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Tag - XVIIème siècle

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jeudi, mars 8 2012

Une Ombre Sur Le Roi-Soleil - Claude Quétel

Extraits

Tous ceux qui s'intéressent à l'affaire dite "des Poisons", qui défraya la chronique sous le règne de Louis XIV, savent combien il est difficile de se procurer un ouvrage moderne de qualité traitant de la question. Il y a bien le livre d'Arlette Lebigre mais, en dépit de ses nombreuses qualités, les cent-soixante-treize pages qu'il compte laissent un peu le lecteur sur sa faim. De plus, "L'Affaire des Poisons" d'Arlette Lebigre est un format poche.

"Une Ombre sur le Roi-Soleil" est de format normal et comporte une centaine de pages de plus. Claude Quétel, son auteur, a eu en outre l'excellente idée de placer en tête un répertoire des principaux protagonistes en les répartissant en trois catégories : les autorités, les accusés et enfin les clients et clientes. Cela permet au lecteur intéressé mais non familier avec l'époque et les événements de s'y retrouver sans trop de peine.

L'affaire des Poisons est importante à plus d'un titre dans notre Histoire. Elle révèle tout d'abord l'inquiétante corruption des moeurs à Paris et dans sa proche région, à une époque où, pourtant, on célèbre pieusement le Carême, où le Roi lui-même se soucie de faire ses Pâques et où les prêches des grands orateurs comme Bourdaloue sont aussi courus que les bals à la cour : certes, la vitrine est belle et même fastueuse, sa beauté culmine à Versailles mais pour peu que l'on fouille ...

Elle révèle également - et c'est ce qui épouvantera Louis XIV - que le Mal se tapit à Versailles même. Si l'on n'a jamais réellement prouvé que Mme de Montespan, alors favorite en titre et mère d'enfant légitimés par le monarque, participa à des messes noires, si l'on est par contre certain que le maréchal de Luxembourg fut accusé à tort, il n'en reste pas moins vrai que nombre de courtisans, et parmi les plus proches du Soleil - la comtesse de Soissons, nièce de feu le cardinal Mazarin, dut s'enfuir pour ne pas être arrêtée - avaient eu recours aux "devineresses" et aux empoisonneuses.

Elle révèle en même temps, dans les coulisses, la silhouette de Louvois, l'"archiministre" si l'on peut dire, si jaloux de son influence sur le Roi. Louvois, dont Saint-Simon nous décrit les réelles qualités d'homme d'Etat sans oublier toutefois d'équilibrer la balance en nous précisant les ombres (elles étaient fort noires) et les petitesses (elles étaient nombreuses) du personnage.

L'affaire des Poisons annonce enfin la création de l'ancêtre de la Police avec, à sa tête, Gabriel-Nicolas de La Reynie, nommé lieutenant général de police par Colbert, et François Desgrez, d'abord exempt, puis capitaine de la compagnie du guet. (Ce dernier service peut être tenu pour l' ancêtre direct des services de police judiciaire.) Cette création s'accompagne, il faut le noter, d'un effort réel pour rendre les rues plus agréables et plus saines sur le plan de l'hygiène.

C'est tout cela, et un peu plus, que Claude Quétel développe dans "Une Ombre sur le Roi-Soleil", un document passionnant et de haute tenue sur une affaire criminelle qui fut aussi une affaire d'Etat, et sur laquelle les siècles à venir n'ont pas fini de fantasmer autant que ceux qui les ont précédés. A lire absolument. ;o)

samedi, novembre 5 2011

Mémoires - Abbé de Choisy

Mémoires

Plus on avance dans ses "Mémoires", plus on acquiert la certitude que l'abbé de Choisy était un homme charmant. Dans tous les sens du terme. On a l'impression d'être assis en compagnie d'un hôte aux petits soins qui nous raconte, avec sérieux ou drôlerie, les mille et une histoires d'une Histoire que les relations de sa mère lui ont donné l'occasion de traverser avec discrétion certes mais aussi l'attention perpétuellement en éveil.

On imagine Saint-Simon maniant avec fièvre des brassées de parchemins et de journaux tels celui de Dangeau. Chez le petit duc, la plume glisse, s'envole, s'accroche aussi et griffe, rageuse, crépitante, plus souvent qu'à son tour. Saint-Simon a l'ironie féroce de l'aristocrate qui méprise le courtisan et la lucidité sans faille de celui qui respecte trop l'Histoire pour la faire mentir. Evidemment, de temps à autre, il s'égare et instruit un peu trop à charge. Mais, deux pages plus loin, dans un sursaut d'honnêteté, il allège son réquisitoire, il consent une ou deux vertus délicates à celle qu'il tient pour une arriviste, à celui en qui il ne voit qu'un bien pauvre sire. Saint-Simon oeuvre avec sérieux et les sourires suscités par ses portraits ont beaucoup du ricanement.

Toute différente est la démarche de l'abbé de Choisy. Non qu'il n'ait pas, lui aussi, le sens de l'Histoire. Simplement, il la relativise et il admet avec plus de facilité que le personnage historique est également un homme ou une femme. Et puis, Choisy est l'indulgence même - sauf envers le cardinal de Retz, qu'il ne semble guère priser. Les portraits qu'il brosse, les événements qu'il relate prennent du coup le relief exquis des miniatures de grand prix. Ses modèles s'humanisent et, n'étaient leurs titres et leurs fonctions, on oublierait presque qu'ils ont joué leur rôle sous la Régence d'Anne d'Autriche, puis sous le règne de son fils.

Choisy n'a pas non plus la veine chronologique. Il va gaiement d'un personnage à l'autre, conservant toutefois un fil directeur qui le ramènera à son point de départ une fois qu'il aura dévidé l'écheveau des souvenirs qui le concernent. Sa plume sautille, joue à la marelle, traîne dans les flaques, en ressort en s'ébrouant et repart de plus belle, à cloche-pied. L'abbé s'amuse et le lecteur ne voit pas le temps passer et ceci, chose qu'il faut souligner, même s'il a déjà lu le récit des mêmes événements chez Madame Palatine, Saint-Simon ou encore Mme de La Fayette.

Bref, si l'abbé de Choisy n'a sûrement pas la puissance de Saint-Simon, ses "Mémoires" ne doivent pas être pour autant laissés de côté, dans le recoin poussiéreux d'une étagère de grenier. Il s'agit d'un complément indispensable, que l'amateur de documents du même type prendra un plaisir gourmand à déguster - satisfaction que ne lui aurait certes pas reprochée François-Timoléon, abbé de Choisy.