Mémoires

Plus on avance dans ses "Mémoires", plus on acquiert la certitude que l'abbé de Choisy était un homme charmant. Dans tous les sens du terme. On a l'impression d'être assis en compagnie d'un hôte aux petits soins qui nous raconte, avec sérieux ou drôlerie, les mille et une histoires d'une Histoire que les relations de sa mère lui ont donné l'occasion de traverser avec discrétion certes mais aussi l'attention perpétuellement en éveil.

On imagine Saint-Simon maniant avec fièvre des brassées de parchemins et de journaux tels celui de Dangeau. Chez le petit duc, la plume glisse, s'envole, s'accroche aussi et griffe, rageuse, crépitante, plus souvent qu'à son tour. Saint-Simon a l'ironie féroce de l'aristocrate qui méprise le courtisan et la lucidité sans faille de celui qui respecte trop l'Histoire pour la faire mentir. Evidemment, de temps à autre, il s'égare et instruit un peu trop à charge. Mais, deux pages plus loin, dans un sursaut d'honnêteté, il allège son réquisitoire, il consent une ou deux vertus délicates à celle qu'il tient pour une arriviste, à celui en qui il ne voit qu'un bien pauvre sire. Saint-Simon oeuvre avec sérieux et les sourires suscités par ses portraits ont beaucoup du ricanement.

Toute différente est la démarche de l'abbé de Choisy. Non qu'il n'ait pas, lui aussi, le sens de l'Histoire. Simplement, il la relativise et il admet avec plus de facilité que le personnage historique est également un homme ou une femme. Et puis, Choisy est l'indulgence même - sauf envers le cardinal de Retz, qu'il ne semble guère priser. Les portraits qu'il brosse, les événements qu'il relate prennent du coup le relief exquis des miniatures de grand prix. Ses modèles s'humanisent et, n'étaient leurs titres et leurs fonctions, on oublierait presque qu'ils ont joué leur rôle sous la Régence d'Anne d'Autriche, puis sous le règne de son fils.

Choisy n'a pas non plus la veine chronologique. Il va gaiement d'un personnage à l'autre, conservant toutefois un fil directeur qui le ramènera à son point de départ une fois qu'il aura dévidé l'écheveau des souvenirs qui le concernent. Sa plume sautille, joue à la marelle, traîne dans les flaques, en ressort en s'ébrouant et repart de plus belle, à cloche-pied. L'abbé s'amuse et le lecteur ne voit pas le temps passer et ceci, chose qu'il faut souligner, même s'il a déjà lu le récit des mêmes événements chez Madame Palatine, Saint-Simon ou encore Mme de La Fayette.

Bref, si l'abbé de Choisy n'a sûrement pas la puissance de Saint-Simon, ses "Mémoires" ne doivent pas être pour autant laissés de côté, dans le recoin poussiéreux d'une étagère de grenier. Il s'agit d'un complément indispensable, que l'amateur de documents du même type prendra un plaisir gourmand à déguster - satisfaction que ne lui aurait certes pas reprochée François-Timoléon, abbé de Choisy.