Prey Traduction : François Truchaud

Parmi les adeptes de littérature fantastique, très rares sont ceux qui ne rendent pas un culte à Howard Philip Lovecraft. Mais, parmi les écrivains qui font dans le fantastique, encore plus rares sont ceux qui ont su rendre hommage au « Solitaire de Providence » tout en restant fidèle à son univers. L’Ecossais Graham Masterton est de ceux-là, ce qui confère à son roman « Apparition » une saveur et une logique lovecraftiennes tout à fait exceptionnelles.

Tout commence dans une vieille demeure victorienne de l’île de Wight que le héros, David Williams, a accepté de restaurer pour le compte d’un couple de millionnaires, les Tennant. Dès le départ, nous nous trouvons face à un homme perclus de problèmes : son épouse l’a quitté pour fuir avec un autre mais elle lui a laissé leur fils, Danny. Déboussolé et ayant abandonné sa petite entreprise de décoration d’intérieur, David espère que cet été consacré à relever une maison et son parc leur donnera à tous deux le temps de « souffler » un peu et de voir venir.

Mais le lendemain-même du jour de leur emménagement, il est réveillé à l’aube par une espèce de grattement frénétique provenant du grenier. Bien entendu, notre héros n’hésite pas à se lever et à s’en aller aux renseignements. Cependant, à part une sensation de peur glaciale qu’il ne parvient pas à s’expliquer et qui s’empare de lui lors de son exploration du grenier, il ne décèle là-haut rien de particulier.

Après leur petit-déjeuner, les Williams père et fils sortent découvrir leur nouveau domaine. Mais comme ils se retournent machinalement pour avoir une vue d’ensemble de Fortyfoot House, quelle n’est pas leur surprise de constater que la façade de la maison leur apparaît en excellent état ! Certes, il y a dans cette vision quelque chose de mal ajusté, une espèce de flou qui leur rappelle une photo du lieu prise dans les années 1880 et qu'ils ont eu tout loisir d'observer dans le hall. Mais l’illusion reste impressionnante. Les jardins eux-mêmes semblent retaillés à la française alors que, en cette fin des années 1990 où se situe le début du roman, la Nature les a largement récupérés ...

Et voici que, sortant de cette maison « rajeunie », un homme de haute taille et vêtu de façon carrément anachronique, s’éloigne à grandes enjambées vers le bois voisin sans se soucier des appels que lui adresse David ...

A peine l’étrange personnage a-t-il disparu que, poursuivant leur tour du propriétaire, ils tombent sur une espèce de chapelle aux murs envahis par la végétation. Entre deux rameaux de lierre, émerge çà et là un détail : un pied, le bas d’une jupe, puis un visage de femme, beau mais peu sympathique. Poussés par une curiosité compréhensible – le thème de cette fresque déconcerte dans un lieu en théorie consacré - ils dégagent la silhouette peinte et constatent qu’elle porte sur son épaule une espèce de gros rat ...

Enfin, en quittant la chapelle, le père et le fils débouchent parmi les stèles et les croix d’un petit cimetière où n’ont été enterrés que des enfants, tous décédés très jeunes et, chose pour le moins curieuse, à la même date …

Bien sûr, tout cela est couru d’avance et l’on peut trouver pareille situation dans n’importe quel film d’épouvante. Mais ce que l'on n'y trouvera pas - peut-être parce qu'il n'y a, si mes souvenirs sont bons, qu'un seul cinéaste qui ait jamais osé s'attaquer à Lovecraft - c'est la récupération que fait ici Masterton de Brown Jenkins, personnage apparu dans « Les Rêves dans la Maison de la Sorcière », l’une des nouvelles les plus fameuses de l'écrivain de Providence. Pas plus qu'on n'y trouvera la diabolique habileté avec laquelle Masterton rentre de plein pied dans le mythe fabuleux inventé par l'auteur américain, celui des Grands Anciens - la tentative cinématographique dont je parle plus haut se solda par un échec : filmer Lovecraft est impossible, même quand on s’appelle Roger Corman.

Car, hanté comme il l'était par l’idée de dimensions parallèles et de distorsions du Temps qui, à la faveur de quelques passages protégés – des angles bizarres, en règle générale – permettent ainsi à l’initié de voyager sans problème au travers des siècles et de l’espace, Lovecraft aurait sans nul doute apprécié la façon dont s’y prend Masterton pour faire cohabiter à la fois plusieurs mondes et plusieurs époques dans l’espace en apparence limité et bien concret de Fortyfoot House.

En revanche, Masterton rompt avec la tradition lovecraftienne des fins malheureuses et particulièrement épouvantables. Après près de 360 pages qui maintiennent le lecteur en haleine, « Apparition » se termine de façon heureuse et même logique. Attention ! Ce que je vous en dis là n’est pas une raison pour utiliser ce roman comme un calmant de vos insomnies !

Enfin, et c’est là, je pense, le plus grand compliment qu’on puisse faire à l'auteur écossais, ce livre ne peut qu’inciter ceux qui ne connaissent pas encore l’œuvre de Lovecraft à s’y plonger sans coup férir.