Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Epouvante, Terreur & Insolite.

Fil des billets

dimanche, août 26 2007

La Chambre dans la Tour - Edward F. Benson.

The Room in the Tower & Other Stories Traduction : Jacques Finné

C'est dans la collection "Le Masque Fantastique" qu'ont été regroupées et publiées, dans les années 70, ces dix nouvelles de Edward F. Benson.

Le volume s'ouvre en beauté sur l'inoubliable - je ne plaisante pas et surtout, ne la lisez pas avant de vous endormir, c'est un conseil avisé, croyez-moi ! - "Chambre dans la Tour", variation astucieuse sur le cauchemar et le vampirisme qui, de l'avis général, demeure le chef-d'oeuvre de son auteur.

Le thème en est simplissime - en apparence : invité par un ami dans sa maison de campagne, un homme se voit attribuer une chambre dans une tour. Or, cette chambre, il l'a déjà vue maintes fois dans un cauchemar récurrent ...

Autre nouvelle, de très grande qualité, et périodiquement reprise elle aussi dans la littérature spécialisée : "Le Visage" où se mêle la encore le cauchemar et une forme de vampirisme. C'est la seule nouvelle d'ailleurs de Benson d'ailleurs où le personnage féminin soit considéré comme une victime potentielle - le plus souvent, c'est la femme qui agresse.

Au coeur du "Visage" donc, un autre cauchemar récurrent, fait celui-là par Heather, l'héroïne. Un jour, à un vernissage, elle découvre sur une toile le visage de l'homme qui hante ce rêve ...

Sensiblement plus long et voué aux cultes démoniaques, "Le Sanctuaire", dont on devine qu'il a dû réjouir Lovecraft - lequel mourut un an avant Benson - et bien entendu "Negotium Perambulans." (On peut penser que "Le Sanctuaire", qui met en scène un religieux corrompu, constitue une attaque directe contre le catholicisme.)

A citer encore, l'inquiétant "Mrs Amsworth" qui puise là encore aux sources du vampirisme.

Les autres nouvelles m'ont moins touchée. Il n'en reste pas moins vrai que ce petit recueil est digne des meilleurs bibliothèques. A bon entendeur ! ;o)

Edward Frederick Benson.

Fils de Edward White Benson, qui fut archevêque de Cantorbery de 1883 à 1896, Edward Frederick Benson partagea avec ses frères, Arthur Christopher et Robert Hugh, un goût prononcé pour les histoires fantastiques.

Arthur est en effet l'auteur de quelques ighost stories/i qui mériteraient une traduction française et Robert, qui se convertit au catholicisme et devint même le camérier de Pie X, laissa des nouvelles ("The Mirror of Shalott") et un roman ("The Necromancers") basés sur l'occulte.

En France, c'est Edward qui a raflé la mise auprès des traducteurs. Comme l'oeuvre de ses frères, ses nouvelles portent l'empreinte du péché et de la religion mais chez lui, la chose est cependant plus subtile.

Né à Wellington en 1867, il fait d'excellentes études à King's College, puis s'en va en Egypte pour participer à des fouilles archéologiques. Il visite également la Grèce et l'Italie. Avec l'âge, il regagne son Angleterre natale où il finira maire de la ville de Rye et où il habite la Lamb House de Henry James. Il décède en 1940 après avoir consacré sa vie à une écriture qui ne fut pas toujours dirigée vers le fantastique, comme un coup d'oeil à ce site (anglophone) vous en convaincra.

Ses nouvelles d'épouvante ont été très souvent reprises dans les anthologies de littérature fantastique, notamment la célébrissime (et remarquable en tous points) "Chambre dans la Tour" et le moins réussi "Negotium Perambulans.";o)

    

mercredi, août 22 2007

Les Oiseaux - Daphné du Maurier.

The Birds Traduction : Denise Van Moppès et Florence Glass

A lire ces sept nouvelles de l'écrivain britannique, je me surprends une fois encore à affirmer que son talent, confiné il est vrai aux "histoires d'amour" classiques, est resté en jachère. Car il y a ici, c'est indubitable, une puissance dans l'imagination et dans l'insolite qui fait de Daphné du Maurier l'égale d'un Matheson - et je pèse mes mots.

A mille lieues du clinquant hollywoodien, la nouvelle qui servit de base au film d'Hitchcock y gagne en économie dans la suggestion de l'horreur pure. Tout ici se situe dans la paisible campagne anglaise, non loin des côtes cependant, ce qui permet au héros de voir les mouettes aller se resourcer sur l'écume des vagues avant de reprendre leur assaut contre les humains. Maurier a en effet l'habileté de présenter les attaques des oiseaux comme étant guidées par la marée, ce qui laisse aux hommes, pour peu qu'ils en aient l'intelligence, le temps de se constituer des provisions et de se barricader chez eux avant que la mort emplumée ne déferle à nouveau sur eux. Tous hélas ! n'auront pas cette sagesse ...

Mais je crois que c'est au "Pommier" et à "Une Seconde d'Eternité" que je donnerais la palme au sein de ces nouvelles qui évoquent plus souvent le Bradbury du "Pays d'Octobre" que les excès sanglants de l'épouvante classique moderne.

Le premier met en scène un veuf qui acquiert peu à peu la certitude que sa femme disparue, Midge, s'est en quelque sorte réincarnée dans un pommier malingre, lequel, tout aussi insidieusement, va envahir son jardin. Mais la subtilité de l'auteur est telle que non seulement le lecteur finit lui-même par s'en convaincre - ce qui est l'effet recherché, m'objecterez-vous - mais aussi - ce qui est plus ennuyeux pour le héros - qu'il finit par prendre fait et cause pour le pommier - et pour la disparue.

Quant à "Une seconde d'éternité", c'est probablement l'une des meilleures variations sur le thème du spectre condamné à revivre sa mort qu'il m'ait été donné de lire.

Lecture faite, on se prend à rêver au roman fantastique que Daphné du Maurier n'a jamais produit ... ;o)

mardi, août 21 2007

Julia - Peter Straub.

Full Circle Traduction : Franz Straschitz

N'ayant toujours pas trouvé une édition de "Ghost Story", je me suis rabattue sur "Julia", un roman bien moins épais sur le thème de la hantise.

Sujet délicat que celui des fantômes dans la littérature d'épouvante. A côté de chefs-d'oeuvre comme "Le Tour d'Ecrou" de Henry James, "Maison Hantée" de Shirley Jackson, "Les Pirates fantômes" d'Arthur Machen ou encore, dans le genre nouvelle, "L'Accident" et "La Limousine Bleue" de Ann Bridges, on croise le plus souvent des couacs sinistres, y compris chez des auteurs universellement reconnus comme Richard Matheson.

La bonne histoire de fantômes est celle qui autorise deux, voire trois niveaux dans la lecture. Aussi une manoeuvre commune à bien des auteurs est-elle de prendre pour héros ou pour héroïne une personnalité fragile. Si celle-ci émerge à peine d'une clinique soignant les troubles nerveux, c'est l'idéal. Mais, même en l'absence de clinique, il faut des troubles du comportement, une tendance maladive à se réfugier dans des rêves toujours plus agréables que la réalité et, éventuellement, une addiction à l'alcool ou aux stupéfiants.

Et puis, bien sûr, il y a la chute de l'histoire, destinée à déstabiliser un lecteur que l'écrivain, sournois certes mais passé maître en son art, a peu à peu amené à se considérer comme omniscient.

Dans "Julia", Peter Straub matérialise en quelque sorte cette omiscience avec le personnage de Lily, la belle-soeur de l'héroïne. Contrairement à Julia, Lily Lofting a la tête sur les épaules et ne s'en laisse pas facilement conter. Les séances d'occultisme qu'elle aime à organiser autour de la medium Rosa Fludd ne changent rien à l'affaire : Lily n'oublie jamais un seul instant que le monde des esprits se plie lui aussi à un arsenal de règles tout aussi rigides que celles qui régissent les mortels.

Aussi, dès le départ, prend-elle les récits que lui fait Julia sur sa nouvelle maison pour le simple reflet de la dépression dans laquelle l'a plongée la perte de sa fille, Kate, morte des suites d'une trachéotomie pratiquée en urgence par son père et sa mère.

C'est avec une consternation croissante que Lily assistera à la désagrégation vertigineuse de Julia. En vain essaiera-t-elle de la convaincre de regagner le domicile conjugal que la jeune femme avait préféré quitter pour cette maison ridiculement trop grande et située Kensington. En vain essaiera-t-elle aussi de la détourner de l'enquête qu'elle entreprendra sur le drame qui s'était déroulé là trente ans plus tôt : une demi-mondaine, Heather Rudge, avait poignardé à mort sa fillette de dix ans, Olivia.

Mais rien n'y fera. Julia s'entêtera - Julia s'acharnera à se détruire. Le temps d'une soirée ou deux, Lily finira d'ailleurs, sous le coup de la révélation de l'identité du père d'Olivia, par voir dans cette auto-destruction la main désincarnée d'un esprit vengeur. Mais la lettre découverte auprès du cadavre de Lily après son suicide viendra heureusement la conforter dans la certitude de la folie de sa belle-soeur ...

Certitude qu'elle conservera jusqu'à la chute du roman que je vous laisse à découvrir en vous prévenant cependant que "Julia" est loin d'être un grand roman et que son auteur est décidément plus à l'aise dans le bon gros "pavé." ;o)

jeudi, août 16 2007

La Fête du Maïs - Thomas Tryon.

Harvest Home Traduction : Mireille Davidovici.

Je l'ai lu quand j'avais 14/15 ans et j'en étais sortie horrifiée. Aujourd'hui, avec l'âge, je le vois surtout comme une sorte de contraire des "Femmes de Stepford" d'Ira Levin mais je continue à le trouver extrêmement misogyne (il y aurait beaucoup à dire, de toutes façons, sur le matriarcat américain) mais aussi inférieur au "Visage de l'Autre", du même auteur.

Théodore (dit Ned) et Bethany (dite Beth) Constantine (nom d'origine grecque qui constitue une sorte de clin d'oeil affreusement noir, on s'en rend compte à la fin du roman) ont une fille d'une douzaine d'années, Kate, que la vie citadine (et certains différends entre ses parents) ont rendue allergique à presque tout. Aussi décident-ils de s'installer à la campagne, très précisément à Cornwall Coombe, petit village retiré de la Nouvelle-Angleterre. Ils y achètent une maison superbe à la postière du coin, Tamar Penrose, descendante des fondateurs de la communauté.

A vrai dire, comme c'est d'ailleurs le cas dans nombre de villages, américains ou non, quelques grandes familles se partagent l'histoire du lieu. Avant tout ici les Penrose, lesquels semblent s'être unis au cours des siècles à pratiquement toutes les autres familles de Corwall.

Autre figure représentative du lieu : la veuve Fortune, qui gère seule la ferme que lui a léguée son mari, mort il y a déjà pas mal d'années. Aimable, énergique, posée, se promenant toujours avec une large paire de ciseaux pendue à sa ceinture afin de couper là une mauvaise herbe, ici tout bêtement un bout de tissu ..., la veuve Fortune fait beaucoup pour que les Constantine finissent par s'adapter au village - ou, plus exactement, pour que le village s'adapte à ces nouveaux venus.

C'est elle qui, la première, leur explique certains rituels propres au bourg comme, par exemple, la foire d'Agnès, qui doit son nom, selon la légende, à une jeune fille qui osa un jour maudire la récolte. Sous le poids du remords, l'esprit d'Agnès - laquelle avait trouvé la mort entretemps - revint plus tard donner aux malheureux villageois une recette qui les garantirait à jamais de la détresse et surtout de la Famine.

Pourtant, treize ans auparavant, Ned l'apprend le premier, quelque chose s'est passé qui aurait pu ramener la pénurie. Quelque chose ayant un rapport avec l'élection du Seigneur du Maïs - un jeune homme que l'on désigne tous les sept ans - et son "mariage" rituel avec la Dame du Maïs lors de la traditionnelle Fête de la Moisson.

Esprit trop curieux, qu'étonne peu à peu des incidents survenus çà et là ainsi que des propos contradictoires entendus au hasard de ses flâneries, Ned n'aura de cesse de connaître la véritable histoire de cette Fête des Moissons qui tourna si mal. Et quand il commencera à se faire une idée exacte de ce que dissimulent en réalité les rituels agricoles de Cornwall Coombe, il signera ainsi non son arrêt de mort mais bien pire.

Un bon roman d'épouvante, très bien mené mais dont les ficelles paraissent tout de même infiniment plus grosses que celles utilisées dans "Le Visage de l'Autre." A titre anecdotique, son auteur, Thomas Tryon, qui débuta en tant que comédien, tint le rôle-clef dans "Le Cardinal" d'Otto Preminger. ;o)

lundi, août 13 2007

Femmes & Fantômes - Alison Lurie.

Women & Ghosts Traduction : Céline Schwaller

Dans "Femmes & Fantômes" paru aux éditions Rivages Poche, neuf nouvelles où sont analysées, dans des contextes très différents, les relations entretenues par une héroïne avec un ou plusieurs "fantômes." Certains de ces spectres appartiennent effectivement à l'Au-delà. Trois d'entre eux cependant relèvent plus de la psychose qui afflige le personnage principal._

Sans hésiter, c'est à "La Commode" - la troisième nouvelle en fait - que vont mes préférences personnelles. Une quinquagénaire un peu excentrique et qui estime que tous les meubles ont une âme recueille chez elle une commode qui, pourtant, selon le testament de sa tante, ne devait pas lui revenir. Au début, tout se passe relativement bien, tant qu'on n'énerve pas la commode. Mais un jour ...

Autre excellente nouvelle bien fantastique : "Les Gens de la Piscine" où des ouvriers renvoyés par une femme très riche mais trop snob ... Mais je vous laisse découvrir l'histoire.

Pour être honnête, l'intégralité de ces nouvelles sont d'un très haut niveau. Allison Lurie sait manier de façon remarquable le non-dit et le sous-entendu. Son style est par ailleurs très poétique. Quant à sa faculté d'analyse des caractères, je l'ai trouvée à la fois très profonde et très particulière.

Bref, ce petit livre est bune véritable gourmandise pour tous ceux qui ne détestent pas qu'une pincée de fantastique saupoudre ici et là leurs lectures. A noter qu'il n'y a jamais rien de gore ou de sanglant, bien au contraire. Non, c'est beaucoup plus insidieux ... ;o)

Une authentique découverte. Je n'ai qu'un regret : de ne pas l'avoir faite plus tôt.

samedi, août 11 2007

Histoires Anglo-Saxonnes de Vampires - Collectif.

Voici un ouvrage d'une qualité exceptionnelle qui fut publié à la fin des années 70 à la Librairie des Champs-Elysées par Jean Marigny (avec une préface de Maurice Lévy).

Au programme, vingt nouvelles traitant du vampire sous toutes ses formes : le vampire classique, à la Christopher Lee ; le vampire psychique ; les lamies (vampires féminins apparentées aux goules asiatiques) ; les plantes vampires ; les monstres vampires ; le bestiaire vampire et enfin, la nouvelle génération de vampires.

Si l'on excepte "Le Cocon" de John B. Goodwin et la fameuse "Guerre du Lierre" de David H. Keller, sans doute aussi le malicieux : "Du sang !" de Fredric Brown, ces nouvelles ne sont pas fréquentes dans les anthologies du genre. D'où leur valeur.

Ma préférée reste "Le Visage", d'Edward F. Benson, l'un des plus grands spécialistes du genre (sa "Chambre dans la Tour" a été reprise dans l'Anthologie du Fantastique de Roland Stragliatti, chez Pocket, au volume : "Histoires de Cauchemars") où une jeune femme se remet, sans raisons apparentes, à faire un rêve qui l'effrayait beaucoup enfant. Jusqu'au jour où, tels les fantômes du "Nosferatu" de Murnau, le rêve vient à sa rencontre ...

Je donnerai ensuite ma préférence aux "Tourbillons de Neige" d'August Derleth, ami, disciple et éditeur de Lovecraft. Le texte est proprement claustrophobique. Je tiens à préciser toutefois qu'il ne se rattache en rien au mythe de Chthulu et qu'il s'agit d'une classique histoire de vampires.

Autre disciple et ami de Lovecraft dont l'oeuvre a contribué à la qualité de cette anthologie, Robert E. Howard, connu des amateurs pour avoir créé le personnage de Conan le Cimmérien, et qui se suicida au lendemain de la mort de sa mère. _Son "Tertre maudit" restitue à merveille la splendeur à la fois macabre et baroque de son génie.

"La Cape", de Robert Bloch, est une nouvelle très bien construite et doublée d'un humour noir à toute épreuve.

Parmi les vampires psychiques, j'ai un très gros faible pour "La Belle Dame", de D.H. Lawrence, qui réécrit une relation oedipienne très mal digérée, là encore faufilée d'un humour grinçant d'excellente tenue.

Nul humour mais de la terreur pure dans "Dieu fasse qu'elle repose en paix !" de Cynthia Asquith. C'est l'éternelle histoire d'un corps par lequel un mort veut revivre la vie qu'il a perdue trop tôt mais étrangement dignifiée par la poésie douloureuse dont l'auteur a imprégné son texte.

Mystère et horreur pour "L'Araignée" d'Elisabeth Walter - un cauchemar machiste, peut-être ? ;o) - et "Le Cocon" de Goodwin : au lecteur de décider qui est qui ... ou quoi et qui a vu quoi.

"En quête de quelque chose à sucer" de Ronald Chetwynd-Hayes nous fait tomber dans une terreur à la fois primitive et sophistiquée- qui rappellera aux cinéphiles aussi bien "La Chose" de Carpenter que tous les films sur les "Blorps" et autres ennemis tapis dans l'ombre et ne rêvant que de digérer l'être humain.

Enfin, le très court et caustique "Du Sang !"démontre une fois de plus combien Fredric Brown savait être efficace et pétillant - aussi pétillant que du sang bien rouge, peut-être ...

Quant aux nouvelles que je n'ai pas citées, je suis certaine que, même si elles ne m'ont pas accrochée autant que les autres, elles trouveront leur public auprès de vous qui me lisez.

Je le répète : l'anthologie de Jean Marigny est une anthologie de grande valeur pour l'amateur. Autant, à mon sens, que celle de Caillois, c'est tout dire. Lisez et vous m'en direz des nouvelles. (N'oubliez ni lapréface, ni l'introduction : elles sont fabuleuses.) ;o)

jeudi, août 9 2007

Les Plumes du Corbeau & Autres Nouvelles Cruelles - Jehanne Jean-Charles.

Chose étrange, je n'ai pratiquement rien trouvé sur l'auteur sur le Web. Quant à ma vieille édition de poche - qui date de 1975 - elle rappelle que Jehanne Jean-Charles écrit peu (un roman, "La Virole" chez Julliard et "Le Livre des Chats" chez Stock) et que les nouvelles rassemblées dans le volume ont été publiées en 1962 et 1964. En 1972, Robin Davis portait à l'écran "Une méchante petite fille" tandis que, un an plus tard, c'était au tour d'Olivier Ricoeur d'adapter "Le bonheur d'être père." Donc, si vous, vous avez des renseignements, n'hésitez pas à les poster. Car ce serait faire injure au talent de Jehanne Jean-Charles que de ne pas lui faire toute la publicité possible.

Ce recueil de nouvelles, dont l'essentiel sont soit insolites dans le style de Matheson, soit carrément fantastiques, porte en fait le titre suivant : "Les plumes du corbeau et autres nouvelles cruelles." Et c'est vrai que la cruauté s'y tapit à chaque chute, ou presque. Mais elle le fait avec tant de grâce et de naturel qu'on ne lui en veut absolument pas.

Pourtant, quoi de plus horrible par exemple que "Parallèlement" ? On y voit mourir un nouveau-né souffrant, semble-t-il, d'un mal inexplicable. "Une méchante petite fille" atteint, dans sa perfection, au niveau de "La Robe de soie blanche" ou encore "Journal d'un monstre" de Matheson. Si "Un tour de jardin" se termine bien pour l'héroïne - avec laquelle le lecteur n'a aucune peine à sympathiser - elle n'en demeure pas moins quelque chose de très noir.

"Qui vous êtes ?", "Le fil de la vierge" et "La Générale" sont, certes, de facture plus classique et l'amateur de nouvelles d'épouvante devine la fin avant que celle-ci s'accomplisse : mais peu importe puisque son plaisir demeure. D'autres évoquent le Saki de "Shredni Vashtar" : ce sont "Les Fourmis Dorées" par exemple ou bien "Le Cheval Noir" et "Le petit garçon qui s'ennuyait." D'autres, tels "Les Biens de ce monde", "Ne soyons pas sectaires" ou "And so on" se contentent tout simplement d'une réalité peinte à l'humour noir - et le malaise n'en est que plus grand.

En tout soixante-dix nouvelles que vous ne trouverez, j'en ai peur, que chez les bouquinistes ou dans les bibliothèques. Une réédition s'imposerait mais quand viendra-t-elle ? Vivement une manif de lecteurs mécontents pour l'exiger ! ;o)

mercredi, août 8 2007

Les Nouvelles de Montagu R. James.

Je viens de relire toutes les nouvelles de M. R. James que j'ai récoltées au gré des volumes d'anthologie.

La première, celle qui devait faire de moi une inconditionnelle de ce très grand mais tout aussi méconnu auteur fantastique, s'intitule "Le document secret." Je l'ai découverte quand j'avais 14/15 ans, dans les "Histoires abominables" présentées par Alfred Hitchcock (Livre de Poche) et c'est probablement la nouvelle de James la plus reproduite dans les anthologies françaises avec son "Comte Magnus."

L'argument (assez vengeur chez un écrivain) en est le suivant : suite au refus essuyé par son rapport "La Vérité de l'Alchimie" dont il aurait aimé faire la communication devant les membres d'une très savante et très sérieuse association, le mystérieux Mr Karswell cherche à s'enquérir de l'identité du "lecteur" qui a déclaré son manuscrit indigne de toute communication. Bien entendu, l'association en cause refuse de la lui confier. Mais Mr Karswell est opiniâtre et rancunier. Et c'est le début du cauchemar pour le paisible Mr Dunning qui se rendra compte que, si Mr Karswell était un très mauvais rapporteur, il n'en était pas moins un redoutable initié à la magie noire ...

C'est de cette nouvelle, particulièrement efficace mais qui trouve tout de même une heureuse conclusion, que s'inspira Jacques Tourneur pour le film cité ci-dessus.

Avec "Le comte Magnus", l'atmosphère s'avère tout aussi étouffante. Un gentleman anglais, Wraxhall, désireux de faire de conter ses souvenirs de voyage en Europe du Nord, prend diverses notes qui, par une astuce de l'auteur que je ne dévoilerai pas, finissent par atterrir entre les mains du narrateur, lequel nous détaille toute l'histoire quarante ans après les événements.

Au cours d'un séjour dans la ville de Rabäck, dans le Jutland, Wraxall séjourne chez les La Gardie, vieille famille suédoise dont le fondateur était un terrible bonhomme, le comte Magnus, personnage cruel, cordialement détesté de ses paysans (et des autres) et soupçonné de son vivant d'avoir effectué on ne sait trop où le "Pélerinage Noir" dont il aurait d'ailleurs rapporté quelque chose ou quelqu'un.

Fasciné par l'histoire du comte, Wraxall se fait montrer le caveau familial où le sarcophage dans lequel repose le comte Magnus est clos par trois serrures. C'est ici qu'intervient pour son malheur l'innocente manie qu'a le héros de parler tout seul : il s'adresse au comte, l'assure une première fois du désir qu'il aurait eu de faire sa connaissance. Wraxall juge lui-même sa manie puérile et se gausse de lui-même dans son journal tout en notant un fait curieux : alors qu'il quittait le caveau, il avait entendu un bruit métallique et constaté que l'un des cadenas fermant le sarcophage était tombé à terre.

Deux fois encore, Wraxall retournera dans le caveau. Deux fois encore, un démon le poussera à parler à ce défunt qu'il admire bien inconsidérément. Mais, la dernière fois, le pauvre homme s'enfuira sans demander son reste car, après avoir entendu le troisième cadenas résonner sur les dalles, il avait cru voir le couvercle se soulever ...

La fin se devine mais il faut lire la nouvelle et s'incliner devant l'art de M. R. James, pour lequel Edmond Jaloux, dans sa préface aux "Histoires de fantômes anglais" chez Gallimard, manifestait déjà toute son admiration.

Troisième et dernière nouvelle à lire absolument : "La chambre n° 13." Ici, nous sommes au Danemark, dans une auberge où, selon la coutume en vigueur dans certains pays du Nord, il n'existe pas de chambre portant le numéro fatidique. Le narrateur se voit d'ailleurs offrir la chambre 12, vaste pièce qui satisfait son goût du confort. Pourquoi faut-il donc que, la nuit venue et les lumières éteintes, cette chambre lui paraisse soudain avoir diminué de moitié ? Illusion ou réalité ? Et qui est cet étrange voisin qu'il entend danser et chanter tard dans la nuit au point qu'il s'étonne que l'aubergiste ne monte pas le prier de cesser son tapage? Tout d'abord, il s'imagine qu'il s'agit du voyageur du 14, un avocat allemand. Jusqu'au soir où celui-ci débarque au numéro 12, sûr et certain pour sa part d'avoir trouvé l'auteur du vacarme qui l'empêche lui aussi de dormir ...

De menu détail en suggestion subtile, cette nouvelle (peut-être la plus achevée des trois parce qu'elle est celle qui en dit le moins et en sous-entend le plus), frôle la perfection que recherche tout conteur, fantastique ou pas.

Mais quelle que soit celle que vous élirez en premier, n'oubliez pas qu'aucune d'elle n'est à lire trop tard le soir.

samedi, juillet 21 2007

Walhalla - Graham Masterton.

The House That Jack Built Traduction : François Truchaud

Craig Bellmann, brillant avocat en droit international, est un homme surbooké, un self made man certes amoureux de sa femme, Effie mais qui court volontiers le guilledou avec des maîtresses de 19 ans qu'il entretient sur un grand pied. Oh ! oui ! Craig Bellmann sait compartimenter sa vie.

Craig est aussi un homme irascible. Un soir de pluie, après une dispute avec un chauffeur de taxi d'origine orientale, il plante là le bonhomme et tente de se rendre à pied à un rendez-vous important. Mal lui en prend : appelé au secours par une voix de femme, il se fait dépouiller par deux malfrats drogués dont l'un lui écrase un testicule avec un marteau.

Craig sombre alors dans des abîmes de dépression. Ce qui peut se comprendre, évidemment. Pour l'en sortir (ou essayer), Effie l'entraîne pour de courtes vacances dans la vallée de l'Hudson, là où elle vivait jadis avec son père.

Et c'est là, au détour d'un virage, tout au bout d'un panneau en mauvais état mentionnant "Walhalla", le nom du Paradis des dieux scandinaves, que la vie de Craig Bellmann va basculer complètement.

Pour cette demeure formidable - au sens hugolien du terme - il a un coup de foudre immédiat. Les réparations représenteront une quantité astronomique de dollars ? Qu'importe : Craig vendra sa part dans son cabinet d'avocats. Effie se sent mal à l'aise dans les ruines de Walhalla ? Ce n'est pas grave : elle l'aime toujours, il la convaincra.

Il achète cependant la maison sans le lui dire, la mettant ainsi devant le fait accompli.

Surtout, il se passionne pour les réparations. Son énergie, que l'ablation du testicule écrasé avait expédiée au trente-sixième dessous, ressuscite mais en dix fois, en vingt fois, en cent fois, semble-t-il, plus intense. Son goût pour le sexe également. Son optimisme ne craint plus rien. Craig se sent fort, terriblement, merveilleusement fort ...

Pendant ce temps, Effie entend des sanglots de femme dans l'une des chambres jadis réservées aux amis de celui qui fit construire Walhalla, le milliardaire Jack Belias. Dans l'escalier, elle aperçoit un homme qu'elle n'identifie pas. Et elle sent l'angoisse, le malaise qui montent, qui montent ...

Avec cela que, brusquement, à New-York, une épidémie de meurtres touchant des personnes ayant eu un rapport avec Craig (ou étant suspecté d'en avoir eu) se met brutalement à sévir : son associé d'abord, découvert mort dans le lit de l'ancienne maîtresse de Craig, morte également ; un chauffeur de taxi ; et trois jeunes délinquants, deux garçons, une fille, assassinés à coups de marteau. A chaque fois, sur les lieux du crime, comme une signature : un neuf de carreaux - une carte qui, ainsi qu'Effie l'apprend en fouinant un peu, tint un rôle précis dans l'existence de Jack Belias.

Le pire, c'est qu'il y a des moments où, dans la pénombre par exemple, il semble à Effie que les traits de son mari se transforment subtilement. La texture de sa peau elle-même ...

Que se passe-t-il à Walhalla ?

L'un des meilleurs romans jamais écrit sur la hantise et aussi l'une des meilleures oeuvres de Masterton. Lisez, vous verrez bien. ;o)

dimanche, juillet 1 2007

La Chambre Ardente - John Dickson Carr.

The Burning Court Traduction : Maurice-Bernard Endrèbe

Pour les amateurs de romans policiers, Dickson Carr demeure le maître incontesté de l'énigme dite "de la chambre close." Et, à ma connaissance du moins, il n'a jamais oeuvré dans le genre "épouvante." Pourquoi, dans ces conditions, mets-je alors "La Chambre Ardente" dans cette section ? Parce que, de son début : "Il était une fois un homme qui habitait près d'un cimetiere ..." jusqu'à son épilogue, ce roman introduit bel et bien dans une classique histoire policière les notes subtilement discordantes d'un surnaturel sur lequel le lecteur, arrivé en bout d'énigme, s'interroge encore.

Tout commence dans un train de la banlieue de Philadelphie où Tod Stevens, lecteur d'une grande maison d'édition, a la stupeur de découvrir, glissée dans un manuscrit original, la photo d'une femme qui, bien que datée des années 1850, lui restitue les traits, le port, l'allure exacts de sa propre épouse, Marie d'Aubray, une Québéquoise. Le manuscrit, signé d'un spécialiste au nom étrange, Gaudan Cross, traite des meurtres célèbres par empoisonnement. La photo est celle d'une autre Marie d'Aubray, française celle-là, qui empoisonna son amant, Louis Picard, en usant de l'arsenic.

Arrivé chez lui, Stevens - et on le comprend - ne peut s'empêcher d'aborder le sujet avec sa femme. Mais un coup de sonnette l'interrompt : un vieil ami à lui, Mark Despard, qui avait déjà cherché à le joindre par téléphone, s'annonce et lui conte à son tour une incroyable histoire.

A la suite du décès de son oncle Miles, mort d'une gastro-entérite, des rumeurs n'ont pas tardé à courir le village voisin, comme quoi le vieil homme aurait été empoisonné à l'arsenic. Qui pis est, la propre gouvernante de Despard Park- où Mark, son épouse Lucy, sa soeur Edith et leur frère Ogden vivaient auprès du défunt - lui a rapporté que, le soir de la mort du vieux monsieur, alors qu'elle écoutait une émission radiophonique dans la véranda attenant à la chambre de son employeur, elle avait été étonnée d'entendre des bruits de voix. Il était onze heures du soir et, à l'exception d'elle même et de Miles Despard, la maison était vide puisque les quatre jeunes gens s'étaient absentés, les trois premiers pour se rendre à un bal costumé, le quatrième pour rejoindre des amis.

Intriguée, Mrs Henderson - la gouvernante - s'était alors levée et avait cherché à voir qui se trouvait avec Mr Despard dans sa chambre. Par la fente d'un rideau qui protégeait une porte vitrée donnant dans la pièce, elle avait eu la surprise d'apercevoir, debout face au lit du malade, une femme de petite taille et revêtue d'une robe similaire à celle que portait Lucy Despard pour se rendre au bal, une robe de soie rouge et bleu, copiée sur un modèle du XVIIème siècle lui-même porté par une femme au visage méconnaissable sur l'un des portraits situé dans la galerie du manoir.

Autre fait qui avait intrigué et même effrayé la gouvernante : il semblait que la tête de la femme flottât au-dessus de son cou. Face à elle, Mr Despard semblait littéralement terrifié. Enfin, last but not least, la femme s'était éclipsée en passant par une porte dérobée creusée dans l'un des murs de la chambre.

A partir de là, tout s'emballe : dans la crypte familiale, où Stevens accompagne son ami, le cercueil et son contenu se sont volatilisés ; de mystérieux télégrammes parlant d'empoisonnement et d'enquête policière sont adressés à droite et à gauche, ramenant au manoir Lucy et Edith, qui s'étaient absentées pour la quinzaine et l'infirmière qui avait soigné Miles Despard. Mais il y a pis : un lieutenant de police, Brennan, est dépêché à Despard Park par ses supérieurs, lesquels ont également reçu un télégramme où un mystérieux Amor Justitiae dénonce l'assassinat de Miles Despard ...

Je ne vous dirai rien de la fin de ce curieux roman, hormis que, à une première conclusion des plus rationnelles, elle fait succéder un épilogue pour le moins ambigu. Ce dernier, ainsi que l'ambiance étrange dans laquelle baigne l'ensemble, justifie d'ailleurs la place que je fais à "La Chambre Ardente" dans cette rubrique "Epouvante." Mais comme il s'agit là d'un roman d'avant-guerre - l'action se situe l'année du grand krach - ne vous attendez pas à y trouver les outrances sanglantes des romans noirs ou terrifiants d'aujourd'hui. Tout y est subtil, insidieux et étouffant.

Un véritable empoisonnement. ;o)

PS : si vous avez aimé "La Chambre Ardente", ainsi nommée en référence à la cour de justice qui oeuvra à huis-clos dès 1680 pour traiter le scandale des Poisons à la cour de Louis XIV, je vous conseille notamment, du même auteur, "Celui qui murmure ...", autre meurtre étrange, au haut d'une tour. L'ambiance y est aussi glaçante mais la solution de l'énigme ne fait pas par contre appel au surnaturel. J'ajouterai que, comme tout auteur, Dickson Carr, qui créa entre autre le personnage du Dr Gedeon Fell, eut des hauts et des bas : sa "Main de Marbre" par exemple est fort mal écrit.

Une petite biographie de l'auteur.

jeudi, juin 21 2007

La Légende de la Mort - Anatole Le Braz.

Anatole Le Braz est ce que l’on est convenu d’appeler un auteur local ou régional. Il naquit en 1859, à St Servais, petite commune des Côtes d’Armor mais passa l’essentiel de son enfance à Ploumiliau, dans le Finistère. Petit détail amusant, son instituteur - le recteur de la paroisse en cette époque où l’Ecole publique et laïque n’existait pas encore - n’était autre que l’oncle de Villiers de l’Isle-Adam, auteur connu pour nombre de récits fantastiques ou pré-sciencefictionnesques comme "L’Eve Future".

Bon élève dans un lycée de St Brieuc qui porte aujourd’hui son nom, le jeune Anatole prépara sa licence de lettres au lycée St Louis, à Paris. Malheureusement, des problèmes de santé devaient mettre un terme à ses travaux en vue de l’agrégation de philosophie et l’orienter définitivement vers le professorat. Il devint d’ailleurs professeur de philosophie à Quimper, toujours dans le Finistère et ce fut là qu’il se mit à écrire de nombreux ouvrages sur la Bretagne, ses traditions, ses paysages, etc ...

Pour être exact, sa "Légende de la Mort" est plus un recueil de témoignages et d’histoires vraies que de fabulations et de contes. On y parle beaucoup de l’Ankou, le Charretier de la Mort breton que l’on doit se garder soigneusement de croiser sur sa route sous peine de prendre sa place au 1er de l’An suivant ; des intersignes, signes annonciateurs de la mort d’un proche ; des fantômes, bien sûr mais aussi de l’Enfer , du Paradis, de l’Ame et des villes englouties.

Ces récits sont écrits dans un style des plus simples et, le plus souvent, ils sont brefs. Ils se lisent donc très facilement. Les connaisseurs en civillisation celtique pré-chrétienne n’auront aucune peine à constater que, sous le vernis de la religion chrétienne et surtout catholique, la Bretagne qu’évoque Le Braz a su garder intactes ses traditions animistes et merveilleuses que l’on retrouve par exemple, d’une autre façon, dans les légendes arthuriennes.

Certaines de mes connaissances, qui ont lu ce livre, l’ont trouvé, je crois, assez effrayant. C’est vrai qu’il vaut mieux ne pas le lire avant de s’endormir. Toutefois, si vous ne croyez ni en Dieu, ni en Diable ... ;o)

En tous les cas, ne manquez pas la belle et simple "Séparation de l’Ame et du Corps" (p. 143 dans l’édition Coop Breizh) où l’Ame dit adieu au Corps qu’elle a habité si longtemps. Sous la façade chrétienne, ce sont toutes les interrogations de ces Celtes qu'on surnommait "le peuple du Crépuscule" - le "crépuscule" étant ici la Renaissance - qui jaillissent, passionnées et éternelles.

"La Légende de la Mort" est disponible aux Editions COOP BREIZH/Jeanne Laffitte.

mardi, juin 19 2007

Apparition - Graham Masterton.

Prey Traduction : François Truchaud

Parmi les adeptes de littérature fantastique, très rares sont ceux qui ne rendent pas un culte à Howard Philip Lovecraft. Mais, parmi les écrivains qui font dans le fantastique, encore plus rares sont ceux qui ont su rendre hommage au « Solitaire de Providence » tout en restant fidèle à son univers. L’Ecossais Graham Masterton est de ceux-là, ce qui confère à son roman « Apparition » une saveur et une logique lovecraftiennes tout à fait exceptionnelles.

Tout commence dans une vieille demeure victorienne de l’île de Wight que le héros, David Williams, a accepté de restaurer pour le compte d’un couple de millionnaires, les Tennant. Dès le départ, nous nous trouvons face à un homme perclus de problèmes : son épouse l’a quitté pour fuir avec un autre mais elle lui a laissé leur fils, Danny. Déboussolé et ayant abandonné sa petite entreprise de décoration d’intérieur, David espère que cet été consacré à relever une maison et son parc leur donnera à tous deux le temps de « souffler » un peu et de voir venir.

Mais le lendemain-même du jour de leur emménagement, il est réveillé à l’aube par une espèce de grattement frénétique provenant du grenier. Bien entendu, notre héros n’hésite pas à se lever et à s’en aller aux renseignements. Cependant, à part une sensation de peur glaciale qu’il ne parvient pas à s’expliquer et qui s’empare de lui lors de son exploration du grenier, il ne décèle là-haut rien de particulier.

Après leur petit-déjeuner, les Williams père et fils sortent découvrir leur nouveau domaine. Mais comme ils se retournent machinalement pour avoir une vue d’ensemble de Fortyfoot House, quelle n’est pas leur surprise de constater que la façade de la maison leur apparaît en excellent état ! Certes, il y a dans cette vision quelque chose de mal ajusté, une espèce de flou qui leur rappelle une photo du lieu prise dans les années 1880 et qu'ils ont eu tout loisir d'observer dans le hall. Mais l’illusion reste impressionnante. Les jardins eux-mêmes semblent retaillés à la française alors que, en cette fin des années 1990 où se situe le début du roman, la Nature les a largement récupérés ...

Et voici que, sortant de cette maison « rajeunie », un homme de haute taille et vêtu de façon carrément anachronique, s’éloigne à grandes enjambées vers le bois voisin sans se soucier des appels que lui adresse David ...

A peine l’étrange personnage a-t-il disparu que, poursuivant leur tour du propriétaire, ils tombent sur une espèce de chapelle aux murs envahis par la végétation. Entre deux rameaux de lierre, émerge çà et là un détail : un pied, le bas d’une jupe, puis un visage de femme, beau mais peu sympathique. Poussés par une curiosité compréhensible – le thème de cette fresque déconcerte dans un lieu en théorie consacré - ils dégagent la silhouette peinte et constatent qu’elle porte sur son épaule une espèce de gros rat ...

Enfin, en quittant la chapelle, le père et le fils débouchent parmi les stèles et les croix d’un petit cimetière où n’ont été enterrés que des enfants, tous décédés très jeunes et, chose pour le moins curieuse, à la même date …

Bien sûr, tout cela est couru d’avance et l’on peut trouver pareille situation dans n’importe quel film d’épouvante. Mais ce que l'on n'y trouvera pas - peut-être parce qu'il n'y a, si mes souvenirs sont bons, qu'un seul cinéaste qui ait jamais osé s'attaquer à Lovecraft - c'est la récupération que fait ici Masterton de Brown Jenkins, personnage apparu dans « Les Rêves dans la Maison de la Sorcière », l’une des nouvelles les plus fameuses de l'écrivain de Providence. Pas plus qu'on n'y trouvera la diabolique habileté avec laquelle Masterton rentre de plein pied dans le mythe fabuleux inventé par l'auteur américain, celui des Grands Anciens - la tentative cinématographique dont je parle plus haut se solda par un échec : filmer Lovecraft est impossible, même quand on s’appelle Roger Corman.

Car, hanté comme il l'était par l’idée de dimensions parallèles et de distorsions du Temps qui, à la faveur de quelques passages protégés – des angles bizarres, en règle générale – permettent ainsi à l’initié de voyager sans problème au travers des siècles et de l’espace, Lovecraft aurait sans nul doute apprécié la façon dont s’y prend Masterton pour faire cohabiter à la fois plusieurs mondes et plusieurs époques dans l’espace en apparence limité et bien concret de Fortyfoot House.

En revanche, Masterton rompt avec la tradition lovecraftienne des fins malheureuses et particulièrement épouvantables. Après près de 360 pages qui maintiennent le lecteur en haleine, « Apparition » se termine de façon heureuse et même logique. Attention ! Ce que je vous en dis là n’est pas une raison pour utiliser ce roman comme un calmant de vos insomnies !

Enfin, et c’est là, je pense, le plus grand compliment qu’on puisse faire à l'auteur écossais, ce livre ne peut qu’inciter ceux qui ne connaissent pas encore l’œuvre de Lovecraft à s’y plonger sans coup férir.

page 3 de 3 -