Don't Tell The Grown-Ups Traduction : Monique Chassagnol

Voici un essai de très grande qualité sur la littérature enfantine anglo-saxonne dont l'Européen continental ne connaît pas toujours les grands noms. Les quatre premiers chapitres traitent cependant du conte de fées et des histoires pour la jeunesse en général, ce qui explique les allusions aux frères Grimm et aux racines européennes de ces histoires que, avec le français Charles Perrault, ils furent parmi les premiers à rassembler.

Lurie saisit d'ailleurs l'occasion de nous rappeler que, à l'origine, beaucoup de ces contes comportaient ce que nous appellerions aujourd'hui des scènes gore et que personne ne semblait s'en émouvoir. (Sur ce plan, on pourra consulter de façon appréciable, mais sur un autre niveau, le très intéressant ouvrage de Bruno Bettelheim sur la psychanalyse appliquée aux contes de fées. Pour ses livres sur l'autisme, par contre, passez votre chemin. )

En effet, outre les marâtres qui, reines ou paysannes, finissent très mal parce que condamnées à cracher jusqu'à leur dernière heure crapauds venimeux, serpents, araignées et autres charmantes petites bêtes, on pense tout de suite à l'histoire si représentative de Hansel & Gretel, ces deux enfants qui - en état de légitime défense, certes - n'hésitent pas à pousser dans son four l'horrible sorcière-ogresse qui prétend les dévorer rôtis. Comme quoi, le monde de l'enfance et les récits qu'on s'y chuchote ont toujours fait montre d'une cruauté qui, hélas ! fait partie de la vie elle-même. Alison Lurie déplore d'ailleurs - et je partage son opinion - que, de nos jours, on tende à supprimer les fins atroces (mais très morales, somme toute) des contes de notre enfance sous le prétexte plus que douteux qu'il ne faut pas traumatiser les enfants.

Mais il y a plus étrange : ceux-là mêmes qui veulent à tous prix "protéger" les pauvres petits des horreurs prétendument distillées par les contes de fées ne semblent avoir aucun scrupule à les laisser béer devant n'importe quel programme télévisé ou jeu vidéo bien sanglant ... ;o)

A compter du cinquième chapitre, Lurie passe du général au particulier en évoquant les univers de Beatrix Potter, Frances Hodgson Bennett (créatrice du petit lord Fauntleroy et de bien d'autres petits héros), d'Edith Nesbit (auteur de la fin de l'ère victorienne qui fut la première, semble-t-il, en tous cas en Angleterre, à écrire sans condescendance pour les enfants), d'A. A. Milne (immortel auteur du non moins immortel Winnie l'Ourson), sans oublier James Barrie et son Peter Pan ainsi que le grand mais méconnu T. H. White, auteur d'une réécriture des chroniques arthuriennes à l'usage des enfants et des adolescents.

Lurie use d'un langage tout à fait accessible aux profanes, ne fait pas dans la pédanterie et nous fait partager sa passion pour un thème qu'elle maîtrise mais dont on regrette qu'elle ne puisse le traiter dans son intégralité. On rêverait par exemple de lire son avis sur la saga de Mary Poppins et à la vie de sa créatrice, Pamela L. Travers, ou bien encore nous confier ce qu'elle pense d'Enid Blyton et de ses séries "Mystère" et "Club des Cinq" à moins qu'elle ne préfère demeurer en terre américaine avec l'analyse des aventures de Nancy Drew-Alice Roy ou des Frères Hardy.

Mais enfin, tel qu'il est, "Ne Le Dites Pas Aux Grands" se révèle un ouvrage de tout premier ordre, à lire et à conserver. ;o)