée métisse, Jessie, qui parvient à le convaincre de sauver un certain nombre de petits enfants noirs qui, bien que l'esclavage n'existe plus en théorie, sont tout de même susceptibles de se retrouver prisonniers de tel ou tel sombre organisme - et bien loin des Etats confédérés, soyez-en certains.

Et tout cela se passe dans un New-York qui n'est pas encore "la Grosse Pomme" mais qui commence à enfler, à ne plus se sentir, à déborder. Les principes de l'aristocratie fondatrice, celle des planteurs de coton, ont été balayés par la guerre : place à la consommation, au capitalisme triomphant, à l'exploitation. Oh ! on a libéré les Noirs, oui ... Mais c'était pour les rassembler dans les quartiers les plus pauvres des villes du Nord, se donner bonne conscience en se disant qu'on avait fait une très bonne action et puis ... partir, s'en aller et les laisser là, avec leur misère.

Bartholomew utilisait un fusil pour tuer mais il y a tant de manière de tuer. Surtout, ne vous fiez pas aux apparences : les gentils ne sont jamais si vertueux qu'ils veulent le faire croire et les méchants ne sont pas tous des salauds.

Un grand livre, au charme discret et vénéneux, dont on ne saisit tout le désespoir et l'amertume que très lentement. En revanche, on ne l'oublie pas de sitôt. ;o)

mardi, décembre 18 2007

La Cloche de Détresse - Sylvia Plath

The Bell Jar Traduction : Michel Persitz

"La Cloche de Détresse" parut dans le monde anglo-saxon en janvier 1963. Un mois plus tard, Sylvia Plath mettait fin à ses jours.

Le fait d'avoir plongé au plus profond d'elle-même pour en extirper ce livre constitua-t-il pour elle un choc trop violent dont elle ne ressentit peut-être pas l'impact pendant qu'elle écrivait mais qui se révéla dans toute son ampleur après qu'elle eut autorisé son ultime enfants de mots et d'encre à prendre son envol sous la houlette des éditions Faber & Faber ?

Ou bien les réactions, très mitigées, des êtres de chair et de sang dont elle avait restitué le caractère dans ces pages accentuèrent-elles l'impression qu'elle traînait après elle de n'avoir jamais été réellement comprise et appréciée à sa juste valeur, la renvoyant à sa souffrance intime ?

Y eut-il d'autres facteurs comme la certitude, illusoire ou définitive, d'avoir atteint, avec "The Bell Jar", à l'ultime niveau de son talent ?

Quoi qu'il en soit, ce roman demeure un modèle d'analyse personnelle sans complaisance. Une fois encore, le miracle de l'écriture se fait sentir et le romancier s'approprie sans vergogne l'individu qu'il est aussi pour en faire l'un de ses personnages. Ce personnage, il l'examine sous toutes les coutures - on dirait de nos jours qu'il le scanne - et le restitue, avec l'intégralité de ses états d'âme, fussent les moins facilement compréhensibles. A ce jeu-là, c'est vrai qu'on peut se perdre et si la réussite de Plath l'écrivain est ici exemplaire, on peut comprendre que Plath la femme n'y est pas survécu.

Il faut dire que Plath n'a pas choisi la facilité : si elle dote bien évidemment son héroïne d'un Etat-civil à part entière (Esther Greenwood), elle ne peut s'empêcher de recourir au "Je" pour monter son texte. De plus, on sent bien qu'elle n'a rien oublié de son parcours de petite provinciale qui, ayant remporté un concours de poèmes organisé par une grande revue new-yorkaise, se trouve brutalement immergée, presque du jour au lendemain, dans un univers brillant mais superficiel qui l'agace et la charme tour à tour.

Quand, le séjour-récompense à New-York achevé, Esther-Sylvia prend le chemin du retour, le drame éclate : aux angoisses et aux sensations vertigineuses inspirées par un univers qui semble vaciller, succède une tentative de suicide et l'inévitable thérapie de choc, la seule pratiquée dans les années cinquante.

Certes, Sylvia Plath a tenu à achever son roman sur une note d'espoir et fait son héroïne quitter, pratiquement guérie, la clinique qui l'a accueillie après sa dernière rechute. L'espoir, il est vrai, s'ouvrait alors à la jeune fille puisque nous étions encore en 1953/1954, soit avant sa rencontre et son mariage avec Ted Hughes. Mais lorsque la romancière pose le point final à ce récit, dix ans se sont écoulés, elle connaît des problèmes de couple et a deux enfants. Pour elle, l'espoir n'est plus.

Juste avant de s'enfermer dans la cuisine et d'en calfeutrer la porte pour s'assurer que l'arrivée de gaz du four accomplirait correctement son office, Sylvia Plath prit la précaution de préparer, à l'intention de son fils et de sa fille, un goûter de pain et de chocolat. ;o)

lundi, octobre 22 2007

Mélodie du Temps Ordinaire - Mary McGarry Morris.

Songs in Ordinary Time Traduction : Daniel Bismuth

Nous sommes en 1960, à Atkinson, petite ville du Vermont, et c'est l'été. Après une espèce de "tour du lecteur" sur les différents personnages qui vont animer ce gros roman de plus de 1000 pages chez Pocket, l'auteur se fixe sur un petit garçon, Benjy, qui prend la fuite devant Sam Fermoyle, son ivrogne de père, alors en pleine crise d'affection paternelle.

Sam ne se soucie en effet de son ex-épouse, Marie, et des trois enfants qu'il lui a donnés, Norman, Alice et Benjy, que lorsqu'il a bu. Il vient alors tambouriner comme une brute à la porte de Marie en la suppliant de le reprendre et traque littéralement ses enfants par toute la ville afin de les accabler de témoignages d'amour plus embarrassants les uns que les autres. Quand il est à jeun par contre, Sam n'a que deux idées : a) trouver de l'alcool ; b) vivre sa petite vie sans se soucier des sentiments des autres.

Alors que, pour dépister son père, Benjy s'est jeté dans le bois voisin, le jeune garçon est témoin d'une scène que, sur le moment, il ne comprend pas très bien : deux hommes, un Blanc et un Noir, s'affrontent, puis le Noir s'effondre, comme une poupée de chiffon.

Quelque temps après, alors que Benjy joue dans la cour de sa maison avec son petit voisin, Louie, surgit devant eux le Blanc de la forêt, qui, tout en demandant à Benjy de garder le secret, lui affirme que deux hommes de couleur le recherche, lui, Omar Duvall, pour lui faire un mauvais parti, et qu'il ne faut surtout pas leur révéler qu'il est passé par là.

Ainsi s'instaure la complicité qui liera Benjy à Omar Duvall jusqu'au moment où celui-ci tentera de s'attaquer à l'un de ses proches. D'ici là, beaucoup de péripéties seront survenues et auront donné à Mary McGarry Morris l'occasion de nous dépeindre à nouveau une petite ville où, en ce tout début des sixties, pullulent préjugés et cancans.

Pas un instant, l'auteur ne lâche son lecteur qui, dès qu'il est contraint de se séparer de "Mélodie du Temps Ordinaire", n'a plus qu'une seule idée : en reprendre la lecture. Le style, pourtant, n'a rien d'exceptionnel mais on croit sentir, à travers la traduction française, que cette "platitude", cette façon d'enchaîner les tableaux sans se perdre dans les analyses des caractères, s'inspire en effet des grands maîtres sudistes.

Sur beaucoup de forums ou de sites littéraires, vous trouverez ce roman défini comme "noir." La chose continue à m'étonner car, contrairement à ce qu'il se passe par exemple avec "Une Femme dangereuse", il y a ici une fin "morale" et satisfaisante - sauf peut-être pour Marie, la mère, mais il faut bien avouer que cette femme-là, le lecteur hésite longtemps à son sujet : doit-on l'aimer ? l'admirer ? ou la haïr ? ... Un peu des trois sans doute.

Ne vous laissez donc pas prendre aux chants de ces sirènes qui vous prédisent un roman lugubre et même - je l'ai lu je ne sais plus où - "atroce." "Mélodie du Temps Ordinaire" est un bon roman qui présente en outre une analyse particulièrement intéressante du tempérament d'un escroc, d'un joueur, d'un looser en somme, qui, insensiblement, se révèle capable de tuer. Bonne lecture ! ;o)

L'Homme Aux Pistolets - James Carlos Blake. ( III )

The Pistoleer Traduction : Danièle & Pierre Bondil

       
                     John Wesley Hardin dans sa jeunesse.

Un site anglophone sur John Wesley Hardin.

L'Homme Aux Pistolets - James Carlos Blake. ( II )

The Pistoleer Traduction : Danièle & Pierre Bondil

Avec une impartialité absolue, James Carlos Blake nous représente l'ambiguïté foncière du personnage. On peut même dire que l'écrivain n'est pas tout-à-fait convaincu par la légende qui assure que jamais John Wesley Hardin ne tira sur un homme autrement que pour se défendre.

Son héros est un superbe animal capable de raison mais qui, souvent, la perd et se laisse griser par l'odeur du sang. On sent bien la jouissance qui est la sienne quand il tue et, très souvent, même si Blake ne le dit pas, Hardin apparaît au lecteur comme l'ancêtre de certains tueurs en série, ceux qui compartimentent leur vie sans efforts et sont aptes à mener une vie pour ainsi dire normale tout en assassinant sans remords, par goût, par plaisir.

En arrière-plan, bien sûr, non seulement la Guerre de Sécession et son cortège d'horreurs mais aussi, mais surtout, la Reconstruction telle que la voulut l'Union, c'est-à-dire une humiliation et une insécurité constantes pour les Sudistes vaincus. Bien loin de pacifier les rancoeurs entre Blancs et Noirs, les Nordistes se sont complus à les alourdir, à les rendre encore plus sauvages. Et même si l'on ne souscrit pas à leur idéologie, on doit admettre que le Ku-Klux-Klan ou les John Wesley Hardin ou encore les frères James sont bel et bien nés de ce mépris de l'Union envers les gens du Sud et leur mode de vie.

Un roman-biographie étonnant qui se lit comme on regarderait un western de Sergio Leone : du sang, de la poussière, de la folie et des hommes qui vont jusqu'au bout d'eux-mêmes, même si c'est droit en enfer. ;o)

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