American Pastoral Traduction : Josée Kamoun

Peu de personnages de papier et d'encre atteignent, en littérature, le degré d'humanité qui est celui du héros de ce livre, Seymour Levov, dont la traduction française de l'ouvrage de Philip Roth nous garantit que son prénom, Seymour, rime avec "amour." Au contraire du Coleman Silk de "La Tache" par exemple qui, en vrai battant, est capable d'accommodements terribles avec le ciel pour garantir sa survie dans une Amérique multi-ethnique, Seymour Levov est incurablement bon et, par là même, cherche toujours à faire plaisir à ceux qu'il aime - au détriment de son propre bonheur et de ses goûts personnels.

Il n'y a guère que pour son premier mariage, avec une Irlandaise catholique prétendante au titre de Miss New Jersey, qu'il ne suit pas tout-à-fait la voie que souhaitait lui voir emprunter son père. Car Seymour, comme les héros de Philip Roth, est né juif.

De son héritage sémite, son physique n'a pourtant retenu aucun trait : grand, blond aux yeux bleus, les traits réguliers, l'allure athlétique du joueur de base-ball made in America, il s'est d'ailleurs vu surnommer très jeune "le Suédois" par ses condisciples - et le surnom lui est resté.

Nathan Zuckerman, s'entretenant avec lui autour d'une bonne table au tout début du livre, non seulement l'appelle mais le voit toujours ainsi, comme le séduisant "Suédois" dont tout le monde savait déjà, alors qu'il n'avait pas dix ans, que la vie lui sourirait jusqu'à l'Eternité.

Pourtant, au fur et à mesure que Zuckerman s'enfonce au coeur du destin du Suédois, il va découvrir que les beaux sourires du Destin n'étaient que des leurres et que les cartes distribuées au Suédois étaient faussées pratiquement dès sa naissance.

Tout s'est joué pendant son premier mariage, une parfaite réussite tout d'abord, l'union de deux jeunes gens beaux et charismatiques, couronnée par la naissance d'une adorable petite fille, mais qui, à l'adolescence de celle-ci dans une Amérique divisée par la question du Viêt-nam, va virer au cauchemar ...

Ce livre dense et superbement écrit m'a maintes fois donné ces sensations à la fois exaltantes et angoissantes que l'on ressent lorsqu'on lutte contre un vent trop puissant : on se sent prêt à décoller du sol, à se fondre dans la tempête qui rôde, on n'a plus de souffle et on ne sait pas si on le retrouvera.

Dans cette "Pastorale américaine" et dans l'histoire de l'enfant perdue de Seymour Levov, palpite cette grandeur simple et noble qui est l'apanage des tragédies grecques, shakespeariennes ou encore raciniennes. Le poids de l'Histoire y fracasse l'individu et, sorti de la tourmente, celui-ci ne sera plus jamais le même : il restera à jamais amputé. Quand l'individu en question est un prince ou un politique, le lecteur peut se dire qu'il s'agissait là des risques de la fonction. Mais quand il s'agit d'un être aussi dépourvu d'égoïsme que Seymour Levov, son calvaire devient le nôtre. ;o)