The Good Earth Traduction : Théo Varlet

A vingt ans, j'étais passée, je m'en rends compte aujourd'hui, complètement à côté de ce roman qui est un grand roman, un roman fort. Son auteur s'y est en outre essayée à un style à la fois simple et rythmé, un peu lancinant parfois, plus en rapport, selon elle, avec la culture chinoise qui constitue le thème central de l'ouvrage.

Ce livre est le premier tome d'une trilogie, communément appelée "Trilogie de la Terre chinoise" en français et destinée à retracer l'histoire d'une famille d'origine paysanne sous trois générations.

Aux racines, ainsi qu'on le constate dès la première page, Wang Lung, le héros, n'est qu'un pauvre paysan qui, orphelin de mère, s'occupe activement de son vieux père, désormais trop peu valide pour aller cultiver avec lui le maigre champ qu'il possède près de leur maison en terre.

Mais, pauvre ou pas, dans la Chine ancienne, un fils se doit de procréer à son tour au moins un fils, afin que le culte des ancêtres soit sauvegardé. Et Wang Sr s'est entremis auprès de la grande famille Hwang afin que son fils puisse obtenir comme épouse l'une des esclaves de cuisine de la vaste demeure. Il l'a exigée laide car, selon lui, un paysan n'a pas besoin d'une jolie femme qui ne se préoccuperait que de ses toilettes et de sa beauté là où il lui faudrait plutôt tenir la maison, faire la cuisine, etc ... enfanter, bien sûr, et même travailler la terre aux côtés de son mari. Après un court moment de révolte, Wang Lung s'est incliné et, le jour où débute le roman, il s'apprête pour aller chercher sa future femme.

Celle-ci, O-Len, hommasse, courageuse et taciturne, constitue l'autre pilier de ce livre. En elle, Pearl Buck a amassé tous les malheurs susceptibles de s'abattre en Chine sur les femmes, surtout si elles ne pouvaient compter sur leur beauté pour s'en sortir. Pourtant, dans la première moitié du roman, Wang Lung se montre bon pour sa femme qui, il faut bien le dire, le soutient dans les épreuves telles que la misère, la famine et l'exil avec un courage exemplaire. C'est même grâce à sa connaissance des us et coutumes des riches qu'il parviendra à acquérir suffisamment d'argent pour acheter sa première terre.

Mais avec l'opulence, vient l'oisiveté. Certes, Wang Lung, paysan avant tout, voue à la terre une passion telle qu'il ne peut s'en éloigner plus d'une demi-journée mais comme son ascension sociale le contraint à avoir désormais plus d'ouvriers agricoles qu'il n'en peut compter, il arrive qu'il soit abandonné à lui-même. Et c'est alors que, regardant pour la première fois son humble épouse comme un homme regarde une femme, il se prend de dégoût pour elle et se met en tête d'avoir une concubine.

Cette concubine, Lotus, il va la chercher là où, à l'époque, se recrutaient en général beaucoup de "secondes épouses" : la maison de thé la plus proche. Très vite, il l'installe chez lui mais - il en loue le ciel lui-même - elle n'a pas d'enfant susceptible de créer des bisbilles avec ses enfants du premier lit et s'enfouit douillettement dans le confort de sa vie de femme mariée et honorable.

Wang Lung ne saisira la profondeur des liens qui l'unissaient malgré tout à O-Len que lorsque celle-ci, rongée par une "maladie d'entrailles" qui fait penser au cancer, s'éteindra. Il la fera enterrer somptueusement, ainsi qu'il convient à la Première épouse d'un propriétaire foncier, en compagnie de son vieux père, décédé peu après sa belle-fille.

Et c'est alors que l'ancien paysan pauvre et timide, devenu, par la puissance de son travail et une bonne dose de chance, le nouveau propriétaire de l'ancienne maison des Hwang, prend conscience du temps qui s'écoule, lent, inexorable ...

Même si l'on connaît déjà l'histoire - notamment si l'on a vu le film "Visages d'Orient", avec Paul Muni et Luise Rainer - on ne décroche pas un instant de ces pages où l'action se déroule sans un seul temps mort et pourtant sur un rythme paisible n'ayant rien à voir avec nos habitudes. Au premier plan, bien sûr, l'ascension de Wang et des siens, une histoire somme toute intimiste. Mais en arrière-plan, planté de manière à nous restituer la manière qu'avait un paysan chinois de cette époque de se représenter le monde qui l'entourait, un décor social où germent et tremblent les grands bouleversements qui vont transformer la Chine à jamais.

Signalons que "La Terre Chinoise" a obtenu le Prix Pullitzer 1932.