Extraits

Tous ceux qui s'intéressent à l'affaire dite "des Poisons", qui défraya la chronique sous le règne de Louis XIV, savent combien il est difficile de se procurer un ouvrage moderne de qualité traitant de la question. Il y a bien le livre d'Arlette Lebigre mais, en dépit de ses nombreuses qualités, les cent-soixante-treize pages qu'il compte laissent un peu le lecteur sur sa faim. De plus, "L'Affaire des Poisons" d'Arlette Lebigre est un format poche.

"Une Ombre sur le Roi-Soleil" est de format normal et comporte une centaine de pages de plus. Claude Quétel, son auteur, a eu en outre l'excellente idée de placer en tête un répertoire des principaux protagonistes en les répartissant en trois catégories : les autorités, les accusés et enfin les clients et clientes. Cela permet au lecteur intéressé mais non familier avec l'époque et les événements de s'y retrouver sans trop de peine.

L'affaire des Poisons est importante à plus d'un titre dans notre Histoire. Elle révèle tout d'abord l'inquiétante corruption des moeurs à Paris et dans sa proche région, à une époque où, pourtant, on célèbre pieusement le Carême, où le Roi lui-même se soucie de faire ses Pâques et où les prêches des grands orateurs comme Bourdaloue sont aussi courus que les bals à la cour : certes, la vitrine est belle et même fastueuse, sa beauté culmine à Versailles mais pour peu que l'on fouille ...

Elle révèle également - et c'est ce qui épouvantera Louis XIV - que le Mal se tapit à Versailles même. Si l'on n'a jamais réellement prouvé que Mme de Montespan, alors favorite en titre et mère d'enfant légitimés par le monarque, participa à des messes noires, si l'on est par contre certain que le maréchal de Luxembourg fut accusé à tort, il n'en reste pas moins vrai que nombre de courtisans, et parmi les plus proches du Soleil - la comtesse de Soissons, nièce de feu le cardinal Mazarin, dut s'enfuir pour ne pas être arrêtée - avaient eu recours aux "devineresses" et aux empoisonneuses.

Elle révèle en même temps, dans les coulisses, la silhouette de Louvois, l'"archiministre" si l'on peut dire, si jaloux de son influence sur le Roi. Louvois, dont Saint-Simon nous décrit les réelles qualités d'homme d'Etat sans oublier toutefois d'équilibrer la balance en nous précisant les ombres (elles étaient fort noires) et les petitesses (elles étaient nombreuses) du personnage.

L'affaire des Poisons annonce enfin la création de l'ancêtre de la Police avec, à sa tête, Gabriel-Nicolas de La Reynie, nommé lieutenant général de police par Colbert, et François Desgrez, d'abord exempt, puis capitaine de la compagnie du guet. (Ce dernier service peut être tenu pour l' ancêtre direct des services de police judiciaire.) Cette création s'accompagne, il faut le noter, d'un effort réel pour rendre les rues plus agréables et plus saines sur le plan de l'hygiène.

C'est tout cela, et un peu plus, que Claude Quétel développe dans "Une Ombre sur le Roi-Soleil", un document passionnant et de haute tenue sur une affaire criminelle qui fut aussi une affaire d'Etat, et sur laquelle les siècles à venir n'ont pas fini de fantasmer autant que ceux qui les ont précédés. A lire absolument. ;o)